Abyssal meanders of the mind-Nerri's Theme
Madison ignorait combien de temps elle avait dormi, mais ce dont elle était sûre, c'était que ça lui avait fait un bien fou. En observant le ciel, elle estimait que cela devait être la fin de l'après-midi. En dehors de ça, elle perdait de plus en plus la notion du temps. Elle avait eu de la chance de ne pas avoir été dérangée pendant son sommeil : aucun bruit, aucune créature, pas d'attaque ou d'hallucination. Mais pas de rêve non plu. Et bien sûr, sa faim se manifesta à nouveau. Seulement, elle venait à peine de se réveiller et elle doutait qu'avec sa blessure, elle puisse aller bien loin.
De l'eau tombait, goutte à goutte, des stalactites du plafond de la grotte, formant une petite flaque à se pieds. Elle devait couler depuis un moment. Madison trouvait que ce son régulier et résonnant avait quelque chose d'apaisant, de relaxant. Elle avait enfin droit à un peu de répit après une course poursuite effrénée dans les bois, un face à face sous-marin avec une panthère et un affront verbal avec un fantôme du passé. Il lui semblait même entendre quelques gazouillis d'oiseaux dans la forêt voisine. La sensation de solitude s'estompait lentement mais sûrement. Madison n'avait toujours aucun contrôle sur la situation, mais elle se sentait moins menacée.
Il y eu du mouvement au niveau de la flaque, ce qui attira l'attention de la terrienne. Quelques bulles se formaient à la surface, qui ondulait légèrement. Madison réajusta sa position contre la paroi froide, toujours assise à même le sol humide. Au moindre mouvement qu'elle faisait, sa blessure la tiraillait. Elle parvenait à peine à bouger sa jambe, alors sortir de la grotte n'était absolument pas une option pour le moment. L'eau à ses pieds s'agita davantage. Elle fronça les sourcils, ne comprenant pas la source de cet étrange phénomène, surtout lorsque le fluide s'illumina et s'étendit sur une plus grande surface.
Puis l'eau s'éleva et prit peu à peu forme. Sous ses yeux surpris se matérialisa une créature incandescente se tenant sur quatre pattes et dont la tête était tournée vers le sol. Il ne fallut pas longtemps à la jeune femme pour reconnaitre l'animal qui l'avait prise pour cible dans le lac. C'était bien la même panthère des neiges bleue et blanche qui lui faisait fièrement face et, une fois qu'elle fut totalement constituée, elle releva les yeux vers l'humaine, qui déglutit. Elle n'était absolument pas de taille pour se mesurer à elle. Quoi qu'elle fasse, elle était à la merci de ce redoutable prédateur.
Il s'écoula une seconde. Puis deux. Trois. Et rien ne se produisit. Madison et la panthère se fixaient sans ciller, sans bouger. Intérieurement, la brune avait un peu peur de ce qui allait lui arriver. Elle se demandait pourquoi la créature ne faisait rien et ne l'attaquait pas, maintenant qu'elle en avait l'opportunité. Il n'y avait rien que Madison puisse faire pour se défendre. Elle savait que sa dague ne lui serait pas d'une grande utilité contre l'animal visiblement magique, « surnaturel ». Elle ne détourna pas un seul instant le regard, par crainte que celui-ci en profite pour bondir et la déchiqueter en morceaux à l'aide de ses griffes et croc. Malgré tout cela, elle ne comprenait pas pourquoi son inquiétude commençait à retomber.
Enfin, la panthère se décida à remuer. D'une démarche souple et excessivement lente, elle s'avança vers Madison, puis elle se mit calmement assise à proximité d'elle sans faire de bruit. La tension était à son comble. Madison osait à peine respirer et ne lâchait pas la créature des yeux, scrutant chacun des plus petits mouvements qu'elle pouvait faire. Elle ne fut que plus surprise lorsque le félin abaissa la tête pour l'approcher de la blessure imposante dont il était responsable. Il la renifla et, comme si l'odeur désagréable du sang éché lui monta aux narines, la terrienne le vit froncer le nez puis, décuplant son étonnement, l'animal sortit sa langue et la passa sur la plaie.
