Our last summer-ABBA
–Je savais que je te trouverai ici.
Madison regarda sur sa droite et aperçut Thor, qui vint s'asseoir dans l'herbe à ses côtés. Il plia les genoux et posa ses avant-bras dessus, le regard rivé vers le lac qui s'étendait sous leurs yeux. Le soleil était presque couché et quelques lucioles commençaient à faire leur apparition à la surface de l'eau. On discernait encore quelques maigres rayons lumineux derrière les arbres. L'asgardien ne cessait de repasser en boucle dans sa tête les derniers mots qu'il avait échangé avec la terrienne dans le laboratoire de cette dernière. Ça c'était excellement bien passé et pendant un instant, il avait eu l'impression que tout était redevenu comme avant.
–Merci de ne pas avoir crié à la folie lorsque tu as compris ce que je faisais en bas, souffla-t-elle, reconnaissante.
–J'ai assisté à tant de choses, j'en ai tant vu que plus grand-chose ne peut me surprendre aujourd'hui. Et puis, tu as déjà ramené à la vie trois personne, alors pourquoi pas une quatrième ? Il y a eu Peter, ensuite Natasha et enfin, mon frère. Le tien sera forcément fier de te voir continuer à sauver les autres.
–Alors tu penses que ça peut marcher ?
–Bien sûr, répondit-il avec entrain. Pourquoi pas ?
–Peut-être parce que ça n'a jamais été testé.
–Il faut bien une première fois à tout. Ce qui m'a la plus surpris aujourd'hui est que tu aies mis Arthur au courant.
–Je ne veux surtout pas lui donner de faux espoirs, s'empressa de dire Madison en le regardant dans les yeux. Seulement, je n'ai jamais réussi à lui cacher quoi que ce soit et curieux comme il est, il aurait fini par trouver tout seul le chemin jusqu'au labo. De toutes façons, il fallait bien que je lui dise la vérité concernant notre départ. Ça n'aurait pas été correct de lui mentir à ce sujet.
–Et qu'en pense-t-il ?
–Il est persuadé que Tony va revenir. Il dit qu'il l'a vu en rêve, alors il l'a dessiné et tous les jours, il regarde ce dessin avant de s'endormir. C'est un mutant, alors peut-être que c'est ça, son pouvoir… Prédire l'avenir, proposa-t-elle. Rien de particulier ne s'est manifesté pour le moment chez lui mais son ADN comporte le gène X. Il a de qui tenir…
–Son père aussi en est un ? Je veux dire, un mutant ? précisa-t-il, une légère pointe d'amertume à peine perceptible dans la voix.
–Oui, on peut dire ça, répondit la brune en ramenant ses jambes contre elle en fixant désormais le sol. Je ne veux pas le décevoir, poursuivit-elle. Si jamais j'échouais, je…
–Il ne faut pas y penser, l'interrompit-il. Persuade-toi que cela marchera, dit-il doucement. Et, dans le cas où cela ne fonctionnerait pas, au moins, tu auras essayé et fais de ton mieux, comme toujours. D'aussi loin que je me rappelle, tu n'as jamais baissé les bras, quelle que soit la difficulté de la tâche à accomplir. J'ai confiance en toi, tu le sais.
Elle lui sourit et laissa échapper un petit soupir rassuré. Lentement mais sûrement, ils étaient en train de renouer des liens qui avaient été brisés des années auparavant. La midgardienne se permit de se rapprocher un tout petit peu de l'asgardien en faisant comme si de rien n'était. Ce que ce dernier ignorait était qu'elle aussi mourrait d'envie de le prendre dans ses bras. Cela faisait trop longtemps qu'elle attendait, mais quelque chose la retenait, l'empêchait d'agir. Elle déplia ses jambes et s'allongea dans l'herbe en soupirant à nouveau, observant à présent les étoiles qui apparaissaient dans le ciel bleu foncé.
–Tu te souviens du dernier été qu'on a passé ensemble ? demanda-t-elle soudainement. Nos dernières vacances ?
