Beyond the beliefs-Eole's Theme
Le trajet pour rejoindre les montagnes n'avait pas semblé très long à Madison. Lorsqu'elle et Brann les avaient atteintes, il faisait encore jour. Plus ils gagnaient de l'altitude, plus il faisait frais, mais ce n'était pas dérangeant pour le moment. L'humaine se contentait de profiter du paysage qui, au-delà du fait qu'elle avait failli y rester plusieurs fois, restait époustouflant. Les nuages étaient si bas qu'elle pouvait presque les toucher du bout des doigts. Le renne semblait infatigable. Sur la plaine, il n'avait cessé de courir, et gravir les sommets rocheux ne semblait pas difficile pour lui.
Il finit cependant par s'arrêter, arrivé à un palier non loin du point le plus haut de la montagne escaladée et tourna légèrement la tête, cherchant à capter le regard de Madison, qui comprit ce que cela voulait dire. Elle descendit de son dos et vint se placer devant lui en gardant sa main contre son encolure. Tout comme avec Nerri, ils allaient devoir se séparer et poursuivre le chemin chacun de leur côté. Ce n'était pas des adieux, rien qu'un simple « au revoir », mais cela restait pénible. A peine retrouvait-elle des alliés qu'ils devaient déjà s'éloigner pour une durée indéterminée.
Elle planta son regard dans le sien et resta immobile un moment. Elle n'avait pas envie de le laisser, mais elle n'avait pas le choix. Brann inclina légèrement la tête pour la saluer puis il recula d'un pas et, après avoir poussé un cri rauque et grave, tourna les talons et redescendit la montagne. N'étant plus très loin du sommet, Madison continua de grimper. Elle qui adorait l'escalade, c'était un véritable jeu d'enfant pour elle. Elle ne mettrait que quelques minutes au maximum pour atteindre son but. Quoi qu'elle y découvre, Brann n'avait pas voulu rester. Peut-être en était-il effrayé et n'avait pas envie de trainer dans les parages à cause de ce qui rôdait. C'était étrange, mais Madison pouvait sentir que l'atmosphère avait changé et que cela n'avait rien à voir avec l'altitude.
Elle ne sut pas trop pourquoi mais, au beau milieu de son ascension, elle pensa à ses amis qu'elle n'avait pas vus depuis longtemps, tels qu'Erik et Hank, ou encore Scott Lang et Sam. Tout un tas de personnes qui lui manquaient beaucoup. Il y avait, d'une part, les mutants qui étaient pour elle une seconde famille depuis leur rencontre, sur qui elle avait toujours pu compter. Elle avait passé un nombre incalculable d'heures à travailler avec Hank et à débattre de tout et de rien avec Erik. Quant à Sam et Scott, elle avait combattu plusieurs fois à leurs côtés, notamment en Allemagne. Elle savait que quelle que soit l'heure à laquelle elle appellerait, ils répondraient présents si besoin. Si, pendant ses huit mois d'absence, l'un ou l'autre avait eu de gros problèmes, elle aurait répondu présente, comme pour le reste de ses amis.
Enfin elle atteignit la toute dernière plateforme, le plus haut point accessible de la montagne. Elle se hissa à la force de ses bras puis donna une impulsion avec ses jambes et, un fois à plat, elle s'assit sur le sol et s'allongea en reprenant son souffle, les yeux rivés vers le ciel gris-vert. Il faisait de plus en plus froid, la puissance du vent ne cessait d'augmenter. Madison craignait presque qu'en se levant, elle risque de s'envoler, comme si elle était faite de papier. Elle resta donc étendue un instant à terre, attendant que cela se calme un peu, et elle en profita pour remettre de l'ordre dans ses pensées qui se mélangeaient à toute vitesse. Décidément, son esprit ne la laissait jamais en paix.
Ce fut lorsque la brise se transforma en forte bourrasque que Madison commença à s'inquiéter. Les tempêtes en haute altitude ne lui plaisaient pas du tout. Premièrement, elle n'avait nulle part ou s'abriter, et se prendre un éclair –dans l'hypothèse où l'orage pointerait le bout de son nez– ne l'enchantait guère. Deuxième point : s'il se mettait à pleuvoir, le sol deviendrait glissant et ses chances de tomber dans le vide seraient alors plus élevées. Heureusement pour elle –et encore, c'était un bien grand mot–, il n'y eut ni averse ni tonnerre. Juste du vent. BEAUCOUP de vent.