Etrangement, la souffrance éprouvée par l'humaine diminua et elle fronça encore les sourcils en voyant la morsure se refermer partiellement. Bizarrement, elle n'avait plus aussi froid qu'avant et se sentit… Bien. Juste bien. Elle n'avait plus du tout peur. La panthère se redressa pour la regarder avec une certaine insistance, comme si elle attendait quelque chose de sa part. Au début, Madison hésita. Lors de leur dernière rencontre, le courant n'était pas spécialement passé, elles n'avaient pas vraiment fait bonne impression à l'autre et l'humaine en était ressortie terrifiée, réellement terrorisée au point de trembler rien qu'en regardant le lac d'où elle était sortie in-extremis. Tout était différent, à présent. La brune n'en voulait même pas à la panthère.
Avec prudence, elle tendit la main vers la créature, qui grogna, jusqu'à ce que Madison lui présente sa paume ouverte en signe de paix, de non-violence. Dès lors, la bête se calma et, avec confiance, vint plaquer son front contre l'intérieur de sa main. Madison trouva sa fourrure incroyablement douce et agréable à toucher.
Puis le lien se créa. Elle se vit marcher à l'orée d'un bois en compagnie de cette panthère, elle avait l'air plus jeune d'au moins dix ans. Puis d'autres images, qu'elle interpréta comme des souvenirs refoulés, se succédèrent rapidement dans son esprit. Elle vit entre elles une incroyable complicité naissante dont elle n'avait, jusqu'à présent, aucune idée de l'existence. Elle se vit se battre avec elle à ses côtés pour l'épauler, la protéger de tous les dangers environnants. Elles étaient unies par quelque chose de suffisamment puissant pour que l'une comme l'autre soit prête à se sacrifier pour assurer la survie de son binôme. Et quand elles se séparèrent, Madison ne put s'empêcher de sourire.
–Nerri… l'appela-t-elle doucement.
Elle se rappelait d'elle et apparemment, c'était réciproque car la panthère se colla avec affection à elle en frottant on museau contre son cou, lui montrant combien elle était heureuse de la retrouver après tant d'années séparées. Madison la câlina volontiers, toute crainte envolée et laissa ses mains se perdre dans son épais pelage. Elle avait l'impression d'être en présence d'un gros chat affectueux et non pas un animal féroce capable de tuer n'importe quoi, n'importe qui. Mais pas Nerri, pas avec Madison, car la panthère avait entièrement confiance en elle.
–Toi aussi, tu m'as manquée, ma grande, avoua l'humaine en prenant sa tête entre ses mains pour ensuite poser son front contre le sien Je t'avais promis de revenir te chercher, non ? souffla-t-elle avec beaucoup de gentillesse pour rassurer Nerri autant qu'elle le put. Tout va bien, maintenant, assura-t-elle.
L'animal s'allongea en se lovant contre elle et déposa sa tête sur ses cuisses en fermant les yeux. Madison posa sa main sur le sommet de son crâne et le caressa très doucement. Tout était si paisible que c'était presque trop beau pour être vrai. Heureusement pour elle qu'elle ne rêvait pas.
. . . . . . . .
–Tony… murmura Pepper, la voix tremblante.
Elle n'avait pas bougé d'un pouce. Son corps tout entier était tendu et crispé. L'homme devant elle émit un son semblable à un grognement, ayant toujours du mal à s'habituer à cette vive luminosité. Il se sentait terriblement nauséeux et était à deux doigts de s'évanouir. Il resta appuyé un instant contre l'encadrement de la porte, voulant se tenir aussi droit que possible. Peu à peu, sa vision se précisa, devint plus nette, supprimant tous les flous. Il distingua donc la femme aux longs cheveux roux l'observer avec beaucoup d'attention. Les traits du visage de cette dernière lui apparurent plus clairement. La gorge nouée et la bouche asséché, il parvint tout de même à murmurer, dérouté :
–… Pepper ?
