Tears of salvation-Amarok's Theme
–Natasha, puis-je me permettre de poser une question ? demanda Loki.
–Je ne pense pas qu'il s'agisse forcément du bon moment, mais je t'en prie, répondit la rouquine, tandis qu'eux deux ainsi que Thor, Bucky, mais également Beorth, Manleth et Wargrith qu'ils avaient retrouvé en route progressaient sur un sentier tortueux, aux aguets.
–Cela remonte à notre premier affront, expliqua-t-il. Du moins, son issue, lorsque Thor et moi sommes repartis sur Asgard. Peu de temps avant de nous en aller, je t'ai vue te pencher vers Barton pour lui murmurer quelque chose et cela a semblé l'amuser. Je ne vais pas te mentir, cela me travaille depuis, car je n'ai aucune idée de ce que tu as pu lui dire ce jour-là, lui apprit-il. A moins que tu ne lui aies simplement demandé de sourire afin de me mettre en rogne pour que votre échange secret me trouble jour et nuit pendant des années.
Natasha arrêta de marcher, surprise par cet interrogatoire ainsi que les déductions du dieu de la malice, qui attendait visiblement une réponse très sérieuse de sa part. Il y eu une sorte de moment de flottement durant lequel l'espionne russe se demanda tout de même s'il plaisantait ou pas, mais elle comprit rapidement qu'il avait vraiment envie de savoir. Elle fronça les sourcils, car comme elle venait de le préciser, il y avait d'autres moments que celui-ci pour discuter de cela. Cependant, son air intrigué laissa peu à peu place à de l'amusement, qu'elle démontré en souriant en coin, satisfaite.
–Ça t'a tant perturbé ? l'interrogea-t-elle. J'en suis ravie, poursuivit-elle en se remettant à avancer à la suite du reste du groupe, qui arrivait à la portée de Dakrael et Freyr, qui avaient dû se retrouver un peu plus tôt en se mettant en tête, tout comme eux, de rejoindre les autres. Crois-moi, reprit-elle en sentant le regard insistant du Jotün posé sur elle, ce n'était pas grand-chose. Et tu risquerais de mal le prendre, alors mieux vaut pour l'instant que je garde ça pour moi.
– « Pour l'instant » ? répéta Loki. Cela fait douze ans, j'ai bien le droit de savoir, n'est-ce pas ? s'obstina-t-il en marchant juste à côté d'elle. Au moins un indice, persista-t-il à la manière d'un enfant trop curieux, ce qui ne fit qu'amuser davantage la terrienne.
–Non.
–Mais pourquoi ?
–Parce que c'est tellement plaisant de te regarder t'arracher les cheveux comme ça, répondit-elle malicieusement, et avant que Loki puisse rétorquer quoi que ce soit, ils aperçurent Freya au loin et lui firent signe afin qu'elle les rejoigne. Freya ! s'exclama la rouquine en allant à sa rencontre. Ça va, tu n'as pas rencontré de problème en chemin ?
–Non, rien pour le moment, lui assura cette dernière. Qui manque-t-il encore, en dehors de ma mère et mon frère ? la questionna-t-elle en regardant un à un ceux qui l'accompagnaient.
–Hum, Dakrael, Areon et Elrion, réfléchit Natasha en regardant elle aussi leurs acolytes. Ils sont probablement dans les environs, à se disputer sur je ne sais quel sujet…
–Tu ne vas vraiment rien me dire ? réitéra Loki en les approchant, les yeux plissés.
–Mais tu vas me laisser tranquille, oui ? rétorqua la terrienne, faussement ennuyée. On en parlera plus tard.
–Ça veut dire que je saurais ce que vous vous disiez ?
–On verra, soupira-t-elle en levant les yeux au ciel et, quand elle vit le regard que lui lançait Freya, elle lui souffla de ne pas faire attention à lui.
Tous se figèrent simultanément lorsqu'ils entendirent la voix puissante du géant de feu les appeler, cherchant visiblement à les localiser, où qu'il soit. Bucky marmonna que niveau discrétion, ce n'était pas encore ça, mais ils ne tardèrent pas à voir débarquer les cinq personnes manquantes de leur équipe de choc, sortant de derrière les arbres. Comme à son habitude, l'Ambassadeur de Muspellheim tirait une tête de six pieds sous terre en maudissant dieux et démons. Dakrael, lui, conservait son calme, et Elrion faisait de son mieux pour ne pas s'énerver contre son allié ronchon. Hestia et Freyr furent surtout rassurés qu'ils soient enfin tous réunis.