–En Europe ? commenta-t-il, ce à quoi elle acquiesça. Je ne risque pas de les oublier, poursuivit-il en s'allongeant lui aussi. C'était juste après notre tour de l'Australie en compagnie de Pepper et de ton frère. C'est précisément là-bas que lui et moi avions découvert que nous avions affaire à des surfeuses hors-paires.
–Tu sais que c'est elle qui m'a appris ? reprit Madison en se laissant envahir par les souvenirs. Après avoir retrouvé la mémoire, nous sommes souvent partis tous les trois là-bas pour traiter des affaires de Stark Industries mais la moitié du temps, nous le passions à surfer pour elle et moi, et boire des cocktails en nous regardant depuis la plage pour Tony. Il n'a jamais réussi à tenir debout sur une planche plus de quatre secondes, dit-elle en riant.
–Ça me manque, avoua-t-il. J'aimerais y retourner, un jour.
–En Australie ?
–Partout où je suis allé avec toi, déclara-t-il sérieusement. A part peut-être Sakaar, précisa-t-il, ce qui les amusa, puis il poursuivit : Tu sais quel est l'endroit que j'ai préféré ? lui demanda-t-il et puisqu'elle ne répondit pas, il en déduisit qu'elle l'ignorait, alors que c'était en réalité le contraire. Paris. Je n'arrive toujours pas à me décider pour savoir si l'architecture ou la météo qui m'a le plus…
–La météo ? répéta Madison. Il pleut les trois-quarts du temps, là-bas.
–Et alors ? J'adore la pluie, lui rappela-t-il en se servant de ses mains comme appui-tête, son regard se perdant dans les cieux. C'est sous la pluie que je suis tombé amoureux, souffla-t-il presque pour lui-même, se perdant dans ses pensées et la jeune femme tiqua.
Elle se redressa lentement en prenant appui sur ses coudes et se tourna vers l'asgardien, qui se mit à la regarder. C'était pour eux à la fois terriblement douloureux mais également réconfortant de se remémorer ces instants passés.
–Sur Arcturus IV ? mentionna-t-elle rhétoriquement en conservant son calme.
–Exactement, confirma-t-il.
–J'ai l'impression que tout ça s'est passé dans une autre vie tant ça me parait lointain… murmura-t-elle. Comme si ces souvenirs appartenaient à quelqu'un d'autre. Quelqu'un qui aurait su mieux gérer la situation. Tony avait tendance à dire que parfois, ce sont les souvenirs qui nous manquent et non la personne avec qui on les a partagés alors que pour ma part, c'est surtout l'inverse, lui révéla-t-elle et il se redressa à son tour. Je ne sais pas ce que je donnerais pour revivre un de ces instants, dit-elle en fermant les yeux.
–Est-ce que tu regrettes ? finit-il par lui demander.
–Quoi ?
–Tout ce qui s'est produit. A commencer par notre rencontre, qui en a résulté que nous avons tous les deux beaucoup souffert par la suite.
–De toutes les décisions que j'ai pu prendre au cours de ma vie, oser me lancer les yeux fermés dans quelque chose avec toi est sans doute ce que je regrette le moins, avoua-t-elle en rouvrant les yeux et le cœur de l'asgardien fit un bond dans sa poitrine. J'étais en quête de réponses lorsque je t'ai rencontré et tu as tout fait pour m'aider à les trouver. Quand tu n'étais pas là, le simple fait de penser à toi me remontait le moral et lorsque j'ai eu le plus besoin de toi, tu as été là. Je ne pense pas que je m'en serais sortie face à Sithbrir sans toi à mes côtés, dit-elle en plongeant son regard chocolat dans le sien. On s'est souvent disputés, c'est vrai, reconnut-elle, mais quel couple normal ne le fait pas ? ajouta-t-elle avec un demi-sourire.
