In too deep-Sum 41


La pluie s'était calmée. En attendant la fin de l'averse, Madison avait trouvé refuge dans une sorte de caverne située aux abords du lac. Il y faisait assez humide mais au moins, elle était protégée des intempéries. Elle avait refait du feu pour se réchauffer, était glacée jusqu'aux os depuis son plongeon. Dos à une paroi rocheuse, elle avait récupéré des fibres végétales qu'elle était en train de tresser, songeant à ce qui lui tomberait dessus par la suite. Elle n'avait jamais autant eu envie de rentrer chez elle. Elle avait eu sa dose de bizarreries pour l'année, mais elle sentait qu'elle risquait de rester bloquée là où elle était un bon moment.

Lorsqu'elle eut terminé son ouvrage, elle rassembla sa crinière emmêlée et l'attacha. Elle en avait assez d'avoir les cheveux dans la figure, ce qui n'avait rien de pratique. Elle s'assura que sa queue de cheval était suffisamment serrée pour ne pas se défaire et elle réappuya sa tête contre la pierre en soupirant.

Le vent sifflait dehors. L'argile étalée sur sa peau brûlée avait séché et constituait une sorte de protection. Mais la douleur était toujours là. Elle refusait de partir. Elle la narguait et lui rappelait la difficulté que c'était d'être humaine. Madison aurait aimé être capable de ne plus rien ressentir du tout. C'était trop distrayant, elle voulait être en mesure de se focaliser sur la façon dont elle pourrait quitter cet endroit de malheur, mais sa blessure l'empêchait de pleinement se concentrer sur ce point. Intérieurement, elle maudissait profondément Mériana pour tout ce qu'elle lui avait fait subir depuis son enfance, sans qu'elle n'ait jamais été au courant. Jusqu'à aujourd'hui.

Haïr quelqu'un ne lui avait jamais réussi, car elle avait trop souvent fini par se laisser envahir d'une colère vengeresse qui ne lui avait attiré que des problèmes. Pourtant, elle ne pouvait pas s'empêcher de songer à tout ce qu'elle serait capable de faire subir à la déesse si jamais elle se retrouvait à nouveau confrontée à elle, et aucune de ces choses n'était gentille. Au contraire, sa part de noirceur se battait pour essayait de prendre le dessus sur tout le reste. Si jamais elle venait à laisser sa rage la contrôler, elle ignorait ce qu'il adviendrait par la suite. Lorsqu'elle était en colère, elle devenait presque quelqu'un d'autre et sa dangerosité se décuplait. Pouvoirs ou pas.

Madison dut mettre court à ses pensées lorsque, dans le sifflement du vent, quelque chose attira son attention. Un peu comme une voix. Ou plutôt, un murmure. Elle ne percevait aucun mot distinct, c'était étrange. Elle se redressa en s'appuyant de sa main droite contre la paroi de la grotte et fit quelques pas vers l'entrée de l'abri. A cet instant seulement, la voix lui parut plus distinctement. Pour le moment, elle ne la reconnaissait pas, mais il lui était évident que quelqu'un prononçait son nom. Elle était loin d'être stupide, elle se doutait qu'il s'agissait probablement d'un piège, mais elle voulait être fixée. Qui que soit la personne qui l'appelait, elle souhaitait en savoir davantage.

Elle quitta la grotte, sur ses gardes, guettant le retour possible des flammes ensorcelées. Elle fit ensuite quelques pas, qui la conduisirent jusqu'à l'eau. Eau qui était très calme. Madison ignorait quelle était la profondeur du lac, elle ne parvenait pas à en distinguer le fond. Mais une fois qu'elle se trouva au bord, la voix se tut. Il n'y avait plus que le vent et le bruit de ses pensées qui venaient troubler le silence affligeant des lieux. Elle resta un instant debout à contempler la surface de l'eau, ne voyant aucune activité, aucune forme de vie dessous. Elle savait que les bois étaient habités, mais elle ne savait pas par quoi, ça devait probablement être également le cas de ce lac. Mais puisque rien ne se produisait, elle se retourna, prête à retourner vers la grotte.

