Without you-Badfinger


–Je peux te poser une question ?

Madison tourna la tête et constata que Thor venait de la rejoindre. Il s'installa à une distance raisonnable d'elle pour ne pas envahir son espace personnel, faisant face au lac qui se trouvait non loin du chalet. Il s'assit en tailleurs et observa la surface de l'eau qui ondulait sous une légère brise.

–Désolée d'être partie comme ça, s'excusa-t-elle. Je ne sais pas trop ce qui m'a pris. C'est juste qu'imaginer qu'on puisse en vouloir autant à sa mère pour ce qu'une de ses amies a fait, c'est… Ça me parait quand même très exagéré. Même si les dieux sont de vrais pros en ce qui concerne les drames.

–Je connais Freya depuis quelques années et elle n'a jamais réussi à me parler de sa famille sans finir par s'interrompre ou bien tout simplement s'en aller. C'est très dur à supporter, pour elle, de savoir que sa famille s'est déchirée de l'intérieur. Tu t'es retrouvée mêlée à un conflit qui nous dépasse tous sans jamais le vouloir, alors ta réaction était tout à fait compréhensible, poursuivit-il calmement. Et, tu as raison. Nous sommes plutôt doués, pour les conflits familiaux. Tout finit toujours par prendre des proportions démesurées.

Madison sourit discrètement. « Des proportions démesurées » ? C'était le moins que l'on puisse dire. Elle avait eu l'occasion de constater par elle-même que lorsqu'on en venait aux liens du sang, rien n'était simple, chez les divinités. Après tout, elle avait dû participer à l'affront qui avait opposé Thor et Loki à leur sœur, en deux-mille dix-huit, et le spectacle avait été grandiose. Jamais la brune ne l'avait avoué à qui que ce soit, mais elle avait secrètement espéré qu'Hela finisse par s'entendre avec ses frères, malgré leurs différences. Oui, elle croyait en la rédemption pour chacun, quels que soient les actes commis. Elle avait bien pardonné Bucky, qui n'avait pas été responsable de ses actes, tout comme elle n'en avait pas tellement voulu à Loki de l'avoir poignardée en Islande pour gagner du temps. Elle avait accordé beaucoup de chances, mais dans le fond, il existait certains individus qui, selon elle, étaient irrécupérables. Hela n'en avait pas fait partie, car elle avait sincèrement voulu que cette dernière rejoigne le bon côté. Malheureusement, cela ne s'était jamais produit.

–Tu avais une question ? reprit-elle alors en regardant l'homme assis à sa droite.

–Oui, se rappela-t-il en la regardant également. Cela fait un moment que cela me travail, à dire vrai. Nous avions légèrement abordé le sujet par le passé, mais je n'ai jamais vraiment obtenu de réponse claire à ce sujet.

–Je t'écoute ?

–Je me suis toujours demandé comment tu y étais prise pour ramener Loki d'entre les morts, l'an dernier.

–Oh, ça… répondit-elle avec un demi-sourire. C'est vrai, je n'ai pas tellement eu le temps de t'expliquer comment j'avais fait, mais crois-moi, le récit ne risque pas d'être très passionnant…

–Je reste tout de même curieux, affirma-t-il, en réalité impatient de connaitre la vérité.

–Ca risque de ne pas forcément te plaire…

. . . . . . . .

On y est ?

Je crois que oui.

Madison et Natasha venaient de traverser une faille spatio-temporelle afin d'atteindre l'endroit où la mutante désirait se rendre avant qu'elles ne retournent définitivement dans leur époque, après quoi elles refermeraient ces portes qui avaient ouverte sur un dangereux monde de possibilités. Grâce à la particule Pym qu'elle avait intégré au réacteur principal et aux calculs précis de la brune, aucune n'avait été commise et le vaisseau des Gardiens avait parfaitement résisté au voyage. La rouquine eut l'impression qu'il faisait plus sombre à l'intérieur de l'appareil, et pour cause, elles étaient stationnées sous un autre engin, bien plus imposant que le leur. Madison activa le mode « furtif » du vaisseau qui leur permettait de se dissimuler plus facilement aux yeux de quiconque. Il ne fallait surtout pas qu'on les remarque, car un tout petit élément pouvait chambouler toute leur ligne de temporalité et ce n'était absolument pas ce qu'elles voulaient.