–Plus de peur que de mal, constata la déesse.
–De quel côté devons-nous aller ? lui demanda Wargrith.
–Vers l'Est, affirma-t-elle.
–Vous semblez particulièrement sûre de vous, fit remarquer Beorth. Sentez-vous la présence de votre mère dans cette direction, ou peut-être est-ce votre instinct qui vous invite à vous rendre là-bas ? proposa-t-il, intrigué.
–Non, il y a juste de la lumière, expliqua-t-elle simplement en leur désignant un point lointain dans le paysage, où s'élevait un étrange pylône lumineux. Ne me regardez pas comme ça, je ne suis pas devin. Je suis davantage dans la pyrotechnie, rappela-t-elle en faisant danser une flamme orangée entre ses doigts.
–Mh, déclara Areon en croisant les bras, avant de poser les yeux sur le fils de cette dernière. Et vous ? C'est quoi, vos aptitudes, en dehors d'être un excellent menteur, au point que les neuf royaumes vous prennent pour plus grand psychopathe que moi ?
–C'est similaire, à peu de choses près, répondit calmement le concerné, les yeux rivés sur la colonne de lumière. Allons-y, lança-t-il ensuite à l'assemblée en prenant les devants, prêt à en découdre avec Mériana si jamais elle leur tombait dessus.
. . . . . . . .
Madison resta stable, sur ses appuis, malgré le regard brillant qui la fixait depuis la pénombre. Quel que soit le prédateur qui s'apprêtait à faire son apparition, mieux valait pour elle qu'elle demeurât aussi immobile que possible, qu'elle ne montre aucun signe de faiblesse, qu'elle ne recule pas devant le danger. Elle devait éviter les mouvements brusques et les cris apeurés. En toute logique, elle aurait dû reculer lentement en gardant les yeux rivés sur le sol, mais dans son cas, la fuite n'était pas la solution. De plus, elle était comme hypnotisée, happée par cette lueur telle un frêle papillon de nuit. Les grognements doublèrent mais Madison ne broncha pas. Il était impensable qu'elle batte en retraite alors qu'elle se trouvait si près du but. Un coup de tonnerre soudain la fit tout de même sursauter. Pendant un instant, elle crut même que Thor en était à l'origine, mais il n'y eut ni éclairs ni arrivée brusque de l'asgardien. Elle aurait donné n'importe quoi pour qu'il soit là.
La créature à laquelle appartenaient ces yeux perçants s'approcha en frôlant les arbres sans détourner à un seul instant le regard. Madison pouvait sentir la terre vibrer au gré des pas de l'animal. Il s'agissait du dernier élément auquel elle devait faire face et qui lui permettrait de ramener une certaine stabilité dans sa vie. Cet élément avait toujours été son point d'ancrage, après tout, celui avec lequel elle était la plus à l'aise. Celui qui, selon elle, la définissait le mieux. Celui qui lui manquait le plus plusieurs mois, non pas parce qu'elle avait une quelconque préférence. Alors que la créature continuait d'avancer, l'humaine tentait tant bien que mal de s'en rappeler avant qu'elle ne lui apparaisse plus clairement. Elle eut beau fouiller dans sa mémoire, ses souvenirs ne semblaient pas enclins à coopérer du moment qu'elle ne verrait pas mieux l'animal tapi dans l'ombre.
Enfin il se distingua sous un rayon de lune timide qui peinait à se frayer un chemin à travers les branches. Un pelage d'émeraude luisant, mélange de feuilles et de lianes qui venaient s'enrouler autour de ses pattes avant. Les pattes arrière, elles, paraissaient constituées de racines nouées et emmêlées. La bête montait les crocs, ses oreilles avaient tendance à être tournées vers l'arrière, symbole de sa colère et son agressivité, et son museau était froncé. L'animal était imposant et avait fière allure, il n'était pas du genre à éviter de prendre part à un combat. Il s'immobilisa à un peu plus de trois mètres de la terrienne, l'air se voulant menaçant.