Elle sentit alors quelque chose s'enrouler autour de sa cheville et tirer suffisamment pour la faire tomber, et avant qu'elle ne puisse réaliser ce qu'il lui arrivait, elle se fit entrainer dans le lac avec une force surprenante.

. . . . . . . .

–J'espère que vous vous rendez bien compte que si votre plan vient à échouer, nous serons toutes et tous accusés de haute trahison envers non seulement l'Yggdrasil mais également l'une des familles les plus puissantes y résidant.

–Toujours aussi pessimiste, Wargrith ?

–Et toi, Areon, toujours aussi tête brûlée ? rétorqua l'Elfe sombre à l'adresse du Géant de feu.

–Admettons que vous disiez vrai, commenta pensivement Dakrael en fixant Hestia, cela ne prouve en rien que nous pouvons vous accorder une confiance aveugle, vous allez devoir nous fournir davantage de preuves concernant l'implication de votre mère.

–Le voilà qui joue les sceptiques, maintenant, soupira Elrion en levant les yeux au ciel, bras croisés. Comme si nous avions encore le temps de nous montrer méfier envers tout et tout le monde.

–Tu devrais sérieusement éviter de prendre ça à la légère, rétorqua Freya, visiblement agacée par les comportements de ses compères. La dernière fois que j'ai fait équipe avec toi pour une mission de sauvetage express, j'ai failli y perdre un bras à cause de ta fâcheuse tendance à toujours prendre trop peu de choses au sérieux.

–Pourquoi faut-il toujours que vous finissiez par vous battre, tous les deux ? se plaignit Beorth, les sourcils froncés, l'air renfermé.

–Va savoir, maugréa Manleth.

Thor, Loki, Natasha et Bucky ne pouvaient qu'observer l'échange houleux entre les sept Ambassadeurs fraîchement réunis. Freyr, lui, avait tenté d'intervenir, en vain personne ne l'avait écouté. Hestia les regardait sans rien dire, se doutant que cela n'allait pas durer très longtemps. Cependant, après avoir écouté tout ce beau monde se chamailler de la sorte pendant plus d'une minute –ce qui était plus que suffisant selon Loki–, ce dernier décida de rappeler tout le monde à l'ordre.

–Dites, vous en avez encore pour longtemps ? Je ne voudrais surtout pas vous presser, mais un peu quand même. Nous sommes tous dans le même camp, alors peut-être faudrait-il songer à la mettre en veilleuse.

–Oh, veuillez nous excuser, votre Altesse royale, répliqua Areon d'un ton très théâtral en faisant de grands gestes avec ses mains. Je n'avais pas compris que nos avis vous dérangeaient à ce point.

–Areon… souffla Manleth, tel un avertissement.

–Non mais, vous avez quel âge ? s'exclama Natasha, poings sur les hanches, perdant peu à peu patience, alors tous se turent et se calmèrent instantanément. Si j'ai bien compris, chaque heure passée ici équivaut à une journée là-bas, alors qu'est-ce qu'on attend ?

–Heureusement qu'on ne vieillit pas dans les Limbes, mentionna Elrion. Depuis combien de temps Dame Madison y est-elle piégée ? A notre échelle ?

–Trois heures, répondit vivement Hestia, et si aucun de vous ne se décide à m'aider, ses chances de survie vont drastiquement baisser et vous aurez tous de gros problèmes, parce que je ne vous lâcherai jamais avec ça, les mit-elle en garde très sérieusement. Vous pouvez parfaitement vous disputer comme des enfants, ça ne me dérange pas, mais faites-moi le plaisir de le faire à un autre moment, parce que si j'ai pris la peine de vous contacter, vous précisément, c'est parce qu'il y a seize ans, vous avez tous comprit que d'une manière ou d'une autre, vous auriez toujours besoin de vous soutenir mutuellement dans les pires moments.

