If I could turn back time-Cher


CINQ ANS PLUS TÔT


Il y avait bien longtemps que Steve ne s'était pas sentit aussi nerveux. Assis sur une chaise, ses coudes reposaient sur la table devant lui et ses bras lui servaient d'appui pour sa tête. Son pied tapait le sol à un rythme régulier, s'accordant presque avec l'insupportable tic-tac de l'horloge murale dont il avait une furieuse envie d'ôter les piles pour se retrouver dans le silence le plus complet.

Il passa une main dans sa crinière parfaitement coiffée en soupirant, hésitant. Sous ses yeux s'élevait une pile de lettres tandis que d'autres étaient soigneusement rangées dans un sac en toile. Il était à peine huit heures du matin mais déjà, les rayons du soleil filtraient à travers les fenêtres de la pièce, baignant les lieux dans une douce lumière chaleureuse.

Après de longues secondes, Steve s'empara de l'enveloppe placée au sommet et examina longuement son nom, inscrit à l'encre bleu nuit. Au dos, deux initiales : « M.S. ». Il n'avait pas osé lui dire, en la revoyant, qu'il avait conservé l'intégralité de ses écrits mais qu'il avait toujours eu peur de lire ce qu'ils renfermaient. Il ne cessait de se dire que Madison avait peut-être profité de ce moyen pour déverser sa colère, l'évacuer, ce qu'il serait tout bonnement incapable de lui reprocher. Mais deux ans de lettres… ? Qu'avait-elle donc eu de si important à lui communiquer chaque semaine pour ne jamais en manquer une seule ? Par quoi était-elle passée, qu'avait-elle surmonté pendant qu'il était en cavale ?

« Steve,

Il parait que cela fait partie de la « thérapie » d'écrire à ses démons, ses tourments, en leur parlant comme s'ils étaient de vraies personnes. Tu comprends donc pourquoi je t'écris aujourd'hui, mais ce n'est probablement pas pour la raison à laquelle tu penses.

Oui, je t'en veux. Tu aurais dû nous dire que tu étais au courant. Et oui, j'ai laissé ma colère exploser lors de notre face à face parce que je croyais ma réaction parfaitement légitime, et Tony va probablement te maudire sur treize générations.

Mais est-ce que je comprends, maintenant que tout s'est un peu calmé, que tu as agi uniquement pour protéger Bucky ? Bien sûr que oui. C'est tellement toi.

Je crois que ce qui m'a fait le plus mal, dans tout ça, n'est pas que tu nous l'ai caché, ou même que Bucky soit involontairement responsable de notre situation familiale chaotique. C'est plutôt cette impression qui m'a été laissée en réalisant que vous n'aviez peut-être pas suffisamment confiance en nous pour nous en parler, que vous aviez sûrement peur de notre réaction, comme si tout ce temps à nous côtoyer n'avait pas suffi à vous convaincre que jamais nous n'en aurions voulu à Bucky.

C'est ça qui m'a fait mal. Ca m'a rappelé qu'en général, les gens avaient du mal à me faire confiance et j'ai commencé à croire que secrètement, tu t'étais toujours un peu méfié de moi. Paranoïa, quand tu nous tiens…

Je ne voulais pas que nous en arrivions là. Sache que j'ai signé les accords, mais que je suis bien loin de les approuver à cent pourcents. En promettant de rester chez eux avec leur famille, Clint et Scott l'ont signé également. Sam a promis de se tenir à carreaux et a repris sa route. Wanda aussi, mais j'ai dû l'aider à se cacher avec Vision, parce que le Gouvernement ne l'aurait pas lâchée. Ca attriste énormément Peter de savoir qu'il ne pourra plus la voir aussi souvent qu'avant, mais il sait que c'est ce qu'il y a de mieux à faire pour le moment. Quant à Natasha, elle est en cavale.

Je n'ai pas envie que cela soit la fin. Je ne veux pas mettre un terme à tout ce que les Avengers ont traversé ensemble à cause d'un seul différend. Je l'ai vécu une fois avec les X-men, et ça n'a été bénéfique pour aucun d'entre nous, crois-moi. Mais si nous sommes parvenus à passer au-dessus à l'époque, je garde espoir que nous arrangions également les choses aujourd'hui.

