Hello et bienvenue dans ce nouveau chapitre !

Et on passe le cap des 900 pages sur mon document Word. Encore un peu, et on franchit le seul des 400 000 mots. Si c'était publié, on en serait probablement au deuxième volume, voire au troisième. Je ne me serais jamais crue capable d'écrire un truc aussi long, c'est dingue. Par contre ce serait bien d'avoir plus d'un chapitre tous les six mois, j'en conviens, mais la question ne se pose quasiment plus, puisque…

Cette histoire est presque terminée. Ça me fout la trouille, bizarrement.

Merci pour votre lecture, et enjoy !

PS : Le titre du chapitre, c'est l'un des morceaux que j'ai le plus écouté dans ma vie, sur l'OST de Nier Gestalt.

CHAPITRE CINQUANTE-SEPT : Shadowlord

I

Aranea tira le manche de l'appareil de toutes ses forces pour reprendre de la hauteur. La carlingue vibrait et tressautait comme si la militaire s'était retrouvée enfermée dans une machine à laver géante. Un tir avait touché le flanc droit et le moteur crépitait dangereusement. Les alarmes stridentes du système de bord annonçaient une dizaine d'avaries. Autrement dit, Aranea se sentait comme chez elle. Elle regrettait un peu que Nyx ne l'accompagne pas pour cette chevauchée sauvage dans les cieux tenebraens, mais il y avait un côté positif à ça : ce serait elle qui raflerait toute la gloire. Et de la gloire, il y en avait plus qu'elle n'aurait jamais pu le rêver. Elle avait vu les bombardements sur le palais… Si les forces alliées ne remportaient pas la bataille des airs, tout était perdu. Sur le flanc ouest de la ville, les troupes commandées par Haemon effectuaient une percée importante, et toute la ville se soulevait contre l'envahisseur d'une façon que le Niflheim n'avait probablement pas prévue. Cependant, la nation d'Aldercapt dominait en deux domaines : les daemons, et les airs. Les premiers n'avaient pas été invités aux réjouissances, car leur attaque surprise n'en avait pas laissé le temps à l'ennemi. Il ne restait donc qu'à vaincre l'aviation. Le Niflheim était bien organisé et rodé au combat. Mais il manquait de fantaisie. Un sourire carnassier se dessina sur les lèvres de la combattante lorsqu'elle fit faire un looping à son vaisseau. La manœuvre arracha des cris d'épouvante à son équipage, mais celui-ci se ressaisit rapidement lorsqu'ils se placèrent juste dans le dos du navire amiral. Sans hésiter, elle ordonna le feu à volonté.

Aranea regarda avec satisfaction les explosions fleurir en petits champignons lumineux sur la carlingue du vaisseau. Bien entendu, ça ne suffirait pas. Elle rappela sèchement à l'ordre les aéronefs des formations adjacentes. Il fallait qu'ils agissent de manière coordonnée, sinon ils resteraient inefficaces. C'était toujours plus facile à dire autour d'une table où on a étalé un plan tactique, beaucoup moins à exécuter au cœur de l'action. Néanmoins, c'était nécessaire. Les vaisseaux arrière se mirent en formation pour pilonner quiconque tenterait une contre-attaque, et les aéronefs sur le devant s'alignèrent avec son engin. Elle donna le signal par radio, ils prirent de l'altitude, avant de fondre comme une horde de goélands sur la tortue géante qu'était leur cible, et qui comptait sur sa carapace blindée pour s'en tirer. Mais personne ne s'en tirait quand Aranea attaquait. Blindage ou non. D'autant qu'elle savait où était le point faible.

Aussi, elle profita de la diversion offerte par l'assaut général pour dévier sa trajectoire, rasant la partie supérieure du vaisseau jusqu'à un point protégé par une anfractuosité dans la structure de la carlingue. C'était là que se trouvaient les outils de navigation. Les vaisseaux du Niflheim étaient conçus davantage pour résister aux tirs aux sol qu'aux combats aériens, aussi, les parties stratégiques se trouvaient plutôt sur le dessus de l'appareil. Elle bombarda consciencieusement sa cible, s'octroyant le luxe de faire plusieurs passages alors même que la grosse tortue manœuvrait pour prendre de l'altitude et que les plus petits vaisseaux qui l'accompagnaient essaimaient pour défendre leur pièce maîtresse. Agrippée au manche de l'appareil, surveillant ses écrans, le ciel, et les mines apeurées des soldates à bord, Aranea ne se laissa pas démonter. Elle vira de bord en frôlant le métal noir du vaisseau du Niflheim, traçant un sillage d'étincelles dans la manœuvre, et le vaisseau retrouva sa liberté juste au moment où la gueule béante d'un lance-missile s'allumait d'un feu infernal. Elle ne réfléchit pas, et exécuta un piqué au cœur de la mêlée.