Elle n'y tint plus. Son corps répondit à ses besoins, elle marcha tout droit vers lui et le serra dans ses bras comme si sa vie en dépendait, et elle commença à pleurer, évacuant absolument tout ce qu'elle avait dû encaisser au cours des derniers mois. Ses battements de cœur s'accélérèrent lorsqu'elle sentit l'homme lui rendre maladroitement son étreinte.
Tony ne comprenait pas ce qu'il lui arrivait. Collé à Pepper, il se sentait en sécurité. Il ferma les yeux et profita de ce contact tendre et chaleureux en humant l'odeur florale qui émanait de sa chevelure douce et légère. Pour le moment, il se moquait pas mal de ne pas avoir la notion du temps. Celui lui suffisait largement d'être dans la même pièce que la femme qu'il aimait de tout son être et pour qui il aurait été prêt à tout. Il arrivait à entendre les battements de cœur de la rouquine. Puis une foule d'images se succéda violemment dans sa tête. Il se souvenait de tout. Notamment de sa mort.
Il s'écarta de Pepper sans lui lâcher le bras, l'air concerné.
–… Que s'est-il passé ? Que… Qu'est-ce que je fais là ? l'interrogea-t-il. Comment…
–Madison, se contenta-t-elle de répondre, les yeux brillants.
–Maddie… ? souffla-t-il, encore plus perturbé qu'il ne l'était déjà. Elle va bien ? voulut-il immédiatement savoir, se remémorant l'instant où elle avait perdu la vie sur le champ de bataille. Elle…
–Elle est coriace, tu te rappelles ? Elle va bien, le rassura Pepper, préférant ne pas tout de suite lui parler de leurs problèmes actuels, avant de coller son front au sien. On va tous bien, précisa-t-elle, parce que tu t'es assuré que ça soit le cas. Je t'en prie, promets-moi que tu ne nous laisseras plus… dit-elle, la gorge nouée, et elle frissonna lorsque Tony posa sa paume contre sa joue afin d'essuyer ses larmes.
–Ce n'était pas tellement dans mes plans de m'en aller, confia-t-il en riant doucement, mais son visage prit ensuite une expression grave. Combien de temps… ?
–Ça n'a pas d'importance, puisque tu es là.
–Combien, Pepper ? insista-t-il calmement.
–Huit mois, lui apprit-elle, ce qui lui arracha un soupir de désarroi. Il… S'est passé beaucoup, beaucoup de choses.
–J'espère que tu n'as rencontré personne, plaisanta-t-il, ce qui l'amusa elle aussi. Ça risquerait d'être… Problématique, puisqu'il est absolument hors de question que je te laisse filer… Je te fais le serment de ne plus m'absenter aussi longtemps, lui jura-t-il. Au fait, poursuivit-il en changeant subitement de sujet, c'est… Un corps artificiel… ? devina-t-il en examinant ses mains de plus près. C'est surprenant, souffla-t-il, admiratif du travail qu'avait effectué sa petite sœur. Mais aussi terrifiant, ajouta-t-il avec sérieux. Mais surprenant quand même, concéda-t-il.
–Oh, vous avez créé Vision il y a dix ans, alors lorsque Madison m'a confié le secret de son projet, je n'ai été qu'à demi surprise, puis elle m'a expliqué que c'était ce lien psychique qui lui avait permis d'en arriver là, qu'elle mettait toute son énergie dans son travail, énuméra-t-elle, tandis que l'homme se perdait lentement dans son regard clair. J'ai décidé de lui faire confiance et je crois qu'au fond, je savais que tu allais revenir parce que je n'ai jamais douté d'elle et que… Quoi, quoi ? lui demanda-t-elle, presque à bout de souffle après sa tirade, remarquant que son mari lui souriant tendrement.
