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Chapitre 14 : Comme un Chartier
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« J'ai cru mal entendre, Potter… » s'exclama Drago, reculant de quelques pas.
Harry leva un sourcil : « C'est pourtant la meilleure solution pour obtenir des informations discrètement. »
Drago eut un ricanement méprisant : « La meilleure solution ? Parle pour toi ! »
Harry tenta de le raisonner : « On ne peut pas se permettre d'attirer l'attention en entrant tous les deux comme ça. Toi et moi, nous sommes trop connus. »
Alors que l'après-midi s'étendait sur Londres, baignant la ville d'une lumière douce, Harry et Drago (enfin surtout Drago) discutaient avec animation dans l'ombre de l'imposant bâtiment d'AnimaGuard. Construite au cœur même de Londres, la structure moderne aux lignes épurées et aux grandes baies vitrées reflétait le prestige financier de l'entreprise. Les murs, d'un blanc immaculé, soulignaient une propreté presque clinique. À l'entrée principale, des portes en verre automatiques s'ouvraient sur un hall spacieux au sol de marbre.
Drago croisa les bras avec obstination : « Non. Non. Non. Et non. Hors de question. Tu n'as qu'à faire la mariée toi-même. »
« Tu es le mieux placé pour jouer ce rôle, Drago - expliqua Harry, ses yeux émeraude fixés sur le bâtiment en face d'eux - En plus, je suis physiquement plus grand et plus fort que toi, ça a donc plus de sens que je sois le marié. »
Drago haussa un sourcil : « Ce n'est pas une raison valable, Potter. »
« Si, c'est une excellente raison, » répliqua Harry, esquissant un sourire malicieux.
« Il doit bien y avoir une autre façon de faire ça… » marmonna Drago, boudeur.
Harry haussa les épaules : « Peut-être, mais c'est la meilleure option que j'ai en tête. Et il faut que ça paraisse crédible. On ne peut pas se permettre d'être repérés. »
Une contre-attaque sembla germer dans l'esprit de Drago : « De toute façon, on n'a pas de Polynectar. Dommage. On va trouver une autre solution. »
« Il n'y a absolument pas besoin de Polynectar et tu le sais très bien. »
« J'ai oublié le sort, » mentit Drago.
« Et moi je suis spécialisé en sortilèges de métamorphose, » conclut Harry, inflexible. Il dégaina sa baguette et, d'un geste habile, jeta un sort sur lui-même et Drago ; Une lumière dorée les enveloppa brièvement avant de se dissiper. Il portait désormais un costume parfaitement taillé, élégant. Ses cheveux noirs étaient coiffés en arrière, de manière discrète et ses yeux émeraude avaient tourné au brun, reflétant son désir de ne pas attirer trop l'attention… Bref, il était l'archétype du jeune patron riche, mais sans caractère.
Lorsqu'il posa les yeux sur Drago, son souffle se coupa : à aucun moment il n'avait anticipé la splendeur qui émanerait de cette métamorphose : ses cheveux blonds tombaient en cascade avec élégance autour de son visage, encadrant des traits délicats et soulignant des yeux gris pétillants. Une robe noire mettait en avant sa silhouette souple et élancée. Un manteau en vison blanc ajoutait une touche de glamour à son ensemble, tandis que des talons hauts accentuaient sa démarche gracieuse.
Harry devina qu'une pointe d'inconscient avait influencé sa magie, donnant à Drago une beauté remarquable, tandis qu'il s'était contenté du strict minimum pour lui-même.
Drago, ajustant avec assurance son manteau, lança un regard exaspéré vers l'imposant bâtiment d'AnimaGuard : « Pourquoi est-ce toujours moi qui doit jouer les rôles embarrassants ? »
Harry, reprenant ses esprits, répondit avec sincérité : « Pas du tout. Tu es... je te trouve magnifique. »
Drago leva un sourcil d'un air sceptique, mais l'inconfort initial s'effaça légèrement devant le compliment et il saisit le bras d'Harry avec une assurance presque instinctive, comme une fiancée s'accrochant à son futur mari : « Potter, j'ai horreur de ces chaussures. »
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La réception, élégamment décorée, accueillait les visiteurs avec raffinement. Les lustres étincelants reflétaient la richesse et le pouvoir qui soutenaient cette entreprise. Des portraits de politiciens souriants ornaient les murs, témoignant du soutien financier dont AnimaGuard bénéficiait.