Elle ne se souviendrait de ce qui s'ensuivit que par bribes. Un chaos d'explosions, le sol qui se rapproche à toute vitesse, les détonations ébranlant son appareil et l'empêchant de le maîtriser tout à fait. Mais, surnageant dans cette déferlante de stimuli, la vision du vaisseau amiral sombrant au ralenti se graverait à jamais dans sa mémoire, dans sa chute interminable jusqu'à ce qu'il s'empale sur les tours de la cité dans une énorme nuage noir rougeoyant de reflets. Les édifices s'effondrèrent, et le vaisseau se craquela jusqu'à se fendre en deux dans un déluge de flammes. À partir de ce moment, l'armée du Niflheim, désorientée, perdit le contrôle des airs. Et les vaisseaux ennemis commencèrent à fuir.

II

L'arrivée en fanfare de Prompto, fendant les rangs des daemons et terminant par l'une de ces glissades dont il avait le secret, brisa un instant la concentration de Noctis, mais apaisa un peu de la terreur qui commençait à le gagner. Izunia était fort, très fort. Et lutter de front contre lui et les daemons drainait rapidement ses forces. Mais quand il vit une détermination presque glaciale durcir le regard du blond tandis que ce dernier vidait son chargeur sur leur prof d'arts plastiques, Noctis se rappela que même si c'était probablement leur affrontement le plus difficile jusqu'à maintenant… Ce qu'il ne pouvait accomplir seul, alors Prompto l'y aiderait. C'était une promesse d'ami, d'amant, et de garde royal, et une promesse à laquelle Noctis croyait du fond de ses tripes. Il se souvint qu'un jour, Gladio lui avait dit de même : « si tu faiblis, je serai là pour t'épauler ». Sa gorge se noua. Personne ne l'avait jamais laissé tomber. Malgré tout ce qu'ils avaient traversé, malgré même son désespoir et toutes ses tentatives pour rejeter les gens qu'une part de lui croyait seulement présents pour le maintenir sur le droit chemin. Ils ne pouvaient le protéger de son propre héritage ou même de sa propre mortalité. Mais ils arpentaient ce chemin à ses côtés.

Noctis agrippa la poignée froide de son épée qui luisait d'un éclat bleu rappelant un matin d'hiver. Il avait laissé tomber son arsenal d'armes tournoyantes, qui demandait bien trop d'énergie à maintenir. Mais Izunia, lui, semblait infatigable. Il lui paraissait pourtant impossible, invraisemblable, que le pouvoir des daemons surpasse celui du Cristal. Celui-ci, après tout, n'était-il pas censé protéger l'humanité des créatures des ténèbres ? Il était vrai qu'Izunia avait apparemment effectué des recherches poussées sur ces êtres qu'il parlait d'exploiter comme des animaux. Est-ce que ça pouvait vraiment suffire ? Est-ce qu'il allait vraiment perdre contre un homme comme lui, est-ce que le pouvoir de ses ancêtres et qui justifiait le pouvoir de sa dynastie ne servait vraiment à rien contre une logique rationnelle mais dénuée de scrupules ? Il n'avait jamais cru que sa famille était bénie et encore moins sacrée. Et pourtant, il se retrouvait là à se battre pour sa vie et celle de ses concitoyens. Alors peu importaient les légendes, la vérité qui était peut-être tapie au fond d'elles. Il devait gagner ce combat. Il était venu pour cette unique raison et tout le monde comptait sur lui. Sur eux. Et il n'était plus si jeune, cet ado fragile et angoissé, paralysé par la terreur qui lui inspirait le monde et sa propre existence. Il avait vieilli en un an comme certains le font en dix. Il était devenu une autre version de lui-même. Faillible comme la précédente, peut-être même pas plus forte. Mais il savait ce qu'il voulait et comment l'obtenir, et ça faisait toute la différence.

Il attendit le moment où Izunia concentra son attention sur Prompto et visa un lustre au plafond. Il s'y téléporta et ne se laissa pas désorienter par le vacillement dangereux du luminaire qui menaçait de céder sous son poids. Il visa la nuque d'Izunia, et se téléporta de nouveau, la lame serrée dans ses deux mains pour porter un coup fatal. Son adversaire pivota et lui asséna une gifle colossale du plat d'un espadon, l'envoyant rouler dans les pattes d'un daemon griffu. Il n'eut le temps que de rouler dans le sens inverse pour éviter de se faire empaler par la bête, et de nouveau se téléporta en dépit du fait que l'air avait quitté ses poumons comprimés par le choc. Il se retrouva dos au mur, à côté du trône, regardant Izunia qui lui apparut soudain beaucoup plus grand, et qui avançait vers lui un trident entre les mains. Un tourbillon de ténèbres entourant son corps semblait le protéger des tentatives désespérées de Prompto pour stopper son avancée. Noctis accrocha son regard qui n'était ni joyeux, ni même triomphal. Il y lut seulement de l'amusement, et, étrangement, quelque chose qui ressemblait à de l'ennui. Comme si leur combat n'était qu'un contretemps. Le doute avait depuis longtemps déserté l'esprit de cet homme. Mais plus que ça… La peur l'avait quitté aussi. Si cette émotion primordiale peut pousser à commettre des atrocités, son absence était peut-être plus dangereuse encore. Il n'y avait pas de limites à ce qu'Izunia pensait pouvoir accomplir. Ce n'était pas exactement de l'orgueil. Il y croyait vraiment. Pendant quelques instants, Noctis se demanda ce qui s'était passé dans sa vie pour qu'il en arrive là, avec ce drôle de regard qui semblait venir d'un autre monde, qui ne ressemblait en rien à celui de Noctis. Un monde sans amour, sans peur, sans espoir. Le jeune roi éprouva une telle solitude à cette pensée que son ventre se tordit. Il rejeta l'idée de toutes ses forces. Il n'allait pas mourir là, sous les coups d'un homme qui se moquait de tout et n'avait peur de rien. Et il y avait bien une part en lui qui se souvenait encore de la raison pour laquelle on accorde de la valeur à la vie. Cette indifférence n'était qu'une forteresse patiemment bâtie autour d'un cœur blessé. Il le sentait, il le savait avec la force de l'instinct. Ce n'était pas un daemon qu'il affrontait. Mais un homme.