Tony reposa se mains sur ses joues rouges avant de déposer un baiser délicat sur son front.
–Tu es magnifique, murmura-t-il, ce qui la fit rosir de plaisir. Je trouve cela injuste qu'il ne se soit écoulé que quelques minutes à peine pour moi alors que tu as dû attendre aussi longtemps, soupira-t-il en l'entourant de ses bras. J'aurais aimé pouvoir éviter tout cela, si tu savais… Je vous aime, Miss Pott, dit-il en l'embrassant cette fois-ci sur la joue.
Cela la ravissait d'enfin retourner à un semblant de normalité, un peu comme si ces huit derniers mois n'avaient pas existé. Plus de tristesse. Plus d'absences, plus de solitude, plus de mélancolie et de nuits entières à pleurer. Elle n'avait pas honte d'avoir pleuré. C'était humain, après tout.
. . . . . . . .
–Merci pour le poisson, commenta Madison en mangeant avec appétit la nourriture qu'avait pêché Nerri pour elle.
A ses pieds, la panthère dégustait elle aussi son repas. Elle brillait moins et ressemblait davantage à une panthère des neiges « normale ». Envolée l'image de prédateur sanguinaire qu'elle avait initialement donné. Madison, elle, n'avait presque plus mal à la jambe, là où elle avait été mordue. Il restait encore une trace visible sur son mollet, mais c'était beaucoup moins impressionnant désormais. Presque plus aucune douleur et sa faim était rassasiée.
Lorsqu'elle eut terminé de manger, Nerri se leva et marcha vers l'humaine avant de passer sa tête sous son bras en se frottant avec insistance pour qu'elle bouge.
–D'accord, d'accord, je me lève, lui indiqua la jeune femme en se redressant. Où veux-tu aller ? l'interrogea-t-elle, curieuse, au moment où la créature passa derrière elle pour pousser gentiment ses jambes afin de la faire avancer vers l'extérieur de la grotte.
La nuit était tombée, mais il faisait bien moins froid que la veille. La sensation du vent sur sa récente brûlure n'était en revanche pas très agréable, mais elle tâcha de ne pas trop y penser. Le ciel était couvert d'épais nuages sombres qui dissimulaient les étoiles. Les animaux nocturnes peuplant la forêt semblèrent enfin se réveiller et signalèrent enfin leur présence hululements, grattements et grognement lointains résonnaient dans les bois, mais, aux côtés de Nerri, Madison savait qu'elle ne risquait rien. Elles marchèrent tranquillement en direction du lac, ce qui, en premier lieu, inquiéta la jeune femme. Elle en gardait un mauvais souvenir, mais si Nerri savait ce qu'elle faisait, alors la terrienne était prête à la suivre.
L'animal plongea dans l'eau sans une once d'hésitation et prit plaisir à nager dans son élément, là où elle avait encore pied, puis elle se tourna vers Madison et attendit sagement que cette dernière se décide à venir dans l'eau à son tour. Elle était un petit peu sceptique, bien sûr, mais elle sentait qu'avoir peur était inutile. Son périple était loin d'être achevé, elle aurait l'occasion de s'en faire plus tard, lorsqu'elle se retrouverait à nouveau seule, sans la créature pour veiller sur elle comme elle l'aurait pourtant adoré, mais pour la suite, il allait falloir qu'elle se fasse confiance et se débrouille sans aide, quelle qu'elle soit. C'était on combat à elle.
