Une intéressante leçon de pilotage
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Disclaimers : pauvre Marjan.
Notes technologiques : les vaisseaux de type Insector sont issus de Space Symphony Maetel. Ils ont très peu de temps d'écran. Mais l'occasion était trop belle.
Notes chronologiques : bon alors avec Marjan, je suis plutôt positionnée en début de 84. Toutefois et du fait des appareils mentionnés ci-dessus, je vous informe que les Grovilains qui rôdent sont un mix entre « les méchants humanoïdes » et « les méchants mécanoïdes ». Merci de vous débrouiller avec cette information.
Notes de classement : pour les initiés, ceci est une mission moufette. Pour les non-initiés, une mission moufette est nommée ainsi car la première comportait une moufette. Se référer à « La Gaecelps » pour plus de précisions.
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— Merde.
Dans la bouche de n'importe qui d'autre, un tel juron aurait été inquiétant. Dans celle d'Harlock, il était terrifiant : cela sous-entendait que le capitaine de l'Arcadia était surpris par des événements qu'il n'avait pas anticipés, et donc que les ennuis s'annonçaient catastrophiques.
Marjan se rapprocha autant qu'elle put, cherchant un abri derrière les pans de la cape couleur nuit.
— Vous allez nous sortir de là, capitaine ?
Harlock avait dégainé. Le front plissé, il fixait l'extrémité du hangar et les lumières qui s'y déplaçaient.
— C'était censé être un entrepôt désaffecté ! siffla-t-il entre ses dents.
Les caisses entassées formaient heureusement un rempart suffisant pour qu'Harlock et elle n'aient pas encore été remarqués, mais les bruits, là-bas, étaient de mauvais augure : il y avait beaucoup de monde en train d'entrer.
Marjan se colla un peu plus derrière le dos du capitaine pirate. Était-ce le moment de lui rappeler qu'elle était une mécanicienne et qu'elle n'avait jamais reçu de formation de combat ?
Harlock grogna quand il se retourna et qu'elle se cogna à lui.
— Viens, dit-il. On va passer par l'arrière. Et ne reste pas dans mes pattes.
Elle hocha la tête, trop tétanisée pour sortir un seul son. Cela signifiait-il qu'elle le gênait ? Qu'il attendait d'elle qu'elle se protège seule ? Que c'était « chacun pour soi » ?
Elle déglutit, s'efforça de dégrafer son holster et de sortir son arme. Ses mains tremblaient.
L'expression d'Harlock était indéchiffrable.
— Je te couvrirai, lâcha-t-il.
Un reproche, sans aucun doute. Le décevait-elle ?
Marjan serra les poings pour stopper ses tremblements, pinça les lèvres pour s'empêcher de gémir, s'appliqua à calquer ses mouvements sur ceux d'Harlock, pas trop près, pas trop loin non plus, en silence, pliée en deux pour rester dans l'ombre…
Au bout d'une éternité, ils se faufilèrent entre deux vantaux entrouverts et débouchèrent dans un deuxième hangar. Il était plus grand et plus vide que le premier.
— Merde, répéta Harlock.
Marjan grimaça. Le redoutable capitaine Harlock venait d'être surpris deux fois ? Il avait préparé sa mission avant de partir, au moins ? Ou alors il avait compté sur son aura maléfique pour tout résoudre magiquement ?
Mais bref. Quoi qu'il en soit, ce hangar était peut-être « plus vide », néanmoins il n'était pas « totalement vide » non plus. Au centre trônaient cinq chasseurs exo-atmosphériques rutilants, tous reliés par des tuyaux souples à un conteneur dont Marjan ne parvint pas à déterminer la fonction. Un générateur ? Non, toute cette filasse ne ressemblait en rien à des câbles électriques. Au contraire, Marjan avait l'impression que du fluide la parcourait. L'ensemble… pulsait avec une régularité dérangeante, comme un immense cœur mécanique.
— Technologie mécanoïde, grogna Harlock. Bon sang, c'est pire que ce que j'imaginais.
Ah ? Les subtilités des affrontements entre mécanoïdes, humanoïdes, insectoïdes et autres biduloïdes passaient largement au-dessus de la tête de Marjan, pour qui l'Empire Mécanique restait un ennemi somme toute assez intangible. C'était la première fois qu'elle était directement confrontée à ce qui était, en définitive, la raison d'être de l'Arcadia. Harlock se battait contre l'Empire Mécanique. Pas tous les jours, certes, mais ses grands discours de liberté et ses rêves d'utopies étaient construits autour de cet ennemi.
Il lui saisit soudain l'avant-bras. Elle tressaillit.
— Navré, dit-il. J'étais venu pour de la récup' de pièces électroniques dans un stock abandonné, mais on va plutôt basculer en « sabotage de matériel de pointe sur une chaîne de montage réhabilitée ».
