Stiles n'eut pas le temps de respirer, de souffler, d'appréhender ce qui était d'ores et déjà en train de lui arriver alors qu'il l'avait vu venir. Il avait d'ailleurs cru naïvement que sa faiblesse artificielle diminuerait la puissance de la douleur : la vérité était que son corps restait atrocement sensible. Chaque coup qui lui était porté le faisait grimacer, fermer les yeux avec force – c'était sans doute de la seule chose qu'il se savait capable de faire à cet instant. Du reste, impossible pour lui de se défendre, d'essayer de se protéger. Lorsqu'il s'agissait de bouger ne serait-ce qu'un peu l'un de ses membres, son corps ne répondait plus de rien. Que dire de ses capacités de réflexion ? Quasiment inexistantes. Le soporifique, utilisé sur lui à trop petite dose pour le plonger dans un sommeil certain, l'avait toutefois rendu complètement vulnérable et avait endormi bien des choses en lui.

Mais pas toutes.

Les yeux du châtain se révulsèrent quelques secondes alors qu'il se mettait à tousser, cracher, régurgiter péniblement. Il s'imagina naïvement de la salive, ce qui ne l'étonnerait pas tant ce qu'il recevait était violent : et il ne comprenait pas. Il ne comprenait pas pourquoi une telle chose lui arrivait, ni pourquoi cet homme en avait après lui. Stiles n'avait pas le loisir de réfléchir à proprement parler, mais son instinct était clair.

Ce n'était pas un loup. Non, l'individu qui l'attaquait était tout aussi humain que lui. Faire ce constat ne lui servit pas à grand-chose, si ce n'est à se dire que lycan ou pas, c'était du pareil au même : il ne pouvait rien faire d'autre que subir. Subir et sentir. Ressentir. Souffrir. L'homme, dont il n'arrivait pas à voir le visage, n'épargnait aucune zone de son anatomie. Tout y passait. Jambe, pied, torse, bras, visage… Cacher ses méfaits ne faisait vraisemblablement pas partie de sa stratégie. Il voulait juste… Le frapper. Déchaîner sa fureur sur lui. Lui faire mal. Et ça fonctionnait, parce que Stiles était incapable de se protéger de se défendre… De bouger. L'idée de fuir lui paraissait on ne peut plus impensable tant il ne voyait pas comment faire, d'autant plus qu'en lui, nombre de lumières s'éteignaient.

Stiles avait le regard rougi et fixe. Sa bouche entrouverte, de laquelle s'échappait un mince filet de sang, se retrouvait à cracher régulièrement quelques gerbes pourpres. De son nez en coulait aussi, d'ailleurs… Et de certaines plaies dont il n'avait pas conscience. Alors que son torse se soulevait péniblement, que sa respiration se faisait quelque peu sifflante, les coups cessèrent graduellement de pleuvoir… Non pas parce que son agresseur s'était arrêté.

Simplement parce que Stiles était si faible qu'il perdait connaissance sans en avoir conscience.

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Liam tournait en rond… Dans la mesure du possible. Il faisait quelques pas de temps à autres, mais se rasseyait chaque fois que ses jambes commençaient à se montrer douloureuse. En cela, il écoutait les conseils de Stiles : ne pas forcer et se laisser le temps de guérir. Le serveur avait coutume de lui dire, depuis son arrivée, que la douleur était un signal d'alarme à ne pas ignorer. Soit, Liam écoutait ses conseils et consignes à la lettre. Pas pour lui : pour son hôte. Si sa compagnie le rassurait et lui faisait se dire qu'un avenir sans trop de nuages était possible, Liam partait du principe qu'il ne serait pas une gêne. En somme, il s'en irait de ce petit appartement sitôt qu'il serait en état de le faire ce qui, il le savait, n'arriverait pas de sitôt. Ainsi, autant ne pas ralentir le processus de guérison de cette loque qui lui servait de corps et pour lequel il avait un respect tout relatif. En résumé, il voulait surtout guérir pour Stiles. Pour lui rendre sa tranquillité et, dans un sens, le remercier de ses bons soins. En cela, se remettre en forme pouvait véritablement l'y aider. Concernant l'aspect financier, Liam s'occuperait de rembourser son sauveur dès que possible, mais pour ça… Il fallait qu'il aille mieux. Dans sa tête, il revenait sans arrêt à ce fait, qu'il considérait comme un point de départ à cette hypothétique nouvelle vie qui lui tendait les bras.