Elle se mit brusquement assise avant de se figer lorsqu'elle entendit, au loin, un oiseau de proie huir bruyamment. Elle s'habituait aux animaux sauvages qui voulaient lui faire la peau mais en attendant, tant qu'elle n'était pas assurée qu'ils étaient « apprivoisables », cela restait un problème de taille. Elle ne voulait en aucun cas se dire qu'il ne s'agissait QUE d'un oiseau. Elle ne devait surtout pas prendre à la légère la moindre menace que représentaient les créatures de ce monde. Quel que soit le volatile qui venait de se manifester en poussant ce cri, elle savait déjà qu'elle allait passer un très mauvais quart d'heure.
Elle discerna alors, à travers les épais nuages, deux points lumineux violet vif se rapprocher rapidement, fonçant droit vers elle. Des yeux. Madison n'allait pas tarder à faire la connaissance d'un autre animal apparemment en colère. Elle se redressa en protégeant ses propres yeux du vent en gardant néanmoins un visuel sur son potentiel nouvel adversaire, qu'elle peinait à voir plus nettement dans ce ciel couvert. Elle s'abaissa juste à temps pour éviter le volatile qui avait visiblement l'intention de lui nuire.
C'était un faucon, un peu plus grand que la taille qu'il aurait été supposé avoir. Ses serres puissantes et d'un violet profond laissaient penser qu'elles pouvaient déchiqueter tout et n'importe quoi, quant à son bec, de la même couleur, aurait pu broyer sans effort chacun des os de l'humaine. Ses plumes étaient majoritairement grises, en dehors de son ramage au niveau du cou et à partir de la moitié de ses ailes, qui tendait vers un mélange de mauve et magenta. De ses yeux perçants, il fixait Madison et alla se percher en hauteur en battant frénétiquement des ailes. Il était très clair que faire ami-ami avec l'animal ne serait pas chose aisée.
Il huit une seconde fois, et son cri fut si strident que Madison du plaquer ses mains sur ses oreilles pour éviter que ses tympans n'explosent. C'était un son vraiment insupportable et excessivement désagréable. Autre chose qui lui déplut : les volutes de fumée qui se mirent à tourbillonner à deux mètres à peine d'elle, dissimulant ce qui ressemblait à une silhouette masculine. Elle ne vit pas tout de suite son visage, mais quelque chose au fond d'elle lui souffla le nom de celui qu'elle pensait qui apparaitrait cette fois-ci. Il s'agissait d'une des seules personnes qu'elle avait perdues qu'elle n'avait pas revue depuis son décès. Elle n'était même pas certaine de vraiment vouloir le revoir, même si, pendant des années, il lui avait manqué.
L'amas de fumée cessa de tourner et fonça sur elle avec une telle force qu'elle en tomba à la renverse et, immédiatement, elle sentit comme deux mains se refermer autour de sa gorge telles un étau. Peu à peu, la fumée commença à se dissiper, laissant lentement apparaitre un homme, dont le visage resta encore flou. Madison se saisit de ses poignets afin de le forcer à la relâcher, mais elle ne put que l'empêcher de la priver totalement d'air. Il avait une force équivalente à la sienne, ce qui n'arrangeait rien. Il la surplombait de tout son corps, elle pouvait à peine bouger, mais elle ne céda pas. Même lorsqu'elle reconnut enfin ses traits. Elle ne s'était pas trompée, il s'agissait de Leonard.
–J'aurais préféré que tu fasses ça quand on partageait la même chambre, tenta-t-elle de plaisanter afin de détendre l'atmosphère, ce qui n'eut pas l'effet escompté. Tu comptes vraiment me tuer, après avoir tout fait pour que je reste en vie ?
–Qu'ai-je récolté en retour ? rétorqua-t-il, mauvais, sans desserrer sa prise. Me faire tuer par Rumlow, pour toi et cet incapable de Barnes !