Il invoqua un bouclier et para le coup au dernier moment, tremblant sur ses jambes tandis qu'il tentait de repousser la pression colossale de la lame. Celle-ci écorcha le métal dans une pluie d'étincelles, et Noctis eut le temps de voir la masse sombre des daemons s'agiter dans le dos d'Izunia tandis qu'Ignis et Gladio pénétraient dans la salle et commençaient le massacre. Puis, ses muscles lâchèrent, le bouclier se volatilisa dans une lumière bleue. Un bruit sourd résonna à sa droite, vrillant ses oreilles. Il avait réussi à dévier le coup. Il se baissa et plongea sous le bras d'Izunia, ressurgissant dans son dos, puis fit apparaître la lame de son père. Il la poussa en avant et sentit les ténèbres lui résister étrangement, comme un amas solide dans lequel sa lame s'engluait. Il continua à pousser. Il sentit quelque chose de dur. Il poussa plus fort. Il entendit un déchirement, puis un craquement. Il enfonça la lame plus loin, hurlant dans l'effort. Il lui sembla qu'il n'en finissait pas de la plonger dans la chair d'Izunia, son arme horriblement prise entre les côtes et raclant pour atteindre le cœur pulsant. Et tout à coup, surprenant Noctis à l'apogée de son effort, juste avant que ses forces ne le désertent, Izunia s'effondra comme une poupée de chiffon, lui arrachant la lame des mains. La lame resta plantée dans son dos immobile, puis s'évapora comme un rêve, comme si tout ça n'était jamais arrivé, tandis que Noctis fixait stupidement le cadavre, l'esprit vide.

III

Dans le silence surnaturel des souterrains, des centaines de gens patientaient, serrés les uns contre les autres. Ce silence, bien sûr, n'était pas total. Régulièrement, l'écho des détonations ébranlait les salles de pierre brute, et des bouts des hautes voûtes se détachaient. Luna savait l'endroit sûr, la maçonnerie conçue pour résister à tous les séismes et les tempêtes, et pourtant, la peur de finir enterrée vivante ne la lâchait pas. Dans les yeux des habitants, de la garde de Sylva, et même dans ceux de Ravus et de Nyx, elle lisait la même terreur. La peur animale d'être piégés, capturés, sans la moindre possibilité de se défendre. Et ils ne pouvaient même pas vraiment savoir ce qui se passait à l'extérieur, les communications radio passant mal. Cependant, au bout d'une attente interminable, il leur sembla que les détonations commençaient à s'espacer.

Puis, le silence se fit.

Luna se redressa lentement, époussetant ses vêtements, et balaya du regard la petite foule de réfugiés. Son peuple. S'ils avaient gagné aujourd'hui, elle était reine. D'un pays en ruines, mais reine tout de même. Elle s'était préparée au jour où elle prendrait réellement le pouvoir, et pourtant rien n'y faisait, la peur lui serrait le ventre. Une chose après l'autre, se rappela-t-elle. Il s'agissait d'abord de voir comment la bataille avait tourné. Cependant, l'issue ne faisait guère de doutes : si le Niflheim avait remporté la victoire, il aurait certainement pilonné la ville rebelle jusqu'à ce qu'il n'en reste plus que des cendres.

Aussi, elle rassembla son courage et se dirigea d'un pas lent vers la trappe par laquelle ils étaient entrés. Quand elle commença à déblayer le passage, des gens s'approchèrent pour l'aider, mais elle les arrêta d'un geste de la main. Enfin, elle émergea à l'extérieur, découvrant les ruines se dessinant dans la faible lumière de l'aube. Sa gorge se serra, mais ce n'était pas le moment de s'émouvoir. Pas encore. Elle aurait des heures pour pleurer tout ce qu'elle avait perdu, ce qu'ils avaient tous perdu pendant cette guerre. Oui, elle aurait tout le temps du monde… quand ils auraient rebâti.

Nyx et Ravus sortirent à sa suite, tandis qu'elle avançait en direction de la grand-place où les citoyens s'étaient rassemblés juste avant l'attaque aérienne, et bientôt, toutes les personnes qui s'étaient cachées avec eux en firent de même, marchant dans un concert de murmures entre stupéfaction, joie d'être en vie, et peur que tout ne soit pas encore terminé.