L'eau n'était pas aussi froide que ce à quoi elle s'était attendue, mais elle frissonna quand même. Lorsque Nerri plongea en dessous de la surface, Madison prit une grande inspiration et fit de même. Très rapidement, elle constata qu'il y faisait toujours sombre. La panthère resta près d'elle, alors la brune s'accrocha à son encolure et se laissa guider vers des profondeurs plus ténébreuses encore. Madison n'avait pas la moindre idée de ce dans quoi elle se laissait embarquer, mais puisqu'elle ne connaissait pas ce monde mystique, autant tout essayer, aussi dangereux ou anormal cela puisse être. Elle devait tout tenter, mais également se préparer à n'importe quoi.
Plus elle descendait, plus elle avait la tête qui tournait. Elle ignorait combien de temps elle tiendrait sans air. Puis, comme si Nerri avait lu dans ses pensées, elle cessa de nager et se retourna pour lui faire face, avant de puissamment rugir. Même sous l'eau, c'était grandiose. La terrienne se sentit envahie d'une toute nouvelle sensation et, avec stupeur, découvrit qu'elle pouvait parfaitement respirer. Après tout, elle était autrefois capable de voler, alors sa surprise ne fut que brève. Ses pensées s'éclaircirent, elle put mieux y voir au fond du lac.
Tout ce qui l'entourait ressemblait aux vestiges d'une autre ère, les restes d'une cité de pierre et de marbre engloutie depuis probablement des centaines d'années et que les créatures marines en tous genres s'étaient appropriées. Des colonnes de style gréco-romain à moitié effondrées, des blocs de granit empilés ici et là… Et juste quelques bancs de poissons exotiques qui envahissaient les lieux et progressaient paisiblement entre des murs délabrés, ne se préoccupant pas le moins du monde des présences étrangères sur « leur » territoire.
Les pattes de Nerri et les pieds de Madison touchèrent le fond au même moment. La force d'attraction était totalement différente de celle d'un milieu aquatique classique. La jeune femme avait l'impression de flotter. Son regard était attiré par un million de choses à la fois. Les déplacements des poissons, leur trajectoire, les algues en mouvements, les bulles qui remontaient à la surface, les rayons de lune qui filtraient à travers l'eau, même es propres gestes qui se laissaient porter par le courant. Elle venait de basculer dans une réalité dans laquelle elle avait toujours espéré se retrouver : les méandres de son propre esprit, où elle savait qu'une forme de sérénité l'attendait. Une ombre se dessina sur le sol pavé sous ses pieds.
Lorsqu'elle leva les yeux pour regarder au-dessus d'elle, elle vit d'immenses créatures se déplacer avec grâce : des baleines, des serpents d'eau géants, sortis tout droit d'un conte de fées. Il s'agissait là d'un des plus beaux spectacles auxquels Madison ait assisté. D'une simple impulsion, elle se détacha du sol et remonta lentement entre ces animaux qui tournaient à présent autour d'elle dans une valse hypnotique. Elle aurait pu être effrayée par ce phénomène, mais c'était tout le contraire. Elle avait enfin le sentiment de commencer à trouver sa place dans l'Univers.
Nerri ne tarda pas à la rejoindre. L'humaine s'accrocha à nouveau à elle et ensemble, elles regagnèrent lentement la surface. Une fois qu'elle eut la tête hors de l'eau, Madison constata qu'elles se trouvaient désormais de l'autre côté du lac. Elles nagèrent ensemble jusqu'au bord, et lorsque l'humaine se hissa sur la terre ferme, elle remarqua que la panthère préférait rester dans l'eau.
–Tu ne viens pas, devina-t-elle en souriant tristement, et il lui sembla que l'animal hocha la tête afin de lui répondre. Je dois continuer toute seule, poursuivit-elle. Ça va aller ? voulut-elle ensuite savoir et le félin l'éclaboussa pour lui signifier qu'elle n'avait pas à s'en faire la concernant et, sans demander son reste, elle disparut dans la profondeur des flots.