Et maintenant ?

Le hangar principal, expliqua simplement la mutante assise aux commandes en faisant avancer leur vaisseau vers l'intérieur du plus grand. Tiens, poursuivit-elle en lui remettant entre les mains un étrange dispositif. Ça te permettra de respirer tant qu'on sera dans le hangar.

Et toi ?

Je fabrique mon propre oxygène, alors ce n'est pas un problème.

Où est-on ? demanda alors Natasha. Ou peut-être devrais-je te demander « quand » ?

En deux-mille dix-huit, à bord d'un vaisseau d'une connaissance Sakaarienne. Il vaudrait peut-être mieux que je te prévienne que l'on risque d'apercevoir mon double du passé et que l'on va justement devoir tout faire pour que… « Je » ne nous vois pas, souffla Madison. Je crois que ce qu'on est en train de faire est complètement dingue…

C'était ton idée, au cas où tu l'aurais oublié. Tu veux bien m'expliquer pourquoi nous avons fait un bon de quatre ans dans le futur au lieu de neuf pour rentrer directement ? Non pas que je sois légèrement inquiète à l'idée de me retrouver avec deux Madison dans la même pièce, mais presque. Tu sais qu'on risque de créer un paradoxe ?

Je sais.

Et tu sais que l'énergie que nous fournit la particule n'est pas illimitée et que nous ne pouvons pas rester trop longtemps dans les parages, au risque de nous retrouver coincées dans une époque qui n'est pas la nôtre ?

Je sais.

Et que si jamais cela arrive, nous devrons atteindre cinq ans avant de pouvoir rentrer chez nous ?

OUI JE SAIS, s'exclama Madison avant de se calmer en inspirant profondément. Ecoute, tout ça, je le sais très bien. Je ne te demande pas de prendre le risque de me suivre, mais te connaissant, tu ne vas pas me laisser y aller seule, je me trompe ? affirma-t-elle, tandis que Natasha haussa les épaules pour confirmer ses dires. Ça va aller. Il le faut…

Et tu comptes me dire ce que tu as l'intention de faire, exactement ?

Alors, pour faire court… On va… Sauver Loki.

Natasha crut d'abord avoir mal entendu, mais vu l'air à la fois sérieux et embêté de sa meilleure amie, elle comprit que non seulement elle ne devenait pas sourde mais qu'en plus, la brune ne plaisantait pas.

Attends… Quoi !?

Je t'explique. On… Va… Sauver Loki, répéta Madison, comme s'il s'agissait d'une évidence. Avant que tu ne dises quoi que ce soit, ou que tu t'énerves contre moi en me traitant d'inconsciente, sache que si je le fais, c'est parce qu'il mérite qu'on le sauve.

Ca je le sais, rétorqua Natasha. Tu nous as raconté un bon nombre de fois comment il vous était venu en aide face à Hela, tout comme tu nous as expliqué que l'invasion de New-York n'était pas de sa faute. Simplement, je ne m'y attendais pas vraiment. Quoique, avec toi, je ne devrais plus tellement être surprise… soupira-t-elle en levant les yeux au ciel. Bon, si tu penses réellement que ça peut marcher, dans ce cas, je te suis. Mais je me pose tout de même une question : comment comptes-tu t'y prendre ? Vous êtes supposés le voir mourir, c'est justement cette étincelle qui a, pour vous, déclenché la guerre, juste après que Thanos ait tué la plupart des asgardiens rescapés.

Justement, à ce propos, j'ai eu une idée.

Je n'aime pas du tout lorsque tu dis ça. La dernière fois que j'ai entendu ces mots venant de toi, on s'est retrouvées au sommet de l'Empire State Building à moitié ivres en train de téléphoner à ton frère pour lui demander la permission d'utiliser ses armures restantes pour une « expérience » qui aurait forcément mal tourné si on n'avait pas désaoulé rapidement. Admettons, tu as une idée. Comment peut-on être certaines qu'on ne va pas te croiser, croiser la version du passé de Thor ou qui que ce soit d'autre susceptible de nous reconnaitre ou de nous dénoncer ?

Tasha, je me souviens de ce jour comme si c'était hier. Je me rappelle de mes moindres déplacements à travers ce vaisseau, affirma Madison avec fermeté lorsqu'elles atterrirent dans le hangar. C'est une journée que je ne pourrai jamais oublier, ajouta-t-elle, une ombre dans le regard.