Couple. Voilà bien longtemps qu'elle ne s'était plus servie de ce mot afin de les décrire. Et ça lui faisait du bien. Bien plus qu'elle ne voulut l'admettre.
–Lorsqu'on était en France, enchaina-t-elle, tu m'as dit que de de tous les lieux que tu avais eu l'occasion de visiter en quinze siècles d'existence, c'était de loin le plus fantastique. Tu l'as ensuite répété à Stockholm, puis lors de notre bref passage en Sicile. Quand je t'ai demandé pourquoi chaque endroit était à chaque fois ton préféré, tu as répondu que du moment que j'étais avec toi, tout te semblerait toujours plus parfait que n'importe où ailleurs.
–Je le pensais, affirma-t-il. Je le pense.
C'était plus douloureux à entendre qu'elle ne l'avait imaginé. Ça lui faisait plaisir, bien sûr, mais comment était-elle supposée régir face à ce type d'aveu ? Et comme si ce n'était pas encore suffisant, l'asgardien choisit ce moment pour en rajouter une couche :
–Tu connais mes sentiments à ton égard, Madison. Rien n'a changé. Cela fait six ans que je me réveille en me disant que je devrais peut-être t'appeler pour qu'on se voit et que je finis par repousser en me disant : « Non, demain… » pour au final ne jamais le faire parce que j'ai toujours eu peur de ce que je ressentais pour toi, parce que ça ne m'était jamais arrivé auparavant. En quinze siècles d'existence, comme tu l'as toi-même dit, je ne me suis jamais senti plus vivant que lorsque j'étais avec toi.
Cela ressemblait beaucoup à ce qu'elle lui avait elle-même dit en deux-mille dix-sept lorsqu'après être revenue d'entre les morts, elle lui avait avoué que dans la mort, il l'avait faite se sentir plus vivante que jamais. Le fait qu'il emploie volontairement ces mots prouvait à la jeune femme qu'il se souvenait de chacun de leurs échanges et que tout ce qu'il lui disait était entièrement vrai, ce qui lui faisait encore plus mal.
–… Comment en est-on arrivés là… ? souffla-t-elle, une boule dans la gorge et les yeux brillants. Je n'ai jamais voulu qu'on… Que…
–Moi non plus.
Elle n'avait pas besoin de le dire pour qu'il comprenne. Sans qu'elle s'en soit rendue compte jusqu'à présent, leurs doigts s'étaient retrouvés dans les hautes herbes. Cela faisait longtemps qu'elle attendait ce moment, même si tout lui paraissait trop beau pour être vrai. Alors pourquoi est-ce qu'à chaque fois que leur regard se croisaient, c'était comme si elle ne répondait plus de rien. Elle avait beau ne plus avoir de pouvoirs, elle avait l'impression de pouvoir l'entendre penser. Le fait était que ses pensées étaient similaires au siennes. Elle ne voulait pas qu'il s'en aille, elle avait trop besoin de lui.
Il lui tendit alors la main droite. Elle fronça les sourcils, ne comprenant pas où il voulait en venir. Après quelques secondes de réflexion, elle lui tendit la sienne à son tour et il la serra.
–Et si nous repartions de zéro ? proposa-t-il simplement, comme s'il lui proposait un accord, ce qui la fit sourire en coin. Ou alors, revenons juste quelques années en arrière. Admettons que nous soyons de retour à Paris, précisa-t-il sans lâcher sa main. Nous venons de traverser les Champs Elysées en courant parce qu'il pleut des cordes et nous nous réfugions dans une bouche de métro en espérant que le temps s'arrange, raconta-t-il, décrivant exactement l'un de leurs souvenirs datant de cette époque. Nous sommes trempés jusqu'aux os, poursuivit-il, tu as un peu froid, alors je te prends dans mes bras, ce qui t'amuse et…
Ils étaient très proches. Trop proches. Madison savait que si elle ne se décidait pas à bouger d'ici les deux prochaines secondes, elle ne serait plus en mesure de contrôler la situation dans laquelle elle s'était embourbée. Il fallait qu'elle se décide, et vite. Allait-elle prendre à nouveau un énorme risque en laissant l'asgardien faire ou y mettrait-elle un terme avant ?