Madison resta là un moment, les jambes à moitié immergées, pensive. Le calme revint, elle se retrouva donc à nouveau seule, perdue dans ses songes. Elle finit par retirer ses jambes de l'eau et les croisa en tailleur en soupirant. Cette première épreuve à laquelle elle avait été confrontée n'avait pas été de tout repos et bien sûr, c'était encore bien loin d'être terminé. Elle ignorait si sa force mentale était suffisamment élevée pour qu'elle puisse tenir le coup. L'unique chose dont elle était certaine était qu'elle n'allait pas tarder à se retrouver encore une fois face à Alex, qu'elle avait déjà aperçu au milieu des flammes dans la forêt.
Se souvenir de l'incendie lui rappela également sa brûlure, qui n'était pas vraiment soignée. Au moins, la peau n'était ni cloquée ni gonflée, mais la douleur, elle persistait. Elle avait beau avoir accepté que la souffrance fasse partie d'elle, elle n'avait pas non plus espéré qu'elle s'évanouisse en un claquement de doigts. Elle jeta un coup d'œil à son mollet : la morsure cicatrisait relativement bien et rapidement, à son plus grand soulagement. Nerri avait parfaitement su se faire pardonner pour son agressivité, que Madison ne lui reprochait de toutes façons pas. Elle ne cessait de se dire qu'à force de rester coincée dans les limbes, la panthère devait avoir réagi par mécanisme de défense. Cela appartenait désormais au passé.
Elle se leva et tourna le dos au lac pour se retrouver devant une immense étendue d'herbes jaunâtre qui s'étalaient devant les montagnes derrière lesquelles s'élevait la mystérieuse colonne de lumière que Madison espérait atteindre le plus vite possible, même si ça n'allait pas être une mince affaire d'effectuer ce long trajet semé d'embûches à pied. Elle en aurait pour plusieurs jours, à condition qu'elle ne meurt ni de soif, de faim, de froid ou d'attaque quelconque s'ii là. Elle décida de rester optimiste, lorsque le visage aux traits délicats de son fils se dessina dans son esprit. Elle devait rentrer pour lui.
–J'arrive, affirma-t-elle à haute voix.
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–Je ne sais pas si c'est normal, déclara Tony en achevant d'enfiler la chemise en flanelle que lui avait déniché Pepper, mais quelques-uns de mes souvenirs sont un peu confus. Non pas qu'il m'en manque, c'est même plutôt le contraire, comme si des images avaient été rajoutées.
Sa compagne repensa à ce qu'Hestia leur avait confié l'effacement des souvenirs que beaucoup de personnes avaient été contraintes d'oublier pour leur propre sécurité, mais elle ne savait pas si aborder un sujet aussi délicat avec son mari, qui venait tout juste de se réveiller, était une bonne idée ou non. Elle ne voulait ni le brusquer, ni trop l'inquiéter.
–On trouvera une explication, dit-elle calmement en réajustant le col de la chemise de Tony. Ne t'en fais pas, je suis certaine que cela viendra en temps voulu, assura-t-elle en souriant chaleureusement.
Il voulut répondre, mais un grincement provenant de l'autre côté du laboratoire attira leur attention. Une porte venait de s'ouvrir et on pouvait entendre quelques petits pas discrets, puis une voix fluette fit chavirer le cœur de l'homme lorsqu'elle s'éleva dans les airs.
–Maman… ? Tu vas bien… ?
Morgan. Sa Morgan. Sa fille adorée, qui était la première personne à qui il avait pensé lorsqu'il avait compris que son sacrifice serait essentiel s'il voulait assurer la survie de l'humanité. C'était sa raison d'être, ce pourquoi il s'était battu jusqu'au bout sans relâche. Les pas se rapprochèrent, tandis que Pepper signifiait oralement à sa fille que tout allait parfaitement bien. Lorsque l'enfant apparut aux yeux de son père, celle-ci sauta de joie.
–Papa ! s'écria-t-elle en courant vers lui, surexcitée.