–C'était ta décision, pas la mienne ! répliqua-t-elle, ne voulant pas se laisser abattre, tout en continuant de lutter afin qu'il la lâche. Si je te vois aujourd'hui, c'est parce que, tout comme pour Alex et Jean, je me sentais responsable de ta mort !
–PARCE QUE TU L'ES ! affirma férocement l'homme, le regard noir, en serrant plus fort.
–Sais-tu seulement combien c'était dur de me faire enfermer par Hydra alors que tu venais de mourir sous nos yeux ? souffla-t-elle plus doucement. Len, ça m'a brisé le cœur de réaliser que je ne pourrais pas te sauver… ! J'étais… J'étais…
Elle ne savait que dire pour le faire réagir. Pour se faire réagir elle-même, puisque tout ce qui lui arrivait depuis qu'elle était arrivée n'était dû qu'à ses propres tourments et conflits intérieurs. Qu'avait-elle ressenti le jour où il s'était fait tirer dessus ? Ça n'avait pas été de la colère comme avec Alex. Ni la même douleur éprouvée par Jean. C'était différent. En entendant ses derniers mots, qu'il leur avait péniblement adressé, elle avait alors éprouvé une immense tristesse car elle avait compris qu'il ne s'en sortirait pas et n'aurait pas droit à cette seconde chance qu'il méritait tellement. Il aurait dû vivre, repartir de zéro, avoir l'esprit tranquille et au lieu de ça, comme toujours, Hydra les avait rattrapés. Oui, c'était la tristesse qui l'avait envahie ce jour-là.
Leonard raffermit davantage sa prise. Il ne plaisantait pas. La seule chose qu'il semblait vouloir était de mettre fin aux jours de Madison. Cette dernière, en revanche, n'avait pas prévu de passer l'arme à gauche, pas aujourd'hui. Ce ne fut que lorsqu'elle cessa de lutter que l'homme la relâcha subitement, ne comprenant pas pourquoi elle ne se défendait même pas.
–Regarde-nous… reprit-elle avec un demi-sourire. Pires qu'Edward et Bella…
Si elle disait cela, c'était parce qu'elle se rappelait qu'il lui avait confié que le dernier livre qu'il avait lu était Twilight, ce qui l'avait amusée. Elle leva lentement une main et, d'un geste d'abord hésitant, la posa contre la joue de l'homme, qui ne broncha pas. Elle n'avait plus envie de se battre contre ses proches. Ça l'épuisait, autant physiquement que mentalement.
–Tu avais raison, j'ai trop déteint sur toi…
Quelque chose parut se débloquer dans le regard du blond. Il s'écarta très lentement d'elle et se mit simplement assis sans la lâcher des yeux. Il la considéra un instant sans rien dire, tandis qu'elle resta allongée sur le dos, sur le sol rocheux glacé. Madison soupira longuement, un peu fatiguée après cette brève altercation.
–Tu es infernale, Grace.
Grace. Il n'y avait que lui qui l'appelait comme ça.
–Je sais, répondit-elle doucement, puis il lui tendit la main, alors elle l'attrapa et il l'aida à se mettre assise à son tour. Ça ne t'a pas empêché de rester à mes côtés et me défendre jusqu'au bout, précisa-t-elle en le regardant dans les yeux et enfin il lui sourit. Tu m'énerves, lâcha-t-elle ensuite.
–Avoue que tu as toujours adoré que je t'embête.
–Hors de question.
–Tu m'as manquée, lui confia-t-il calmement.
–Toi aussi.
Madison ne prêtait plus tellement attention à ce qui les entourait, ni l'environnement. Le vent c'était calmé, ce qui était très bon signe. Leonard posa gentiment sa main par-dessus l'une des siennes sans prononcer un mot. Déjà dix ans qu'il était parti, mais jamais Madison n'avait oublié ce que ça lui faisait de se retrouver avec lui. Le temps était passé à une vitesse folle. Elle avait vécu d'innombrables aventures depuis leur dernière rencontre. Leonard garda sa main dans la sienne.
–Tu crois que c'était forcément voué à l'échec ? voulut-il savoir, à la fois curieux et attristé.
–Je pense qu'on s'est juste rencontrés au mauvais endroit, au mauvais moment, répondit-elle sincèrement.