Il impressionnait Madison sans l'effrayer. Elle était davantage intriguée et n'avait qu'une seule envie : rejoindre ce loup et rétablir le contact avec lui, aussi dangereux celui puisse-t-il être. Elle soutint donc son regard avec courage, ne voulant pas donner l'impression à ce souverain des bois qu'il pouvait facilement s'en prendre à elle. Ils se toisaient en chien de faïence. Dans l'hypothèse où le loup l'attaquerait férocement sans qu'elle ait le temps de se défendre ou se mettre à l'abris, elle avait toujours la dague à sa disposition, dont elle n'avait évidemment aucune envie de se servir contre l'animal. Elle ne voulait pas lui faire mal car d'une certaine manière, ils étaient pareils et il faisait partie d'elle. Hors de question de lui nuire, elle ne se le permettrait pas. Elle ne s'en prenait aux autres que lorsqu'elle n'avait pas le choix. Aujourd'hui, ce choix, elle l'avait : elle décidait de ne pas attaquer la première.
Elle chassa l'air contenu dans ses poumons et, très lentement, fléchit les genoux pour s'abaisser et finir par atteindre le sol couvert d'aiguilles de pin, sous le regard insistant du loup, qui ne cessait de grogner de mécontentement. Au moment où la paume de sa main gauche effleura le sol, elle cessa de bouger pendant quelques secondes, tâchant de faire comprendre à la créature qu'elle n'avait pas l'intention de lui faire de mal. Ensuite, elle se mit à avancer, main puis genou, main, genou et ainsi de suite sans regarder ailleurs qu'en direction du loup. Etant à la même hauteur, ils étaient à égalité. Il était essentiel qu'ils parviennent tous deux à gagner la confiance de l'autre sans que la moindre animosité ne subsiste. Quand il ne resta que cinquante centimètres à peine entre eux, Madison ne bougea plus, et des racines sortirent lentement de terre pour venir s'enrouler autour de ses poignets.
La peur avait toujours été l'émotion dominante chez elle, c'était pourquoi ce lien qu'elle sentait réapparaitre était plus intense la peur de blesser les autres, la peur d'être seule, la peur de ne pas être à la hauteur. Elle revit brièvement dans sa tête le saule sur Asgard. Thor était assis dans l'herbe, adossé à l'arbre. Madison était lovée contre lui et l'animal se reposait, étendu à leurs côtés, la tête sur les cuisses de la terrienne et les yeux clos. Madison caressait doucement son pelage, qui avait un aspect plu naturel, dans des tons bruns avec quelques discrets reflets d'un vert profond.
Dans le second souvenir, l'humaine reconnut l'architecture asgardienne, plus précisément celle de l'intérieur du palais royal qu'elle avait eu l'occasion de découvrir en voyageant à travers les souvenirs des deux princes du royaume. Contrairement à l'autre souvenir, son double du passé semblait abattu, elle était assise en tailleur à même le sol, contre un mur près d'un coin de la pièce. Ses yeux étaient rouges, comme si elle avait passé la nuit à pleurer. Le loup était assis non loin d'elle mais demeurait moins présent. Il ressemblait plutôt à une sorte de spectre, reflet conforme de l'état d'esprit de celle qu'il accompagnait : il était là sans être là. Quand Madison se rappela de ce qui l'avait mise dans cet état, elle eut envie de crier.
Peu à peu, le reste lui revint en mémoire. Les racines la relâchèrent et retournèrent sous terre. Le loup ne grognait plus, à présent. Il était bien plus calme et la fixait toujours sans ciller, mais l'agressivité précédemment décelable dans son attitude et ses yeux avait disparu. Son museau était défroncé, lui aussi était en train de se remémorer un passé trop longtemps oublié. Il cligna plusieurs fois des yeux, visiblement troublé puis, sans crier gare, sauta sur Madison, la faisant basculer en arrière, mais son geste demeurait dénué de toute forme de férocité. C'était même le contraire : il frotta sa truffe contre les joues de la terrienne et se mit à sautiller comme un jeune chiot qui aurait retrouvé un compagnon de jeu. En réalité, il ne faisait que retrouver une amie de longue date.