Il tenta un sourire. Elle rentra la tête dans ses épaules.
— Tu peux y arriver, ajouta-t-il.
Ça ne la rassurait pas du tout.
Hélas, Harlock considérait que son encouragement rachitique avait suffi, et il enchaîna en lui glissant trois mines-bouton dans la main.
— Voilà. Tu t'occupes du plus proche et tu lui colles ça sur ses tuyères et sur l'entrée des réacteurs, ça devrait faire l'affaire. Je me charge des deux du fond.
Marjan referma machinalement les doigts sur les petits cylindres chromés et s'efforça de sortir de son esprit que le capitaine jugeait donc « utile » de se balader avec des mines à plasma dans les poches pour venir faire « de la récup' de pièces électroniques dans un stock abandonné ». À ce compte-là, il se balade en permanence avec des mines dans les poches, frémit-elle. Elle dit :
— Et pour les deux du milieu ?
Harlock lui adressa un signe de tête entendu.
— Ces deux-là on va les prendre, affirma-t-il. Faut qu'on dégage vite fait, ce sera parfait.
Ah.
Marjan n'eut pas le temps de formuler son objection. Harlock la poussa d'une bourrade vers le premier jet, lui glissa un « vas-y ! Le coin va devenir infréquentable dans pas longtemps ! », et s'éloigna aussitôt vers les autres appareils.
— Capitaine, je…
… ne sais pas piloter ?
Il était déjà loin, et, non, elle n'allait pas crier à travers le hangar. Elle était terrorisée, mais pas idiote non plus. Elle inspira. Bon… un problème à la fois. Elle ne savait pas piloter, mais elle savait poser des mines-bouton.
— Beau boulot, la complimenta Harlock à peine eut-elle terminé.
N'en faites pas trop non plus, capitaine… Il embraya en se passant la main dans les cheveux. Elle leva un sourcil.
— Tu vas m'en vouloir pour la suite, par contre… ajouta-t-il.
Elle leva son sourcil plus haut.
Il farfouilla à nouveau dans ses cheveux.
Capitaine, non !
Il était gêné. Il était toujours gêné quand il tripotait ses cheveux (ou l'inverse, mais peu importe). Et à chaque fois qu'elle avait été impliquée dans des trucs gênants avec lui, cela s'était toujours terminé de la même façon.
Pas encore une putain de mission moufette, capitaine !
— Vous allez me sortir que maintenant il faut se mettre à poil, capitaine ? persifla-t-elle du ton le plus acide qu'elle put.
— Ben…
Godverdomme.
Elle souffla. Il y avait une malédiction à l'œuvre quelque part, ce n'était pas possible autrement.
Harlock, lui, cherchait visiblement le courage de se lancer dans ses mèches de cheveux.
— C'est, euh… Ce sont des Insector, expliqua-t-il. Pilotage en cuve, mode fœtal. Normalement ça s'utilise avec des combinaisons sensorielles pour catalyser les impulsions nerveuses, mais ça fonctionne aussi très bien sans, euh… sans rien.
Il enroula une mèche plus longue autour de son index, la tirailla nerveusement de part et d'autre, releva le regard vers elle.
— Le point positif c'est que c'est du pilotage instinctif, tu devrais t'en tirer sans mal…
— Vous me demandez de me mettre à poil, capitaine.
Il lui répondit d'une mimique dépitée. S'interrogeait-il sur la possibilité d'une malédiction lui aussi ? Après tout, elle se mettait à poil, il se mettait à poil, tout le monde se retrouvait à poil à chaque putain de mission qu'ils menaient ensemble !
— J'admets que ce n'est pas le mode de pilotage que je préfère, avoua-t-il.
Il marmonna d'autres mots trop bas pour que Marjan puisse saisir (mais dans lesquels elle crut reconnaître « surtout à l'arrivée »), se racla la gorge et poursuivit son briefing avec un détachement forcé.
Briefing qui impliquait deux « cuves » donc, positionnées à l'aplomb des cockpits des deux jets qu'Harlock et elle n'avaient pas piégés, et qui avaient l'allure de deux sièges baquets enfermés dans deux aquariums remplis à ras bord d'un liquide verdâtre.
Ce n'était pas le moment de paniquer, songea Marjan alors qu'elle commençait à paniquer.
— L'écran à cristaux donne une vue à trois cent soixante, disait Harlock. Le masque est relié aux réservoirs à oxygène et permet aussi les communications radio. Tu n'es pas obligée de rester assise, le fluide catalyseur est conçu pour que tu puisses flotter librement à l'intérieur… Ce sont tes mouvements qui vont accompagner ceux du vaisseau, tu comprends ?
Non.
— Oui capitaine.