La rouquine acquiesça. Elle aussi s'en souvenait, évidemment. Ce jour-là, ils avaient perdu une bataille contre le titan fou et la moitié de l'Univers était partie en fumée à l'issue de leur échec cuisant. Cinq longues années s'étaient écoulées depuis, mais ces instants étaient gravés dans la mémoire de tous ceux qui avaient survécu, alors la jeune femme voulait bien croire son amie lorsque cette dernière affirmait savoir ce qu'elle faisait. Elle la regarda couper les moteurs, alors elle déploya autour d'elle l'une des combinaisons transparentes des Gardiens qui permettaient de ne pas suffoquer là où il n'y avait pas d'air, puis la porte située à l'arrière de l'appareil s'abaissa et elles purent enfin sortir.

Natasha fut très impressionnée. C'était la toute première fois qu'elle mettait les pieds dans un vaisseau aussi gigantesque. Elle ne put s'empêcher de regarder avec admiration tout ce qui l'entourait, mais elle et Madison durent se hâter, sachant qu'elles n'avaient pas l'éternité devant elles. Elles quittèrent rapidement le hangar et Natasha put ranger le dispositif de protection dans sa poche. Elles se trouvaient à présent dans un long couloir au bout duquel se trouvait une pièce dans laquelle elles pouvaient apercevoir d'où elles étaient, quelques silhouettes. Elles ne s'attardèrent pas et changèrent immédiatement d'endroit en s'engouffrant dans un couloir adjacent, plus étroit. La brune prit un instant pour observer plus attentivement les lieux, essayant de repérer l'endroit exact où elles étaient et le lieu où elles débusqueraient le géant des glaces.

Madison fit signe à sa meilleure de la suivre de près et après une bonne minute, elles durent se cacher à nouveau lorsqu'elles virent le dieu de la malice marcher dans leur direction. Discrètement, elles l'observèrent entrer dans une pièce et fermer ensuite la porte derrière lui.

Vas-y, souffla Natasha. Je vais monter la garde.

La mutante acquiesça et marcha vers la pièce en question. Elle se dépêcha d'entrer et ferma à son tour, ne voulant pas que quiconque l'aperçoive en train de rôder dans le coin. Elle soupira de soulagement et resta durant un court instant appuyée contre la porte.

Madison ? J'étais justement sur le point de venir vous voir. Vous allez bien ?

Elle se retourna vivement et se retrouva face à Loki, qui la regardait avec curiosité. Il pencha légèrement la tête sur le côté et cligna plusieurs fois des yeux en la détaillant de la tête aux pieds. Madison, elle, laissa échapper un nouveau soupir, plus soulagé que jamais de le revoir après toutes ces années. Cinq ans sans qu'elle se soit remise du décès de cet ami qu'elle s'était fait. Elle était encore secouée par son expérience sur Vormir, ce qui expliquait le fait qu'elle tremblait un peu. Elle eut alors une impulsion et elle traversa la pièce d'un pas rapide afin de prendre le Jotün dans ses bras.

Beaucoup mieux, répondit-elle en le serrant contre elle.

Il s'agissait de leur seconde étreinte. La première était supposée avoir lieu dans quelques minutes à peine, Madison s'en rappelait parfaitement.

Vous… Tu n'es pas la Madison que je connais. Me tromperais-je ?

–… Non, tu as raison, confirma-t-elle en le relâchant lentement.

Il la regarda longuement, un peu inquiet, en fronçant les sourcils. Il avait deviné qu'elle n'était pas la bonne personne, mais il n'avait pas la moindre idée de ce qu'elle faisait là. Dans sa temporalité, si loin de chez elle.

Je suppose que tu as dû faire un très long chemin pour arriver jusqu'ici, devina Loki. Et à en juger par ta réaction lorsque tu m'as vu, j'en déduis que nous ne nous sommes pas vus depuis un bon moment et… Que quelque chose m'est arrivé en route.

Je ne suis pas venue pour te mentir, d'autant plus que je ne peux pas risquer que quelqu'un d'autre que toi me voit ici, répondit la mutante. Il… il doit te rester moins d'une heure à vivre, lâcha-t-elle difficilement en sentant son cœur se serrer lorsqu'elle prononça ces mots.

