3ème prompt du Top 5

Échange de vêtements (Wearing each other's clothes)


Thor aimait son frère et était aimé de lui.

Ce n'était jamais facile entre eux mais « jamais » qualifiait aussi l'impossibilité pour lui d'oublier toutes les choses qui le maintenaient attaché à Loki.

Le dieu du mensonge était encore un paria après s'être révélé Jotün, avoir voulu anéantir leur monde, fui le jugement d'Odin en se laissant tomber du pont arc-en-ciel, semé le chaos sur Midgard, prétendu pouvoir s'accaparer un trône sans que le Père-de-toutes-choses le lui autorise. Mais au moins n'était-il plus enfermé en cage : on se servait de lui pour la défense des frontières du royaume. Il se battait constamment. Quand on était magicien comme lui, ce n'était pas bien difficile de se téléporter d'un bout à l'autre du champ de bataille, de créer des clones pour contenir une invasion. Il semblait que sa magie se renouvelait sans cesse. Il n'était jamais fatigué.

Thor participait à ces combats, lui aussi, mais il était envoyé sur les planètes ennemies, au milieu des soldats, car à lui on pouvait faire confiance. Mais, parfois, il se trouvait repoussé jusqu'à Asgard et prenait un moment à se reposer aux côtés de son frère. Il ne lui parlait presque pas et le surveillait du coin de l'œil. Il détonnait vraiment, le sorcier, au milieu de tous ces guerriers en armes et en armures. On ne lui témoignait toujours pas autant de respect qu'on le devrait et, un jour, Thor décida qu'il voulait savoir.

Quand la saison des combats prit fin, que les nations se retirèrent pour l'hiver, il fit venir son cadet dans l'une des antichambres qui constituaient ses appartements, les officiels, les royaux, ceux qu'on indiquait aux princes et aux empereurs étrangers quand ils investissaient le palais. La pièce était petite, taillée comme un prisme, avec des tons de bleu et des psychés sur les murs. Le prince était assis sur une chaise, devant une petite table, il se servait des boissons mordorées et couleur grenade, sûrement alcoolisées. Loki était debout de l'autre côté et conservait un sourire railleur.

« As-tu des plans pour cet hiver, mon frère ? finit-il par demander car son aîné faisait tourner sa boisson dans son verre sans rien dire. J'ai pensé que je pourrais peut-être m'offrir quelques jours de délassement sur une autre planète… une prison qui aurait été sécurisée exprès pour moi.

-J'ai une meilleure idée, répliqua Thor en ignorant ses sarcasmes. Je voudrais que nous échangions nos places pendant un ou deux jours.

-Échanger… nos places ? répéta le dieu de la malice en fronçant les sourcils. Toi en prison et moi au milieu des acclamations ?

-Toi le guerrier et moi le sorcier. Je voudrais comprendre comment les Asgardiens te voient.

-Pas très bien, grinça Loki avec un rictus amer. Et je peux savoir ce que tu espères obtenir en faisant ça ?

-Retrouver mon frère. »

Loki le dévisagea, la parole tarie. Il secoua la tête.

« Je ne comprends toujours pas, répéta-t-il d'une voix moins vindicative.

-Prends ce casque, lui dit Thor en faisant un signe de tête vers un serviteur qui était entré par la porte d'une garde-robe. Je l'ai fait ajuster, pour toi. Nous n'avons pas exactement le même tour de tête. »

C'était l'homme qui était déjà venu apporter une coupe pleine de vin à son futur roi, le jour du couronnement manqué, et qui s'était retrouvé nez-à-nez avec des serpents en jaillissant pour le punir d'avoir ri de Loki. Il lui jeta un coup d'œil plein d'effroi, craignant que ça se reproduise. Mais le dieu de la malice se contenta de prendre le casque, qui était en métal argenté et comportait deux ailes sur les côtés.

« Jolies plumes, murmura-t-il comme pour lui-même, en souvenir de cet après-midi-là. »

Thor eut un sourire et tendit ensuite à son frère le pantalon, la tunique, les protections de jambes et de torses, les canons d'avant-bras et la cape rouge qu'il avait fait faire pour lui.

« Il y a la forme de mon casque sur ceux-ci, remarqua le dieu de la malice en posant son doigt sur la pièce de métal.

-Sur tous les miens, répliqua son aîné en rangeant sa chaise.

-Je ne pourrai pas… Hum. Je ne pourrai pas utiliser Mjölnir.