Je n'oublie pas ce que nous avons vécu. Je ne vous oublie ni toi, ni Bucky. Nous avons simplement tous besoin d'un peu de temps pour faire le point.

J'espère que tu ne feras pas trop de bêtises de ton côté. C'est encore trop frais pour que mon frère l'admette à voix haute, mais rappelle-toi que lorsque tu te sentiras prêt ou que tu en auras besoin, la porte est ouverte.

Prends soin de toi, et essaye de ne pas être trop dur avec toi-même. Nous sommes tous responsables de la situation.

Affectueusement,

Madison. »

Immobile, Steve reprit son souffle, désorienté. D'après la date inscrite sur le coin supérieur droit de la feuille, son amie avait rédigé cette lettre quatre jours après leur affront et déjà, elle lui faisait comprendre qu'elle était bien loin de le détester, contrairement à ce qu'il avait longtemps cru.

Il avait toujours senti que Madison dissimulait tant bien que mal ses craintes et ses insécurités derrière une bonne dose de remarques cinglantes et ironiques, de cynisme ainsi que d'une assurance à première vue à toute épreuve. Le soldat s'en voulait se l'avoir inconsciemment ébranlée au point qu'elle s'imagine qu'il avait des doutes la concernant, alors qu'il s'était depuis le début senti à l'aise en sa compagnie. Il ne connaissait qu'une toute petite partie de son parcours, mais il avait immédiatement su qu'elle était digne de confiance.

Il reposa la feuille en soupirant et se passa une main sur le visage, le cœur déjà lourd alors qu'il venait à peine de débuter sa lecture. C'est donc un peu fébrilement qu'il entreprit d'ouvrir la seconde enveloppe et, de fil en aiguille, les suivantes se succédèrent progressivement, certains extraits le marquant parfois plus que d'autres.

17 JUIN 2016

« Tony est parti deux semaines en Nouvelle-Zélande avec Pepper pour qu'ils puissent se « reconnecter », alors je me retrouve temporairement aux commandes de Stark Industries. Ce n'est pas que ça me fait peur, mais ce n'est pas sans pression. J'en ai profité pour fouiller un peu dans les affaires de mon frère pendant qu'il n'est pas là –je sais qu'il aurait fait le même chose alors je n'ai aucune honte–. »

6 JUILLET 2016

« On a encore un nouveau projet à première vue impossible à accomplir, et je ne sais pas où ça va nous mener. On s'est mis en tête de créer une toute nouvelle série d'armures pour les Avengers, dans l'hypothèse où l'on viendrait à se retrouver un beau jour sur le terrain tous ensemble –et de préférence dans le même camp–. Où te caches-tu, en ce moment ? »

14 JUILLET 2016

« Tu te souviens de ce jeune prodige du Queens ? D'après Happy, il a très envie qu'on lui donne une autre mission. Disons que l'idée de mettre un ado de quinze ans en danger ne m'emballe pas trop, même si des mutants plus jeunes que lui ont déjà eu l'occasion de faire leurs preuves. Je sens qu'il peut aller très loin, il est motivé, il croit en ce pourquoi il se bat et il n'a pas peur de demander de l'aide. »

23 AOÛT 2016

« Logan est mort. »

Le cœur de Steve se comprime dans sa poitrine. Il avait su, à l'époque, que Logan les avait quittés, mais voir l'information écrite noir sur blanc lui faisait quelque chose. L'écriture de Madison était très légèrement différente, un peu tremblante, moins précise. Il sembla même au soldat, d'après l'aspect de la feuille, que son amie avait dû verser quelques larmes lors de la rédaction. Il regrettait amèrement de ne pas avoir été présent pour lui apporter tout son soutien, lui prêter une oreille attentive si jamais elle éprouvait le besoin de s'exprimer, de se confier à quelqu'un qui aurait su écouter sans rien dire.

« Je suis perdue. Je n'étais pas là. Je n'étais pas là, et maintenant il est parti. Je n'ai pas pu lui dire au revoir.

Ca ne va pas. Ca ne va pas.

Ca ne va pas.