Plus qu'une seconde. Il était temps qu'elle agisse. Dieu seul savait combien elle avait envie, là, tout de suite, de l'embrasser comme si sa vie en dépendait, de le serrer contre elle pour ne plus le laisser partir loin d'elle. Ce souvenir, qu'il venait de faire remonter, terminait par un baiser. Allait-elle laisser ce schéma se reproduire, allait-elle laisser Thor continuer à s'approcher ou redéfinir les limites avant que les choses ne dérapent ? Même si son cœur souhaitait désespérément s'abandonner à la première option, sa raison la poussa à se détourner sans oser regarder l'homme dans les yeux. Elle ne s'accordait pas ce droit.
–… Je suis désolée, murmura-t-elle avant de se lever et de s'éloigner en empruntant le sentier qui menait au chalet.
Thor resta là un court instant, un peu perdu. Il s'estimait déjà très chanceux de la tournure qu'avait pris leur conversation, de la façon dont ils s'étaient adressés l'un à l'autre : à cœur ouvert. Cependant, il avait bien senti que quelque chose avait empêché la jeune femme d'exprimer la totalité de son ressenti. Il ignorait ce qui la tourmentait, mais c'était suffisamment important pour qu'elle s'excuse en préférant s'en aller.
Il se redressa d'un bond et entreprit de la suivre. Il l'appela afin de l'arrêter mais elle ne daigna même pas se retourner, comme si le simple fait de supporter son regard s'avérait trop difficile. En quelques pas, il la rejoignit et la stoppa en l'attrapant délicatement par l'avant-bras. Lorsqu'il se posta face à elle, elle garda la tête baissée, comme un enfant que l'on viendrait de punir.
–Hey, souffla-t-il en prenant son menton entre ses doigts afin qu'elle le regarde. Parle-moi.
Il remarqua qu'elle avait l'air de ne pas se sentir bien du tout.
–Madison, insista-t-il gentiment. Parle-moi, répéta-t-il ensuite.
–Tout ça, toi, moi, je… On ne peut pas. On… Non, je suis désolée.
–Pourquoi ? Explique-moi, lui demanda-t-il en conservant son calme, ayant déjà une petite idée de la raison pour laquelle elle ne voulait pas qu'ils aillent plus loin. Est-ce parce qu'il y a quelqu'un d'autre ? l'interrogea-t-il en faisant son possible pour que sa douleur intérieure ne se reflète pas sur son timbre de voix.
–Ca… N'est pas la question.
–Je comprendrais que ça soit le cas, pourtant, assura-t-il. Est-ce par exemple parce que tu éprouves quelque chose de fort à l'égard du père d'Arthur, dont tu refuses de parler ? proposa-t-il et il la vit écarquiller les yeux puis essayer de tourner les talons, mais il la retint. Réponds juste à ma question, la pria-t-il.
–Oui, c'est le cas ! s'exclama-t-elle.
C'était ce à quoi il s'était attendu, mais pas préparé. Il avait secrètement espéré s'être trompé, mais ça n'était pas le cas. Il lui relâcha lentement le bras mais elle ne s'en alla pas. Ils restèrent là, face à face, durant quelques secondes avant que Madison laisse échapper un soupir en se passant la main sur le front, désorientée.