–Tu t'en es relativement bien sortie, finit-il par dire. Tu as retrouvé la mémoire, tu as rejoint les Avengers et as sauvé le monde avec eux… Et puis, tu as eu un fils, dont le deuxième prénom est le mien, ajouta-t-il avec une pointe de fierté qui la ravit. Ça en fait, du chemin parcouru… J'ai longtemps été triste de constater que tu croyais dur comme fer que tout était de ta faute.
–Je pense que j'ai fait ce que j'ai pu, soupira Madison en haussant les épaules. Je ne suis pas infaillible.
–Pourtant, tu trouves toujours un moyen pour t'en sortir et déjouer la mort. Ils ne doivent pas vraiment t'apprécier, sur Hel…
–En fait, j'ai de plutôt bons amis là-bas, le corrigea-t-elle. Notamment Manleth. C'est grâce à lui que j'ai compris que j'avais sauvé Peter, à North Olmsted. Ça, en revanche, ça n'a pas trop dû plaire au patron des lieux… Heureusement que je connais sa nièce, comme ça, en cas de problème, elle saura éventuellement me couvrir… précisa-t-elle en soupirant, et en voyant que Leonard semblait un peu largué, elle ajouta : Freya. Hadès est son oncle, et aussi compliqués puissent être leurs soucis familiaux, j'espère qu'elle me défendra s'il se décide un jour à venir me gronder. Et puis, j'ai sauvé celui avec qui elle a fini par se caser, elle me doit bien ça, plaisanta-t-elle.
–Avoue que tu es contente qu'il ne soit plus aussi souvent dans tes pieds.
–Tu rigoles ? Il me manque énormément. A vrai dire, l'époque où les X-men connaissaient leurs débuts me manque bien plus qui quiconque puisse s'en douter. En ce temps-là, aucun d'entre nous ne mesurait l'étendue de l'univers et de ses dangers.
–Et tu te retrouves à combattre des dieux, compléta le blond. Heureusement que certains sont de ton côté, poursuivit-il, mains dans le dos, qu'il finit par ramener devant lui, alors Madison constat qu'il tenait un ouvrage entre ses mains crispées.
–Comment as-tu eu ça ? l'interrogea-t-elle, sourcils froncés, reconnaissant immédiatement l'ouvrage dans lequel se trouvaient des esquisses des membres de la famille de Freya.
–Les histoires de famille… soupira-t-il avec lassitude et une pointe de mélancolie. Les mensonges, les secrets… Ca n'a fait que retarder l'échéance, affirma-t-il en lui remettant le livre. Tu devrais y rejeter un coup d'œil, lui conseilla-t-il en commençant à se redresser, alors la jeune femme l'imita, comprenant qu'il n'allait pas tarder à s'en aller, alors qu'elle aurait apprécié pouvoir bénéficier de quelques minutes supplémentaires en sa compagnie. Il était temps qu'on puisse se dire au revoir comme il se doit. Grace, je sais que les choses n'ont pas été très faciles dernièrement, mais il faut que tu me fasses la promesse solennelle de faire attention. Tu as beau avoir l'habitude de faire la navette entre la vie et la mort, garde bien à l'esprit que normalement, nous n'avons qu'une vie. Un jour, tu ne te relèveras pas.
–Si ça doit arriver, alors ç…
–Ca arrivera, oui, je savais que tu allais le dire, mais tu ne comprends pas. Il y a un bon nombre d'éléments que tu vas devoir mettre en lumière, que ce soit te concernant directement ou les personnes de ton entourage, parce que d'une certaine manière, vous êtes tous reliés. Ça dépasse le fait que Mériana convoite tes pouvoirs.
–Comment ça ?
–Et moi qui pensait que de nous deux, tu étais la plus vive, la charria-t-il avant de reprendre son sérieux. Il n'y a pas que pour cette raison qu'elle ne te supporte pas.
–Beaucoup de monde me déteste, Len', j'ai fini par m'y habituer parce que je ne peux pas faire autrement.
–Justement, n'as-tu pas envie de comprendre ?
–Toi, tu sais ?
–Oui, confirma-t-il gravement.
–Et ?