Drago murmura à Harry, une pointe d'amertume dans sa voix : « Tu vois ces types ? Ils sont tous dans la poche d'AnimaGuard. Leurs généreuses contributions garantissent à cette entreprise l'impunité. »
Harry observa les lieux avec un regard critique. « C'est un sacré réseau qu'ils ont. On dirait que tout ici a été conçu pour donner au public une image impeccable. Ça ne sera pas facile de dénicher des indices. – Il pointa un des gardiens du menton – Il y a beaucoup de personnel de sécurité aussi. »
Drago hocha la tête, sérieux : « C'est pour ça qu'on doit jouer serré. On va donner un bon coup de pied dans la fourmilière… »
La réceptionniste, impeccable, chignon serré, leva les yeux de son ordinateur lorsqu'Harry et Drago approchèrent. Un sourire professionnel était accroché à ses lèvres : « Bon après-midi, Madame, Monsieur. Comment puis-je vous aider ? »
Drago releva le nez et la toisa avec mépris : « Mais oui, Henry, explique donc à la dame comment elle peut t'aider. »
Harry s'inclina légèrement et répondit : « Nous sommes ici pour discuter d'une acquisition exclusive, quelque chose d'extraordinaire pour satisfaire les goûts exquis de Druscilla, ma future épouse. Nous aimerions voir ce que votre entreprise peut nous proposer. »
La réceptionniste, toujours professionnelle, consulta ses dossiers avant de lui tendre une brochure : « Ah, bien sûr, Monsieur. Laissez-moi vous proposer notre catalogue d'animaux rares et exceptionnels. Ces animaux sont triés sur le volet et ont tous un fantastique pédigrée. »
Drago, arracha le fascicule des mains d'Harry et le feuilleta rapidement, d'un air dégoûté, avant de la rejeter sur le bureau. Il poussa un soupir agacé et pinça les lèvres : « Ce ne sont que des bêtes ordinaires que l'on peut trouver partout. Henry, chéri, je mérite mieux que cela. Allons-nous-en. »
Harry jeta un regard désolé à la réceptionniste : « Je suis navré. Vous savez, ma femme a des goûts très spécifiques. Elle ne peut pas se contenter du tout-venant… »
Le sourire de la réceptionniste se crispa : « Madame, attendez. Pourquoi ne pas prendre un Rendez-vous avec notre Directeur, Monsieur Anderson ? Il pourra discuter de vos préférences et s'assurer que vous trouverez quelque chose qui correspond parfaitement à vos attentes. »
Drago afficha un sourire condescendant et posa délibérément sa main ornée d'une bague étincelante sur le bureau. L'éclat de l'énorme solitaire attira immédiatement l'attention de la réceptionniste. À elle seule, cette pierre devait coûter plusieurs millions de gallions.
« Je crois que vous n'avez pas très bien compris, très chère. Cette petite chose à mon doigt vaut probablement bien plus que toute une année de votre modeste salaire. - Drago laissa échapper un rire ironique, ajoutant à son interprétation un soupçon de dramatisme. - Cependant, ne vous méprenez pas. Ce n'est rien comparé à ce que je mérite réellement. Bientôt, cette bague sera remplacée par un bijou d'une qualité bien supérieure. Si AnimaGuard ne peut pas suivre le rythme de mes exigences, alors je crains que notre précieux temps ne soit gâché ici. »
Harry baissa la tête en signe de soumission : « Druscilla, chérie, ma toute douce, ne sois pas comme ça… »
Drago inclina légèrement la tête, désabusé : « Mon futur mari est ici pour me trouver quelque chose de vraiment extraordinaire, quelque chose qui soit à la hauteur de mon raffinement et de ma stature. Et ce n'est pas votre… insignifiant petit catalogue qui va le convaincre. »
La réceptionniste, voyant qu'elle risquait de perdre ses clients, sourit et baissa la voix : « Eh bien, puisque vous semblez rechercher quelque chose de plus exclusif, nous avons un Service Spécial pour nos clients VIP. C'est là que nos options vraiment exceptionnelles se présentent. »
Harry fit mine d'hésiter : « Oh, vraiment ? Je ne sais pas trop… acheter sans rien voir… c'est compliqué. »
La réceptionniste, gardant son sourire professionnel, pointa discrètement une porte à côté. « Monsieur, ne vous inquiétez pas, en prenant Rendez-Vous avec le Directeur vous pourrez choisir sur place le produit qui conviendra parfaitement à vos attentes. »
Harry, feignit l'intérêt : « Il existerait donc, dans le bâtiment, un endroit où l'on peut voir ces... euh, produits ? »
La réceptionniste acquiesça : « Absolument, Monsieur. Nous avons un espace réservé à nos clients les plus distingués. »
Drago se pencha sur Harry, posant une main sur son torse : « Chéri, je VEUX choisir mon cadeau moi-même. »
La réceptionniste réagit avec habileté : « Bien sûr, Madame. Nous comprenons l'importance de cette décision. Je vais prendre Rendez-Vous avec notre Directeur pour vous. Vous pourrez ainsi discuter de vos préférences directement avec lui. D'ici deux petites semaines, cela vous conviendrait ? »
Satisfaits, les deux hommes quittèrent le bâtiment, laissant derrière eux une réceptionniste épuisée.