Mais là, il était à deux doigts de faire n'importe quoi. De faire les cents pas. D'aller et venir. D'aller se poster à la fenêtre du salon, qui donnait sur la rue, notamment celle par laquelle Stiles arrivait à chaque fois. Disons que Liam se retenait pour ne pas céder à une forme de paranoïa certaine qui le guettait.

Parce que Stiles était censé avoir fini son service deux heures plus tôt. Le blondinet n'était pas stupide et avait tout de suite pensé que son hôte avait pu rejoindre des amis pour décompresser un peu, parler, passer un peu de temps avec eux… Mais il savait que Stiles l'aurait prévenu. C'était ce qu'il faisait depuis le départ, même lorsqu'il pensait rentrer avec un quart d'heure de retard – ce qui était pour l'instant arrivé à trois reprises.

Alors oui, deux heures sans nouvelles lui paraissaient bien étrange. Nerveux et habitué à la peur, Liam ne pouvait empêcher son esprit de se laisser aller au stress, à dériver vers des pensées peu rassurantes. Ainsi, il se demanda plutôt aisément s'il lui était arrivé quelque chose. Au bout d'un moment, n'y tenant plus, il sélectionna son numéro de téléphone dans sa très courte liste de contact et l'appela. Liam écouta chacune des tonalités qui retentit à son oreille, tressaillit lorsqu'il comprit que Stiles ne répondrait pas. Le jeune homme s'enfonça dans le canapé, se recroquevilla sur lui-même.

L'absence de Stiles le terrifiait.

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Stiles s'était déjà retrouvé dans des situations fort délicates, mais jamais dans un tel état de faiblesse. A pouvoir n'esquisser que de ridicules petits mouvements, à peiner à garder les yeux entrouverts. Respirer ? Douloureux. Avaler sa salive ? Pénible. Parler ? Impossible. Et pourtant, l'homme qui l'avait attaché à cette chaise avait essayé de tirer quelque chose de lui. Un mot, une… Information. Mais rien. Savait-il à quel point il s'était montré violent et à quel point ce qu'il lui avait fait respirer était puissant ? Le combo de ces deux éléments avait rendu Stiles muet. Parfaitement manipulable et muet. D'un œil absent, il regarda l'autre enflure fouiller son téléphone, qu'il avait déverrouillé en l'obligeant à y apposer son doigt. Quoi de plus facile ? Stiles n'avait pas la possibilité de l'empêcher de faire quoi que ce soit tant il était drogué et… Amoché. C'était à peine s'il arrivait à se rendre compte de ce à quoi tout cela pouvait le mener. Le pire, c'est qu'il savait que le visage de cet homme lui disait vaguement quelque chose, cependant… Son esprit à moitié endormi refusait de faire le lien.

- Il est à moi, il est à moi…

Quatre mots que son agresseur répétait en boucle depuis un moment, comme une litanie sans fin que Stiles n'avait pas la force de comprendre. Entendre, c'était déjà beaucoup – trop, sans doute. Chaque bruit lui faisait mal à la tête – et il la lui avait claquée quelques fois sur le sol. Stiles n'aspirait qu'au silence… Oh oui, il en avait besoin, ne serait-ce que pour que les tambours tapent moins fort dans son crâne… Pour qu'ils s'arrêtent, peut-être un instant. Pouvait-on lui accorder cela ? Il sursauta violemment alors que son agresseur venait de revenir vers lui pour attraper ses cheveux et tirer brusquement sa tête en arrière, exposant ainsi dangereusement sa gorge. Il poussa malgré lui un semblant de gémissement des plus pathétiques il avait peur et mal. Son corps entier n'était que douleur et ecchymoses. Comptait-il lui en rajouter d'autres ?

- Ecoute-moi bien, pauvre merde. Je vais appeler l'un de tes contacts. Si tu oses essayer de l'ouvrir pour essayer de lui donner la moindre information qui pourrait lui permettre de te retrouver alors que t'as même pas été foutu de me répondre, je t'égorge, c'est bien compris ?

Stiles ne comprit pas, non. Il y avait trop de mots, mais il hocha la tête de façon aussi visible de possible – c'est-à-dire à peine. Dans son mouvement faible, il fut fébrile, tremblant. Parce qu'il reconnaissait le ton de la menace qui appelait à une obéissance des plus totales. Et lui, ce qu'il voulait, c'était juste ne pas augmenter son quota de douleur.

Il avait absolument besoin d'un peu de répit.