Sur la grand-place, le panorama était encore plus impressionnant. Certains quartiers et édifices tenaient encore debout, mais les stigmates noirs de l'attaque lacéraient la ville autrefois étincelante. La fumée montait par colonnes que tranchèrent bientôt les premiers rayons du soleil, illuminant la dévastation. Le regard de Luna fut attiré par la carcasse monstrueuse du vaisseau amiral du Niflheim, gisant non loin de là sur une annexe du palais.

Elle inspira profondément, l'air sentait le brûlé et l'essence, une odeur mêlée des effluves plus répugnantes du sang et de la mort en arrière-plan. Et pourtant, c'était bel et bien terminé. Le calme était revenu. Elle sentit soudain une fatigue accablante s'abattre sur ses épaules et vacilla légèrement. À cet instant, un bras passa autour de ses épaules, lui faisant garder sa stabilité. Elle leva les yeux. Les incendies semblaient se refléter dans les yeux gris de Ravus. Elle vit jouer sa pomme d'Adam, devinant les émotions qui devaient l'assaillir à cet instant sans qu'il n'en laisse rien paraître. Ils avaient réussi. Après toutes ces années… Ils avaient vengé leur mère, libéré leur pays. Ils étaient… ils étaient de nouveau chez eux.

Chez eux… Deux petits mots de rien du tout qui représentaient tout pour des exilés comme eux. Ils retournaient à la réalité, ils retournaient à leurs propres vies que la guerre leur avait arrachées. Elle entendit un tintement métallique et aperçut le katana que Ravus venait de lâcher sur le sol. Elle réprima un sanglot et se força à lui sourire. Il hocha la tête et la pression de son bras s'accentua sur ses épaules, tandis qu'il flot d'émotions chaudes qu'elle n'avait plus connu pendant des mois envahissait sa poitrine. Elle ferma les yeux, et son sourire s'épanouit. C'était bel et bien terminé.

IV

Les genoux de Noctis le lâchèrent et il se reçut sur les fesses, à côté du cadavre d'Izunia. Il ne pouvait s'empêcher de le fixer, dans la terreur que, à la manière d'un méchant de mauvais film, il se relève pour lui planter une lame dans la gorge. Mais il ne bougeait pas.

« Il est mort », lui confirma Ignis qui en avait fini avec ses daemons et s'était approché pour l'examiner.

Noctis hocha vaguement la tête, rassuré, et détacha son regard du corps pour vérifier qu'ils étaient en sécurité. Il vit Gladio éventrer un dernier daemon, puis Prompto qui claudiquait dans leur direction, lui adressant un magnifique sourire. Noctis essuya du sang qui lui coulait dans les yeux et le lui rendit.

La réalisation ne venait pas encore, mais au fond de lui, il savait. Ils avaient réussi leur mission, et vaincu l'homme qui avait fomenté cette guerre. Celui qui avait fait assassiner son père. Il ne leur restait plus qu'à vérifier le sort de l'empereur, mais à présent qu'ils avaient décapité la tête pensante, ils s'attendaient à ce que le reste de la structure s'effondre. Qui voulait vraiment de cette guerre, et surtout, des daemons ? Les relations resteraient difficiles, mais à présent, ils pouvaient négocier un armistice. C'était du moins la conviction d'Ignis, et Noctis la partageait. Il savait qu'un énorme travail les attendait, mais dans l'immédiat, Noctis se sentait vide. Tous ses efforts, toutes ces épreuves, tout prenait fin aujourd'hui. Un chapitre se fermait. Ce qui restait à écrire lui était opaque, mais ça n'avait pas d'importance. Ils étaient en vie.

Il se releva en grimaçant, contemplant le massacre qu'ils avaient fait dans la salle du trône. Il pensa à la dévastation qui régnait dans son propre pays, qu'il lui semblait avoir quitté depuis des années. Pour la première fois, l'idée de rentrer n'était plus abstraite, et si elle l'avait terrifié pendant longtemps, à présent, il ne savait plus ce qu'il ressentait. Tout ce qui s'était passé au cours des derniers mois formait une masse chaotique bourdonnant dans son esprit, le laissant confus. La voix douce et modulée d'Ignis le tira de ses pensées.

« Il faut qu'on retrouve l'empereur. »

Il acquiesça. Chaque chose en son temps.

Il pensa à Luna et aux autres à Tenebrae, mais ils n'avaient aucun moyen de communiquer avec eux pour l'instant. Son ventre se serra d'anxiété en envisageant la possibilité que là-bas, tout ne s'était pas aussi bien déroulé qu'ici.

« Ok, faut qu'on sécurise les lieux, qu'on trouve l'empereur si possible, et qu'on se casse d'ici.

— Ouais, moi aussi j'en ai ma claque du Niflheim », confirma Gladio d'un ton las.