Je ne sais pas quoi faire. Je ne sais plus quoi faire. Ca le fait mal, et je ne sais pas comment l'exprimer. Tony est là. Tony est toujours là. Charles est là. Et Bobby, Erik, Pepper, Hank, Raven, et Rhodey. Et les jumeaux, qui ont pourtant déjà leurs problèmes personnels à gérer.

Plein de monde est là. Mais pas toi.

Pas Buck. Pas Tasha. Pas Clint, qui est obligé de rester chez lui. Pas Thor, qui est occupé je ne sais où. Je ne suis pas seule, mais intérieurement, c'est tout comme. »

Steve n'en revenait pas que Madison se confie autant à lui sur ses émotions et sa douleur. Il était très clair qu'elle ne le détestait pas, au contraire. Elle lui parlait à cœur ouvert sans craindre qu'il la juge, puisqu'elle s'était toujours attendue à ce qu'il lui réponde.

Il pinça son arête nasale entre son pouce et son index, yeux clos, l'esprit envahi de pensées vives et confuses qui tournoyaient dans tous les sens. Il n'avait pas énormément avancé et pourtant, tout semblait déjà aller de travers, beaucoup trop vite. Il n'était pas certain de réussir à continuer, car il savait que ça allait empirer. Il avait eu des échos : la suite l'effrayait.

12 NOVEMBRE 2016

« Tu me manques. Ca ne sert à rien de le nier.

Je crois que tu manques aussi à Tony, mais il ne l'avouera jamais. Tout est tellement froid, tellement terne dernièrement. J'ai essayé de passer un peu plus de temps au manoir, comme avant. Peter y est très souvent, mais même s'il sourit vingt-quatre heures sur vingt-quatre, il est malheureux. Sa sœur lui manque, l'aventure et l'adrénaline lui manquent. Wanda et Vision sont en sécurité, c'est le principal. Mais plus rien n'est comme avant. »

5 DECEMBRE 2016

« J'en ai marre de bosser sous les ordres du Gouvernement. J'ai signé pour qu'on me fiche la paix. Je m'estime chanceuse de ne pas être envoyée en mission de reconnaissance tous les jours, sauf qu'avec l'équipe, ça ne m'aurait pas dérangée. Sans, ce n'est plus pareil. C'est… vide. Ennuyeux. Ca semble moins important. Ca n'a plus aucune saveur. L'envie n'est plus tellement là, elle non plus.

En deux mots ça craint.

Tu dois être occupé. J'espère que tu passes de meilleurs moments que nous, que tu continues à sauver le monde comme tu sais le faire en étant tout de même un minimum prudent.

Je ne saurais te dire pourquoi, mais j'ai un mauvais présentiment. Quelque chose arrive, je le sens. Je ne sais pas quoi.

Mais ça m'inquiète. »

La lettre suivante ne le déstabilisa que davantage.

« Je crois que je vais mourir. »

Ca aussi, il en avait eu vent, mais des mois plus tard seulement, alors qu'il aurait pu être au courant s'il avait lu directement au lieu de s'en faire sur ce que renfermaient ces quelques pages. L'émotion était montée petit à petit et il n'était pas loin de craquer. Sur le papier, Madison venait de lui confier qu'elle allait peut-être mourir, et il réalisa à cet instant que tout aurait pu se produire d'une manière drastiquement différente.

« J'ai peur, Steve. J'ai tellement peur, tu n'as pas idée. »

Il avait l'impression d'entendre sa voix, qu'elle était là, dans la pièce avec lui. Elle avait expressivement spécifié que ses conseils lui auraient été bénéfiques. S'il avait su, même en tant qu'hors-la-loi, même à l'autre bout du monde, il se serait débrouillé pour la rejoindre.

« Tony a plus d'espoir que moi. Thor aussi. Je suis juste fatiguée, tu comprends ? J'ai eu ma dose, je veux juste un peu de repos. J'aimerais que tu sois là. »

Steve avait la gorge nouée, ses yeux piquaient, sa tête bourdonnait. Il savait qu'elle avait fini par trouver un moyen de s'en sortir, mais cela n'atténuait pas la peine qu'il éprouvait.