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Harry et Drago se précipitèrent dans l'obscurité de la ruelle adjacente à l'entreprise, cherchant un endroit discret pour discuter de leurs prochaines actions. Selon la réceptionniste, une salle spéciale dans le bâtiment était réservée aux clients fortunés, où étaient entreposées des créatures exceptionnelles. Il s'agissait probablement de l'endroit où se trouvaient les animaux importés illégalement.
Drago fronça les sourcils : « Il va falloir trouver un moyen d'entrer là-dedans sans éveiller de soupçons. »
Harry proposa : « Pourquoi ne pas faire le tour de l'immeuble et chercher un accès discret ? Il doit bien y avoir une porte dérobée, une entrée du personnel, ou quelque chose du genre. »
Drago s'avança un peu plus en avant dans la rue, mais Harry fut retenu par une étrange voix qui l'interpella : « Hey, manant ! »
Il se retourna, scrutant la ruelle vide.
Personne.
« J'parle à toi, nodocéphale. »
Il aperçut soudain un grand furet assis sur une caisse de bois, qui l'observait attentivement. Intrigué, Harry s'approcha : « C'est toi qui parles ? »
Le furet releva ses babines : « Qui d'autre, foutriquet ? »
Harry éclata de rire : « Foutriquet ? C'est vraiment original. Tes insultes sont un peu vieillottes, non ?
Drago, manifestement dédaigneux, s'approcha à son tour : « Un Chartier... inutile de s'attarder ici, ce sont des animaux stupides et vulgaires. »
« C'est toi l'attardé. » Répliqua la bête en montrant ses petits crocs luisants.
Harry ne put contenir un rire et Drago lui lança un regard noir.
« N'insulte pas trop Drago, sa patience est très limitée. » prévint Harry avec un sourire.
« J'suis pas un Malappris. Faim. Nourris-moi. » répondit le furet en grattant une de ses oreilles d'un coup de patte.
Harry s'excusa en expliquant qu'il n'avait rien à manger sur lui. La bête, dans un acte dramatique, simula sa mort en se roulant sur le dos, la langue pendante : « Rien mangé depuis la cage. Mourir de faim. »
« Quelle cage ? » Demanda Drago, soudainement intéressé.
Il n'eut en réponse que des insultes : « Paltoquet, pignouf. » Harry prit le relais, essayant de tirer plus d'informations : « On essaie de sauver les autres animaux. Tu peux nous aider ? »
« Moi génie. Eux là-bas, toujours. Maraud ! Moi échapper. Sept jours depuis. »
« Comment ? Par où tu t'es échappé ? On voudrait passer par là nous aussi… » souffla Harry.
Les petits yeux noirs du Chartier fixèrent Harry un long moment, puis il répondit : « Pourceau ! Toi et gourgandine passer par porte. »
Intrigué, Harry chercha plus de détails : « Quelle porte ? »
Le furet pointa sa patte vers un mur en apparence ordinaire : « Toi pas voir ? Là. Là. Là. Maintenant nourris moi ! »
Drago et Harry s'approchèrent du mur, mais il semblait tout à fait normal. Drago ne put s'empêcher de lancer une pique sarcastique : « Avec autant de Chartiers dans le monde, c'est étonnant qu'il n'y ait pas encore eu de troisième guerre mondiale. »
Harry perçut une légère vibration sous ses doigts : « Le furet a raison. Il y a quelque chose de caché ici... » murmura-t-il.