–Oui je sais, dit Madison en riant. Toi aussi, tu m'as manqué, mon beau, affirma-t-elle en caressant son pelage. Mais regarde-toi, poursuivit-elle en retirant des poils de l'animal quelques aiguilles de pin qui s'y étaient accrochées. Comment fais-tu pour avoir toujours autant d'énergie ?
Il la gratifia d'une gentille léchouille sur la pommette, avant de coller son front au sien, paupières closes, en expirant longuement.
–Je suis là, souffla-t-elle calmement. Je suis là, Amarok, répéta-t-elle pour le rassurer. Tu n'as plus à avoir peur, nous ne serons plus séparés. Tu me fais confiance ?
En guise de réponse, le loup cala sa tête contre l'épaule de l'humaine, qui ne le lâcha pas. Il restait un animal sauvage, mais Madison n'avait absolument rien à craindre avec lui. Il ne lui ferait jamais de mal et l'humaine était probablement l'unique personne pour qui cela serait toujours le cas. Bien sûr, pour ce qui était des amis et proches de Madison, c'était encore différent. Il n'accordait sa confiance qu'à ceux qui, selon son jugement et ses observations, ne s'en prendrai pas à elle. Ils étaient ainsi : destinés à se protéger mutuellement, car tout ce qu'il y avait entre eux reposait sur la confiance. C'est pourquoi ils restèrent donc ainsi sans bouger durant une longue minute, pour prendre le temps de récupérer.
–Bon… soupira-t-elle après un long silence. Et maintenant ?
Le loup s'écarta un peu pour la regarder, puis il se mit à fixer un point derrière elle. En tournant la tête, elle discerna une drôle de lueur partiellement dissimulée par les arbres agglutinés les uns sur les autres, lueur qu'elle n'avait jusqu'à présent pas remarquée car elle avait l'esprit ailleurs, mais cette lumière était la preuve ultime qu'elle y était presque. Enfin. Il aura fallu qu'elle passe par toutes les émotions pour y parvenir sans trop de mal –en dehors des brûlures, de la morsure et du choc traumatique, tout allait plutôt bien–. Il n'y avait plus qu'une seule étape : affronter et accepter la réalité, faire éclater des secrets qui, pendant des années, avaient nui à toute une famille. Madison regarda à nouveau Amarok, qui passa sa tête sous le bras de cette dernière pour l'inciter à se lever, ce qu'elle fit sans protester.
–Tu fais un bout de chemin avec moi ? lui proposa-t-elle, après quoi ils se levèrent et se mirent tous deux en route. Tu sais, enchaina-t-elle alors qu'ils zigzaguaient entre les arbres, je n'ai pas forcément envie de savoir ce qu'il s'est passé il y a seize ans, même si cela fait partie de moi. Le problème, c'est que je ne suis pas la seule concernée, alors enterrer définitivement ces souvenirs reviendrait à priver les autres d'une partie de leur vie qu'ils souhaiteraient peut-être récupérer, ça serait juste égoïste. Ce qui m'inquiète le plus, c'est que je pense avoir déjà une petite idée de ce que je vais apprendre, maintenant que je vous ai retrouvés, Nerri, Eole, Brann et toi. Tu crois que j'arriverai à m'y faire ?
Le loup maintint un court instant un contact visuel avec elle avant de se remettre à regarder droit devant lui en faisant attention à où il mettait les pattes, même si la forêt était son domaine.
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L'équipe s'arrêta de marcher lorsqu'elle se retrouva devant un immense lac aux eaux sombres qui, selon eux, devaient renfermer mille et un dangers. Natasha était loin d'être sereine et elle avait un peu froid. Une chose était certaine : elle détestait cet endroit de tout son être. Elle avait mal à la tête. On l'avait avertie il était tout à fait possible qu'elle se retrouve en proie à quelques hallucinations désagréables, ce qui la faisait frissonner rien qu'en y pensant. Elle ne voulait pas revoir son passé au sein de la Chambre Rouge, ni ses quelques affronts avec Madison lorsque cette dernière était mentalement manipulée et instable. Elle n'avait pas envie de commencer à délirer, elle souhaitait rester en pleine possession de ses moyens jusqu'à leur sortie de ce monde infernal.