Tony s'abaissa à sa hauteur et lui ouvrit les bras pour l'y accueillir dans la seconde qui suivit. Il la serra contre lui, ayant l'impression que son cœur était sur le point d'exploser tant il était comblé. Il n'osait imaginer ce que sa fille avait dû vivre dernièrement. Il ne savait même pas si elle avait vraiment compris la situation, si elle avait réalisé que normalement, elle n'aurait jamais dû le revoir. Aucun enfant ne devrait jamais avoir à subir la perte d'un parent. Même à l'âge adulte, la douleur était insupportable, comme lorsque Tony avait perdu mère et père à vingt-et-un an.
–Ça va, ma chérie ? s'empressa-t-il de demander à Morgan, qui hocha vivement la tête avant de le relâcher pour le regarder en riant.
–Tonton Tony ! s'exclama Arthur en revenant à son tour dans le laboratoire en courant, et sa cousine s'écarta un peu pour laisser de la place à son cousin dans les bras de Tony. Je savais que tu reviendrais ! affirma-t-il, fou de joie. Tu vas nous aider à retrouver maman, dis ? lui demanda-t-il ensuite.
–Il faut aider Tatie Di' ! compléta Morgan.
L'adulte se détacha des jeunes en fronçant les sourcils, puis il leva les yeux vers Pepper, qui paraissait légèrement embarrassée.
–On dirait que j'ai pas mal de choses à rattraper, soupira-t-il posément, après quoi il se redressa lentement en faisant face à son épouse. Raconte-moi.
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Madison était contente d'avoir ses rangers fétiches à disposition et non une simple paire de baskets qui n'auraient pas tenu la route. Cela facilitait son voyage. Elle était en pleines formes, comparé à la veille. Ses retrouvailles avec Nerri l'avaient reboostée, elle avait le sentiment d'être prête à affronter absolument n'importe quoi, car elle ne cessait de se dire que quoi qu'il puisse lui arriver, elle avait connu pire. C'était ce qu'elle disait à chaque fois qu'elle s'était blessée pour rassurer ceux et celles qui l'entouraient et s'en faisaient à son sujet. Elle détestait prodigieusement inquiéter les autres, surtout ses proches. Elle ne voulait pas qu'ils passent leur temps à se demander si elle allait bien ou non. Dernièrement, elle avait inquiété tout le monde, mais c'était différent.
Le ciel avait retrouvé cette teinte ocre surnaturelle. Elle aurait presque pu s'y habituer. Encore quelques jours à vagabonder à travers ces terres regorgeant de secrets et elle trouverait cela tout à fait normal. Quoique, dans le monde où elle évoluait depuis toujours, le terme « normal » n'avait pas tellement sa place des mutants, des robots, des voyages intergalactiques, un bon nombre de résurrections et autres bizarreries étaient monnaie courante depuis un certain temps, et même si cela avait été compliqué au début, la population avait fini par se faire à l'idée que ce quotidien avait un peu près un million de manières d'être bousculé par une attaque ou un phénomène quelconque.
Le sol légèrement sablonneux ralentissait un petit peu la progression de Madison, mais elle demeurait plus que déterminée à atteindre son objectif autrement dit, les montagnes. Les sommets n'étaient pas si hauts, mais semblaient quand même difficiles d'accès, en particulier sans matériel adéquat. Puisqu'elle n'y était pas encore, Madison décida de mettre e problème dans un coin de son esprit pour l'instant. Le plus gros ennui qu'elle avait actuellement était probablement qu'il n'y avait rien autour, en dehors de quelques arbustes desséchés. En cas d'offensive, elle n'avait nulle part où se réfugier, ni rien à sa portée pour riposter. A part, bien sûr, sa dague, et elle ne cessait de remercier intérieurement Loki pour ça. Tout était parti d'une bagarre en Islande à l'issue de laquelle ils étaient tous deux sortis chamboulés.