« Je ne sais pas combien de temps je vais tenir, mais je n'ai pas envie de partir, alors au lieu de me confondre dans une série d'adieux larmoyants, je me contenterai d'un « A la semaine prochaine, Champion. »

Champion. C'était ainsi qu'elle avait pris l'habitude de le surnommer, et qu'elle continue à le faire à travers ses lettres lui remontait un peu le moral. Mais surtout, même si Madison affirmait qu'elle n'était pas très confiante quant à son sort, elle gardait la tête haute et faisait son possible pour faire preuve de courage malgré sa condition, elle tâchait de rester un petit peu positive.

La suite des nouvelles fut parfaitement contrastée.

5 JANVIER 2017

« Bon. Je suis toujours en vie. »

Il ignorait pourquoi le ton avait aussi radicalement changé entre ces deux lettres espacées de quelques jours, mais c'était réjouissant.

« J'ai eu très peur, surtout que techniquement, j'ai passé l'arme à gauche pendant quelques minutes, après avoir failli transformer le manoir en champ de ruines. Mais tout va bien !

Il s'est passé énormément de choses en une semaine, mais si jamais ça t'intéresse, je te promets de prendre tout le temps nécessaire afin de tout te raconter en détails, parce que sincèrement, c'est tellement invraisemblable que je crois que ça vaut le coup. En résumé très bref : des géants des glaces, de la magie, des combats, de l'amitié et, bien entendu, des litres de larmes et bons sentiments. »

Il retrouvait à travers ces mots cette jeune femme pleine de vie et d'énergie qu'il avait initialement rencontrée. Il aurait en effet apprécié en savoir davantage sur cette semaine d'aventures mouvementée, durant laquelle son amie semblait s'être remise à vivre après s'être terrée pendant des mois dans un puits sans fond de terreur et d'angoisse.

La plupart des lettres qui suivirent étaient sur la même note : légères, joyeuses et pourvues de quelques touches d'humour qui firent sourire Steve. Au fil du temps, il eut l'impression que Madison allait de mieux en mieux, qu'elle guérissait et s'épanouissait si librement que plus rien ne paraissait pouvoir la tirer vers le bas. Elle était heureuse.

« Nouvelle saison, nouveaux élèves : le manoir est plein à craquer ! J'y passe pas mal de temps, que ce soit pour superviser les cours ou juste aider Charles au niveau de l'administration, mais également pour faire en sortes que l'école n'explose pas –encore–. Thor a proposé d'animer une classe de temps en temps sur l'histoire d'Asgard, et il arrive à Tony de venir travailler avec Hank. »

« Le jeune Parker a un potentiel –et une énergie– incroyable. Avec le soutien adéquat, il pourra avancer là où il souhaite aller et atteindre ses objectifs en un rien de temps. La seule raison pour laquelle Tony prétend ne pas se préoccuper de ses actes, c'est justement parce qu'il s'est attaché à lui.. Toi, lui et Thor faites partie des ses héros favoris dont il s'inspire au quotidien. »

« Tu savais que Pepper était une nageuse hors-pair ? En revanche, il semblerait que ces messieurs –j'ai nommé Anthony Stark et Thor Odinson– soient moins emballés par les activités aquatiques. Ils ont surtout passé leur temps à faire la liste des cocktails qu'ils préféraient au bar de la plage. »

Un élément avait retenu son attention. Depuis la première lettre de deux-mille dix-sept, il trouvait que l'asgardien était beaucoup plus présent qu'avant dans la vie des Stark. Dans son souvenir, le dieu nordique arpentait inlassablement la galaxie à la recherche de lieux et peuples qui avaient besoin d'être secourus, mais plus Steve progressait dans sa lecture, plus il lui semblait que le guerrier multipliait et prolongeait ses séjours sur Terre. Bientôt, il comprit quelque chose.