Elle vit le peu de couleurs sur le visage de l'homme disparaitre brusquement et il changea d'expression, passant de la curiosité à une certaine peine. Elle avait préféré ne pas tourner autour du pot et lui annoncer directement la raison de sa venue. Elle savait que le Jotün était capable d'encaisser une telle information, mais elle ne comptait pas le laisser trop longtemps croire qu'il n'y avait plus aucun espoir.

–… Je vois, souffla-t-il avec gravité. … Comment ?

Thanos.

Loki eut l'impression qu'on l'avait frappé dans l'estomac même si, dans le fond, il avait toujours pensé que viendrait le jour où le titan se déciderait à l'éliminer, estimant sûrement qu'il n'avait plus besoin de lui dans ses troupes. Loki songeait depuis un moment déjà à dire au colosse d'aller cordialement se faire voir, se doutant de ce qu'il se produirait ensuite. De plus, dans sa temporalité à lui, la mutante venait tout juste de découvrir l'existence de Thanos. Pourtant, dans les yeux de la femme qui lui faisait face, il avait vu une peur intense lorsqu'elle avait dit ce nom. Elle avait vu de quoi il était capable.

–… Une mort glorieuse, j'espère… reprit Loki, un sourire au coin des lèvres.

Très glorieuse… Tu m'as sauvée. Tu as sauvé ton frère. Et tu nous manques à tous les deux.

Pourquoi venir me raconter tout cela ? lui demanda-t-il, toujours un peu perturbé par ce qui venait de lui être révélé. Si Thanos doit me tuer, alors je dois accepter mon destin, aussi funeste soit-il.

Sauf que moi, je ne l'accepte pas, rétorqua-t-elle avec fermeté. Je n'accepte pas que Thanos t'ai tué, pas alors que tu mérites une seconde chance. J'ai découvert que le voyage dans le temps était possible, et même si ce que je fais est extrêmement dangereux, j'ai envie d'être égoïste, aujourd'hui. Il est hors de question que je te laisse mourir alors que j'ai l'occasion de te sauver la peau, alors tu as intérêt à accepter ce que je vais te proposer, parce que je ne te laisse de toutes manières pas le choix, affirma-t-elle avec tant de sérieux que Loki dut se retenir de rire. J'ai dit quelque chose d'amusant ?

Pas du tout, c'est juste que… J'ai rarement vu quelqu'un mettre autant d'énergie dans un plan qui viserait à me sauver.

Je ne fais jamais de plan, précisa-t-elle. Je suis mon instinct.

Que pense Thor de tout cela ?

Il… N'est pas au courant.

Evidemment, soupira Loki. Il semblerait que tu aies conservé l'habitude de travailler en solitaire lorsque tu crains des représailles…

Je ne suis pas venue seule, le corrigea-t-elle. Mon acolyte est de l'autre côté de la porte, précisa-t-elle très naturellement. Mais ce n'est pas le sujet, se reprit-elle. Il va falloir que tu sortes d'ici rapidement et que tu te caches quelque part, mais comme Thor et moi devons te voir mourir, tu vas devoir créer une illusion suffisamment convaincante pour que tout le monde y croit.

–… Tu veux que je vous impose ça ? C'est…

Cruel, compléta-t-elle en baissant la tête, je sais. Mais nous n'avons pas le choix. Tout doit se passer comme prévu, et si nous voulons que cela fonctionne, il va falloir procéder ainsi. Tiens, garde ça avec toi, poursuivit-elle en sortant un transmetteur de sa poche, qu'elle remit entre ses mains. J'ai déjà encodé la date et le lieu où tu pourras nous retrouver mais en attendant, tu vas devoir faire profil bas. Il ne faut surtout pas que nous apprenions que tu as survécu.

Comment pourrais-je faire cela ? Où me rendrais-je ?

J'ai des amis qui trouveront un endroit où te cacher. Tu iras sur Jotunheim, déclara-t-elle et Loki écarquilla les yeux, surpris. Trouve Beorth, dis-lui que tu viens de ma part et si tu lui rappelles gentiment qu'il me doit toujours une faveur pour l'avoir libéré de prison, tout devrait bien se passer. Explique-lui la situation, raconte-lui ce qui est en jeu, je suis certaine qu'il t'écoutera.