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Soudain, une voix d'homme retentit au bout de la ruelle : « Je te dis que j'ai vu des fouineurs passer par ici. Dépêche-toi, on va jeter un œil. » Le bruit de bottes résonna sur les pavés.
« Merde – souffla Drago – Des gardes… »
Ils cherchèrent un refuge, une cachette, mais il n'y avait rien pour les dissimuler tous les deux et les pas se rapprochaient inexorablement.
Dans un geste impulsif, Harry plaqua Drago contre le mur, plaçant ses lèvres contre son cou. Ce dernier, pris au dépourvu, se débattit énergiquement : « Qu'est-ce que tu fais ! Putain, Potter ! »
Harry chuchota à son oreille : « Joue le jeu... »
Drago cessa de protester, permettant à Harry de replacer une mèche blonde derrière son oreille : « …Je vais te tuer… » Mais Harry scella cette fois ses lèvres contre les siennes dans un baiser passionné. Le Serpentard, dérouté, émit une légère résistance, poussant le torse d'Harry de ses mains pour essayer de l'éloigner de lui. Puis il s'abandonna et ses bras glissèrent lentement jusqu'aux épaules du brun, pour finalement s'enrouler autour de son cou. Leurs langues s'entremêlèrent. Drago sentit ses jambes fléchir, mais la main ferme d'Harry autour de sa taille le maintint debout.
Leur baiser s'approfondit, arrachant un léger gémissement à Drago.
Une voix d'homme retenti derrière eux : « C'est bon. C'est juste un connard et sa pétasse. » Un autre commentaire désinvolte fusa dans leur direction : « Trouvez-vous un hôtel. »
Les pas s'éloignèrent.
Pourtant le baisé ne fut pas rompu, il persista quelques secondes de plus. Puis, comme s'il prenait soudainement conscience de la situation, Harry se recula, le souffle court, les joues rougies : « C'est bon, ils sont partis. »
Drago, troublé par cette diversion inattendue, demeura silencieux, toujours adossé au mur. Harry s'approcha, tendant une main pour l'aider à se redresser, mais Drago le repoussa d'un geste brusque.
Il se dirigea de nouveau vers le mur, l'inspectant attentivement. D'un geste habile de sa baguette, il fit apparaître une petite porte en bois.
Tandis qu'Harry cherchait ses mots pour briser le silence, Drago l'interrompit avec fermeté : « C'est bon, ton esprit est juste perturbé parce qu'en ce moment, j'ai le physique d'une femme. On a évité les gardes, c'était le but recherché. Il n'y a aucune autre signification à ce baiser. »
Harry n'eut pas le temps de répondre : Drago s'était déjà engagé dans le passage.
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Harry s'engouffra à son tour dans le couloir, à la suite de Drago qui ne l'avait pas attendu. Le chemin le conduisit à travers un long passage sombre et sale, bordé de lourdes portes métalliques fermées à clef. Il s'arrêta et plaqua son oreille contre l'une d'elle, mais seul le silence lui répondit. La tentation de s'attarder pour explorer ces pièces fut éclipsée par l'urgence de rattraper Drago.
Enfin, le couloir déboucha dans une vaste salle, un entrepôt qui semblait avoir été négligé depuis des années. Des cages de toutes tailles s'entassaient en un labyrinthe chaotique de fer et de bois. Des plaques, vissées sur des tiges de fer, annonçaient les noms des créatures qu'elles avaient abritées : Boursouf, Jobarbille, Hippogriffe, Grapcorne...
Des piles de caisses s'amoncelaient dans les coins, recouvertes de bâches poussiéreuses et de sacs de nourriture déshydratée bon marché. L'odeur, nauséabonde (un mélange d'ammoniac et de musc animal), saturait l'air déjà alourdit par le silence glacial qui régnait.
Les pas étouffés de Drago résonnèrent plus loin dans la salle.
Harry s'approcha des cages, constatant qu'elles étaient toutes vides. Certaines, destinées aux animaux les plus petits, ne mesuraient que quelques dizaines de centimètres. D'autres, entassées au fond du hangar, étaient si immenses qu'Harry se demanda quels types de bêtes avaient pu être emprisonnés ici.