–… Il n'y a que moi qui ne comprend rien ? murmura Dakrael à l'adresse de Beorth, qui se tenait debout à ses côtés, mais le Géant des glaces haussa les épaules pour lui signifier qu'il était aussi perdu que lui. Ça ne fait pas… reprit-il en comptant sur ses doigts. Huit ans qu'on se connait ?

–Huit années de trop, commenta innocemment Areon, ce qui lui valut des regards noirs de la part de ses alliées. Oui bon, j'ai bien le droit de plaisanter, non ?

–Vous plaisanterez moins lorsque le Dyr de ma mère s'en prendra à vous, claqua sèchement Hestia.

–Oh, arrêtez, ça n'existe pas, répliqua Elrion en croisant les bras. Les Dyrs ne sont rien d'autres qu'une légende pour effrayer nos ennemis.

–C'est quoi, les « Dyrs » ? demanda Bucky à voix basse à ses amis.

–Tu vois, ces créatures qui répondent au nom de « Patronus » dans Harry Potter ? Bah voilà, lui répondit Loki d'un air concerné.

–… C'est une blague, hein ? Parce qu'à un moment, ça commence à bien faire, les créatures mystiques qui veulent tuer tout le monde.

–Où crois-tu que Joanne Rowling ait été piocher ses idées ? lança le dieu de la malice.

–Ça te dérangerait d'arrêter de détruire le peu d'innocence dont j'ai bénéficié pendant mon adolescence ? râla Natasha.

–Pour information, Elrion, enchaina Loki sans se préoccuper du commentaire de l'espionne, ça n'a rien d'une légende. Mes parents avaient chacun le leur, l'informa-t-il.

–Quoi, Laufey ?

–Frigga et Odin, précisa-t-il un peu froidement en croisant les bras à son tour. Ces créatures sont destinées à protéger la personne qui les a fait apparaitre. J'ignorais que Mériana en avait un, quoique, cela me parait relativement évident, maintenant que vous le mentionnez. Quelle forme prend-t-il ?

–Ça n'a aucune importance, marmonna Hestia, puisque de toutes manière, il va tenter de nous tuer. A moins que vous ne parveniez à rester unis comme autrefois, nous allons avoir de sérieux problèmes en bas. Si l'un de vous estime de pas être concernés par ce combat, je l'invite à retourner chez lui pour ne pas trainer dans mes pattes, mais si vous tenez à savoir pourquoi c'est une bande d'inconscients qui a délibérément été choisie par Odin et Lenrad pour le Tribunal, je vous conseille de rester dans les parages.

. . . . . . . .

Ce qui avait attrapé Madison l'empêcha de remonter à la surface, située plusieurs mètres au-dessus de sa tête. Grâce aux rayons de lune, elle y voyait relativement bien, même sous l'eau, mais elle ne savait combien de temps elle allait pouvoir tenir sans respirer. Elle évita déjà de faire de trop grands mouvements, qui lui feraient consommer trop d'oxygène, et tâcha de conserver son calme. Si elle se mettait à paniquer, elle ne s'en sortirait pas.

Elle porta alors sa main à sa dague qui, heureusement, était toujours attachée à sa ceinture. Il fallait qu'elle se détache et sorte de là car elle n'avait aucune envie de croiser la personne ou chose responsable de cette situation délicate dans laquelle elle se trouvait. Mais, lorsqu'elle voulut attraper la lame, elle sentit quelque chose la frôler, sans pour autant qu'elle n'aperçoive quoi que ce soit, ce qui était d'autant plus effrayant. Si elle ne parvenait pas à voir son ennemi, ça allait être beaucoup plus compliqué que prévu de s'extirper des ennuis.

