Perfect-Ed Sheeran
Assise sur les marches du perron, Madison observait de loin Freya et Hestia discuter, installées sur le ponton du lac. La gazelle de la guerrière se tenait non loin de là et s'abreuvait tranquillement. Quiconque étranger à leur petit univers ayant débarqué à ce moment-là se serait demandé si ses yeux ne lui jouaient pas des tours alors que pour eux, c'était relativement normal. Madison savait que les deux femmes avaient beaucoup de choses à partager et bien qu'elle-même eusse encore quelques questions, elle préférait avant tout leur laisser le temps de se retrouver. Elles en avaient grandement besoin et ça, la terrienne ne pouvait le leur enlever. Si les places avaient été inversées, elle savait que Freya lui aurait laissé un moment seule en compagnie de sa mère avant de les rejoindre. Finalement, tout rentrait plus ou moins dans l'ordre.
Pourtant la mutante ne parvenait pas à mettre son esprit au repos. Elle était déjà en train d'établir une liste mentale de tout ce qu'elle estimait devoir faire à partir du lendemain et autant affirmer qu'elle s'allongeait à chaque seconde qui passait. Elle se mettait peut-être un peu trop la pression mais elle se disait qu'elle faisait uniquement ce qu'il fallait pour son monde, pour les autres, pour elle.
Sentant une présence sur sa droite, elle tourna la tête et découvrit qu'il s'agissait de Tony, tenant une tasse dans chaque main. Madison le remercia lorsqu'il lui en tendit une, après quoi l'homme s'appuya contre la rambarde du porche, son regard se perdant au loin, au-delà des nombreux sapins qui bordaient le point d'eau. Pensif, il but quelques gorgées de son café encore fumant, profitant de la sérénité des lieux, puis il soupira brièvement.
–Romanoff et Rogers, mh ? lança-t-il distraitement.
–Je savais que ça t'intéresserait.
–C'est tout aussi intéressant que surprenant, affirma-t-il. Comment est-ce arrivé ?
–Comme ça arrive à tout le monde, répondit Madison, mais comprenant que son frère en attendait davantage, elle poursuivit : Ce n'est pas si surprenant que ça. Ils ont traversé pas mal de choses côte à côte, et leur relation a évolué dans ce sens. Et ça a l'air de tenir, ce qui est très rassurant.
L'homme se tut une seconde pour réfléchir.
–C'est bien pour eux, commenta-t-il simplement, mais sincèrement.
Madison était du même avis. Elle avait beau s'être éloignée un moment, elle avait assisté au rapprochement des deux héros. Cela la ravissait qu'ils s'entendent aussi bien, qu'ils se soient trouvés. Ils avaient tous les deux un passé complexe et parfois sombre et pourtant, ils étaient parvenus à s'en sortir en se laissant guider par la lumière. Leur histoire avait débuté de façon partiellement bancale mais elle était bien partie pour durer.
La mutante sentait que Tony ne l'avait pas rejointe uniquement pour discuter de leurs amis et qu'un élément visiblement plus important le tourmentait. Elle préférait le laisser prendre son temps au lieu de le presser, sachant qu'il se déciderait, à un moment ou à un autre, à lui dire ce qui le travaillait. Elle hésitait entre plusieurs détails, à commencer par sa brusque « résurrection ». Il devait avoir pas mal de questions à lui poser à ce sujet, auxquelles elle serait ravie et prendrait tout le temps nécessaire d'y répondre. Elle le lui devait.
–Tu crois qu'elle reviendra ? lui demanda-t-il soudainement.