Percevant son trouble, Thor l'attrapa délicatement par l'épaule et planta son regard dans le sien afin qu'elle n'oublie pas qu'elle n'était pas seule et qu'il veillerait sur elle. Ce contact parut rassurer la rouquine. Elle n'avait jamais été plus soulagée qu'aujourd'hui qu'il soit près d'elle. Etant un dieu, les effets néfastes des Limbes l'affectaient beaucoup moins, mais cela ne voulait en rien dire qu'il y était immunisé, loin de là. Cependant, il était davantage dérouté par les bribes de souvenirs qui lui étaient revenus en mémoire. Il avait juste envie que tout lui revienne pour enfin comprendre, savoir ce qui leur était arrivé à l'époque, comment avaient fait leur chemin pour se croiser, comment asgardiens et midgardiens s'étaient rencontrés.
Thor se souvenait de ce jour hivernal où il avait fait la connaissance de Madison, en deux-mille-quatorze. Lorsqu'il lui avait serré la main au moment des présentations, la connexion avait été quasi-instantanée. Il s'était très longtemps demandé pourquoi ils avaient tant accroché. Maintenant, il savait que c'était parce qu'ils partageaient un passé commun. Ils étaient vite devenus amis à force de se comprendre, puis meilleurs amis et deux ans plus tard, ils avaient basculé vers quelque chose de bien plus intense que de la simple amitié. C'avait été la plus belle période de leur vie, car tout allait relativement bien. Ils avaient été heureux pendant plus d'un an. Après cela, tout s'était très vite enchainé.
Les débuts de la grossesse. La fuite. Puis le retour. La mort tragique d'Odin. L'arrivée brusque de Hela. Le séjour sur Sakaar. Les retrouvailles avec Bruce. L'alliance avec Valkyrie, et Loki. Le sauvetage express des asgardiens. La chute de Hela, la destruction d'Asgard. La réconciliation. Le massacre orchestré par Thanos. La douloureuse séparation. Les cinq ans passés éloignés l'un de l'autre. La victoire tant attendue face au titan fou. Le nouveau départ de Thor. La réunion huit mois plus tard. Les secrets révélés. Arthur. Tout s'était enchainé si vite que Thor avait à peine eu le temps de réaliser que rien de tout cela était issu de son imagination.
L'asgardien observa le géant des terres se mettre accroupi et effleurer le sol humide et argileux du bout des doigts. Ces derniers se retrouvèrent tachés d'un liquide rouge foncé.
–C'est encore relativement frais, affirma-t-il en se redressant avant de se tourner vers ses acolytes. Je dirais moins de deux jours, précisa-t-il.
Hestia eut un haut le cœur. Elle ne le montrait pas spécialement, mais elle se faisait un sang d'encre. Ce n'était pas que sa mère qui l'inquiétait, mais plutôt de savoir que Madison devait être blessée et perdue quelque part dans les hectares de bois qui les entouraient. Si la terrienne ne s'en sortait pas, elle ne se le pardonnerait jamais. Elle eut beau tenter de cacher son trouble, ils furent plusieurs à tout de même le remarquer.
–C'est à croire que votre mère vous terrifie, commenta platement Wargrith.
–Je ne pense pas que ce soit ce qui la préoccupe, rétorqua Elrion, dubitatif. J'ai tendance à penser que vous vous en faites davantage pour Dame Madison. Vous semblez vous sentir responsable d'elle, ainsi de ce qui lui arrive.
–Parce que c'est le cas, répondit la déesse.
–En quoi êtes-vous responsable d'elle ? l'interrogea Natasha. Vous la connaissez à peine, poursuivit-elle, mais elle enchaina vivement : oh, suis-je bête : vous vous connaissiez à l'époque, soupira-t-elle en levant les yeux au ciel. Mais ça ne nous explique toujours pas pourquoi vous avez l'air terrifiée à l'idée qu'on ne parvienne pas à la sauver. Qu'avez-vous oublié de nous dire, exactement ?
–Ce n'est pas un oubli mais une omission volontaire, précisa la Vane.
