Thème 59 : Échange de cadeaux

Il est minuit, nous sommes donc officiellement le 25 décembre. Vos personnages qui passent le Réveillon ensemble décident alors de d'échanger leurs cadeaux. Qui a acheté quoi à qui ? Pourquoi ? Est-ce une bonne surprise ?

500 mots minimum.


« Nous sommes une famille, Philippe. Et une famille doit rester soudée. ». C'était ce que la princesse Palatine avait dit à son mari et qui avait fini de faire passer la pilule.

Mais de quelle pilule s'agissait-il donc ? Elle s'appelait Françoise d'Aubigné et répondait maintenaient au nom austère et sévère de Madame de Maintenon. Elle avait épousé Louis XIV et achevé de marcher sur les brisées de Philippe en devenant sa belle-sœur.

Il ne l'aimait pas. Elle ne l'appréciait pas davantage. Mais ils devaient faire front commun maintenaient, pour leur famille. Pour Louis.

Lui aussi avait été une « pilule », dont la princesse Palatine avait dû convaincre son époux de la bonne foi. Ça avait été curieusement plus facile que pour Françoise, alors que les querelles entre le duc d'Orléans et son frère étaient cent fois plus intenses : un simple « Ça ne veut pas dire qu'il ne t'aime pas » avait achevé de conclure l'affaire.

Ils étaient donc rentrés à Versailles et Philippe et Liselotte s'étaient écrasés devant Madame de Maintenon, qui ne s'était pas cachée d'en profiter un tantinet. Louis avait failli mourir dans une révolte quelques jours plus tard et cela avait achevé de convaincre son frère que peu importaient ses décisions dures, au final, son autorité et son détachement de roi, il l'aimait plus que tout et ne pouvait pas supporter de le perdre.

Avec tout ça, on en arrivait rapidement à Noël. La fête était somptueuse encore une fois et tout le monde était présent : les cousins, les enfants du roi et leurs promis, les vieux nobles à leur service depuis longtemps, les amies de Madame de Maintenon, de Philippe, les ministres et leur famille… Le roi, sa femme, son frère et sa belle-sœur étaient assis tous les quatre sur une grande largeur de la table principale, qui dominait toute l'assemblé.

Louis possédait le siège avec le plus haut dossier et Philippe était assis immédiatement à sa droite, Madame de Maintenon à sa gauche. Comme au bon vieux temps d'Henriette d'Angleterre, la première épouse de Philippe qui avait échangé sa place avec la princesse Palatine, installée à droite de Monsieur. Il n'y avait pas encore d'étiquette à cette époque-là, ils étaient si jeunes et les convenances de la Cour étaient brouillées. Les repas se prenaient dans des petites salles, sans cérémonial, et même si une petite vingtaine de nobles y assistaient, Louis avait vraiment l'impression d'être en comité intime.

Quand il avait affirmé à la princesse Palatine que Philippe et elle étaient une partie de son âme, il avait dû être sincère car il prit la décision de remettre ça cette année, pour la première fois depuis très longtemps. Minuit sonna; on applaudit fort cette entrée dans le jour saint de la naissance du Christ et Louis se leva en souriant pour faire un discours.

Philippe ne le quittait pas du coin de l'œil, en soupirant, désabusé et abattu. Pour célébrer le bonheur de retrouver une famille intime, son frère avait décidé qu'ils procéderaient à un échange de cadeaux un peu spécial cette année. Chacun avait tiré un papier au sort, avec le nom de quelqu'un d'autre. Il attendait minuit pour qu'ils s'offrent leurs présent et le duc d'Orléans avait hâte qu'ils en finissent ! Il ne savait pas qui avait reçu son nom mais tirer celui de sa belle-sœur ne lui avait pas fait très plaisir.

Une fois son allocution terminée, le roi se tourna vers ses proches en souriant et Philippe se leva de table en renversant presque sa chaise pour s'échapper dans le petit cabinet privé aménagé pour cette occasion. Un feu brûlait dans la cheminée et des candélabres en argent sur les tables illuminaient presque comme en plein jour. Le duc se porta devant le foyer avec une telle vitesse qu'il faillit basculer dedans.