Madison sut sans peine qu'il faisait référence à Mériana. Tony ne l'avait jamais rencontrée, mais il en avait appris suffisamment en écoutant les dires de chacun concernant leur grand-mère maternelle. Habituellement, il préférait se forger sa propre opinion plutôt que de se baser sur les avis et ressentis des uns et des autres, mais dans ce cas-ci, c'était différent. De plus, lorsqu'une personne lui étant chère venait à souffrir, il perdait toute objectivité. Il avait encore en mémoire les souvenirs de leur guerre civile en Allemagne, à l'issue de laquelle il avait rompu tout contact avec les deux vétérans de la seconde guerre mondiale. Il était désormais soulagé que cela soit derrière eux. Il avait pardonné à Steve de lui avoir menti et s'était calmé après avoir réalisé combien Bucky avait souffert des actes qu'il avait involontairement commis à cette sombre époque. Mais pour ce qui était de Mériana, c'était autre chose.
–Je n'en sais rien, avoua la mutante, appréciant la chaleur que dégageait le mug et qui circulait à présent entre ses doigts. Probablement, ajouta-t-elle ensuite.
–Et si ça se passe mal ?
–J'interviendrai, affirma-t-elle après un court temps de réflexion.
Tony n'ajouta rien. Il était bien conscient que si la situation venait à l'exiger, sa sœur n'hésiterait pas à employer les grands moyens afin d'assurer la sécurité de la Terre, même si elle n'avait aucunement envie d'en arriver là. Prendre des décisions difficiles faisait partie intégrante de son quotidien. Tony espérait tout de même que si Mériana décidait, un jour ou l'autre, de revenir, ça ne serait pas pour les tourmenter. Cette idée l'inquiétait mais il comprenait que Madison ait préféré lui laisser une seconde chance, en dépit du trouble qu'elle avait semé derrière elle.
FAME sortit par une fenêtre entrouverte et vint tournoyer en bourdonnant autour d'eux, puis il prit sagement place sur l'épaule de l'homme.
–C'est étrange, reprit-il, apaisé par le ronronnement du petit robot.
–Qu'est-ce qui est étrange ? voulut savoir sa sœur.
–Pendant des années, j'ai cru que j'étais seul. Que je n'avais plus personne. Pas d'autres choix que de continuer à avancer en ne pouvant compter que sur moi-même. Jusqu'à ce que tu reviennes, déclara-t-il en tournant la tête vers elle. J'ai réalisé qu'en fin de compte, tout n'était peut-être pas perdu. Et maintenant, poursuivit-il en regardant à nouveau le lac, on se retrouve avec toute une famille sur le dos, une floppée d'oncles, de tantes, de cousins et de cousines que je n'ai, pour la plupart, jamais rencontré. C'est étrange, répéta-t-il plus doucement. Pourtant, sans les connaitre, on s'est adapté au fil des années. On a forgé nos propres familles en trouvant une ribambelle de frères et sœurs plus insupportables les uns que les autres au sein des Avengers et de X-men, dit-il avec un sourire. Même loin de nos racines, on s'en est bien sorti, fit-il remarquer, puis il récupéra un semblant de sérieux. Mais j'ai hâte de découvrir cette partie de notre histoire.
Madison, silencieuse, sourit également. Elle aussi souhaitait renouer avec ces gens qu'ils ne connaissaient pratiquement pas. Elle était de l'avis de Tony concernant cette « seconde famille » qu'ils avaient. Ils avaient fait ce qu'il fallait pour ne jamais être seul, et au même degré que Madison considérait Natasha, Clint ou encore les Maximoff comme des frères et sœurs, Tony voyait plus que des frères d'armes et alliés en Rhodey, Happy ou encore Steve. Tous ensemble, Avengers et X-men n'étaient pas qu'une équipe. Ils étaient cent fois plus.
–Je pensais à un truc.
La mutante posa les yeux sur son frère, qui venait de reprendre la parole.
–Mériana est une déesse, dit-il simplement. Nos oncles et tantes sont assez célèbres dans le milieu des mythes et légendes aussi, ajouta-t-il, réfléchissant surtout à voix haute. Même chose pour nos cousins, enchaina-t-il en jetant un bref coup d'œil en direction de Freya. Donc, est-ce que, techniquement, ça ne ferait pas également de nous des dieux ?