–Et c'est censé être mieux ? Bah voyons…
–Nat… souffla calmement Bucky. Elle doit avoir ses raisons, affirma-t-il, alors la rouquine se tourna vivement vers lui en plissant les yeux.
–Toi, tu sais quelque chose que j'ignore, devina-t-elle. Je n'aime pas ça du tout, l'informa-t-elle en le voyant échanger un bref coup d'œil avec Freyr. Je vous ai vus discuter, tout à l'heure, tous les deux, précisa-t-elle en prenant un air suspicieux.
–Est-ce qu'on peut en parler plus tard ? insista Bucky, visiblement mal à l'aise, et ce qu'il récolta fut tout simplement un regard assassin de la part de son acolyte. Natasha, ce n'est pas le moment, poursuivit-il d'un air gêné lorsqu'il se rendit compte que les autres ambassadeurs semblaient désormais très intéressés par leur échange, alors il détourna le regard en espérant qu'on finirait par le laisser tranquille.
–Le sergent Barnes dit vrai, ce n'est pas le moment, retentit une voix lugubre dans son dos.
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Madison n'eut que quelques pas supplémentaires à faire pour enfin, après tant de mésaventures, atteindre la source, le pied, l'origine de la colonne de lumière, le lieu où elle prenait sa source. En vérité, c'était au milieu de nulle part, un point presque insignifiant au centre d'une forêt dense et infinie. L'endroit était un petit peu plus dégagé sur un rayon d'environ trois mètre. Quelques lucioles voletaient autour de ce tube lumineux sans y entrer. L'herbe chartreuse était parsemée de gouttes de rosée. La terrienne s'arrêta, l'animal fit de même avant de s'asseoir en se collant à la jambe de l'humaine tout en levant la tête vers elle, ses pattes s'enfonçant dans la mousse humide qui recouvrait une partie du sol.
Le voyage du loup s'arrêtait ici. Une fois encore, le moment était venu de se séparer, aussi difficile celui puisse-t-il être. Quoi que, Madison avait la conviction qu'ils se reverraient bientôt. Très bientôt. Il en allait de même pour Nerri, Eole et Brann, mais avant de les retrouver, il restait une dernière étape que la terrienne devait surmonter. Celle de l'acceptation de la vérité, qui marquerait à coup sûr un tournant monumental dans sa vie et celle de ses proches. Le tout était d'oser se lancer, ce qu'elle fit après avoir échangé un dernier regard avec l'animal, qui ne bougea pas d'un millimètre.
Elle avait beau se déplacer lentement, plus elle avançait, plus elle croyait discerner quelque chose flotter dans le faisceau de lumière, ce qui attisa sa curiosité. Elle n'arrivait pas à voir de quoi il s'agissait. Après tout, ç'aurait pu être n'importe quoi : artefact ou relique magique, végétal, objet insolite quelconque… Quoi que cela soit, c'était forcément un élément qu'elle reconnaitrait, qui lui parlerait, un élément de son passé, peut-être, auquel elle n'avait plus pensé depuis longtemps, probablement des années, mais qu'elle n'aurait jamais été capable d'oublier à cause de son importance, de l'impact que cela avait eu sur elle. En revanche, elle n'avait toujours aucune idée de ce que c'était.
Lorsqu'il ne resta qu'un demi-mètre à peine à parcourir, elle s'arrêta et hésita un court instant avant de lentement tendre la main, un peu tremblante. Son regard s'attarda temporairement sur les alliages métalliques qui constituaient ses doigts, sa paume, la base de son poignet. Elle savait désormais que tout ce qu'il s'était produit la nuit du seize décembre mille-neuf-cent quatre-vingt-onze était lié à Mériana. Cette main artificielle, elle la devait à Hydra, mais ç'avait été l'idée de la déesse de tenter de la détruire. Manque de chance pour cette dernière, Madison était réputée pour être une survivante elle avait grandi, évolué et s'était dépassée. Pourtant, lorsqu'elle toucha ce que renfermait la colonne, elle fut propulsée quelques années en arrière.