–C'est… Exactement ça, reprit-elle plus calmement en faisant son possible pour ne pas se décomposer. C'est à lui que je pense chaque soir en allant me coucher et quand je me réveille, j'ai juste envie de me rendormir pour oublier le fait qu'il ne soit pas là, à partager le même lit que moi. Je tiens tellement à lui que j'en ai constamment mal partout, déclara-t-elle aussi posément que le lui permettait sa voix tremblante. Chaque jour, lorsque je me lève, j'ai envie qu'il soit là, j'ai envie de lui dire combien de je tiens à lui depuis le jour où je l'ai rencontré parce qu'il m'a offert le plus beau cadeau du monde : il m'a offert Arthur, précisa-t-elle et au fur et à mesure qu'elle lui confiait tout cela, l'asgardien devait fournir de plus en plus d'effort pour ne pas s'effondrer tant c'était dur à entendre. Le problème est que je ne mérite pas qu'il me revienne, pas après toutes les erreurs que j'ai commises et qui ont fait que lui et moi, nous…
Elle ne parvint pas à achever sa phrase. Il lui fallut un petit moment avant de réussir à reprendre la parole.
–J'ai caché tellement de choses, j'ai menti, j'ai fui mes responsabilités et malgré tout ça, les autres parviennent encore à me trouver des qualités.
–A qui as-tu menti ?
–A tant de monde, soupira-t-elle. Toi, notamment, et tu vois, CA, c'est mon plus gros regret, parce que c'est probablement de ma faute qu'on en est là, toi et moi.
–Qu… Je ne comprends pas, répondit-il en fronçant les sourcils. Ce n'est pas à cause de toi, c'est… Le résultat de toutes une série d'événements malheureux qui ont fait que nous nous soyons éloignés l'un de l'autre.
–Et ce sont mes secrets qui ont fait que nous n'ayons jamais pu arranger quoi que ce soit, poursuivit-elle, ce qui ne fit qu'intriguer Thor davantage. Des deux, c'est moi qui suis la plus responsable de la situation, enchaina-t-elle en extirpant son téléphone de la poche arrière de son pantalon en toile beige.
–Qu'est-ce que tu fais ? lui demanda-t-il en la voyant fouiller parmi de nombreux fichiers.
–Quelque chose que j'aurais dû faire il y a longtemps, répondit-elle en lui remettant finalement son portable.
–Une vidéo ? comprit-il en voyant de quel type de fichier il s'agissait.
–Qui t'expliquera tout ce que tu dois savoir. Et qui te fera sûrement me détester, précisa-t-elle et une fois encore, il fronça les sourcils, n'y comprenant vraiment rien alors elle referma les doigts de ce dernier autour de l'appareil. Si jamais tu n'obtiens pas les réponses que tu désires avec ça, je t'attendrai à l'intérieur pour tout t'expliquer et… Sache juste que je suis désolée, termina-t-elle en le laissant une nouvelle fois tout seul perdu au beau milieu de toute cette végétation envahissante.
Il était totalement largué. En quelques minutes, il était passé par presque toutes les émotions possibles et imaginables pour finir complètement désorienté. Madison lui avait parue sincèrement désolée, mais il ignorait pourquoi. Que pouvait-elle avoir fait de si grave qui justifierait le fait qu'il puisse en effet la haïr ? Il ne croyait pas cela possible. Pourtant, une petite voix lui soufflait qu'après avoir visionné cette vidéo, il serait sans doute encore plus chamboulé qu'il ne l'était déjà. Une part de lui-même lui murmurait de laisser tomber et de ne pas creuser plus loin afin de ne pas souffrir plus qu'il n'avait déjà souffert par le passé, mais sa curiosité était trop grande. Et la terrienne avait raison : il avait besoin de réponses.
Alors il lança la vidéo.
Elle semblait avoir été filmée par la webcam d'un ordinateur portable. La première chose qu'il vit fut Madison, assise sur un fauteuil de bureau, un genou remplié contre elle, le menton posé sur son genou. Son regard était perdu dans le vide. Ses cheveux étaient plus sombres. La vidéo devait être vieille de plusieurs années. Thor n'avait pas la moindre idée de ce qu'il était sur le point d'attendre et pendant plusieurs secondes, rien ne se produisit, jusqu'à ce que la jeune femme se décide à fixer l'objectif.