–Si je dis « oui », tu vas prendre la grosse tête ?
–Je te laisse deviner.
Les remarques de l'homme amusèrent sa sœur. Cela lui avait manqué de juste se poser et discuter calmement de tout et de rien avec lui. Il n'avait pas changé, ce qui était rassurant pour elle. Il ne la lâcha pas du regard, attendant patiemment qu'elle confirme ses dires. FAME effectua même un tout petit bond sur l'épaule de Tony, visiblement aussi enjoué que lui.
–On est à moitié humain, lui rappela-t-elle. On pourrait presque dire aux trois-quarts humains, puisque maman n'a jamais eu personne pour lui enseigner la façon de se servir de ses pouvoirs de guérison et qu'elle a grandi sur Terre, enchaina-t-elle. Et puis, même s'il s'agit toujours de ton esprit, ton âme si tu préfères, ce n'est plus exactement ton corps, donc…
–Je le trouve pas si mal, commenta-t-il en s'admirant, tandis que FAME émit un petit son approbateur. Et est-ce que revenir à la vie ne fait pas justement partie des capacités de dieux ?
–Si nous en sommes, mieux vaut garder ça pour nous pour le moment parce que crois-moi, on n'a pas fini d'en entendre parler, soupira-t-elle. Mais je ne pense pas que nous en soyons. Nous ne sommes pas invincibles, et non, s'empressa-t-elle de poursuivre en le voyant sur le point de répliquer, je te vois venir, ce n'est pas parce que je suis passée par le stade « décédé » deux fois que ça fait de moi une divinité. Enfin, quoi que… s'auto-contredit-elle. Être Gaïa fait forcément de moi quelqu'un de différent, non ?
–Alors ça y est, tu acceptes enfin ce titre ? sembla se réjouir Tony.
–Je préfères toujours l'appellation « Docteur », mais je crois que je pourrais m'y faire, répondit-elle en haussant les épaules, sereine. Et puis, ce n'est pas le pire surnom que l'on m'ait octroyé.
–C'était lequel ? Le pire ? l'interrogea-t-il, curieux de savoir.
–J'hésite. J'ai eu droit à « botaniste », « insignifiante midgardienne »… Au moins trois fois, précisa-t-elle. Ah, et « psychopathe », aussi.
–Qui a un jour eu l'audace de te qualifier de psychopathe ? s'indigna Tony, un poing sur la hanche et son autre main crispée autour de l'anse de sa tasse.
–Toi, déclara-t-elle le plus naturellement du monde, un immense sourire éclairant son visage.
Pendant un instant, le silence prit le dessus, que seul un croissement de corbeau lointain brisa. Ce fut comme si Tony avait été mis sur « pause », la seule chose qui permettait de déterminer qu'il ne s'était pas transformé en statue était qu'il clignait des yeux et continuaient –évidemment– de respirer. Il paraissait mal à l'aise, très légèrement embêté que ce détail soit mentionné aujourd'hui.
–… Ah.
–Pour ta défense, on s'engueulait, tenta-t-elle de la rassurer. Et c'était il y a dix ans. On a grandi, depuis. Je crois, ajouta-t-elle, un peu incertaine. On était plus jeunes, et insouciants. Aujourd'hui, nous ne sommes plus que « et », dit-elle avec tant de sérieux que cela les fit rire tous les deux.
Elle réalisa soudainement combien elle était impatiente de revoir le reste de leur famille. Le fait était qu'elle songeait également au travail qui l'attendait. Elle n'avait parlé à personne de ce qu'elle avait l'intention de faire par la suite, mais elle était déterminée à s'exécuter. Elle ne craignait pas de quelconques représailles puisque, selon elle, il était essentiel –et surtout grand temps– qu'elle agisse et règle certains problèmes de taille –qu'elle n'avait pas causé, pour une fois, mais auxquels elle se sentait liée–.