Il observa, au fond de quelques-unes de ces grandes cages, des restes d'ossements et de viande pourrie qui laissaient supposer que des créatures carnivores y avaient été enfermées.
Il nota mentalement que les cages semblaient avoir été vidées dans la précipitation. Cela renforçait l'idée que le personnel d'AnimaGuard avait transféré les animaux en hâte, laissant derrière eux une scène de désolation.
Cette « réserve » sordide ne correspondait guère à l'image d'un lieu où seraient emmenés les « Clients VIP ». C'était plutôt le témoignage de la négligence et de l'indifférence envers ces créatures magiques, reléguées dans des conditions sanitaires déplorables.
Des éraflures et des plumes tâchées éparpillées sur le sol attirèrent l'attention d'Harry. Il se baissa et ses doigts effleurèrent la texture rêche des plumes irisées, lui laissant une sensation désagréable sur la peau. Prudemment, il suivit cette piste morbide jusqu'à une trappe discrète qui se fondait dans le sol crasseux.
Des trainées de sang séché convergeaient vers cette ouverture dissimulée. D'un geste délicat du pied, Harry écarta la planche qui recouvrait le trou, avant de serrer les dents, impuissant. Une puanteur insupportable s'en échappa, s'enroulant autour de lui comme une poigne invisible. Son estomac se noua et une nausée rampante menaça un instant de le submerger. Il était tombé sur une fosse dans laquelle les agents d'AnimaGuard avaient empilé, les uns sur les autres, les cadavres de centaines d'animaux.
« Lumos. » murmura Harry, s'accroupissant pour observer plus attentivement les corps ; bien que dépourvus de plaies, ceux-ci montraient les signes évidents de plusieurs maladies infectieuses.
Cela expliquait le déplacement précipité des créatures : les conditions sanitaires déplorables avaient probablement favorisé la propagation rapide de maladies mortelles, nécessitant une mise en quarantaine de l'ensemble du « stock de marchandise ». La taille du hangar et la variété des créatures emprisonnées suggéraient qu'une valeur financière considérable était en jeu, peut-être équivalente au PIB d'un petit pays. Les dirigeants d'AnimaGuard avaient dû prendre des mesures drastiques pour protéger leur fortune.
Au loin, la voix de Drago résonna : « Tu as trouvé quelque chose ? »
Harry répondit d'un ton calme : « Non. Rien. Et toi ? »
D'un geste rapide, il recouvrit la fosse d'une bâche. Drago n'avait pas besoin de voir cette horreur.
« Je crois que j'ai quelque chose… »
Harry suivit le son de la voix de Drago jusqu'à un grand bureau ouvert sur l'entrepôt. Le sol était jonché de paperasse et quelques fioles, renversées, répandait un liquide brunâtre malodorant qui ajoutait une dimension supplémentaire à l'atmosphère déjà viciée.
Des pièces de monnaie gisaient ici et là, coincées entre des carnets à souche, qui avaient probablement servis à la gestion des bons de commandes des clients influents.
Le long des murs, il remarqua des filets, des chaînes et des bâtons électriques, clairement utilisés dans une tentative de maîtriser et de contrôler des créatures potentiellement dangereuses.
Puis, il observa le Serpentard, absorbé dans ses recherches au milieu du désordre. La silhouette élancée de Drago, rehaussée par ses chaussures à talon, ses cheveux blonds dévalant en cascade le long de ses joues et son manteau de vison blanc semblaient complètement déplacés dans cet environnement délabré et chaotique. Inconsciemment, il passa doucement son pouce sur sa lèvre inférieure. Il l'avait embrassé. Il n'arrivait toujours pas à le croire.
Non. Ce n'était pas tout à fait ça.
Il ne pouvait plus se mentir à lui-même. Il l'avait embrassé et il avait aimé ça. Pour être encore plus précis : il l'avait embrassé, avait aimé ça et avait furieusement envie de recommencer.
Il était là, le problème.
Bien sûr, il y avait le contexte : la pression engendrée par l'apparition des gardes… il avait fallu agir vite, sans réfléchir. Mais… mais il y avait autre chose. Quelque chose qui le tracassait depuis déjà plusieurs jours. Un petit truc en plus qui provoquait en lui des frissons dès qu'il voyait, parlait ou pensait au blond.
C'était totalement irrationnel.