Les semelles de ses chaussures s'enfonçaient un peu dans la terre sèche en crissant. Madison n'aimait pas trop ce son, mais il fallait qu'elle fasse avec, puisqu'il n'y avait pas d'autre bruit pour la distraire. Pas un oiseau, pas un souffle de vent. Même ses battements de cœur s'avéraient silencieux, pour une fois. Mais c'était extrêmement reposant. Etrangement, elle commençait à apprécier ce silence, elle parvenait à mieux réfléchir. Elle avait pour habitude, quoi qu'elle entreprenne –travaux, lectures, cuisine et autres tâches ménagères–, d'écouter de la musique. Petite, elle avait déjà du mal à supporter le manque de bruit à cause de ses dons télépathiques, car alors ses pensées ne se taisaient plus du tout et, en plus de lui donner mal au crâne, la poussaient au bord de la paranoïa. Elle se posaient trop de questions qui, malheureusement, restaient ans réponse, ou alors ces réponses tardaient et n'arrivaient pas au bon moment. Peut-être était-ce, selon son propre résonnement, parce qu'elle avait trop d'insécurités dont elle ne s'était pas encore occupée.
Il y eu un son anormalement grave qui résonna dans la vallée et la fit s'arrêter en pleine marche. Un mix entre un grondement et le souffle d'un cor émis depuis le fin fond d'une caverne qui se répercutait tel un écho infini et oppressant, la dérangeant autant que l'alarmant. En alerte, elle sentit un frisson remonter le long de sa colonne vertébrale. Son subconscient s'était immédiatement rendu compte qu'il y avait un problème, que le danger approchait à grands pas. Elle analysa minutieusement son environnement il était impératif que rien ne puisse la prendre par surprise.
Les quelques brindilles mortes jonchant le sol se mirent soudainement à crépiter avant de s'embraser tout autour de Madison, l'enfermant dans un large cercle, une barrière de flammes trop hautes pour qu'il lui soit possible de sauter par-dessus. La terrienne conserva son calme. En de pareils instants, la panique serait sa pire ennemie. Ça ne la rassurait pas du tout d'être pleinement consciente qu'elle risquait de brûler vive, mais quelque part, savoir que le fantôme d'Alex n'allait probablement pas tarder l'angoissait davantage. Alex. Pourquoi fallait-il toujours que ce soit lui qui la tourmente en la hantant inlassablement, même onze ans après ? Pourquoi, à chaque fois qu'elle croyait être enfin capable de passer à autre chose, découvrait-elle qu'il emplissait toujours ses pensées ? Sûrement parce qu'il lui manquait toujours autant.
A travers les flammes, elle discerna une forme, une silhouette animale un regard vif, rouge et meurtrier, un pelage de couleur similaire au brasier qui dévorait le sol, des flammes dansantes émanant de ses bois imposants ce cerf semblait tout droit sorti des Enfers et ne donnait absolument pas l'impression d'être venu en ami, au contraire. Il tapait furieusement le sol de ses sabots, soulevant se la poussière et expirait bruyamment, de la fumée sortait de ses narines. Il n'avait que deux pas à faire pour s'en prendre à Madison, qui demeurait parfaitement immobile. Elle craignait que le moindre mouvement brusque ou déplacé attise la colère déjà importante de l'animal, cela serait le moyen le plus rapide de passer l'arme à gauche. Si elle était parvenue à débloquer ses pouvoirs avant de se retrouver dans un tel pétrin, elle n'aurait eu aucune difficulté à faire disparaitre son adversaire. Le fait était qu'après ce qu'il s'était produit avec Nerri, elle avait tendance à croire que, dans le fond, ce cerf n'avait pas spécialement envie de la tuer, surtout de l'effrayer.
Elle sentit un souffle dans son cou. Elle fit vivement volte-face et eu à peine le temps d'écarquiller les yeux qu'elle se trouva à terre après qu'Alex l'ait violemment poussée, une haine évidente dans le regard.
La suite s'annonçait compliquée.