« Mais voyons, du calme ! le reprit sa femme en arrivant derrière lui, sa robe de soie rose relevée d'une main pour ne pas trébucher. Il est si terrible que ça, le cadeau que tu as fait à Madame de Maintenon ?

-Comment tu as deviné ? soupira Philippe en se tournant vers elle.

-Tu ne serais pas aussi abattu si tu avais quelque chose à m'offrir à moi ou à ton frère. »

Le duc esquissa un sourire, rasséréné par la présence de cette si précieuse amie à ses côtés. Elle lui serra le bras en affirmant que tout irait bien et ils se tournèrent vers la porte pour attendre Louis et sa dévote épouse. Celui-ci haussa les sourcils à l'intention de son frère, en comprenant fort bien sa précipitation, mais il fut quand même désarçonné lorsque Philippe lança, lui laissant à peine le temps d'ouvrir la bouche, à Madame de Maintenon :

« Tenez ! C'est pour vous ! »

Et, un sourire de circonstance plaqué sur le visage, il lui poussa un paquet dans les bras.

« Oh, eh bien, je… c'est fort aimable de votre part, répondit la marquise en refermant ses mains sur le présent.

-Je vous en prie, c'est un réel plaisir, rétorqua Philippe avec cette excitation exagérée qui le prenait parfois quand il était excédé. »

Il s'appuya sur une des tables du cabinet et saisit une coupe de vin qui se trouvait là pour la porter à ses lèvres. Madame de Maintenon défit le paquet et découvrit un petit livre relié de cuir dans lequel se trouvait des commentaires et des conseils de philosophe et de médecins pour rester en bonne santé.

Ils y préconisaient plus spécifiquement les ripailles abondantes, les plaisirs des spectacles, le rire et surtout le goût du beau. Ce qui n'était pas, évidemment, du cœur de la dévote marquise, qui voulait que tout fût rangé, pieux, sévère, monotone. C'était bien pour ça qu'elle n'aimait pas son beau-frère, au-delà du fait qu'il fréquentait des hommes et qu'il se travestissait en femme : parce que Philippe était excentrique, débauché, aimait le luxe et les cérémonies religieuses surtout pour leur faste. L'intéressé, d'ailleurs, avait vidé une nouvelle giclée de vin dans son verre.

« J'étudierai cet… ouvrage très attentivement, pour voir ce qu'il est nécessaire d'en retenir, promit Françoise avec un air dégagé.

-Bien sûr ! rétorqua Philippe. Tout ce que je souhaite, c'est que vous restiez longtemps en bonne santé. »

Louis et Liselotte avaient observé cet échange verbal en secouant la tête et le roi avait visiblement du mal à savoir de qui il devait prendre le parti, de son frère ou de sa femme. Il n'eut pas le temps de trop y réfléchir car la princesse Palatine vint à lui avec un petit paquet enveloppé de soie couleur ciel. Louis lui sourit, lui prit le présent des mains et dévoila un petit poignard en argent joliment ciselé, avec des pierres bleu foncé, rouges et vertes incrustées dans le manche. Les bleues étaient les plus grosses et les plus nombreuses. C'était la couleur préférée de Louis.

« Est-ce que je suis censé demander pardon au Seigneur en me mortifiant avec ? demanda celui-ci avec une moue joueuse, se souvenant fort bien de tous les reproches que sa belle-sœur lui faisait en permanence. »

La princesse rit, sincèrement amusée et agréablement surprise que le roi le prenne ainsi. Mais c'était vrai qu'il possédait un sens de l'humour touchant quand il cessait de se comporter comme un souverain.

« C'est pour vous garder en sécurité, Sire, répondit-elle gracieusement, la main sur son bras. Ce poignard est petit, léger, il peut se cacher n'importe où… Vous en aurez peut-être besoin un jour où vos mousquetaires ne seront pas là.

-J'ignorais que vous teniez tant que ça à me voir régner longtemps ! se moqua Louis. Merci.

-Je fais ça aussi pour mon mari ! Il veut tout le temps vous garder en sécurité. »

Le roi sourit sans trouver quoi répondre à cette déclaration, forte et touchante… De toute façon, Madame de Maintenon avait un cadeau à offrir à Liselotte.