-Ni moi la magie. Mais ce n'est pas le but de l'exercice. Je souhaite juste que nous échangions nos habitudes pendant un moment. Bien… Excuse-moi un instant. J'ai une nouvelle tenue à essayer, moi aussi. »

Les vêtements que portaient son frère était ceux d'un magicien. Ils n'étaient pas renforcés, ils n'étaient pas lourds, ils étaient ceux d'un guerrier qu'on ne doit ni prendre des coups, ni n'a nécessairement besoin de les distribuer. C'était un pantalon noir et une tunique et un manteau vert foncé. Les cornes en métal doré qu'il portait étaient surtout décoratives et auraient pu avoir la même fonction qu'un diadème, si elles ne le prenaient pas sur tout le pourtour de la tête. Thor mit cette tenue en se regardant dans la psyché de sa chambre et il se sentit déjà plus sorcier… moins assimilé dans la société guerrière et féroce d'Asgard.

Loki avait pris son parti, pour gérer l'étrange situation, d'agir de la façon la plus excessive et la plus inconsciente possible. Il était déjà en train de se pavaner dans les couloirs du palais en faisant voler la lourde cape rouge autour de lui. Les habitants de la belle cité de lumière avaient été mis en courant des plans de leur prince, bien sûr, et ils furent obligés de l'acclamer et de la flatter comme s'il eût s'agit de Thor. Celui-ci ne savait pas vraiment si toute cette fébrilité commençait à enthousiasmer son cadet ou bien s'il faisait semblant, mais en tout cas, il avait un grand sourire sur le visage.

Pour sa part, il décida d'aller se reposer. Ça tombait bien : la saison était froide, venteuse, même pour Asgard, et il n'aimait guère traîner dehors par ce temps. Il s'installa dans un salon de lecture très éloigné, dans une aile quasi-déserte du palais, et se fit apporter des boissons chaudes et des douceurs pendant qu'il étendait ses jambes devant la cheminée. Loki avait fait de la lecture un de ses passe-temps, or Thor n'aimait pas vraiment devoir lire de lui-même. Il fit appel à un scribe qui, de sa voix chaude et agréable, explicita pour lui tout ce qui se trouvait au milieu des pages contant mille légendes et aventures.

Au bout d'un moment, son frère finit par venir le chercher, avec toute une clique de jeunes filles et de combattants, pour aller « s'amuser comme il le fallait, loin de ces ennuyeux papiers couverts de poussière ».

« Non, répliqua Thor en s'inquiétant de pouvoir dire des choses aussi frustes. Je suis mieux ici qu'avec tous tes amis stupides et aussi peu intéressants les uns que les autres.

-Ne sois pas aussi arrogant, rétorqua Loki, les yeux brillant comme des émeraudes. Viens avec moi ! Ça te fera du bien de prendre un peu l'air, tu es livide.

-Vous ne devriez pas insister, mon prince ! s'exclama un courtisan. Avec son caractère suffisant, il va nous gâcher tout notre plaisir ! »

Thor fit la grimace et regarda dans les yeux de son frère. Celui-ci ne dit rien et poussa son imitation jusqu'à le faire se lever en le soulevant par la taille. Thor fut le premier surpris par sa force. Mais il était un Géant des glaces, même doté d'une constitution chétive il n'était pas à sous-estimer en comparaison avec les autres Asgardiens.

Les deux frères s'élancèrent ensemble dans le couloir et le dieu du tonnerre put mesurer à quel point les vêtements jouaient quand il s'agissait d'attirer l'attention. Le scintillement du métal de son armure, les longues ondulations de la cape rouge… cela faisait que Loki avait bien plus de présence que lui dans ce corridor et que les gens se tournaient dans sa direction. En comparaison, avec ces vêtures sobres, il se sentit plus effacé, plus réservé… presque « ennuyeux » aux yeux de certains.

Son frère avait visiblement très bien joué « son » rôle. On avait temporairement oublié sa responsabilité dans l'attaque de Midgard, ses origines et le fait qu'il n'était pas Thor. Il se baladait avec un grand sourire aux lèvres, levait le poing, donnait des coups virils dans les épaules des uns et des autres et on s'exclamait sur son passage. Son aîné le regarda du coin de l'œil et secoua la tête. Le voir comme ça, ça n'arrivait presque jamais, c'était sincèrement drôle !

Au temps pour son orgueil, son besoin d'être dans la lumière et les remontrances de leur père. C'était une bonne idée que cette expérience.