— C'est du pilotage instinctif, répéta-t-il. Je vais passer devant, tu vas me suivre, et tu n'auras qu'à « penser » à me suivre et les systèmes de contrôle de l'Insector feront le reste.
Elle n'était pas convaincue, mais il était trop tard pour réclamer un autre plan : Harlock était déjà en train de se déshabiller, en jetant au fur et à mesure ses vêtements dans un compartiment sous « la cuve ». Formidable. Avec un soupir, Marjan l'imita (avait-elle le choix ?).
Le contenu de l'aquarium était visqueux.
Et froid.
Beurk.
— Tu me reçois ? transmit Harlock.
Le masque épousait son visage, oreilles comprises. La sensation n'était pas si désagréable et ne différait finalement pas beaucoup d'un respirateur standard, mais le contraste avec le contact du « fluide catalyseur » sur sa peau nue était dérangeant.
Marjan ne pouvait s'empêcher de comparer le tuyau d'oxygène qui la reliait aux systèmes vitaux du vaisseau à un cordon ombilical. Mode fœtal, qu'il avait dit. Pff.
— Cinq sur cinq, capitaine.
— Parfait. On décolle.
« Parfait ? » « On décolle ? »
Marjan envisagea plutôt de crier, d'autant que 1) ils se trouvaient dans un hangar fermé, 2) les types du hangar d'à côté venaient d'entrer dans celui-ci, 3) elle était toute nue dans un engin inconnu.
Le point 1) ne sembla pas déranger Harlock, qui s'éleva avec son appareil à deux mètres au-dessus du sol, cogna une poutrelle en pivotant sur place, érafla un conteneur et ouvrit le feu sur un mur. Le point 2) fut également réglé dans la foulée avec une rafale en mode « balayage ». Quant au point 3)… Comment est-ce qu'on décolle, jeetje ! Capitaine !
… Le point 3) fut diligemment résolu par le système interne de l'Insector, qui ravala l'aquarium dans le cockpit (aahhhh !), démarra les réacteurs (aaaaaahhh !), et mit les gaz (aaaaaaaaaahhh !).
— Tu te débrouilles bien ! fit Harlock. Suis-moi, on décroche !
Elle songea à des insultes.
— … et prends garde à l'onde de choc !
Que je quoi ?
L'explosion des mines-bouton se chargea de répondre à sa question informulée.
Aaaaaaaaaaaaaahhh !
En une fraction de seconde, l'entrepôt se transforma en boule de feu et son appareil en fétu de paille ballotté dans une tempête furieuse. Elle eut l'impression curieuse de réaliser un tour complet sur elle-même (c'était peut-être le cas et elle ne voulait pas le savoir), son regard croisa une plaque de tôle monstrueuse (le toit, ou alors un mur, et elle ne voulait pas le savoir non plus), puis, après un hoquet épileptique qu'elle imagina prélude à la dislocation, elle se retrouva à l'air libre sans même comprendre comment elle était parvenue à un tel résultat.
— Suis-moi ! répéta Harlock. Pleine puissance !
Suis-moi, suis-moi… Il en avait de bonnes, lui…
Malgré tout, Marjan fut forcée de reconnaître que, lorsqu'on ne volait pas dans un hangar en flammes, conduire l'Insector « en mode fœtal » se révélait effectivement très intuitif.
À cet instant, un point rouge s'alluma sur l'écran à cristaux. En même temps, son casque fit « bip ». Elle se raidit.
— Capitaine, mon casque a fait « bip », dit-elle.
Silence. Euh, capitaine ?
Il y avait désormais trois points rouges sur son écran.
— Des intercepteurs de la police, annonça Harlock. Ils ne nous suivront pas hors atmosphère.
Bon ben tant mieux, alors…
— Mon casque fait toujours bip, capitaine.
— Oui, le mien aussi. Il y a un patrouilleur méca sur notre trajectoire, c'est pour ça.
Ah. Bien. Et vous ne prévoyez pas de vous écarter, capitaine ?
— Je lui ai envoyé une demande d'accostage, faut lui laisser le doute sur qui on est jusqu'à ce qu'on l'ait dépassé.
Certes. Les manœuvres standard de pilotage lui étant totalement étrangères, Marjan pria simplement pour que le capitaine n'ait pas planifié sa tactique fétiche. Très franchement, elle ne se voyait pas du tout se lancer dans l'éperonnage d'un patrouilleur avec un jet extra-atmosphérique monoplace qu'elle dirigeait dieu seul sait comment, toute nue.
— Nom d'un atomiseur à hélices, il nous envoie ses chasseurs ! Prépare-toi à riposter !
Oui avec plaisir, capitaine… Quel degré de panique devait-elle atteindre pour que l'Insector active son système d'armes ?
Devant, Harlock avait l'air confiant.