–Je connais ce regard, souffla Tony, pas dupe, puis il but une gorgée de son café qui refroidissait. Tu penses à la suite et à ta prochaine mission, devina-t-il aisément, puis FAME abandonna l'homme pour rejoindre sa conceptrice et il se percha sur son épaule à elle.
–Aurais-tu développé des dons télépathiques ? plaisanta Madison, consciente qu'elle ne pouvait presque rien cacher à son frère. J'ai du boulot, se contenta-t-elle de dire, conservant ainsi une part de mystère.
–Quel genre de boulot ? la questionna-t-il, ce à quoi elle parut hésiter à répondre. Très bien, je n'insiste pas, ajouta-t-il en le voyant aussi réticente à lui expliquer, tout en levant sa main libre en signe de paix. Je suppose que tu m'en parleras en temps voulu, soupira-t-il, tout de même un peu embêté. Ecoute, quoi que cela puisse être, promets-moi juste d'être prudente et de revenir à la maison le plus rapidement possible. Je sais bien que tu veux toujours faire passer les besoins des autres avant les tiens, que rien ne t'importe plus que le bonheur de ta famille, de tes amis et la survie du monde, que tu essayes constamment de maintenir l'équilibre et faire régner un certain ordre, que t…
–Tony, le coupa-t-elle gentiment au milieu de son énumération, ne souhaitant pas que son inquiétude s'accentue. Je reviendrai, déclara-t-elle en attrapant délicatement sa main. C'est promis.
Il fut soulagé de l'entendre le lui dire et il serra sa main dans la sienne. Jamais il n'irait à l'encontre de ses idées et de ses projets, et quand bien même il aurait tenté sa chance, cela n'aurait abouti nulle part, la mutante étant dotée d'une détermination à toutes épreuves. Elle aurait foncé sans qu'on lui donne la permission. C'était cependant légitime de sa part à lui de s'en faire pour elle. Il l'aimait, il n'y avait rien au monde qu'il ne ferait pas pour la protéger de tous les dangers. Parfois, lorsqu'il la regardait, il revoyait cette petite fille à qui il avait habilement appris à démonter et remonter la cafetière de leur père, celle avec qui il adorait se promener dehors en hiver lorsqu'il neigeait, celle qu'il emmitouflait dans des écharpes beaucoup trop grandes pour ne pas qu'elle attrape froid. Dans les yeux bruns de sa sœur brillait encore la même lueur que lorsqu'elle était enfant.
La porte derrière eux s'ouvrit, les extirpant de ce bref moment intemporel et Thor apparut devant eux. Lorsque l'asgardien les vit, il hésita à rebrousser chemin afin qu'ils retournent à une conversation qu'il pensait avoir interrompue. Il ressemblait à un chiot qui se serait égaré, ce qui eut pour effet d'attendrir Madison. Oui, elle le trouvait terriblement adorable. Heureusement pour le guerrier, ce fut Tony qui prit les devants en s'exprimant, mettant un terme au début d'angoisse du dieu du tonnerre.
–Je serai à l'intérieur, dit-il en s'approchant de sa petite sœur pour déposer un baiser sur son front, puis il lâcha sa main et regagna –comme il venait de le mentionner– l'intérieur de l'habitation sans aucun commentaire supplémentaire, avant de refermer derrière lui pour laisser un peu plus d'intimité aux deux individus.
Contrairement à Tony, qui avait préféré rester debout, Thor privilégia les marches en bois du perron. En s'installant, il laissa une distance d'environ un mètre entre la terrienne et lui, et lorsque celle-ci lui sourit, son cœur fondit dans sa poitrine. Ils restèrent ainsi sans parler durant une bonne dizaine de secondes, qui leur parurent néanmoins beaucoup plus longues.