–… Je ne sais pas si je vais t'envoyer ça. Ça fait huit fois que j'efface le fichier avant de l'envoyer. Je garderai peut-être celui-là pour me rappeler à moi-même ce pourquoi je me déteste à ce point. Woah, je fais peur à voir…
Il la regarda se recoiffer d'un geste de la main avant de se réaffaler dans son siège en lâchant un profond et long soupir. Elle était cernée et paraissait à bout. Ses yeux étaient rouges, comme si elle avait passé la journée à pleurer. Thor en eut un pincement au cœur.
–Bon, par où commencer… Peut-être par le jour où Thanos a débarqué au Wakanda…
Cela devenait de plus en plus incompréhensible pour l'asgardien. Qu'est-ce que le jour de leur défaite avait à voir avec les causes de leur rupture ? Peut-être tout, en fin de compte. Ils avaient perdu de nombreux amis proches, leur futur bébé et quelques semaines après avoir éliminé le titan, ils avaient fini par se séparer, étant tous deux trop malheureux pour continuer à vivre ainsi.
–Je crois que la suite ne va pas te plaire, mais il est essentiel que tu l'entendes, même si ça doit me prendre des années avant que je t'envoie cette… « Vidéo explicative ». Je ne sais pas encore si je serai prête à en subir les conséquences, le jour où tu sauras la vérité, mais je crois bien que je ne suis plus à ça près. Et puis, la vérité, je te la dois. Tu la mérites, parce que tu es la plus belle chose qui me soit arrivée.
Cela lui faisait énormément plaisir d'entendre de telles paroles, mais il ne pouvait s'empêcher d'anticiper, de se faire toutes sortes de scénarios farfelus.
–Il faut que je te parle d'Arthur.
. . . . . . . .
Madison entra dans le salon par la porte vitrée qui donnait sur l'immense jardin d'où elle venait et découvrit que Pepper, Bucky et les enfants y étaient installés. Pepper lisait un livre pendant que le soldat gardait un œil sur Morgan et Arthur qui, à genoux devant la table basse, faisaient des dessins sur de grandes feuilles colorées. Cette vision-là fit sourire la maitresse de maison, mais ce sourire se fana rapidement.
–Où sont passés Tasha et Loki ?
–Partis espionner Ana, répondit platement Pepper, comme si c'était tout à fait normal. Je ne cherche plus à essayer de comprendre comment cela se passe dans la tête de ces deux-là, mais d'après ce que j'ai entendu, ils veulent juste s'assurer qu'elle n'a rien à cacher.
Madison les rejoignit et se laissa tomber dans un fauteuil attrapa un coussin et le plaqua contre son visage en maugréant.
–Dure journée ? tenta Bucky.
–Mh.
Pepper échangea un bref coup d'œil avec l'homme avant de refermer son ouvrage. Les enfants, trop absorbés par leur activité, ne semblaient pas remarquer le désarroi de Madison, à son plus grand soulagement. Il valait mieux pour tout le monde qu'ils ne soient pas mêlés aux problèmes de cœur des adultes qui les entouraient. Madison laissa tomber le coussin, fixa le plafond un instant avant de se redresser, puis elle se pencha en avant, ce qui incita ses deux amis à faire de même. Ces derniers comprirent rapidement qu'elle n'avait pas spécialement envie que Morgan et Arthur entendent ce qu'elle avait à dire, même si elle se doutait qu'occupés comme ils l'étaient, ça ne les intéresserait probablement pas.
–Est-ce que je suis une mauvaise personne ?
–Mais qui t'a mis une idée pareille en tête ? s'étonna Bucky, interloqué.
–… Moi. Je veux juste que vous me répondiez sincèrement ce que vous pensez. Je suis une bonne, ou une mauvaise personne ?
–Je serais tenté de répondre que ça dépend des jours et de ton humeur, répondit le soldat, mais mon avis n'aurait rien d'objectif parce que tu sais que je t'adore.
–Dis-nous plutôt ce qui te fait penser une telle chose, lui proposa gentiment Pepper en posant sa main sur le genou de sa belle-sœur.