Elle reconnut immédiatement la fleur de lys qui lui avait offerte Tony lorsqu'elle était enfant. Celle qu'elle avait conservée avec ses pouvoirs, et qui ne l'avait jamais quittée, celle via laquelle ses émotions se reflétaient. Celle qui vivait toujours secrètement en elle depuis sa « mort ». Celle qui s'illumina de mille feux au moment où ses pétales entrèrent en contact avec les doigts de l'humaine et dont la lumière irradia les lieux d'un éclat éblouissant, aveuglant même, qui incita Madison à cligner des yeux. Cette fleur avait pour elle une valeur inestimable car elle représentait tout ce qu'elle était, tout ce qu'elle avait traversé, ce qu'elle avait perdu mais fini par retrouver, ce pourquoi elle se battait.
Ça lui avait fait mal de se rappeler la première fois. Cela se reproduisit et tous, absolument tous ses souvenirs enfouis refirent surface, ébranlant toutes ses croyances et convictions acquises au cours des dernières années.
D'abord, elle vit le chalet de Logan où elle avait grandi, puis une version d'elle-même un peu plus jeune. L'arrivée inattendue de trois divinités –respectivement Thor, Loki et Odin– sur Terre. Le Bifröst. Asgard. Heimdall. La cité d'or. Le palais royal. Frigga. Les guerriers et Sif. Des affronts en un contre un. D'innombrables livres. L'Eternelle Flamme. Niflheim. Des montagnes toutes entières en mouvement. Des glaciers. Les ténèbres. Des nuits d'orage. Des corbeaux. Un puma. De l'amitié naissante. De la haine à l'amour. Des flammes violettes. Hestia. Mériana. Le retour sur Terre. Natasha. Clint. Tony. Un brasier infernal. Des flots ravageurs. L'alliance du feu et de la glace. La destruction. Le chaos. La séparation. La solitude. L'oubli total. Les nouvelles rencontres. Et pour finir…
Aujourd'hui.
Le rétablissement de la vérité, que Madison était désormais une des seules à détenir.
Elle fut contraire de prendre plusieurs longues inspirations afin de se calmer. Lorsque la lumière s'estompa et qu'elle put à nouveau y voir correctement, elle découvrit un décor totalement différent mais familier. C'était un vaste jardin baigné de soleil dans lequel elle eut l'impression de se revoir courir étant enfant. A une trentaine de mètres de là, une belle maison aux murs clairs et ornés de larges baies vitrées qui filtraient les rayons du soleil. Dehors, une petite table ronde en fer blanc, une paire de chaises assorties et une balancelle faite du même matériau surgissaient des herbes hautes. Un chemin de gravier gris pâle et de galets reliait l'habitation à un patio et, un peu plus, loin, un petit étang où se mouvaient divers poissons exotiques et où s'épanouissaient des nénuphars. Le ciel était d'un bleu si pur que c'en était presque irréel. Madison, juste à côté du point d'eau, y observa brièvement son reflet.
Il y avait bien longtemps qu'elle ne s'était plus vue ainsi : aussi calme et en pleine possession de ses moyens, en dépit de la situation. Contrairement à ce qu'avait été son ressenti durant des années, elle ne haïssait pas cette image qui lui était renvoyée. Elle resta fixée sur le reflet, tantôt distraite par le mouvement qui avait lieu sous la surface de l'eau, mouvement orchestré par les créatures aquatiques qui ne semblaient pas le moins du monde inquiétées par la présence de l'humaine.
Une ombre s'approcha mais Madison ne broncha pas. Elle laissa faire, elle regarda dans les reflets de l'eau les contours d'une silhouette gracieuse se dessiner, jusqu'à ce que le visage aux traits délicats de sa voisine de droite se précisent enfin. La nouvelle arrivante lui offrit immédiatement un sourire radieux.
–C'est donc ça que vous qualifiez comme étant « le pire jour de ma vie » ?
–Cela reste à voir, répondit malicieusement Eléa, sorcière et elfe d'Alfheim. Seule toi décidera comment se terminera cette journée, et je ne pouvais me résoudre à m'en aller définitivement avant de m'être assurée que tout irait bien pour toi.
Madison tourna la tête et planta son regard dans celui de son aînée, puis elle se mirent face à face pour mieux se voir.
–Est-ce que ça va ? l'interrogea Eléa avec douceur.
–… Je ne suis pas sûre, avoua la terrienne.
–Allons nous asseoir, lui proposa l'autre.