« Je ne sais pas encore si nous allons prendre quelques jours de vacances à la fin du mois. Nous pensions éventuellement faire un petit saut sur Asgard, mais je crois que Thor a surtout envie de continuer à découvrir la Terre, alors nous allons nous en tenir à ça pour le moment. »

Le fait que la relation entre la mutante et l'asgardien ait changé lui sautait aux yeux, à présent. Maintenant qu'il se trouvait devant le fait accompli, cela lui paraissait évident. Ils étaient devenus très proches rapidement et avaient toujours paru tenir énormément l'un à l'autre. Et s'il avait été là pour elle lorsqu'elle était au plus bas, peut-être était-ce à cet instant que leur amitié avait grandi et était devenue plus forte, plus intense. Il comprenait mieux la façon dont Madison avait réagi lorsque Bruce avait évoqué le potentiel décès de Thor, ainsi que la profondeur de ce regard qu'ils avaient échangé en se retrouvant en plein milieu du champ de bataille au Wakanda.

Il fut donc surpris en lisant la suite, les quelques dernières lettres, dont l'ultime datait de huit jours avant leurs retrouvailles chaotiques au QG des Avengers.

« Il est parti. On ne s'est pas disputé à proprement parler, mais c'est tout comme. Tu dois probablement trouver tout ça peu intéressant, mais j'ai besoin d'en parler à quelqu'un dont la première réaction ne serait pas d'aller lui arracher la tête.

Il a paniqué en découvrant qu'il allait devenir papa. »

Steve soupira longuement, dépité. Il ne pensait pas que c'était inintéressant, loin de là. Il avait beau trouver cela normal qu'un couple ne s'entende pas toujours, ne soit pas constamment sur la même longueur d'ondes, ce qui le marquait était qu'à l'issue de leur combat contre Thanos, leur projet de devenir parents s'était évaporé. Il trouvait cela atrocement injuste.

« En fait, ça me terrifie aussi. Ca n'était pas prévu, mais même si je lui en veux d'être parti pour « prendre le temps de réfléchir », il fait des efforts pour se faire pardonner. Il est revenu plusieurs fois mais à chaque fois, j'ai fait en sortes de l'éviter alors qu'au fond, j'ai envie de le revoir. Tony dit que c'est à cause de mon tempérament de Stark que ma fierté prend le dessus comme ça. Je me sens larguée, mais à un point…

Tu ne voudrais pas revenir, ne serait-ce que le temps d'une journée ou même d'une petite heure pour me remettre sur les rails ? J'ai besoin d'un conseil. D'un ami. Et peut-être que toi aussi, tu as besoin de compagnie ? »

Elle avait raison. Il s'était très souvent senti seul au cours des deux dernières années, il avait parfois hésité à venir leur rendre visite afin qu'ils puissent discuter calmement et tentent de mettre certaines choses au clair une bonne fois pour toutes.

Il ne voulait pas arriver au bas de la page. La dernière lettre. Il aurait pu passer des journées entières à lire ces écrits, mais la fin était désormais proche. Alors qu'il était certain d'avoir réussi à passer le plus dur et tenir bon, les dernières phrases ne firent que lui rappeler que durant tout ce temps, il avait eu l'occasion d'agir différemment.

« Souviens-toi que la porte est ouverte, je ne t'oublie pas.

Prends soin de toi, à la semaine prochaine.

Madison »

Et juste comme ça, c'était terminé. Il avait lu en une journée un total de cent-deux lettres sans voir le temps passer. Cent-deux lettres qui avaient retracé une période compliquée et tumultueuse de la vie de son amie, qui avait tenu bon malgré la tempête. Steve, lui, était anéanti.

. . . . . . . .

–Les derniers sont au lit ?

–Au lit, bordés et suffisamment fatigués pour s'endormir d'ici les cinq prochaines minutes. Un peu comme nous, d'ailleurs…

A peine eut-elle achevé sa phrase que Kitty Pride bailla longuement en mettant sa main devant sa bouche avant de s'étirer lentement, les bras levés au-dessus de sa tête. A ses côtés, Madison laissa échapper un profond soupir de soulagement en s'appuyant contre le mur derrière elle en se massant distraitement la nuque.

–Bobby est tombé comme une masse dans un des canapés du salon du premier, l'informa-t-elle. Si jamais tu as le courage d'aller le réveiller pour lui rappeler qu'il a un lit décent, libre à toi, ajouta-t-elle avec un demi-sourire.

–Pfff, pour qu'il me supplie de le porter jusqu'à sa chambre ? Non merci, répondit la plus jeune, toujours occupée à s'étirer.