Puis, dans l'obscurité des fonds marins, elle vit quelque chose briller. Deux points lumineux, qu'elle interpréta rapidement comme étant des yeux qui la fixaient. Ça non plus, ce n'était absolument pas rassurant. Elle fronça les sourcils, sentant qu'elle commençait à fonctionner un peu au ralenti à cause du manque d'air, mais ça n'était pas encore dramatique. Ce qui l'inquiétait le plus était ce regard qui la fixait sans ciller. Elle avait beau ne pas avoir particulièrement envie de savoir à qui il appartenait, mais elle n'eut pas vraiment le choix. Des profondeurs aquatiques, une forme animale semblable à une panthère des neiges faite de filaments lumineux et à l'aspect agressif fonça droit sur elle, tous crocs dehors.

Madison eut soudainement une impression de déjà-vu. Lorsqu'elle affrontait Hela sur le Bifröst, elle se rappelait être tombée en arrière et avoir vu une créature similaire courir vers elle et disparaitre au moment où elle s'était reconnectée avec la réalité. Ça n'avait rien du fruit du hasard ou, comme l'avait suggéré Thor, d'une coïncidence.

Madison pouvait entendre le grondement du félin, même sous l'eau et, toujours retenue par de solides liens végétaux, elle ne parvint pas à suffisamment se décaler pour l'éviter lorsqu'elle fut à sa portée. Elle sentit la mâchoire puissante de l'animale se refermer sur sa jambe gauche. Elle n'arriva même pas à crier. De toutes façons, sous l'eau, ça n'aurait pas eu beaucoup d'effet, mais la douleur était cent fois pire que celle provoquée par la brûlure. Elle se demanda sérieusement ce qu'elle avait fait à l'Univers pour qu'il lui fasse subir tout cela sans lui laisser de répit.

Elle dut se dépêcher lorsqu'elle comprit que l'animal n'en avait pas terminé. Elle extirpa la dague de son fourreau, sectionna habilement les liens qui la retenaient par la cheville et se hâta de regagner la surface, espérant de tout son être qu'elle aurait le temps de sortir du lac avant que la créature ne la rattrape. Une fois remontée, elle prit une grande inspiration, voyant la lumière dégagée par la panthère s'accentuer, lui indiquant que celle-ci se rapprochait dangereusement. Elle n'avait que quelques secondes pour se sauver avant de finir en chair à pâté.

Le ciel avait changé de teinte : il s'éclaircissait, le soleil se levait doucement, donnant aux cieux une couleur proche de l'ocre. Madison rassembla le peu d'énergie qu'il lui restait et nagea jusqu'à atteindre le bord et, une fois sur la terre ferme, elle s'écarta le plus possible de l'eau, craignant de voir la panthère surgir des flots pour s'en prendre à nouveau à elle. Elle n'entendit qu'un rugissement venant du plus profond des entrailles de la terre qui la fit sursauter et frissonner par la même occasion. Cette fois-ci, elle était réellement terrifiée et, pendant plusieurs secondes, elle n'osa pas bouger, tétanisée, ne réalisant pas tout à fait ce qu'il venait de se produire.

Ce fut la douleur qui la « réveilla ». Elle regarda sa jambe, qui saignait. Elle recula encore, toujours à moitié étalée à terre, en s'aidant de ses mains, jusqu'à regagner les abords de sa grotte, où elle espérait être en sécurité un petit moment. Le souffle court, les mains tremblantes, elle se rendait à peine compte de la larme qui avait coulé sur sa joue à cause du choc. Elle ne se souvenait pas de la dernière fois qu'elle avait souffert de la sorte. C'était pire que lorsqu'elle s'était volontairement poignardée pour protéger les autres, plus ou moins équivalent à l'instant où une épée avait traversé son dos.