–Et ce n'est pas à moi de te le dire. Tu vas devoir trouver par toi-même. Tout ce que je peux faire, c'est te laisser quelques pistes, enchaina-t-il en désignant le livre d'un simple signe de tête, que la brune se mit à fixer intensément avant de le serrer contre elle. Ça risque d'être difficile, mais te connaissant, ça devrait aller, la rassura-t-il en s'approchant lentement, après quoi il se contenta de déposer un baiser sur son front.
Plus elle avançait, plus les obstacles devenaient « simples » à franchir, et pourtant, elle se sentait de plus en plus perdue. Il devait forcément y avoir une raison pour qu'elle se retrouve à affronter ses propres souffrances, sa colère, sa tristesse. Elle ne pouvait s'empêcher de se demander ce qui lui réserverait la suite des événements. Et que savait Leonard qu'elle ignorait et qui allait apparemment la chambouler ? Pourquoi avait-elle constamment cette sensation de vide en elle, comme si une partie d'elle lui avait été arrachée ? Cette impression s'était intensifiée après la soi-disant perte de ses pouvoirs. En effet, elle n'en avait jamais voulu, mais en vivant jour après jour avec, à apprendre à s'en servi et les développer, ils étaient presque devenus essentiels pour assurer le maintien de sa santé mentale.
–Je peux te laisser ? lui demanda-t-il avec douceur. Pas de bêtises ?
–Pas de bêtises, confirma-t-elle calmement, ne pouvant cependant être certaine à cent pourcents que cette promesse pourrait être tenue, compte tenu des choses qu'elle aurait à régler une fois rentrée chez elle.
Leonard acquiesça en souriant, ravi de l'entendre dire cela.
–Tu veux bien me rendre un service ? l'interrogea-t-il. Salue l'autre grincheux pour moi.
Cela la fit sourire, puis elle le regarda reculer de quelques pas en écartant les bras, satisfait.
–Profite de la vue, Grace, lui conseilla-t-il. On n'a pas droit à un tel décor tous les jours.
Puis il s'évapora en quelques secondes. Comme Jean, comme Alex. Alors Madison prit ses paroles au pied de la lettre et examina un peu mieux es alentours. Elle n'avait pas encore prit le temps d'admirer les environs, mais depuis l'endroit où elle se situait, elle avait une splendide vue d'ensemble sur, d'un côté, les plaines parcourues en compagnie de Brann et, de l'autre, une forêt dense et sombre similaire à celle dans laquelle elle avait pour la première fois fait la connaissance du renne et au beau milieu de laquelle émergeait la colonne de lumière qu'elle souhaitait atteindre. Elle pouvait même discerner, au loin, le lac de Nerri. Le vent s'était calmé, il soufflait à peine, juste assez pour balayer ses mèches rebelles vers l'arrière.
Elle reporta alors son attention sur son livre de mythes, légendes et divinités en tous genres pour l'ouvrir à la page désirée : celle de l'arbre généalogique de son amie de Vanaheim. Comme elle s'y était attendue, elle reconnut les visages de Freya, de son frère, de sa mère. Ceux des oncles et tantes des jumeaux y était également représentés et, pour la première fois, Madison constata que celui de Mériana y figurait enfin, comme si le fait de l'avoir démasquée l'avait fait apparaitre. Ce ne fut cependant pas ce qui l'intrigua le plus. Au lieu de n'y avoir que six branches représentant chacun des six enfants de Mériana, une septième s'était dessinée. Il était vrai qu'Hestia avait mentionné le fait qu'une de ses sœurs avait été tuée, mais pourquoi apparaissait-elle seulement maintenant ? Enfin, « apparaitre » était un bien grand mot, car les traits de son visage n'étaient pas très nets et difficilement reconnaissables. Ce que la brune put savoir avec certitude, en revanche, fut que cette femme avait visiblement eu une descendance.
Madison se mit à avoir des doutes. Elle avait peur de commencer à comprendre. Pourtant, à l'instant où elle fut sur le point de passer à la page suivante, l'ouvrage se dématérialisa, la laissant une fois de plus seule avec ses songes et ses pensées en ébullition. A chaque fois qu'elle faisait un pas en avant, elle reculait de deux. C'avait presque toujours été comme ça, et ce depuis qu'elle était enfant. Elle vivait dans un monde de désillusion constante, mais elle avait bien l'intention de faire bouger les choses. Elle en avait assez d'être dépassée par les événements, encore plus lorsque cela la concernait. Elle voulait avoir un contrôle total sur sa propre vie, ne plus laisser qui que ce soit lui dicter sa conduite, ou s'amuser avec ses souvenirs en les effaçant partiellement ou en les modifiant. La dernière fois que son esprit avait fonctionné convenablement, sans être altéré de la moindre manière qui soit était avant l'accident en quatre-vingt-onze, avant même qu'elle se découvre quelques dons télépathiques.