Et vous ? Thor, le peuple d'Asgard… Je ne peux pas m'enfuir comme un lâche alors que Thanos est sur le point d'arriver.

Tu as fait tout ce que tu pouvais pour nous venir en aide. C'est à ton tour de te faire aider en acceptant de t'en aller et de te réfugier là où personne n'ira te chercher.

La porte s'ouvrit et Madison sursauta, craignant que quelqu'un découvre que la mutante s'était « dédoublée », mais lorsqu'elle se retourna et se rendit compte qu'il ne s'agissait que de Natasha, elle lâcha un soupir de soulagement. La rouquine, tout comme elle, resta un instant appuyée contre la porte avant de leur faire face. Elle considéra d'abord le géant des glaces en l'observant de la tête aux pieds.

Quelqu'un arrivait. J'aurais eu du mal à expliquer d'où je viens. Salut, lâcha-t-elle ensuite à l'adresse de Loki, qui demeurait de plus en plus étonné. Mad, il va falloir abréger, je ne sais pas dans combien de temps les effets de la particule s'estomperont. Si tu as un dernier mot à dire, c'est maintenant.

Tu as raison, lança-t-elle en regardant à nouveau Loki. N'oublie pas que personne en dehors de Beorth ne doit savoir que tu es vivant.

C'est tellement injuste pour vous, de vous faire croire que Thanos s'apprête à m'éliminer…

Avec l'expérience, j'ai appris que la vie n'est faite que d'injustice. Promets-moi que tu feras bien attention à toi et que je te reverrai en rentrant.

Mais…

Promets-le moi, insista-t-elle et il ne put qu'acquiescer face au regard de supplication qu'elle lui offrit. De mon côté, je te promets que ça ira.

Elle rejoignit Natasha et, alors qu'elle s'apprêtait à ouvrir la porte, elle regarda une dernier fois le Jotün. C'était difficile de se dire qu'elle allait imposer à son double du passé et à Thor d'assister au faux décès de l'homme et qu'aucun ne saurait qu'en réalité, il était resté caché durant cinq ans parce qu'elle le lui avait demandé. Il avait paru réellement ennuyé à la simple idée de devoir, une fois de plus, mentir à son frère et à la mutante par la même occasion juste pour sauver sa peau, mais il était décidé à la faire puisque la jeune femme avait pris des risques incommensurables pour qu'il ait la vie sauve.

Bonne chance, lui dit-elle en guise d'au revoir avant de s'en aller en compagnie de sa meilleure amie.

Loki se retrouva donc seul face à une situation qui le dépassait. Lorsqu'il quitta la pièce à son tour il constata qu'elles s'étaient sauvées depuis longtemps. Il fixa un moment le transmetteur avant de le ranger en lieu sûr et décida, avant de devoir partir, de voir où en étaient justement l'asgardien et la midgardienne de son époque. Il avait mal au crâne rien qu'en pensant à cette histoire de voyage dans le temps. Lui n'y avait jamais vraiment cru, jusqu'à aujourd'hui. Ainsi, il allait devoir trouver refuge sur une planète qu'il avait autrefois tenté de détruire et devait s'attendre à ce que Beorth accepte de l'accueillir. Il ne se faisait pas trop de souci car si la mutante avait affirmé que ce dernier lui permette de se réfugier sur les terres de son peuple, c'était qu'elle savait ce qu'elle faisait et qu'il pouvait lui faire confiance.

Il eut l'impression d'arpenter le vaisseau durant un éternité, jusqu'à ce qu'il trouve Thor et Madison dans une salle à part, debout devant une immense baie vitrée, échangeant un baiser. Les voir aussi proches le fit sourire. Il savait que dernièrement, leur relation battait de l'aile à cause de cette histoire de grossesse, mais il était soulagé que les choses semblassent s'être arrangées. Il se disait qu'au moins, affronter la suite serait un peu plus simple pour eux s'ils étaient unis. Pendant quelques secondes, il garda le silence, un millier de questions sans réponse se bousculant dans sa tête. Il aurait adoré pouvoir questionner la mutante sur le futur qui les attendait mais même s'ils en avaient eu le temps, il se doutait qu'elle ne lui aurait rien dit afin d'éviter de créer un paradoxe impossible à défaire.