Une panthère. Elle avait été attaquée sous l'eau par une panthère des neiges. Un félin luminescent aux couleurs bleutées et claires, à l'aspect terriblement menaçant qui, toute griffes dehors, avait semblé prêt à la réduire en morceaux. Il lui semblait encore entendre son rugissement, alors elle plaqua ses paumes contre ses oreilles, voulant juste un peu de tranquillité et parvenir à se calmer, ce qui n'était pas une mince affaire. Elle commençait à être à bout, elle avait peur de craquer ou lâcher prise. Et lorsque l'étrange voix qui murmurait revint pour répéter en boucle son nom en s'intensifiant, se dédoublant et se superposant, provoquant un véritable carnage, elle n'y tient plus.

–LA FERME ! hurla-t-elle, yeux clos, ayant l'impression qu'elle était en train de devenir folle.

Quand le calme revint, elle se déboucha lentement les oreilles puis rouvrit les yeux. La première chose qu'elle vit fut une paire de bottes noires. Son regard remonta petit à petit. Un pantalon de la même couleur, des mains gantées, une veste sombre barrée d'un grand « X » qui lui fit immédiatement penser à sa seconde famille les X-men. Et enfin, un visage encadré de mèches flamboyantes. Des yeux noirs. La peau à l'aspect fissuré. Une haine profonde, de la rancœur, presque du dégoût. Madison n'avait même pas envie de réagir, mais elle n'avait pas le choix.

–… C'est le moment où je comprends que je pers la tête, c'est ça ? souffla-t-elle en se frottant les yeux, mais son interlocutrice ne s'en alla pas.

Il lui sembla que le décor autour d'elles s'était assombri, ne laissant qu'elles deux en évidence, en face à face. Alors, comme si elle était au ralenti, Jean Grey se mit accroupie devant elle en la toisant de haut.

–Qu'est-ce que ça fait ? lui demanda-t-elle d'un ton doucereux. De n'avoir personne sur qui compter ? jugea-t-elle bon de préciser. D'être seule pour te débrouiller avec quelque chose que tu ne comprends pas ? ajouta-t-elle ensuite. D'être forcée de souffrir comme moi j'ai souffert ? cracha-t-elle finalement avec reproche en s'avançant vers la brune, qui aurait adoré disparaitre en s'enfonçant dans le mur derrière elle. Tu m'as regardée brûler de l'intérieur et tu n'as absolument rien fait pour m'aider. Après tout, je n'étais qu'une mutante de plus parmi tant d'autres, et tu as toujours préféré les Maximoff, alors je ne vois même pas pourquoi cela me surprend encore. Tu m'as laissée mourir. Mais tous les autres, tu les as sauvés. Tu as soigné Raven, tu as ramené Peter à la vie, mais visiblement, je n'étais pas assez importante pour toi. Quel était le problème, je n'étais pas à la hauteur, Em ? J'étais un obstacle ? s'exclama-t-elle avec fureur.

–Jean, arrête, la pria Madison.

–Tu as une idée de la souffrance qui m'a submergée ? lui reprocha-t-elle avec tant de puissance dans la voix que les parois de la grotte en tremblèrent, après quoi la plus jeune se redressa, et la brune cessa de retenir son souffle. Pauvre chérie, minauda Jean avec moquerie, on t'a lavé le cerveau ? On t'a tiré dessus, on t'a poignardée ? Pauvre chérie, répéta-t-elle avant d'éclater d'un rire sinistre. Tu n'es même pas capable d'accepter que toi aussi, tu puisses souffrir.

Pendant les secondes qui suivirent, elles se toisèrent sans rien dire. L'une donnait l'impression de vouloir dépecer vivante l'autre, qui réfléchissait à tout ce qui venait de lui être dit. Ça lui faisait mal d'entendre de telles paroles. Elle finit par en venir à la conclusion suivante.

–… Ok, concéda-t-elle d'une demi voix. Tu as raison. Avec ma condition et mes responsabilités, je n'estimais pas avoir le droit… M'apitoyer sur mon sort.