–Il a l'air d'aller bien, débuta Thor, ravi de constater que son ami de longue date reprenait facilement ses marques.
–C'est presque comme s'il n'était jamais parti, compléta Madison.
–Ma sœur avait raison, en fin de compte, soupira l'homme, et lorsqu'il vit l'air intrigué qu'affichait la terrienne, il poursuivit : lors de notre rencontre, elle a affirmé que tu ressemblais davantage à une habitante d'Alfheim ou de Vanaheim, lui rappela-t-il.
–Tu penses qu'elle était au courant ?
–Je pense qu'elle savait beaucoup de choses, confirma-t-elle. Elle avait beau être enfermée, elle a su se tenir informée de la même manière qu'Hestia et son fils.
–Je suppose qu'elle avait pris l'habitude d'écouter les bruits de couloirs pour se distraire, souffla Madison, qui enchaina ensuite sur un tout autre sujet. J'ai revu mes parents.
Thor ne répondit pas, mais il sourit. Il savait qu'elle avait toujours souhaité avoir l'occasion de leur parler au moins une fois, n'ayant jamais eu la possibilité de faire son deuil et de leur dire au revoir.
–Logan était là aussi, ajouta-t-elle. Et Eléa. Et ta mère aussi, dit-elle enfin, ce qui fit un léger pincement au cœur de l'asgardien, mais qui fut également ravi d'entendre que d'une certaine façon, l'ancienne souveraine d'Asgard veillait toujours sur eux.
Ils aperçurent Loki revenir de sa promenade en solitaire autour du lac et se joindre à Freya et Hestia, qui l'invitèrent sans souci à se joindre à leur conversation. Le dieu de la malice avait, aux yeux de son frère, énormément évolué au cours des dernières années, tout en gardant cette étincelle dans le regard qui lui rappelait leur enfance sur Asgard. Il avait grandi, mais restait fidèle à celui qu'il était, et n'avait désormais plus honte de le cacher.
–J'y pense, déclara soudainement Madison, qui regardait dans la même direction que lui, il y a quelque chose que j'ai oublié de te dire.
–Oui ?
–C'est à propos de mes pouvoirs.
Il était un peu inquiet, mais en même temps impatient de découvrir ce qu'elle s'apprêtait à lui révéler.
–Tout est redevenu comme avant, ce qui est incroyablement satisfaisant, affirma-t-elle, une vague aura verdâtre flottant brièvement autour d'elle pendant l'espace d'une seconde. J'ai réalisé que je ne pouvais pas tellement m'en passer, puisqu'ils font partie intégrante de celle que je suis, et… Tout le reste est également revenu.
–C'est-à-dire ?
–Eh bien, les capacités de guérison sur autrui, comme tu as pu le constater avec Manleth, les dons télépathiques qui me permettent d'intercepter pas mal de pensées si je me concentre dessus… et aussi la longévité lééégèrement accentuée…
Thor écarquilla les yeux. Il y avait longtemps qu'il n'avait plus pensé à cela. Elle avait sans hésiter sacrifié cette longévité dans le but de sauver la vie de Natasha sur Vormir, et voilà qu'à présent, elle récupérait absolument tout ce qu'elle avait perdu, tout ce qui lui avait été arraché en une seule journée.
–Alors ça veut dire… Que…
–Que j'en ai encore pour un bon moment à jouer les superhéros, simplifia-t-elle, mais que dans l'hypothèse ou quelque chose tournerait mal, j'ai quand même trouvé la personne idéale à qui remettre le flambeau, tout comme Eléa l'a fait avec moi. C'est juste au cas-où, insista-t-elle, le voyant déjà s'en faire à l'idée qu'il lui arrive quelque chose. Une précaution à prendre, parce qu'on ne sait jamais ce qui peut arriver. J'essaye de faire preuve d'un petit peu plus de prudence qu'avant. Je t'accorde que ça ne me ressemble pas, mais il faut bien que j'apprenne à me responsabiliser.