Elle entendit un discret pépiement qui la fit lever la tête. Le faucon gris clair et violet n'avait toujours pas bougé de son perchoir, mais était resté suffisamment silencieux pour se faire oublier le temps que Leonard et Madison discutaient. Lorsque l'oiseau se mit à battre des ailes sans pour autant s'envoler, l'humaine lui adressa un simple « coucou » de la main, curieuse de savoir si cela se produirait de la même manière avec le volatile qu'avec le félin ou le cervidé. Il y eu un temps de silence pesant durant lequel tous deux se fixèrent sans bouger, puis le rapace décolla et vint tourner autour de la terrienne en effectuant des cercles parfaits, se déplaçant à une distance d'environ un mètre cinquante d'elle.
Cela donna d'abord un peu le tournis à Madison, mais rapidement, elle se sentit en confiance. Peu à peu, de nouvelles images envahirent sa mémoire -où plutôt, ressurgirent d'un coin reculé de son esprit-. Elle revit le saule où elle et Thor s'étaient reposés dans un de ses rêves, un saule présent sur Asgard. Ce qui la surprit fut de découvrir que la reine Frigga se tenait à ses côtés. Perché dur l'une des plus hautes branches, le faucon les regardait en gazouillant gaiment puis descendit et vint se placer sur l'avant-bras gauche tendu et protégé d'un gantelet de cuir de Madison. L'oiseau vint frotter le haut de son crâne contre la joue de la version du passé de l'humaine, tandis que la « vraie » terrienne ne put s'empêcher de sourire en voyant cette scène qu'elle avait été contrainte d'oublier.
Le second souvenir représentait l'oiseau sous une forme plus mystique, comme Nerri lorsqu'elle se trouvait sous l'eau faites de filaments lumineux et brillants. Le volatile se trouvait derrière elle et disparut derrière son dos. Puis, dans la seconde qui suivit, ce fut comme si Madison était pourvue d'une paire d'ailes translucides qui se déployèrent avant de s'effacer, puis elle se détacha du sol. C'était comme si l'humaine et l'animal ne faisaient plus qu'un en combinant leurs capacités. Elle vit même une lueur mauve illuminer ses propres yeux, ce qui n'était jamais arrivé auparavant. Elle était habituée au vert lorsqu'il s'agissait de la nature, de l'orangé lorsqu'elle se mettait vraiment en colère et du blanc au moment où elle se servait de ses dons de guérison. Il y avait aussi eu la fois où elle avait basculé du mauvais côté. En ces temps-là, les couleurs vives s'étaient effacées pour laisser place au noir de jais.
Dans le dernier souvenir, le faucon vint se poser sur son épaule alors qu'elle marchait en compagnie de Thor et Loki vers une destination qui lui était inconnue. Cette vision-ci fut très brève et rapidement, elle se retrouva à nouveau dans le monde réel.
Dès lors, l'oiseau cessa ses ronds et se posa à terre à même la pierre glacée, ailes repliées, tête très légèrement penchée sur le côté et le regard verrouillé dans celui de Madison, qui se mit accroupie face à lui. Désormais, à peine un mètre les séparait, alors elle tendit doucement la main et attendit que le faucon se décide à avancer, ce qu'il fit avec d'abord beaucoup de prudence et d'appréhension. Il lui fallait juste un court temps d'adaptation. Il fallait que chacun se réhabitue à l'autre. Enfin, « chacune ».
–N'aie pas peur, lui souffla Madison avec un sourire rassurant. Tout va bien, tu es en sécurité, ajouta-t-elle.
Le rapace, très calmement, mit une patte devant l'autre pour supprimer peu à peu la distance qui subsistait. Au moment où sa tête se frotta contre la paume de s'humaine, l'oiseau émit un roucoulement de satisfaction.