Cela sembla grandement satisfaire Jean, dont le sourire s'étira méchamment. Son expression changea néanmoins lorsqu'elle vit Madison fournir un effort considérable pour se lever en prenant appui contre la paroi.

–Mais tu te trompes lorsque tu dis que je n'ai rien fait pour toi. Parce que j'ai essayé, et tu le sais. Tu es morte dans mes bras, Jean, et je n'ai jamais réussi à l'oublier. Sauf que je sais aujourd'hui que j'ai fait tout ce qui était en mon pouvoir pour soulager ta peine.

La plus jeune la fixait silencieusement, curieuse d'entendre la suite.

–Mais je ne suis qu'une humaine. J'ai le droit de souffrir comme n'importe qui d'autre. J'ai le droit d'avoir du mal à faire mon deuil. J'ai le droit d'avoir besoin de demander de l'aide lorsque ça ne va pas, tout comme je l'ai fait après avoir été ensorcelée, tout comme toi tu l'as fait en venant vers moi. Tu sais très bien que je t'aimais très fort, lui avoua-t-elle. Chaque mutant que j'ai entrainé fait partie de ma famille, je ne fais pas d'exceptions. Tu comptais énormément pour moi, mais le fait est que j'ai toujours cru être responsable de ce qu'il t'était arrivé, alors que j'ai essayé, Jean. J'ai essayé, répéta-t-elle.

Madison se sentait libérée d'un énorme poids. Mettre des mots sur son ressenti profond l'aidait beaucoup. Puis, d'un coup, ce fut comme s'il y eut une sorte de glitch, de bug, qui transforma la version colérique et rancunière de Jean en celle qu'avait côtoyé Madison par le passé. C'était désormais une jeune fille aimable au regard bienveillant qui la regardait avec un sourire doux et sincère.

–C'est pas trop tôt, commenta-t-elle, enjouée.

–Ne commence pas, répondit la brune avec un grand sourire, rassurée d'enfin retrouver « sa » Jean Grey. C'est bon de te revoir. Même si je suppose que cette fois, c'est bien la dernière fois.

–Probablement, concéda-t-elle.

–J'ai toujours pensé qu'on se ressemblait beaucoup, toi et moi.

–Peut-être parce que je t'avais prise pour modèle. Est-ce que ça va aller ? s'enquit-elle de savoir, très concernée.

–Tu veux dire, ici, ou après ? A supposer évidemment qu'il y ait un après ?

–Bien sûr qu'il y en aura un ! s'offusque la rouquine. D'aussi loin que je me souvienne, tu arrives toujours à t'en sortir, quelle que soit la situation. On te capture, tu t'enfuies. On te poignarde, tu continues à te battre. On te jette dans le vide, quelqu'un te rattrape. C'est quoi, ton secret ?

–De la chance ? proposa Madison. Mais oui, ça devrait aller, finit-elle par répondre. Et toi ?

–Moi ? répéta Jean. Moi, ça fait longtemps que ça va, lui assura-t-elle. Mais… Tu pourrais faire quelque chose pour moi… ? lui demanda-t-elle en fixant un instant le sol sous ses pieds. Juste... Dire bonjour aux autres de ma part ?

Madison sourit gentiment.

–Bien sûr, promit-elle, et dans la seconde qui suivit, Jean se réfugia dans ses bras. J'ai toujours été très fière de toi, lui chuchota-t-elle.

Elles restèrent ainsi durant quelques secondes sans bouger, jusqu'à ce que, subitement, Madison se retrouve toute seule dans la grotte. Jean avait disparu, les lieux avaient repris des couleurs. Elle avait beau se retrouver à nouveau isolée, elle se sentit mieux. En paix, en vérité. Elle acceptait enfin sa souffrance, ses faiblesses, sans éprouver la moindre honte. Ou, elle n'était qu'humaine et faisait ce qu'elle pouvait pour tenir bon, braver la tempête.