–Tu devrais aller te coucher, lui suggéra Madison. Encore merci pour ton aide.

–Je t'en prie, claironna-t-elle, puis son air fatigué mais enthousiaste laissa place à la stupeur lorsqu'elles entendirent toutes les deux quelqu'un frapper à la porte entrée du manoir au bout du couloir. Qui s'est encore perdu ? souffla-t-elle, les sourcils froncés. Tu attendais quelqu'un.

–Non, et certainement pas à cette heure-ci, lui dit-elle, aussi étonnée qu'elle, le regard d'abord tourné en direction du bruit, puis elle se focalisa sur l'autre mutante. Va dormir, je vais voir.

–A demain, la salua Kitty en l'embrassant sur la joue avant de disparaitre à travers un mur en baillant à nouveau.

Madison marcha vers l'origine du bruit, ne souhaitant pas faire patienter quiconque se trouvait dehors plus longtemps. Elle réarrangea brièvement ses cheveux d'un geste simple en inspirant profondément, souhaitant être quand même un minimum présentable après le combat sans merci qu'elle venait de mener contre un groupe d'enfants particulièrement agités et capricieux qui avaient une fâcheuse tendance à faire usage de leurs dons pour mettre au point divers stratagèmes qui leur permettraient de gagner quelques minutes d'amusement avant de se coucher.

Elle n'avait aucune idée de celui ou celle sur qui elle allait tomber, même si elle espérait qu'il s'agisse éventuellement de Thor, avec qui sa relation avait pris fin depuis à peine quelques jours. Elle y croyait sincèrement, qu'il soit revenu sur sa décision, et c'est sans hésiter qu'elle l'aurait accueilli à bras ouverts. Perdre une partie du peuple asgardien, Loki, la moitié de l'univers –et donc de leurs amis– et leur futur descendant avait été une épreuve abominable, mais Madison voulait qu'il revienne, elle avait besoin de lui.

Mais il n'était pas là. Elle doutait fortement qu'il s'agisse de lui à l'extérieur. Il avait été très clair sur le fait qu'il avait besoin de temps. Mais pas de combien.

On frappa à nouveau. Ca n'était pas encore trop insistant, mais le visiteur semblait avoir hâte qu'on vienne lui ouvrir. Elle n'attendait personne et en même temps, elle espérait tomber sur un visage familier, quelqu'un qui saurait lui faire temporairement oublier ses tourments. Mais quand elle ouvrit, elle se figea.

–Steve, lâcha-t-elle.

De toutes les personnes auxquelles elle aurait pu s'attendre, le vétéran se situait tout en bas de sa liste, juste après Thor. La dernière fois qu'elle l'avait vu, c'était lorsque les Avengers étaient revenus du Jardin pour annoncer que si Thanos n'était plus, ils n'avaient en revanche pas réussi à défaire ce que ce dernier avait réalisé avec les Pierres d'Infinité. Quelques jours plus tard, chacun était parti de son côté, tous plus dépités les uns que les autres.

Qu'il ose se présenter chez elle, à l'entrée de ce manoir dont elle était désormais à la tête, l'irritait énormément. Elle ne pensait pas qu'il avait le droit de débarquer comme ça sans avoir donné signe de vie pendant une éternité. Elle lui en voulait de l'avoir ignorée pendant des mois, et sa rancœur demeurait intense, surtout maintenant qu'il était là.

Durant les premières secondes de leur échange visuel, elle ne fit que lui jeter un regard noir et meurtri qui trahissait sa peine, celle qu'elle éprouvait rien qu'en se tenant près de lui. Elle aurait pu lui dire d'aller se faire voir, de ne plus jamais revenir, de la laisser tranquille et qu'elle n'avait plus envie d'avoir quoi que ce soit à voir avec lui. Elle aurait aussi très bien pu se contenter de lui claquer la porte au nez, ce qui lui aurait évité d'avoir à se justifier, rien ne l'en aurait empêchée. Elle était chez elle, elle avait tous les droits.