Les quatre amis échangèrent un regard au cours d'un bref silence. L'incrédulité, le soulagement et l'inquiétude mêlés vibraient dans l'atmosphère étrangement calme. Puis, d'un accord tacite, ils se mirent à la recherche du passage secret évacuant la salle du trône. Prompto ne tarda pas à pousser une exclamation triomphante indiquant qu'il l'avait découvert, et tous les quatre se glissèrent dans un passage étroit descendant dans les profondeurs du bâtiment. Au moins, ils éviteraient la plus grosse partie de la résistance résiduelle. Ou peut-être que les soldats avaient déjà rendu les armes ? Ils ne comptaient pas s'attarder pour le savoir. Ils n'avaient plus rien à faire ici.

Ils ne trouvèrent jamais l'empereur. Peut-être avait-il fui, peut-être était-il mort. Mais ça n'avait plus vraiment d'importance maintenant. Sans Izunia, le Niflheim ne serait plus capable de manier son principal avantage, les daemons. Le pays serait sans doute trop occupé à les contenir ou à tenter de s'en débarrasser pour poursuivre sa campagne impérialiste. Il n'était pas exclu que quelqu'un cherche à prendre la place d'Izunia, mais cela prendrait du temps. L'homme avait emporté trop de secrets dans la tombe.

Ils finirent par émerger du complexe impérial, se retrouvant soudain dans les rues de la capitale alors que l'aurore approchait. Avec leurs vêtements tachés et déchirés, ils étaient trop repérables, mais heureusement, les rues étaient encore vides et silencieuses. Par prudence, Ignis les guida à travers les ruelles les moins fréquentées, jusqu'à ce qu'ils tombent sur un parking à plusieurs étages. Le regard de Noctis fut immédiatement attiré par une voiture qui, si elle n'avait pas la classe de la Regalia, s'en approchait. Il soupçonnait d'ailleurs qu'elle soit de fabrication lucisienne.

« Envie de faire un tour ? » s'amusa Prompto.

Le cœur de Noctis fit un petit bond alors que ces mots le ramenaient des mois en arrière. Il se rappela comment le blond et lui s'étaient rapprochés, il se souvint de leur petite virée improvisée hors de l'enceinte de la ville. Il lui semblait qu'il était tellement jeune à cette époque… Tout avait changé depuis, y compris lui-même. Il n'eut pas le temps de s'attarder sur la pensée, cependant : stupéfié, son regard se posa sur Prompto qui forçait la voiture.

« Depuis quand tu sais faire ça ?!

— C'est pas ce que tu crois ! Tu sais, c'est aussi un moyen de rentrer dans ta bagnole quand tu t'es enfermé dehors…

— Hm… Ça dit pas comment la démarrer.

— Je m'en charge », annonça Ignis, ce qui lui valut un regard encore plus estomaqué de Noctis.

Son conseiller, cependant, ne justifia pas comment il avait acquis ces compétences de gangster, et prit place tranquillement derrière le volant. Après un haussement d'épaules, Gladio s'installa à sa place habituelle sur la banquette arrière, où Noctis le rejoignit en se disant qu'après tout, il n'avait pas vraiment envie d'en savoir plus. Tant qu'ils pouvaient partir d'ici…

Quelques minutes plus tard, Ignis réussissait à faire démarrer la voiture, et le doux ronronnement du moteur ramena Noctis à la maison, sur les routes lucisiennes. Une puissante nostalgie étreignit son cœur, les larmes lui montant soudain aux yeux. Oui, il voulait rentrer. Même si ça signifiait retrouver un pays dévasté dont il devrait prendre la tête. Il en avait assez de fuir et d'attendre que son destin se réalise. Sa vie lui appartenait toujours. Il était toujours lui-même, quelle que soit sa fonction. Du moins, il tenterait de l'être.

Ils quittèrent le parking et s'insérèrent dans la circulation éparse comme s'ils venaient de terminer une simple nuit de travail.

« Noctis, j'imagine que tu veux d'abord aller à Tenebrae ? » demanda Ignis en le regardant dans le rétroviseur.

Il hocha la tête.

« Ouais… J'espère qu'ils ont réussi. »

L'aube pointait, peignant le ciel en rose à travers les immeubles, la lumière douce se frayant un chemin dans les entrailles de la ville maculée de suie, promesse des horizons ouverts qui les attendaient par-delà les zones minières et industrielles bordant la métropole. Ils s'attendaient à rencontrer des contrôles routiers, mais ce matin-là, tout semblait suspendu, comme si la ville savait qu'une chose grave s'était produite. Il était encore tôt, certes, mais tout semblait à l'arrêt. Peut-être que la nouvelle de la mort d'Izunia s'était déjà répandue. Toujours est-il qu'une fois n'était pas coutume, le prudent Ignis enfonça la pédale d'accélérateur. Le monde immédiat se flouta tout autour d'eux comme dans un rêve tandis que la voiture fonçait sur un large boulevard menant vers les portes de la ville. Noctis était trop fatigué pour rester sur ses gardes, et il se laissa un peu aller sur la banquette confortable, les blessures de la nuit pulsant sourdement dans son corps éreinté. Les paupières mi-closes, il regardait passer la ville derrière la vitre. Les bâtiments se firent plus rares, il reconnut ensuite les silhouettes mécaniques géantes des grues qui les avaient accueillis à leur arrivée, et puis… Plus rien.