Totalement obsessionnel.
Et surtout, Drago ne semblait pas du tout partager les mêmes sentiments. Harry savait qu'il s'était retenu in-extremis de le frapper, dans la ruelle. Il avait vu ses poings trembler et se serrer. Le blond n'était cordial en ce moment même que parce qu'ils devaient finir leur enquête, mais Harry savait qu'une fois rentrés à la maison, ce serait la guerre entre eux. Il craignait d'avoir tout gâché, lui et ses pulsions stupides.
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Drago encra ses yeux orageux dans ceux d'Harry : « Tu comptes rester là encore longtemps ? » demanda-t-il froidement.
Harry s'ébroua avant de se rapprocher. Drago lui tendit un papier jauni : « On a Rendez-Vous. »
Harry déchiffra laborieusement le message : « PBM LVS reportée. RDV 6J Castleton. Cargaison ok. Contre 1.259.000 G. TR en cours. » Il lança à Drago un regard perdu.
Ce dernier leva les yeux au ciel d'agacement : « C'est pourtant simple, Potter : la transaction est toujours en cours car ils ont eu un problème avec la livraison. Celle-ci a dû être reportée. Ils fixent donc un nouveau rendez-vous, pour échanger les animaux contre plus d'un million de Gallions, dans 6 jours à Castleton, en plein milieu du parc national. Comme le billet est signé d'il y a quatre jours, cela signifie donc que d'ici deux jours, nous devrons nous trouver là-bas, pour définitivement régler cette histoire. »
Un silence les enveloppa. Drago fixa intensément Harry avant d'ouvrir la bouche pour dire quelque chose, mais un bruit l'interrompit : quelqu'un venait dans leur direction. Il saisit son bras pour l'entraîner derrière une énorme pile de caisses.
La voix nasillarde d'une femme flotta jusqu'à eux : « Je veux que tout soit nettoyé, désinfecté, le plus rapidement possible. Et par pitié, rangez moi tout ce bazar ! On ne peut pas se permettre de perdre ce client. Nous avons déjà dû jeter beaucoup de marchandise. De combien est l'acompte ? »
Des pas hâtifs résonnèrent dans la pièce tandis qu'une autre personne (un homme) répondait avec empressement : « Oui, Madame. Tout sera fait selon vos ordres, Madame. Monsieur le Maire a déjà versé plus de 30% de la somme demandée. Il a aussi promis son appui inconditionnel à la société. Si tout se passe comme nous l'entendons, nous pourrons développer notre business dans le reste du monde d'ici trois à cinq ans. »
« C'est parfait. Réglez aussi ce problème avec ces dégénérés du Département. Je ne veux plus qu'ils mettent leur sale nez dans nos affaires. Un petit dessous de table suffira. Ils sont aussi vénaux que stupides. »
Harry sentit Drago se crisper à ses côtés.
« Madame, que faisons-nous pour le Grapcorne ? »
« Débarrassez-vous-en, discrètement. Je ne veux pas de bestiole malade chez moi. On a déjà eu assez de soucis comme ça avec la dernière épidémie. Ha ! Et tant que j'y pense, retrouvez le petit revendeur, là, et donnez-lui une bonne leçon. J'ai horreur que l'on se moque de moi. »
« Voulez-vous qu'on le fasse disparaître, Madame ? »
« Non, inutile de vous salir les mains cette fois-ci. Brisez-lui juste une ou deux jambes... et peut-être un bras aussi, pour lui apprendre à ne plus nous refiler de produits avariés. »
Les voix s'estompèrent, laissant place à un silence chargé. Drago se releva, une lueur furieuse dans les yeux : « Quelle bande de connards. Je savais déjà que le Maire était une enflure et que le Service du Département de Contrôle et Régulation des Créatures Magiques était acheté par des personnalités influentes, mais... - il eut un rire désabusé - Au final, tous les signalements que je fais depuis des années n'ont jamais servi à rien... »
Harry se tint silencieux, observant Drago, frustré et résigné, reprendre le chemin de sa maison.
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Le sort de métamorphose dissipé, Harry s'installa sur une chaise, observant en silence Drago s'affairer dans la cuisine. L'atmosphère était lourde et il pouvait sentir la tension palpable entre eux. Le Serpentard n'avait pas prononcé un mot depuis leur retour à la maison, mais Harry percevait son mutisme comme un écho des émotions tumultueuses qui tourbillonnaient en lui. Ses gestes étaient précis, mais la froideur qui émanait de lui était presque tangible. Il chercha à capter le regard de Drago, mais ce dernier évitait délibérément de croiser ses yeux.