Il décida enfin de manifester sa présence lorsqu'il fut certains que ses émotions ne le trahiraient pas. Il fallait qu'il garde tout à l'intérieur, qu'il ne laisse rien paraitre. Il pouvait dire adieu à la résolution qu'il avait prise : celle de ne plus cacher quoi que ce soit l'asgardien. Une fois encore, il allait se faire passer pour mort et ça ne lui plaisait pas du tout. C'était malheureusement le prix à payer pour survivre.

Si jamais je dérange, vous me prévenez…

Les deux individus s'écartèrent l'un de l'autre en le voyant. Il trouva que « sa » Madison était très différente de celle qui venait tout juste de le quitter. Celle qui était partie avait les yeux d'une personne qui aurait assisté aux pires horreurs qui puissent exister alors que celle qui lui faisait face semblait avoir, malgré son passé trouble, gardé une part d'innocence. Elle souriait. Elle venait de remporter une bataille et était à mille lieux de se douter qu'elle s'apprêtait à en perdre une autre. Il échangea quelques mots avec eux et, lorsque la terrienne lui dit qu'il avait eu droit à son moment de gloire, il n'y tint plus et la prit dans ses bras en la remerciant. Il ne révélait rien du plan en agissait ainsi, il avait simplement eu besoin de ce contact parce qu'il savait qu'il s'apprêtait à leur faire beaucoup de mal, à tous les deux, en disparaissant.

Cette étreinte ne pardonnerait rien, mais elle lui fit du bien. Il se raccrocha à ça.

. . . . . . . .

Loki sortit de la chambre qu'il occupait et emprunta les escaliers pour descendre au rez-de-chaussée. Il avait passé le début de la matinée à feuilleter quelques-uns des ouvrages de la bibliothèque de son hôte, curieux de découvrir la littérature d'une planète qu'il ne connaissait pas si bien que ça. Il se rendit dans la cuisine afin de se servir un verre d'eau et sursauta lorsqu'il se rendit compte qu'il n'était pas seul et que quelqu'un l'observait depuis la salle de séjour, bras croisés.

–J'ignorais que tu étais là.

Thor l'observait sans rien dire. Etrangement, Loki sentit que quoi que l'asgardien ait à lui dire, la conversation ne serait pas spécialement positive. La dernière fois qu'il avait vu le guerrier aux cheveux blonds, c'était lorsque ce dernier était sorti à la suite de Madison, après que celle-ci ait quitté la discussion qu'ils avaient sur Hestia. Il eut du mal à interpréter la façon dont il le regardait, mais cela n'avait rien à voir avec ce à quoi il était habitué.

–Tu étais vivant.

Le géant des glaces posa son verre désormais rempli sur le comptoir. Il fallut moins d'une seconde à son cerveau pour comprendre ce à quoi il faisait allusion. C'était donc ça. Il songea que les prochaines minutes n'allaient pas être de tout repos car il allait devoir se justifier auprès de lui pour sa conduite. Seulement, il ne trouva pas les mots tout de suite. Après tout, comment était-il supposé expliquer à son frère qu'il avait volontairement pris la décision de simuler sa mort sans donner signe de vie pendant cinq ans ?

–… Elle te l'a dit.

–Cinq ans, Loki. Et pas une fois tu n'as pensé à me prévenir.

–Si elle t'en a parlé, tu as forcément dû comprendre pourquoi je n'ai pas pu te le dire.

Ça avait été très dur pour lui de se taire. Plusieurs fois il avait songé à abandonner en se disant « tant pis, j'y vais ». A chaque fois, il s'était rappelé des risques. Des conséquences. Il n'avait pas le droit d'être égoïste, c'était pourquoi il s'était muré dans le silence. Personne en dehors de Beorth n'avait jamais su qu'il s'en était sorti de justesse. Il avait tenu sa promesse, il était resté caché et était revenu cinq ans plus tard, juste à temps pour leur prêter main forte dans l'ultime combat qui les avait opposés à Thanos. Il ne voulait pas que l'asgardien lui en veuille pour quelque chose qu'il n'avait pas été capable de contrôler.

–Tu te rends compte du calvaire que ça a été pour moi ? déclara Thor sur un ton de reproche.

–Pour moi non plus, ça n'a pas été facile de te mentir.