–J'ai… Dit quelque chose à Thor. Un truc qui risque de le rendre assez… Disons, furieux.
–Oh, souffla Pepper, avant de brusquement réaliser ce à quoi elle faisait allusion. OH, répéta-t-elle plus fort. Oh, d'accord… ! Je vois, c'est… Oui, je comprends que cela puisse te troubler…
–De quoi vous parler ? les questionna Bucky, n'étant pas au courant. Tu lui as dit que tu voulais qu'il s'en aille ? essaya-t-il de deviner. Que sa présence ici te dérangeait ? Non, attends, tu as sous-entendu que si des divinités étaient à tes trousses, c'était peut-être de sa faute.
–Quoi ? Mais où vas-tu chercher tout ça ? Non, il ne me dérange pas du tout ! se défendit Madison. Et ce n'est sûrement pas à cause de lui qu'Hestia et Freyr me cherchent partout, poursuivit-elle en fronçant les sourcils.
–Comment a-t-il réagi ? s'enquit de savoir la rouquine.
–Je n'en sais rien, souffla la brune en s'enfonçant dans le canapé, voulant se faire aussi petite que possible. Je suis partie parce que je ne voulais pas voir sa réaction, mais je ne pourrai pas y échapper éternellement, il va bien finir par rentrer… soupira-t-elle. Est-ce que ça fait de moi une mauvaise personne ? répéta-t-elle sans lâcher Pepper des yeux.
–Pendant que vous jouez les mystérieuses, lança Bucky, je retourne me servir un verre, déclara-t-il en se levant pour ensuite se rendre dans la cuisine.
Pepper prit un court instant afin de réfléchir à la question posée par Madison. Elle connaissait la vérité, elle l'avait toujours su mais n'avait rien dit. Elle aussi avait su que le jour viendrait où le moment serait venu de révéler la vérité à l'asgardien.
–Je pense que tu avais besoin de temps et lui aussi, finit-elle par répondre très honnêtement. Ce n'est pas comme si tu avais prévu que les choses se déroulent de cette façon.
–Ça, c'est sûr…
La porte vitrée coulissante de la salle de séjour s'ouvrit à nouveau. Les deux femmes tournèrent la tête en direction du bruit et du mouvement pour apercevoir Thor entrer, passer en coupe-vent, déposer le téléphone portable toujours déverrouillé sur le plan de travail et grimper directement les marches qui conduisaient à l'étage sans accorder le moindre regard à quiconque. Ils entendirent juste une porte claquer peu de temps après, ce qui fit sursauter les enfants, qui se remirent rapidement à dessiner comme si rien n'était arrivé. Puis, plus rien. Le silence complet.
–Hum… Tu lui as dit quoi, exactement ? lança Bucky en attrapant le téléphone, curieux, mais Madison, déjà debout, le rejoignit à grands pas, récupéra son portable et partit à la suite de l'asgardien sous le regard interloqué du brun. Ces deux-là, j'vous jure… soupira-t-il en regagnant le salon où il se réinstalla en secouant la tête. Entre nous, qu'est-ce qu'il se passe ? demanda-t-il à Pepper à voix basse, ne voulant pas que les jeunes l'entendent.
–Je suis navrée, mais je ne pense pas que c'est à moi de te le dire… Rassure-toi, s'ils arrivent à discuter ce soir, tu en sauras sûrement davantage demain matin.
–Tu crois ?
–Honnêtement… Je ne suis plus certaine de rien.
. . . . . . . .
Toc-toc.
Aucune réponse. Madison s'y était attendue, en même temps. Elle n'avait pas espéré que l'asgardien l'accueille à bras ouvert après avoir découvert ce qu'elle cachait à presque tout le monde depuis des années. Elle soupira et appuya son front contre la porte, yeux clos et main à plat sur le bois sombre. Ses nerfs étaient à deux doigts de lâcher, mais elle se forçait à tenir bon aussi longtemps que son esprit le lui permettait.