— Ne t'inquiète pas, j'ai contacté l'Arcadia, ils seront sur nous d'ici trois minutes !
L'Insector du capitaine lâcha une gerbe de contre-mesures et deux missiles. Comment réussissait-il à s'organiser pour tout réaliser en même temps ? se demanda Marjan. Il est capitaine et tu n'es que matelot, se tança-t-elle. Lui il est brillant, et toi tu exécutes les tâches de base.
Elle couina de peur quand son casque bipa sur un ton plus aigu. Sur l'écran, un point rouge se déplaçait en clignotant. En visuel, elle voyait un chasseur. L'Insector zooma et afficha une série de paramètres trop vite pour qu'elle puisse les lire. Tire dessus, tire dessus, tire dessus ! pensa-t-elle avec l'énergie du désespoir.
— Hey, joli carton ! la félicita Harlock.
Euh… Merci capitaine ? Au secours ?
Sur son écran, le patrouilleur méca emplissait désormais tout l'espace. Son casque retentissait d'alarmes et d'avertissements abscons, sa vision était emplie de graphiques, de flèches, de points lumineux et de couleurs aléatoires. La logique d'ensemble lui échappait. Il n'y a pas de bouclier furtif, sur ce machin ? Allô ? Pitié ?
Où était Harlock ?… Ah, le voilà. Elle revint se coller dans son sillage. Ça ne ferait pas disparaître le patrouilleur, ça ne la ferait pas disparaître elle, mais elle espéra que la proximité de l'appareil d'Harlock offrirait une cible plus attrayante à leurs ennemis. Au moins il savait se défendre, il…
— Oh capitaine, attention ! Vous en avez un derrière vous !
Le casque fit « bip bibibip biiiiiiiip », puis le cockpit de l'Insector fut parcouru d'un double « vooush » qui vibra dans ses os. Deux missiles filaient vers la cible que Marjan avait identifiée.
Bien sûr, il existait une probabilité non négligeable pour que le système de combat de l'Insector soit en réalité entièrement autonome, néanmoins Marjan éprouva une fierté grisante lorsque le chasseur méca explosa. Z'avez vu capitaine ? Z'avez vu ?
Harlock zigzaguait devant elle, aux prises avec un autre chasseur. Marjan se demanda si elle devait lui venir en aide – elle était contrainte de l'admettre, elle commençait à trouver tout ceci « amusant ».
Elle se rengorgea de réussir à poursuivre les deux appareils, et à perturber la manœuvre du jet méca.
— Marjan, ne t'approche pas trop de lui ! Fais gaffe !
Houlà, oui. S'agirait pas de se montrer trop téméraire non plus, hein… Elle céda obligeamment la place à Harlock, mais ne parvint pas à déterminer si le tir qui vint à bout du méca provenait in fine de l'Insector du capitaine ou du sien.
D'autres explosions constellèrent soudain sa visière. L'Arcadia entrait en scène. Touché au flanc, le patrouilleur éventré sombra en quelques secondes. Les chasseurs survivants décampèrent sans demander leur reste.
— Content de vous revoir entiers, tous les deux ! crachota la radio.
Marjan crut reconnaître la voix de Tochiro.
Sous le ventre du vaisseau pirate, la rampe d'accès au hangar principal était déjà déployée. Marjan souffla de soulagement tandis qu'elle se positionnait pour être récupérée par le rayon tracteur, et soupira avec volupté quand son casque diffusa « manœuvre d'arrimage automatique enclenchée ». Elle se sentait vidée de toute énergie. Combien de temps avait duré le vol ? « Douze minutes », l'informa l'écran de l'Insector. Elle aurait cru être restée dans ce cockpit pendant des heures.
« Repressurisation hangar. Vérification des paramètres d'atmosphère. » Enfin ! Marjan s'étira. Elle avait hâte de sortir de ce… Le cours de ses pensées s'interrompit brutalement. Avec toutes ces émotions, elle avait oublié un détail crucial.
Ce putain de « mode fœtal », verdomme !
Elle était toute nue, ses vêtements étaient inaccessibles, et elle baignait dans un fluide gluant qui lui donnerait sûrement l'air d'une horrible créature des marais lorsqu'elle s'en extrairait.
Dehors, l'équipe de maintenance du hangar accourait vers les appareils. Tochiro était là, aussi. Et le doc.
Elle se souvint des mots d'Harlock « pas le mode de pilotage que je préfère… surtout à l'arrivée ». Oui ben comme c'était lui qui l'avait encore entraînée dans une mission à la con, il allait s'occuper de détourner l'attention pendant qu'elle s'éclipsait discrètement… C'était honnête, non ?
Elle activa sa radio avec un sourire perfide.
— Vous ne voulez pas sortir en premier, capitaine ?