Il se redressa sur son siège et regarda le désert s'étendre, d'un ocre tirant sur le sang alors que le soleil se détachait de l'horizon. Tout le monde était silencieux et on n'entendait que le ronronnement du moteur, mais dans sa tête, le vacarme de la nuit continuait de se jouer, des images furtives apparaissaient contre le ciel bleu pâle avant de se fondre dans la lumière qui montait. Et finalement, il s'endormit.

V

Ils arrivèrent en vue de la capitale tenebraenne le lendemain en milieu de journée. Elle ne ressemblait plus en rien aux souvenirs d'enfant qu'en gardait Noctis. La guerre l'avait ravagée une deuxième fois. Ses murs autrefois blanc immaculés et sa végétation luxuriante calcinés lui donnaient une étrange allure fantomatique, comme une épave monstrueuse échouée au cœur des forêts de pins et des prairies violettes de fleurs de scylle. Cependant, quoi qu'il s'y soit passé, il semblait que c'était désormais terminé.

La voiture qu'ils avaient « empruntée » déambula parmi les décombres que la population entière s'activait à déblayer, avançant à travers les rues pentues pour se rapprocher du palais royal. La dernière fois qu'ils étaient venus, la ville était couverte d'un manteau blanc de neige, en deuil après la mort de la reine Sylva. Aujourd'hui, alors que le printemps était arrivé, sous les ruines la cité luisait encore faiblement de son éclat d'antan.

Ignis gara la voiture sur la grand-place bordant le palais, qui s'était à moitié effondré après la bataille aérienne. Il était cependant entouré de gardes et une activité fébrile y régnait. Si de loin, la cité semblait morte, il était évident une fois à l'intérieur que la guerre avait laissé bien des rescapés déterminés à reconstruire. Noctis descendit de voiture avec une impression de déjà-vu, qui fut soulignée lorsqu'il vit apparaître la haute silhouette de Ravus au sommet des marches. Il se rappela l'accueil glacial qu'il lui avait réservé la dernière fois, et avec tout ce qui s'était passé après, la pensée lui donna envie de rire. D'ailleurs, cette fois-ci, l'ancien commandant des forces armées du Niflheim descendit à sa rencontre.

Noctis n'était pas le seul à avoir changé, se dit-il tandis que Ravus arrivait à sa hauteur. Celui qui aurait dû devenir son beau-frère avait le visage marqué par les mois qu'ils venaient de vivre, les traits tirés, une cicatrice courant sur sa pommette jusqu'au coin de ses lèvres, et pourtant, il n'avait plus ce teint cireux que Noctis lui avait toujours connu, et ses yeux ne lui paraissaient plus aussi froids. Son regard était toujours hanté, certes, mais plus franc et direct.

Ravus le salua d'un simple hochement de tête, que Noctis le lui rendit.

« On dirait que vous avez réussi… constata le jeune roi.

— Ça n'a pas été facile, mais oui. » Ravus examina rapidement le petit groupe. « Vous avez l'air intact, même si vous vous êtes visiblement battus, constata-t-il.

— Izunia est mort, répondit Noctis. Aucune trace de l'empereur, mais c'était pas lui qui tirait les rênes, de toute façon. »

Ravus acquiesça d'un air pensif.

« J'ai toujours su que quelque chose n'allait pas chez cet homme…

— Il était très fort, avoua Noctis. Il pouvait… directement contrôler les daemons. On a bien cru y passer.

— Ouais, regarde ! » intervint Prompto en mettant son appareil photo sous le nez de Ravus, qui haussa les sourcils à cette intervention impertinente, mais consentit à regarder la photo montrant les daemons de la salle du trône, avec au fond un duel acharné entre Noctis et Izunia.

« Je vois, confirma-t-il. Nous avons eu quelques nouvelles du Niflheim. Les troupes se retirent, même Altissia est vide. J'ignore si quelqu'un a repris le commandement, cependant. Aucune nouvelle de la capitale elle-même.

— Ils reviendront pas, gronda Gladio. J'en mets ma main à couper.

— Il faut l'espérer, dit simplement Ravus.

— Noctis ! » les interrompit une voix féminine.

Un sourire étira les lèvres du jeune roi alors que Luna dévalait les marches. Elle se jeta dans ses bras et il ne fit rien pour l'arrêter. C'était si bon d'étreindre son amie d'enfance, vivante. Il la repoussa ensuite gentiment pour mieux l'examiner. Elle avait l'air… étrangement normale. Pourtant, elle était comme lui à présent, reine d'une nation dévastée par la guerre. Est-ce que ça signifiait qu'il était normal lui aussi ? Du moins, autant qu'on puisse l'être ?

« Venez, dit Luna. L'aile résidentielle du palais est presque intacte. Vous allez pouvoir vous y reposer avant qu'on fasse un point tactique. »

Noctis acquiesça, puis s'inquiéta soudain :

« Où est Nyx ?

— Sans doute en train de vider des pintes avec Aranéa, s'amusa Luna, provoquant un claquement de langue agacé de la part de son frère.