–Tu n'as pas changé, Eole.
Madison se souvenait totalement d'elle, à présent. Elle avait toujours du mal à croire qu'elle ait été forcée d'oublier des individus qui faisaient pourtant partie intégrante d'elle. Mais enfin, les choses s'éclaircissaient. Elle comprenait pourquoi certains blocages l'avaient empêchée d'avancer. Elle avait raison, toute une facette d'elle-même lui avait manqué pendant des années et elle avait dû se débrouiller sans, tout en ignorant que cela avait un jour existé. Le bout des ailes d'Eole frémirent, remuant la fine couche de poussière qui s'était déposée sur le sol. Madison pouvait lire dans ses grands yeux violets une immense nostalgie, celle-ci était directement liée au ressenti de la brune. Nerri avait su saisir sa douleur, Brann était un reflet parfait de sa colère refoulée tandis qu'Eole était là pour lui rappeler qu'elle avait le droit, comme tout le monde, d'éprouver de la tristesse.
–Tu ne m'aurais pas attaquée, pas vrai ? lui demanda Madison avec une pointe de malice.
Eole lui répondit en roucoulant à nouveau, puis attrapa un pan de sa chemise en flanelle avec son bec et tira légèrement dessus tout en s'envolant. Madison se leva et laissa l'oiseau guider ses pas. Volant à reculons, le faucon la conduisit jusqu'au bord de la falaise puis la relâcha et vint se poser sur son épaule non-blessée. Au début, Madison avait un peu craint que l'animal s'installe là à cause de ses serres mais étrangement, elle sentit à peine quelque chose. Après tout, presque tout ce qui l'entourait était magique. Ensemble, elles se contentèrent en premier lieu de regarder l'horizon.
Si les lieux n'étaient pas aussi hostiles, elle adoré y vivre. Déjà petite, avant même de se voir transmettre la magie de Gaïa, elle préférait la ruralité de la campagne à la grande ville. Il y avait plus d'espace, l'air y était plus pur, elle s'y sentait libre. Que ce soit au milieu d'un champ, en pleine mer ou perdue en pleine forêt, elle se sentait capable de réaliser n'importe quoi, même seule. Bien sûr, elle préférait avoir un peu de compagnie ses amis, sa famille ou même des inconnus avec qui faire connaissance et se lier ensuite d'amitié.
Madison échangea un rapide coup d'œil avec Eole, coup d'œil qui les mirent d'accord sur le même point : il allait falloir que la terrienne se débrouille, une fois de plus, sans aide extérieure pour atteindre la destination qu'elle visait depuis quelques jours et dont elle se rapprochait à grands pas. Elle se doutait que d'ici peu, elle aurait l'occasion de rentrer chez elle, la tête remplie de plus de questions que lorsqu'elle était partie. Même san la voir, elle aimait de moins en moins Mériana, qui s'acharnait sur elle depuis des années sans une once de remords. Elle ne comprenait toujours pas comment quelqu'un pouvait causer autant de mal sans éprouver de culpabilité. Comme Leonard l'avait précisé, il restait certains squelettes à découvrir dans les placards mais, tout comme peu de temps avant de recouvrer la mémoire concernant son identité, Madison n'était plus vraiment certaine que savoir la ferait se sentir mieux.
–J'ai peur, confia-t-elle à voix basse à Eole, qui, toujours sur son épaule, colla sa tête contre sa joue. Si ce que j'apprenais détruisait tout… ?
C'était sa plus grande crainte, même si elle demeurait pour le moment incertaine des réponses qui l'attendaient au bout de son chemin. Cependant, elle n'avait pas d'autre choix que de continuer, un peu à l'aveuglette certes mais continuer tout de même. Ses proches lui manquaient de plus en plus et elle était consciente que si elle ne rentrait pas à temps, Mériana en profiterait pour faire encore plus dégénérer la situation. « Marche ou crève ». Tels étaient les quelques mots qu'elle ne cessait de se répéter en boucle. Quelque chose grondait en elle, étant alimenté par ses mésaventures dans les Limbes. Elle savait que dès l'instant où elle laisserait tout sortir, elle en ressortirait métamorphosée à jamais.