–Oh, je t'en prie… lança-t-il en levant les yeux au ciel. Tu n'as fait que ça depuis que nous sommes enfants.

–Aurais-tu préféré que je meure ? lâcha froidement l'autre, n'ayant pas envie de s'éterniser là-dessus, et comptant bien faire comprendre à Thor que s'il avait eu le choix, il aurait agi différemment, sans le faire souffrir.

–Ce n'est pas ce que j'ai dit…

–Je venais de te retrouver après que nous ayons passé des années à nous quereller pour peu de choses, reprit-il. J'avais retrouvé mon frère et une femme a débarqué en plein moment d'euphorie pour m'annoncer que j'allais y rester. Que le seul moyen pour moi de s'en sortir était de fuir et me cacher. Qu'aurais-tu fait, si tu t'étais retrouvé à ma place ?

–…

–Je l'ai fait, parce que Madison a pris le risque de voyager à travers l'espace et le temps pour moi. Pour moi. Elle aurait très bien pu en rester là, après avoir récupéré la Pierre de l'Âme, mais non, il fallait qu'elle en fasse toujours plus. Je l'ai fait, parce que cette femme que tu as abandonnée a toujours fait passer les besoins des autres avant les siens et qu'elle pensait que le futur aurait besoin de quelqu'un comme moi. Pendant cinq ans, j'ai agi dans l'ombre et ai contribué à la reconstruction de Jotunheim. Je l'ai aidé à se relever et jamais le royaume n'a été aussi prospère depuis des générations, mais sache que tous les jours, je pensais à ce que je n'avais pas et dont j'avais besoin. Je ne pouvais voir ni parler à personne d'autre que Beorth. Je n'avais aucun contact avec l'extérieur et les seules nouvelles que j'avais de vous, c'était via lui. Oui, je savais que tu étais en mauvais état. Que tu l'avais laissée tombée alors que je t'avais demandé de ne plus le faire. Je crois sincèrement que tu ne t'es jamais rendu compte de la chance que tu avais d'avoir une personne telle que Madison à tes côtés. Si j'avais été à ta place jamais, au grand jamais je ne l'aurais laissée filer.

–Tu…

–Je n'ai pas terminé, l'interrompit Loki. Ton discours d'hier m'a fait réaliser que tu tenais toujours à elle, certes, mais prends le temps de réfléchir à tout ce que tu lui as fait subir. Je ne suis peut-être pas la meilleure personne placée pour te dire quelque chose de tel, mais lorsque l'on rencontre quelqu'un comme elle, on s'y accroche et on ne la laisse pas partir en commettant des erreurs facilement évitables. J'ai peut-être agi égoïstement en acceptant de me sauver plutôt que d'affronter mon destin, c'est vrai, mais crois-moi lorsque je te dis que j'aurais été prêt à y rester si elle n'avait pas trafiqué le temps pour moi. Je peux comprendre que tu aies remis les rênes d'Asgard entre les mains de Valkyrie, mais pas que tu aies abandonné Stark. Tu étais mieux informé que quiconque pour savoir que perdre un frère est une épreuve terrible à traverser et tout ce dont elle avait besoin, ce n'était certainement pas que tu t'enfuies. Un de mes plus grands regrets est de n'avoir jamais eu l'occasion de dire à Anthony Stark combien j'admirais son travail et toute l'énergie qu'il mettait dans ses projets. Je me suis en partie inspiré de lui pour rebâtir un royaume qui jamais n'aurait voulu de moi si Madison n'avait pas raconté à tout le monde que Thanos m'avait manipulé. Jamais on n'aurait accepté que je puisse diriger Jotunheim si elle n'avait pas pris ma défense.

–…

–Tu as dit hier que tu l'aimais. Alors pourquoi être parti quand c'était de toi qu'elle avait besoin ?

–… J'avais peur.

–Peur de quoi ? Que les choses ne fonctionnent pas tout à fait comme tu l'imaginais entre vous ? Rien ne se produit jamais comme on peut souvent s'y attendre, tu devrais le savoir.

–Peur de celui que j'étais devenu. Je ne voulais pas lui imposer ça.