« C'est une pochette pour mettre vos livres d'heur, expliqua la marquise, les mains croisées sur sa poitrine. Nos églises peuvent être tellement humides parfois. Je ne voudrais pas qu'ils deviennent illisibles, c'est tellement ressourçant de les re-consulter de temps en temps, n'est-ce pas ? »

On savait où elle voulait en venir : rappeler à sa belle-sœur qu'elle avait quitté la religion huguenote en épousant le frère du roi et de ne pas tenter d'influencer Louis pour qu'il se montre plus clément à leur égard. Mais Liselotte s'en moquait pas mal, ce n'était pas son genre de se mêler des questions de gouvernance et elle était Catholique depuis longtemps maintenant. Au moins, la pochette était de belle facture, confectionnée dans de la soie de chine rose avec des arabesques et un bouton d'or. N'importe quel livre pouvait tenir à l'intérieur et elle appréciait que Madame de Maintenon n'ait pas poussé l'allusion jusqu'à faire broder des scènes religieuses exclusivement catholiques (par exemple, l'adoration des saints) sur le tissu.

« Merci, répondit-elle donc avec toute la reconnaissante et la grâce dont elle était capable. J'en ferai bon usage. C'est vrai qu'il y a toujours tant de choses passionnantes à relire.

-Eh bien, voilà qui est parfait, l'interrompit Philippe en quittant enfin l'appui de sa table. Nos liens familiaux sont resserrés, je ne saurais vous dire à quel point j'en suis heureux ! Et si nous retournions profiter des réjouissances de Noël avec la Cour, maintenant ? »

Il reposa son verre et s'apprêtait à quitter le cabinet quand son frère le retint par le bras. Madame de Maintenon et la Palatine sortirent et Philippe lui jeta un regard d'incompréhension.

« Et ton cadeau ? s'étonna le roi. Je ne te l'ai pas encore offert. »

Philippe cligna des yeux et dévisagea son aîné comme s'il n'avait pas du tout envisagé que Louis soit susceptible de lui faire un présent.

« Tiens, lança le roi au bout d'une seconde de silence. Je ne sais pas à quoi tu t'attends exactement mais ce n'est pas un piège. »

Le duc déballa le cadeau et découvrit une chevalière en or avec un gros rubis en son centre. Philippe haussa les sourcils, chercha à voir la main de son frère, la lui prit puisqu'il n'y arrivait pas.

« Quoi encore ? soupira le roi.

-Je ne vois pas cette bague à ton doigt, répondit Philippe. Pourtant, je sais que c'est elle. Tu ne peux pas me la donner ! Elle t'a été offerte par l'ambassadeur de Savoie !

-Ce n'est pas elle, c'est une reproduction, répliqua son frère en retirant sa main. La mienne, je ne la porte pas aujourd'hui. Tu m'as tellement harcelé pour que je te la donne que j'en ai commandé une autre. »

Monsieur détailla son aîné puis autorisa un sourire à lui monter aux lèvres.

« Tu veux dire qu'on risque de porter des chevalières assorties ? se moqua-t-il. Ce n'est pas un peu trop mièvre et infantile pour toi ?

-Pourquoi ça le serait ? Tu veux que je te rappelle toutes les fois où nous nous vêtons de la même manière ? »

Louis allait, à son tour, quitter le cabinet après avoir passé sa main sur l'épaule de son frère, mais celui-ci l'arrêta. Il ramena son bras contre le sien et passa l'autre autour de son cou pour l'étreindre avec tendresse. Le roi rit et tapota son dos d'un geste tout aussi affectueux.

« Je suis heureux que ce cadeau te fasse plaisir, affirma-t-il. Tu vois que ce n'était pas si terrible, finalement.

-Tu dis ça parce que toi, tu n'as pas eu besoin de te creuser la tête ! plaisanta son cadet.

-Bien sûr ! Ne me dis pas que tu n'as pas tout de suite vu dans ce traité une occasion d'envoyer une pique à Françoise. »

Philippe dévisagea son frère avec de grands yeux innocents. Le roi secoua la tête en souriant et lui tapa une nouvelle fois dans l'épaule avant de l'entraîner vers la salle de réception.