Pourtant, alors qu'elle état sur le point d'improviser une phrase quelconque pour lui demander de s'en aller, l'air qu'elle lut sur le visage de l'homme l'en dissuada. En un mot, il lui parut dérouté. Il avait beau être plus grand qu'elle, elle avait l'impression qu'il voulait se faire aussi petit que possible.

Il était fébrile, il respirait si doucement que c'était presque comme s'il retenait son souffle et ses yeux clairs et brillants fournissaient un effort considérable pour retenir ses larmes. Il regardait Madison sans ciller, visiblement perdu et mal à l'aise, même un peu apeuré. Il souffrait, il était malheureux, il était terrifié et ne savait pas quoi dire. Il n'était pas sûr de la façon dont la mutante allait réagir, mais il avait senti qu'il fallait qu'il vienne. Qu'enfin, il lui parle. Ca avait trop duré.

La manière qu'avait Madison de le regarder changea lorsqu'elle comprit qu'il était en détresse. Elle ne l'avait jamais vu ainsi. Lui qui était connu pour garder son sang-froid et rester stoïque même dans les situations les plus délicates, il était totalement métamorphosé. Il s'ouvrait à elle, il faisait un pas vers elle. Il était en détresse et avait besoin de son aide.

Madison n'avait pas la moindre idée de la raison qui l'avait amené et très honnêtement, elle s'en moquait. Tout ce qu'elle voyait, c'était qu'il était venu chercher du réconfort auprès d'une amie et que jamais elle ne pourrait lui tourner le dos. C'est donc très naturellement qu'elle fit un pas en avant en lui ouvrant les bras, et Steve s'y réfugia tel un enfant.

Il laissa son chagrin sortir sous forme de pleurs qui se noyèrent sur l'épaule et dans les cheveux bruns de Madison, qui le serra contre elle d'un geste rassurant. Le voir comme ça l'inquiétait, elle croisait mentalement les doigts pour que rien ne lui soit arrivé. Elle trouvait qu'il avait trop souffert, trop encaissé. En frottant son dos avec une douceur presque maternelle, elle lui murmura quelques « tout va bien », « je suis là », « ça va aller » afin de l'apaiser et, peu à peu, le soldat se calma, même si ses larmes inondaient toujours ses joues.

A la façon dont il l'étreignait, Madison sut que Steve devait avoir peur qu'elle le lâche, comme s'il avait besoin d'elle pour tenir debout. Heureusement pour lui, elle ne comptait pas le laisser partir avant de s'être assurée qu'il allait mieux. D'ailleurs, lorsqu'elle s'écarta légèrement de lui afin de le regarder dans les yeux, elle ne le lâcha pas.

–Viens, souffla-t-elle simplement en saisissant sa main, après quoi elle l'entraina à l'intérieur, puis elle ferma derrière eux.

. . . . . . . .

Triturant nerveusement ses doigts, Steve fixait le feu de cheminée sans vraiment le regarder. Assis dans le canapé qui faisait face au foyer, il trouvait la chaleur des flammes très agréable et leur lueur hypnotisante, même si à présent, ses pensées l'empêchaient de profiter de leur beauté.

Ce fut lorsque Madison lui tendit une tasse de thé fumante de laquelle s'échappaient quelques fragrances de cannelle et de miel qu'il reprit pied avec la réalité.

–Merci, lui dit-il en s'en emparant.

–Je t'en prie, répondit-elle tout aussi posément en s'asseyant à ses côtés.

–Merci de m'avoir accueilli, précisa-t-il, un peu gêné, les yeux rivés sur le liquide contenu dans sa tasse.

–La porte a toujours été ouverte, soupira-t-elle avec une certaine lassitude en haussant les épaules, rappelant indirectement à Steve qu'il aurait pu revenir à n'importe quel moment.

–Je sais, affirma-t-il, la gorge nouée.

–Ah oui ? dit-elle, le regard verrouillé sur lui. Comment ?

Il ne répondit pas tout de suite. Au lieu de cela, il déposa sa tasse sur la table d'appoint et passa une main à l'intérieur de sa veste. Madison l'observa faire, curieuse, jusqu'à ce qu'il sorte un morceau de papier plié en quatre, qu'il lui remit avant d'avouer :

–Tu me l'as écrit.