Lorsque tout revint à la normale, Madison fut submergée par la fatigue et elle se laissa glisser le long de la paroi en soupirant, sentant également la douleur se réveiller dans sa jambe blessée à cause de la morsure, mais elle n'eut même pas la force de s'en occuper pour le moment. Elle avait seulement envie de dormir pendant quelques heures. Elle ferma les yeux, l'esprit moins embrumé et ne mit pas longtemps à sombrer dans les bras de Morphée.

. . . . . . . .

La fumée dans le laboratoire se dissipait peu à peu, mais pas l'angoisse de Pepper. Elle hésitait sérieusement à partir pour prévenir les autres de l'intrusion d'un potentiel danger dans les sous-sols. De, peut-être, Mériana en personne. Pourtant, elle reste en place. Ce qui comptait le plus pour elle était que les enfants soient hors de portée de quiconque se présenterait à elle.

La personne à qui appartenait la main agrippée à l'encadrement de la porte resta d'abord cachée dans l'ombre, ce qui qui intrigua la rouquine, mais celle-ci resta cependant sur ses gardes. Elle décida de bravement faire face, sans faillir ou montrer le moindre signe de faiblesse. Elle avait l'âme d'une guerrière, même si elle cachait excessivement bien son jeu. Elle n'avait pas eu peur de se battre contre l'armée de Thanos quelques mois plus tôt. Elle avait suffisamment côtoyé les super héros pour en devenir une à son tour. Elle avait observé ses amis agir pendant des années, elle savait donc comment réagir et se défendre.

–Montrez-vous ! ordonna Pepper avec fermeté.

Hors de question qu'elle se laisse impressionner. Elle était prête à faire usage de ses blasters, mais elle ne le fit pas. Une silhouette se dessina, sortant enfin de la pénombre et peinant visiblement à tenir debout, c'était pourquoi cette personne avait pris appui sur ce qu'elle avait à portée de main. Un homme. Il s'agissait d'un homme, qui fixait le sol en inspirant profondément et un peu difficilement. C'était à croire qu'il n'avait pas respiré depuis des années, ce qui suscita de plus en plus de questionnement chez Pepper, qui ne bronchait pas. Mais une drôle de sensation l'habitait sans qu'elle ne sache pourquoi.

L'homme releva très lentement la tête, la fumée disparut complètement et le cœur de la rouquine cessa de battre. Totalement figée, sa bouche s'entrouvrit légèrement et ses yeux s'écarquillèrent. Sans qu'elle en soit vraiment consciente, son bras s'abaissa, cessant de menacer l'individu, jusqu'à se retrouver le long du corps de sa propriétaire. Ce n'était pas ce à quoi elle s'était attendue, parce qu'elle avait été trop occupée à penser à diverses autres choses dernièrement. Maintenant, son esprit demeurait vide. Il n'y avait plus rien, comme si elle avait été enveloppée dans un immense drap blanc.

L'homme semblait épuisé et dérouté. Il secoua la tête en clignant plusieurs fois des yeux, comme pour s'habituer à la lumière un petit peu crue du laboratoire, en portant sa main à son visage pour se frotter les yeux et enfin, son regard gris et perdu croisa celui de Pepper. Il n'avait pas l'air d'y voir tout à fait clair car il continua à papillonner quelques instants afin d'ajuster sa vision.

La partie de l'armure qui s'était accrochée à la rouquine se détacha de son bras et tomba dans un tintement métallique qui la fit sursauter, mais elle resta fixée sur l'homme, sentant désormais un milliard de pensées se bousculer sous son crâne, lui donnant le tournis. Elle n'avait rien à proximité pour s'asseoir, alors elle dut faire abstraction de ses jambes flageolantes. D'un geste lent et mécanique, elle se pinça légèrement l'avant-bras, simplement pour s'assurer qu'elle ne délirait pas. Et ce n'était pas le cas. Son esprit ne lui jouait aucun tour, il était bel et bien là. Tony était là.