— Je serais pas contre une petite bière, moi non plus », approuva Gadio.

Sur ces entrefaites, le petit groupe remonta les marches et traversa le palais pour en trouver une partie effectivement intacte, donnant presque l'illusion que rien de grave ne s'était produit. De nouveau, un curieux sentiment de déjà-vu et de nostalgie saisit Noctis, qui s'avança avec son groupe dans les couloirs blancs qu'ils avaient arpentés des mois auparavant, tandis qu'ils préparaient la guerre. Il savait qu'ils avaient eu de la chance, que le conflit aurait pu s'enliser pendant des années. S'ils avaient vaincu, c'était grâce à la résilience de Tenebrae, et au pouvoir du Cristal. À cette pensée, Noctis fronça les sourcils. Très souvent, il s'était demandé ce qu'aurait pensé son père de son choix. Le Cristal légitimait le pouvoir de la lignée des Lucii, et il avait choisi de l'abandonner. Il n'y aurait pas de roi après lui. Avait-il gaspillé ce pouvoir que l'on disait cadeau des dieux ? Cependant, il ne parvenait pas à se résoudre à voir les choses ainsi : ils avaient sauvé bien des vies, et mis un terme à une guerre qu'ils auraient eu toutes les chances de perdre sans la puissance du Cristal. Alors, même si ce pouvoir était perdu à jamais, est-ce que ça n'en avait pas valu la peine ? Il pensait que oui, même si une petite voix le titillait encore, suggérant qu'il l'avait fait pour des raisons égoïstes, parce qu'il n'avait jamais voulu être roi, parce qu'il avait toujours refusé de porter le fardeau de son père. Pourtant, la culpabilité qu'il éprouvait lui semblait un faible prix à payer face à la liberté dont il rêvait encore, pour lui et tous les Lucisiens.

« T'es dans la lune, Noct ? »

Le jeune roi se tourna vers le blond, et s'aperçut qu'ils étaient seuls, dans la chambre où ils allaient passer la nuit.

Il hocha la tête avec un sourire d'excuse, et s'assit au bord du lit, avant d'expliquer à Prompto les pensées qui lui trottaient dans la tête. Le blond le rejoignit et l'écouta les sourcils foncés, fixant le bout éraflé de ses chaussures.

« Je pense que c'était le meilleur choix, dit-il finalement. On en avait besoin, pas vrai ? Ton père devait maintenir le mur pour protéger Insomnia. Mais Insomnia a été attaquée, et le mur est tombé. T'avais plus de ville à défendre, et t'étais un roi en exil. Il te fallait plus de pouvoir, et t'allais pas gagner cette guerre à toi tout seul, même avec toute la puissance de l'anneau, pas vrai ? Alors t'as donné le pouvoir du Cristal à tous ceux qui pouvaient le recevoir. De mon point de vue, c'est plutôt hyper généreux. Les gens de pouvoir sont pas trop connus pour vouloir le partager », termina Prompto avec une grimace, arrachant un rire à Noctis.

« En même temps, rétorqua ce dernier, j'ai jamais été trop du genre 'royal', pas vrai ?! Tu sais que ça m'a jamais intéressé, tout ça.

— Quand même, s'obstina Prompto. C'était un choix risqué. Tu savais que tu perdrais ta légitimité en tant que dirigeant. Et c'était ton héritage. Alors non, ça me paraît pas aussi simple et facile que tu le présentes. Tu devrais être fier de toi, Noct. Moi, en tout cas, je le suis. »

Le cœur de Noctis se serra, tandis qu'il jetait un coup d'œil presque timide en direction de Prompto en murmurant un « merci » entre ses dents.

« Et puis, reprit le photographe, comment je pourrais trouver mauvaise l'idée de nous filer à tous des super-pouvoirs ?! C'était génial de combattre comme ça, comme dans un jeu vidéo où ton personnage est hyper buffé, tu vois ?! »

Cette fois, Noctis éclata de rire.

« Ouais… Je crois que je vois. »

Prompto sourit et lui donna un petit coup de coude dans les côtes.

« T'as eu le début de règne le plus chaotique de l'histoire, j'en suis sûr ! Et tu t'en es super bien sorti. »

De nouveau un peu gêné, Noctis le remercia.

« Et je peux continuer les compliments, poursuivit Prompto. Y a deux ans, tu voulais tout plaquer. Tu pensais que t'étais l'être le plus misérable que la Terre ait jamais porté. Et regarde-toi aujourd'hui. T'as accompli bien plus que ce dont tu te croyais capable. »

Noctis déglutit, bien obligé de reconnaître la vérité dans ses propos. Il avait eu raison d'avoir peur de ce que l'avenir lui réservait, et pourtant, il avait résisté et traversé les épreuves que la vie avait jeté en travers de sa route.

« Mais tout ça c'est grâce à vous… murmura-t-il finalement. Grâce à toi.

— Hé, personne ne sauve un pays tout seul, pas vrai ? »

Noctis acquiesça lentement.

« Je suppose que non. »

Prompto posa une main sous son menton et fit pression pour qu'il le regarde.