Une voix aiguë résonna dans le silence : « Hey ! Maraud ! »
Drago se retourna brusquement ; sur la table, tranquillement installé, se dressait le Chartier. Un silence glacial gela la pièce, puis Drago se tourna lentement vers Harry : « Qu'est-ce que c'est que ça ? »
Harry se ratatina sur sa chaise : « Heu... il était tout seul... dans la rue... je ne pouvais pas le laisser là... il est plutôt... marrant, non ? »
Drago fixa longuement Harry. Ses yeux étaient si sombres qu'ils auraient pu être noirs. Harry savait instinctivement qu'ils ne prenaient cette couleur que dans les moments de fureur intense.
« Gourgandine en colère ! » lâcha le Chartier. Ce commentaire déclencha la rage de Drago. Sa baguette jaillit, déclenchant un sort qui explosa sur la table, tout près de la créature. Le furet émit un couinement avant de se glisser le long du bras d'Harry pour atteindre ses épaules.
« Fais-lui bien fermer sa gueule, Potter ! Si tu ne le fais pas, je vais m'en charger personnellement ! » cracha violemment Drago.
Harry savait qu'il ne plaisantait pas : Drago était dans un état de fureur qu'il avait rarement expérimenté. Il avait la désagréable impression que chaque seconde de plus qui s'écoulait pouvait provoquer une étincelle qui enflammerait toute la maison.
Il se plaça devant Drago, tentant de calmer le jeu, et appuya son torse contre la baguette pointée : « Drago... Parle-moi. Dis-moi pourquoi tu es en colère contre moi... »
Drago le fusilla du regard : « Je ne veux pas en parler, Potter. »
« C'est parce que je t'ai embrassé ? »
Harry sentit tout le corps du blond se tendre de fureur, mais il garda le silence et n'abaissa pas sa baguette.
« Je suis désolé, Drago. Je ne voulais pas... que... enfin je veux dire... je ne voulais pas... »
Un son, comme un long sifflement sourd, s'échappa de la gorge de Drago : « Tu ne voulais pas, Potter ? »
Harry déglutit, mal à l'aise, et tenta de s'expliquer : « Non ! Je me suis mal exprimé… Je voulais dire… je ne voulais pas te forcer… »
Un râle rauque résonna dans la pièce : « Tu m'as transformé en femme. Tu m'as plaqué contre un mur et contraint à t'embrasser... tu m'as humilié... et tu me dis que tu ne voulais pas me forcer ? »
« Je n'ai jamais eu l'intention de t'humilier, Drago. Je suis tellement désolé. Je ne pensais pas que tu le prendrais si mal. J'ai paniqué... Si j'avais su... si j'avais su je... j'aurais... »
« Si tu avais su quoi, Potter ? Que j'étais un homme et pas une femme ? Ou que quand je t'ai repoussé, cela signifiait que je n'étais pas consentant ? »
Les yeux de Harry s'ancrèrent dans ceux de Drago : « Je t'en prie... dis-moi ce que je peux faire pour me faire pardonner. Je... je t'ai embrassé parce que j'en avais envie. Je n'aurais pas dû. Je ne sais pas quoi faire pour te montrer à quel point je suis désolé. »
Drago s'approcha, menaçant. Sa voix gronda sourdement : « Non, Potter. Tu m'as embrassé parce que ton petit cerveau d'abruti m'a confondu avec une femme, pas parce que tu en avais envie. Peu importe combien tu t'excuses, ça ne changera rien. »
Harry nia avec force : « Non ! Pas du tout. Je l'ai fait parce que tu étais Draco Malfoy. Et je pourrais encore t'embrasser maintenant. Le fait que tu sois dans un corps d'homme ou de femme n'a aucun rapport avec ça ! »
Drago se figea, son regard rempli de haine, mais Harry ne détourna pas les yeux. Il espérait qu'il pourrait lire la vérité dans son regard.
« Sale menteur ! » cracha-t-il enfin avant de disparaître par la porte d'entrée, laissant Harry les bras ballants, planté au milieu de la cuisine.