–Tu ne t'en es pas si mal sortie jusqu'à présent, déclara le guerrier avec amusement. Et… Simple curiosité, sur qui as-tu jeté ton dévolu ?
–Je préfère te laisser deviner.
–Ai-je le droit à au moins un indice ? l'interrogea-t-il avec un regard de chien battu qui fit capituler la mutante.
–A quelqu'un qui, je le sais, saurais s'en sortir parfaitement pour ce qui est de l'utilisation d'une telle magie. Quelqu'un en qui j'ai confiance et à qui je n'hésiterais pas à confier ma vie. Quelqu'un que je comprends, qui me comprend et à qui je tiens profondément. Evidemment, je sais qu'il y a un certain cycle à respecter au niveau de la transmission des pouvoirs, que c'est toujours Alfheim, Vanaheim, Asgard et ainsi de suite, poursuivit-elle, mais… Je me suis dit qu'une petite entorse au « règlement » ne serait pas un problème, dit-elle en mimant des guillemets. De plus, je pense qu'à tes yeux comme aux miens, il est autant asgardien que toi, souffla-t-elle.
Elle n'eut pas besoin d'en dire davantage pour que Thor comprenne à qui elle faisait allusion, d'autant plus qu'elle regardait justement dans la même direction que lui, vers où se trouvait justement celui dont elle parlait. Toujours aux côtés des deux déesses, Loki n'avait probablement aucune idée de ce qui se disait à son propos. L'asgardien comprenait pourquoi c'était lui qu'elle avait choisi. Cela lui paraissait parfaitement logique et il savait qu'effectivement, en cas de problème, Loki serait apte à gérer l'héritage de Gaïa sans problème. La magie coulait dans ses veines depuis toujours et il avait à de nombreuses reprises côtoyé et vu à l'œuvre la détentrice de ces pouvoirs. L'asgardien n'était donc pas inquiet.
–Je ne crois pas que quiconque, pas même moi, ait son mot à dire quant à ce genre de décision, mais… Je pense que c'est un excellent choix.
Madison sourit à son tour, remerciant mentalement l'asgardien de faire preuve d'autant de compréhension et de soutien. Les yeux dirigés vers le dieu de la malice, elle songea que pour une fois, elle ne prenait pas de décision à la légère. Elle lui faisait confiance et n'avait aucun doute le concernant. Elle espérait bien sûr que cela n'arriverait pas, qu'elle vivrait une longue, très longue et belle vie avant de se voir obligée, dans son vieil âge de transmettre sa magie à quelqu'un d'autre, mais, comme elle l'avait précisé, c'était « au cas où ».
Elle entendit l'asgardien soupirer, ce qui la ramena à la réalité.
–Est-ce que ça va ? lui demanda-t-elle en tournant la tête dans sa direction, et FAME l'imita.
–Oui, répondit-il d'un ton pourtant incertain. Je crois… ajouta-t-il en se triturant nerveusement les mains. Je ne sais pas, avoua-t-il finalement. Il y a quelque chose dont je souhaite te parler.
Il affichait désormais un air extrêmement sérieux et préoccupé, et même si ce qui le tourmentait ne semblait pas aussi grave qu'un autre risque de fin du monde, cela demeurait suffisamment important à ses yeux pour qu'il se sente mal rien qu'en y pensant. Madison gardait le silence, attendant sagement qu'il s'exprime, n'ayant pas envie de le forcer, lui mettre la moindre pression ou le mettre mal à l'aise. Ils n'étaient pas pressés, ils avaient tout le temps qu'ils voulaient pour mettre quelques derniers points au clair entre eux.