–Thor ?
Toujours rien. Elle avait eu du mal à ne serait-ce que prononcer son prénom. Elle s'en voulait. Elle voulait le voir. Lui parler. Tout lui expliquer en détails. Puis tourner la page, enfin passer à autre chose et se focaliser sur quelque chose de différent que sur ce qui les avait fait rompre et rester loin l'un de l'autre durant tant de temps. Elle inspira profondément, expira longuement et rouvrit les yeux avant de retoquer, un peu plus fort cette fois.
–Thor, ouvre la porte, s'il te plait.
Elle devina qu'il préférait jouer la carte du silence, à juste titre. Que dire, dans un moment pareil ? Mais elle ne comptait pas en rester là. Surtout pas. Elle tourna donc la poignée et ouvrit la porte en grand, entra, puis referma derrière elle. Elle hésita durant quelques secondes avant de se retourner. Alors elle le vit. Il lui tournait le dos et se tenait debout sur le balcon, appuyé de ses deux mains sur la balustrade, tête baissée. Il était extrêmement tendu. Elle colla son dos à la porte et attendit encore un peu avant de reprendre la parole.
–Est-ce que tu l'as regardée en entier ? lui demanda-t-elle calmement. La vidéo ?
–Je n'en ai pas eu besoin, lâcha-t-il froidement, d'un ton qui ne lui ressemblait pas. Tes premiers mots ont été largement suffisants.
–Alors tu n'as pas pu comprendre pourquoi j…
–Pourquoi QUOI ? l'interrompit-il férocement en se retournant vivement, le regard noir. Pourquoi tu ne m'as jamais dit la vérité, pourquoi durant tout ce temps, tu m'as caché quelque chose d'aussi important ? Comment est-ce même possible !?
–… Si tu avais pris la peine de regarder jusqu'au bout, tu ne me poserais pas la question.
–Je me moque de ta vidéo. Je veux que tu me regardes droit dans les yeux et que tu me le dises en face, Madison, s'exclama-t-il en revenant à l'intérieur. Que tu m'expliques comment tu as pu me mentir, durant toutes ces années, sans jamais avoir de remords.
–Qui t'a dit que je n'en ai pas eu ? rétorqua-t-elle du tac au tac, toujours aussi calme et dos à la porte.
–Parce que si c'était le cas, enchaina-t-il en marchant droit vers elle, tu m'aurais dit tout de suite qu'Arthur était mon fils ! s'écria-t-il en abattant son poing sur la porte.
Cela n'impressionna nullement Madison, qui resta de marbre. Son regard, en revanche… Ces yeux bleus qui, autrefois, l'avaient regardée avec tant d'amour et de tendresse, ne reflétaient aujourd'hui qu'une profonde colère mêlée à de la peine et de l'incompréhension. Elle comprenait. Elle observa brièvement son poing serré, toujours contre la porte, alors il l'abaissa lentement, tout en continuant à la fixer avec dureté. Ça lui faisait mal qu'il croit qu'elle lui ait volontairement dissimulé la vérité dès le départ.
–Tu devrais t'asseoir, lui suggéra-t-elle posément, alors que leurs visages n'étaient qu'à quelques centimètres l'un de l'autre. S'il te plait, ajouta-t-elle, mais il ne broncha pas.
Il était têtu, ça aussi elle le savait. La dernière fois qu'il l'avait regardée ainsi, c'était lorsqu'ils s'étaient disputés au quartier général des Avengers, lors de leurs retrouvailles avant le casse temporel. Ils avaient lancé l'un à l'autre toutes sortes d'atrocités que chacun avait par la suite regretté. Leurs mots avaient dépassé de loin leurs pensées. Aujourd'hui, elle aurait aimé qu'il prenne la peine de visionner toute la vidéo, ce qui leur aurait évité cet instant compliqué, mais puisqu'il préférait qu'elle le lui dise de vive voix, sans barrière, ainsi soit-il.