Avant de déplier la feuille, elle leva les yeux vers lui, surprise et ne sachant quoi dire. Il lui semblait clair qu'il s'agissait d'une de ses lettres, qu'il avait donc lues, mais quelque chose lui échappait.

–Je viens de les ouvrir.

Le cœur de la mutante se fendit en plusieurs morceaux lorsqu'elle comprit, sans qu'il ait besoin de lui fournir une explication, que le soldat ne l'avait jamais délibérément ignorée. Et surtout, Steve en paraissait si impacté qu'elle sut qu'il devait mal vivre la situation.

–Je suis désolé, souffla-t-il, tête baissée, alors Madison se colla à lui et laissa sa tête reposer délicatement contre son épaule en laissant échapper un long et profond soupir, tandis que leurs mains s'entrelacèrent affectueusement. Si j'avais su… poursuivit-il, néanmoins incapable d'achever sa phrase.

–Tu m'as manqué, dit-elle calmement, regardant à présent les flammes danser dans la cheminée.

–Toi aussi, répondit-il, se sentant allégé d'un énorme poids.

Ils restèrent assis là longtemps, profitant à la fois de la chaleur du foyer et de la présence de l'autre. Ils échangèrent beaucoup de choses durant les heures qui suivirent, rattrapant le temps perdu et déversant tout ce qu'ils avaient sur le cœur depuis leur défaite cuisante au Wakanda. Madison lui expliqua comment sa relation avec Thor s'était détériorée tandis que Steve lui avoua que même s'il faisait bonne figure et tâchait de montrer l'exemple en restant un roc sur lequel s'appuyer pour tous les autres, il n'avait en réalité aucune idée de la façon dont il devait réellement gérer tout ça.

A force de parler de tout ce dont ils devaient s'occuper, ils abordèrent la question de la gestion du manoir, de cette école remplie de jeunes mutants en herbe dont la direction était revenue à Madison après que tous les autres membres originels des X-men aient disparu, alors Steve proposa spontanément de l'aider du mieux qu'il le pourrait les jours où elle viendrait à être débordée, ce que la jeune femme accepta gracieusement en affirmant qu'elle, Kitty et Bobby verraient n'importe quel type de soutien comme étant le bienvenu, car même si cela ne faisait que quelques semaines, ils avaient déjà l'impression de saturer et d'être débordés, que les problèmes venaient de tous les côtés.

Leur conversation s'étira jusqu'aux premières lueurs du petit matin sans que la fatigue ne les submerge tant ils avaient eu à se dire. Cette nuit-là, ils mirent enfin derrière eux ce qui les avait maintenus éloignés pendant bien trop longtemps. Ils savaient que désormais, ils avaient surmonté le plus dur dans le début de leur processus de reconstruction, même si le travail à fournir allait être conséquent. Ils en étaient conscients, mais ils étaient également plus confiants maintenant qu'ils étaient à nouveau ensemble.

. . . . . . . .

PRESENT DAY

Bucky avait toujours son bras autour des épaules de Madison et il souriait. Il était très heureux de savoir que ses amis avaient trouvé le moyen de se réconcilier en toute sérénité et simplicité, qu'ils avaient eu l'occasion de profiter de leur amitié sans ressentiment.

–Au cas où tu te poserais des questions, il vous approuverait sûrement, déclara alors Madison, ce qui lui valut un coup d'œil interrogateur de la part du soldat, auquel elle répondit avec malice : Tu sais de quoi je parle, précisa-t-elle, ce qui le fit rire.

–Je sais que tu sais, affirma-t-il. Et je sens que je vais en entendre parler pendant des semaines.

Ils se contentèrent par la suite de profiter du calme environnant, des voix lointaines des hommes dans le salon, des rires des enfants qui s'étaient rejoints, du ronronnement de Nerri qui s'était assoupie contre un arbre avec Amarok, du son des sabots de Brann et de la gazelle de Frey qui trottinaient sur la vaste étendue verdoyante qui entourait le chalet… De cet ensemble, de ce tout paisible qu'ils avaient largement mérité. Bien sûr, ils espéraient prochainement prendre part à de nouvelles aventures palpitantes.

Mais pas tout de suite. Ils avaient droit à un peu de repos.