–Mais elle était prête à vivre avec ! s'emporta-t-il, ce qui étonna Thor de voir son frère agir en vrai protecteur envers la brune. Elle t'a laissé commettre la même erreur plusieurs fois et a toujours trouvé la force de te pardonner. Je ne connais pas beaucoup de monde qui aurait agi comme elle. Tu es idiot, j'espère que tu en as conscience. Moi, je suis un menteur, mais ce n'est pas à moi-même que je mens, contrairement à toi. Admets que tu avais peur de ce qu'il y avait entre vous parce que tu n'avais jamais connu cela auparavant.

–…

–C'est bien ce que je pensais. Et maintenant ?

–… Quoi ?

–Que comptes-tu faire ?

–Comment cela ?

–Je t'en prie, lança-t-il d'une manière très similaire à celle de Thor. Cette femme t'héberge sous son toit, tu parles comme si tout allait bien et accepte de se battre contre quelque chose qui nous dépasse tous. N'essaye pas de me faire croire qu'une fois qu'Hestia aura été mise hors d'état de nuire, tu t'en iras à nouveau sans demander ton reste, parce que si tu ne fais que songer à agir ainsi, je te promets que je vais coincer ton crâne dans cet objet que les terriens appellent « micro-onde » et t'empêcher d'en sortir jusqu'à ce que tu aies les idées plus claires.

–Et que veux-tu que je fasse. Tu n'étais pas là, tu ne te rends pas compte à quel point les choses se sont détériorées ! s'exclama Thor.

–J'en ai un très net aperçu, au contraire. Tu es un idiot, répéta-t-il.

–Et toi, tu m'énerves !

–J'espère bien !

–Pourquoi vous criez ?

Les dieux s'interrompirent et regardèrent en direction du salon. Arthur venait d'entrer et les observait avec de grands yeux. Une fois encore, Thor eut un pincement au cœur rien qu'en l'apercevant et dut détourner le regard. Le voir lui rappelait sans cesse que Madison avait aimé un autre homme après lui. Cela le ramenait constamment à cette liste de fautes qu'il avait commises et qui ne cessait de s'allonger. Pepper entra à sa suite en tenant Morgan par la main. Elle ne semblait pas vraiment de bonne humeur.

–On vous entend depuis l'extérieur, leur dit-elle un peu sèchement. Au cas où vous ne l'auriez pas remarqué, il y a des enfants, ici, alors vous serez gentils de poursuivre vos… Vos enfantillages plus loin, poursuivit-elle en traversant la pièce en attrapant de sa main libre celle d'Arthur, après quoi elle marcha vers la porte vitrée qui donnait sur le jardin. Au fait, Thor ? Loki a raison. Tu es un idiot.

Et elle sortit avec les jeunes sans rien ajouter. Thor soupira et se laissa tomber sur un tabouret du buffet. Il appuya ses coudes sur celui-ci et se prit la tête entre les mains en fermant les yeux pendant un court instant. Il commençait à en avoir sérieusement assez qu'on lui rappelle qu'il avait agi de façon stupide. Il le savait, il n'avait pas besoin qu'on le lui rabâche sans cesse.

–Excuse-moi de m'être emporté, déclara alors très calmement Loki et Thor releva les yeux vers lui, stupéfait que celui-ci fasse le premier pas. Quelques fois, j'oublie combien tu as souffert.

–… Ce n'est rien. Vous avez raison. Tu crois qu'elle acceptera mes excuses ?

–C'est une femme intelligente, répondit le géant des glaces. Si tu es sincère, elle te pardonnera certainement. Le tout est de savoir comment tu comptes t'y prendre.

–Je ne sais même pas par où commencer.

–Et si tu essayais avec « je suis désolé » ? lui proposa simplement Loki en récupérant le verre d'eau qu'il s'était préparé, après quoi il s'en alla.

Loki disait vrai, il allait bien falloir qu'il se lance, à un moment ou à un autre. Le problème était que c'était bien plus facile à dire qu'à faire. Il ignorait si Madison se contentait de faire bonne figure ou si elle considérait que la présence de l'asgardien chez elle n'était vraiment pas un souci. Il fut un temps où il aurait pu le deviner sans la moindre peine, mais désormais, il n'était plus sûr de rien dès qu'il s'agissait d'elle. « Je suis désolé ». Trois mots. Trois. Autant que ceux qu'il voulait lui dire depuis un moment mais qui refusaient de sortir. Il n'arrêtait pas penser que s'il avait osé les lui dire par le passé, peut-être tout se serait passé différemment.