–Après avoir passé quelques mois en compagnie des Gardiens, débuta-t-il d'un ton quelque peu incertain, je suis reparti de mon côté. J'ai fini par retourner en Norvège, à la Nouvelle Asgard, après avoir découvert qu'un individu s'était lancé dans la quête d'éliminer tous les Dieux, raconta-t-il en se laissant envahir par des souvenirs relativement récents. J'y ai emmené Sif pour qu'elle y soit en sécurité après qu'elle ait été attaquée, j'ai retrouvé Val, Korg, Miek… poursuivit-il, inquiet de la réaction qu'aurait la mutante lorsqu'il aurait ajouté un dernier nom à la liste. … Et Jane.
–Oh, comment va-t-elle ? lui demanda-t-elle spontanément d'une voix douce et avec un sourire sincère qui surprit l'asgardien.
–… Bien. Elle va… Bien. Elle a failli mourir, mais notre ennemi commun a eu une sorte de… Comment pourrais-je appeler ça… réfléchit-il à haute voix. De « révélation », dit-il finalement, et lorsqu'est venu pour lui le moment de faire le vœu qui lui était destiné, vœu si gracieusement accordé par l'Eternité, au lieu de demander l'extermination totale et définitive de tous les dieux arpentant l'univers, il a à la place choisi de sauver la vie de sa fille… Et de Jane par la même occasion, expliqua-t-il. Quand nous sommes rentrés, Jane a décidé de rester à la Nouvelle Asgard avec l'enfant pour pouvoir aider Val avec la gestion du Royaume au cas où elle en aurait éventuellement besoin et… Et moi, j'ai repris la route pour arriver jusqu'ici.
–Tu as l'air d'avoir eu droit à quelques jours mouvementés pendant cette aventure, commenta la terrienne. Je suis contente que tout ce soit plus ou moins bien passé pour vous.
Cela peinait Thor qu'elle soit aussi ravie pour lui car il ne lui avait pas encore révélé ce qui lui pesait sur le cœur depuis leurs retrouvailles. Il détourna le regard et se focalisa sur le lac. Il savait qu'il n'existait aucune « bonne » ou « mauvaise » manière d'amener la chose, alors autant se lancer et aviser ensuite.
–Cela serait te mentir que d'affirmer que la revoir m'a rien fait, dit-il le plus calmement possible. Cela m'a fait du bien de la retrouver après toutes ces années, et durant notre expédition, nous en sommes venus à nous embrasser, lui avoua-t-il, continuant à regarder droit devant lui, n'ayant aucune idée de ce que pouvait penser ou ressentir Madison à l'entente de ces quelques mots. Juste avant de passer à l'acte, j'ai eu l'impression que j'en avais besoin et que c'était la chose à faire, et j…
Alors qu'il commençait à s'emmêler dans ses paroles, il se tut lorsque Madison posa délicatement sa main sur sa joue et l'incita à tourner la tête vers elle, ce qu'il fit sans montrer de résistance. Le visage de la brune était parfaitement serein et détendu, contrairement au sien. Il ne s'était pas attendu à une réaction en particulier de sa part, mais le calme totalement maitrisé dont elle faisait preuve le surprenait, tout en le déstabilisait.
–Tu n'as pas à te justifier, le rassura-t-elle. Je sais que vous avez partagé quelque chose de très fort, et c'est sûrement encore le cas aujourd'hui. Au-delà du fait que nous n'étions plus ensemble, ça serait injuste de ma part de t'en vouloir, ou de te demander de couper les ponts avec elle, affirma-t-elle. Jane est quelqu'un du bien, enchaina-t-elle en se réinstallant dos à la colonne de bois qui soutenait le porche. Elle est gentille, intelligente, très drôle et vraiment canon, résuma-t-elle naturellement avant de porter son mug à ses lèvres pour boire quelques gorgées de café. A vrai dire, j'aimerais beaucoup la revoir, se fit-elle la réflexion. Ca fait longtemps que je ne l'ai pas vue.