« Je t'aime. »

Noctis se plongea dans son regard bleu, le cœur palpitant contre ses côtes, et il se laissa attirer vers les lèvres de Prompto qu'il embrassa avec une émotion profonde, irradiant dans son cœur et ses tripes, presque douloureuse. Les bras de Prompto se nouèrent autour de lui, et son étreinte lui fit monter les larmes aux yeux tandis qu'il la lui rendait, avec l'impression d'être enfin de retour chez lui, enfin de nouveau lui-même. « Je t'aime aussi », murmura-t-il entre deux baisers, et soudain, tout le fardeau qui l'accablait s'évanouit. Il découvrit que son cœur battait encore, et toujours aussi fort au contact de Prompto. Et c'était la sensation la plus rassurante qu'il avait jamais connue.

VI

L'aube filtrait à travers les hautes fenêtres étroites de la chambre, habillées de rideaux légers que la brise printanière agitait. Ici, il était très facile d'oublier qu'une grande partie de la ville avait été dévastée. Cependant, en dépit de la sérénité des lieux, Ignis n'avait pratiquement pas dormi de la nuit. Trop de choses se bousculaient dans sa tête, de plus, il avait perdu l'habitude de dormir en sécurité. Son esprit persistait à se tenir aux aguets, son corps prêt à réagir au moindre signe de danger. Il se demanda si un jour cette sensation lui passerait, ou bien s'il devait envisager l'idée de passer des mauvaises nuits pour le restant de ses jours. D'autant que la tâche qui les attendait de retour au Lucis était colossale. Reconstruire, réformer le pays. Assister Noctis dans le travail difficile et délicat qui lui incombait désormais. Deux choses seulement le rassuraient et lui donnaient un peu de réconfort dans les petites heures de la nuit où ses pensées se faisaient les plus envahissantes : Noctis avait désormais les épaules pour prendre le trône, et quant à lui-même, il avait Gladio sur qui compter. S'il avait eu bien des doutes sur leur relation, gageant qu'ils étaient trop différents, les mois passant avaient renforcé leur couple au-delà de ce qu'il croyait possible. Il était vrai qu'Ignis était devenu prudent en amour – trop prudent. Et pourtant, ça n'avait pas découragé son vieil ami. Il lui avait prouvé encore et encore qu'il était digne de sa confiance comme de son affection.

Le conseiller du roi laissa courir ses doigts sur le tatouage couvrant le dos de Gladio, l'illusion du mouvement plus grande encore dans la lumière trompeuse de l'aube. Il éprouva un vertige en songeant à toutes ces années passées depuis leur éducation au palais royal. Ils avaient été liés par leurs familles, leurs devoirs et responsabilités, mais ces relations fondées sur « l'ordre des choses » avaient évolué en camaraderie, fraternité, amour. Tout comme Noctis, qui avait été leur fardeau, leur ami, et encore autre chose pour lui. Leurs destinées s'étaient mélangées et avaient presque fusionné. Ce qui les liait n'était plus l'ordre des choses, mais les sentiments qu'ils avaient les uns pour les autres. Et cette pensée apaisait son cœur perpétuellement inquiet. Au lendemain de cette guerre, au seuil d'un futur impossible, cela au moins perdurait.

Gladio grogna dans son sommeil et se retourna sur le dos. Ignis observa son profil fier dans la lumière qui s'intensifiait, se trouvant soudain incroyablement chanceux. Toute sa vie il avait été prudent, sur la réserve, bien qu'il ait une étrange propension destructrice à se jeter sans y réfléchir à deux fois dans ses propres ténèbres. Toute sa vie il avait douté, mesuré, calculé. Il s'était impitoyablement imposé de payer le prix de ses erreurs, incapable d'admettre qu'il était faillible. Mais les gens qui l'entouraient, Gladio en premier, l'avaient forcé à se dépasser. À savoir abandonner. Perdre le contrôle n'est pas toujours une mauvaise chose, et n'a pas toujours besoin de se faire dans la douleur. C'était une leçon qu'il avait trouvée incroyablement difficile à apprendre, mais il lui semblait ce matin qu'il comprenait mieux. Et il devait bien admettre que son cœur n'avait jamais été aussi léger. La tension extrême des derniers mois lui semblait un spectre vaporeux qui doucement s'évanouissait dans le soleil pénétrant dans la chambre blanche. Il se pencha pour poser un léger baiser sur les lèvres de Gladio, qui sourit.

Autour d'eux, il entendit les bruits légers d'une matinée qui commençait au palais. L'apparence troublante de normalité faisait tout apparaître comme dans un rêve. Non, rien n'était normal et ne le serait plus jamais. Ils n'étaient plus les mêmes personnes et la continuité avec laquelle on s'applique à se raconter sa propre vie avait été brisée sans espoir de réparation. Et pourtant, quelle importance ? Les récits sont toujours un sens accolé a posteriori aux flux changeants de l'existence.

Gladio s'étira, grommelant qu'il avait besoin d'un café. Un nouveau jour commençait, apparemment semblable à tous les autres. Mais Ignis s'était finalement pardonné, et la lumière brillait d'une nuance plus intense.