Il arrivait parfois à Thor d'oublier que les deux femmes avaient fait connaissance en Islande en deux-mille-seize et, effectivement, le courant était plutôt bien passé entre elles. Il n'avait jamais vraiment su si elles avaient gardé le contact ou non, mais ce n'était pas ce qui l'importait le plus pour le moment. Il prit une poignée de secondes pour réfléchir avant de se décaler sur la gauche et ainsi se rapprocher d'elle. Il attrapa sa tasse, la posa à côté d'eux puis il se saisit de ses mains en soupirant. Il lui restait encore un détail à lui confier concernant son périple en compagnie de Jane.
–Après que nous nous soyons embrassés, elle a dit quelque chose qui m'a incité à revenir ici aussi rapidement que possible à l'issue de notre mission, reprit-il, les yeux dirigés vers le bas. Elle m'a dit que… Que ce baiser, j'en avais effectivement eu besoin, mais qu'elle n'était probablement celle avec qui j'avais vraiment eu envie de le partager, souffla-t-il d'un air presque timide que Madison trouva terriblement attendrissant, puis l'homme leva enfin les yeux vers elle. J'ai arpenté la Galaxie à de nombreuses reprises sans jamais avoir l'impression d'y avoir trouvé ma place et, un beau jour, mon père nous a emmenés, Loki et moi, avec lui pour une mission diplomatique sur une planète que je n'avais plus visitée depuis une éternité*. J'y ai fait la rencontre d'une jeune mutante particulièrement irritante qui m'a offert un magnifique accueil, plaisanta-t-il n évoquant leur véritable première rencontre, ce qui les amusa tous les deux. Qui aurait cru que seize ans plus tard, elle me supporterait toujours ? l'interrogea-t-il rhétoriquement.
–Qui aurait cru qu'elle aurait des nerfs d'acier capables de supporter un entourage aussi dérangé que le sien ? compléta-t-elle en employant le même ton plaisantin.
L'asgardien, ayant récupéré son sourire, s'approcha davantage sans lâcher ses mains.
–J'ai trouvé une personne magnifique et attentionnée, et même si au départ, je ne m'en serais pas douté, c'était exactement celle dont j'avais besoin, et je suis tombé pour elle. Nous nous sommes battus contre celles et ceux qui affirmaient qu'une telle union n'aurait aucune chance d'aboutir quelque part et je n'ai plus l'intention de te laisser tomber, déclara-t-il, tel une promesse. Tout ce que je désire, c'est pouvoir continuer à te sentir tenir ma main, que nous soyons à jamais dévoué l'un à l'autre parce que… J'ai l'impression de voir mon avenir dans tes yeux et cette façon que tu as de me regarder, avoua-t-il avec une immense tendresse. Peut-être vais-je avoir du mal à te convaincre, mais… tu es parfaite.
Madison ne doutait pas de l'affection intense qu'avait Thor pour elle, mais le fait qu'il le dise à haute voix la faisait perdre pied et était, évidemment, très plaisant à entendre.
–C'est de toi, ça ? le charria-t-elle quant à l'usage d'aussi belles paroles.
Au lieu de lui répondre, il lui offrit un sourire éclatant avant de se pencher vers elle. Ils échangèrent un baiser tendre et court, mais amplement suffisant pour conclure leur conversation. Ils se remirent ensuite à fixer l'horizon en silence, profitant simplement de la mélodie du vent, du bruissement des feuilles, du clapotis de l'eau, du bourdonnement discret de FAME et des quelques rires lointains des enfants qui s'amusaient dans la maison.
Pour la première fois depuis des années, tout allait bien. Ils n'étaient plus inquiets quant à leur futur car ils savaient qu'ils avaient toutes les cartes en main pour le solidifier pour de bon sans qu'ils n'aient plus jamais à craindre d'être séparés par tel ou tel événement. Quelles que soient les tempêtes qu'ils seraient contraints de traverser, ils y parviendraient ensemble. Quoi qu'il arrive.
. . . . . . . .
*à suivre dans le TOME X…
