Back out the road-Holy Shemp
–Tu sais que je reviens dans deux jours ? Trois, grand maximum ?
Une pile de pulls en laine dans les bras, Thor offrit à Madison un regard de chien battu en arborant un air penaud qu'elle trouva terriblement attendrissant. Avant de fermer son sac de voyage, la terrienne capitula et récupéra le vêtement du dessus –un épais pull à col roulé de couleur beige et dont l'extrémité des manches tirait vers le marron–, qu'elle rangea avec le reste de ses affaires.
–Ca pourrait être utile, commenta-t-elle en bouclant ses bagages, tandis que l'asgardien déposa le reste de la pile sur le meuble à côté de la porte, puis il s'approcha d'elle, se plaça dans son dos et l'enlaça tendrement.
–Je ne comprends toujours pas pourquoi tu tiens à y aller seule, souffla-t-il, le nez enfoui dans ses cheveux. Enfin, je sais, se corrigea-t-il, mais…
–… Mais tu aurais aimé pouvoir garder un œil sur moi parce que j'ai facilement tendance à me mettre dans le pétrin même lorsque la situation ne s'y prête pas, compléta-t-elle en profitant de cette étreinte.
–Et cela reste risqué, affirma-t-il, même si je te fais entièrement confiance pour mener cette expédition à bien, et que techniquement, tu ne seras pas seule.
Madison se détacha de lui et se retourna afin de lui faire face, puis elle entoura ses bras autour de lui avant de déposer un baiser sur sa joue. Il plaça ses mains dans son dos et l'attira contre lui pour qu'ils partagent une seconde étreinte.
–Je ne risque rien, je n'y vais pas seule. Et je reviens vite, ok ? lui dit-elle en plongeant son regard dans le sien.
–Promis ?
–Promis, dit-elle, faisant ainsi partiellement taire les inquiétudes du guerrier. Je demanderai à Tony de mettre une bouteille au frais juste avant de partir, ajouta-t-elle en jouant distraitement avec une mèche blonde de l'homme. Tu penses pouvoir surveiller tout le monde pendant mon absence, ou serait-ce plus judicieux de ma part de demander à Pepper d'assurer ce rôle ?
–Les garçons restent jusqu'à demain, n'est-ce pas ? lui demanda-t-il après un court instant de réflexion, et après qu'elle eut acquiescé, il reprit un bref moment pour trouver la meilleure réponse à lui offrir, après quoi il lâcha : Demande à Pepper.
–Tu as peur de ne pas pouvoir t'occuper d'au moins deux enfants en même temps ? l'interrogea-t-elle, tout sourire.
–Disons qu'en plus d'Arthur et Morgan, nous avons chacun un frère qui, laissés sans surveillance, peuvent rapidement faire des bêtises, mentionna-t-il mi-sérieusement.
–Sans compter qu'il faut te surveiller, toi aussi.
–Exactement, approuva-t-il vivement avant de froncer les sourcils. Attends, quoi ?
Entendre Madison rire l'empêcha de se sentir vexé. Il savait qu'elle avait raison. Dans leur groupe, leur famille, ils étaient tous des aimants à problèmes, si bien que les adultes devaient, à tour de rôle, devenir la « personne responsable » en charge de tout le monde.
Ils sursautèrent à l'unisson lorsque le refrain de « You give love a bad name » retentit brusquement, et ils rirent à nouveau. Il ne s'agissait que du téléphone de la terrienne, déposé sur les draps à côté du sac de voyage, qui sonnait. Thor, désireux de lui laisser un peu d'espace et d'intimité lorsqu'elle recevait un appel, l'embrassa tendrement sur le front et quitta silencieusement la pièce, la laissant seule avec la voix de Bon Jovi qui émanait de l'appareil. Elle fut heureuse en voyant le surnom « Storm » s'afficher à l'écran.
–Bonjour ma grande, comment vas-tu ? dit-elle après avoir décroché avant d'attraper de sa main libre les pulls laissés par Thor, souhaitant aller les ranger dans son armoire pour qu'ils ne trainent pas.
–OH LA VACHE ! s'écria une voix féminine à l'autre bout du fil, surprenant Madison. Je ne pensais pas que tu répondrais, mais c'est génial que tu le fasses ! s'exclama-t-elle. Désolée si je t'ai fait perdre quelques points d'audition, se calma-t-elle ensuite.
–Ce n'est rien, je n'aurais qu'à emprunter un des appareils de Clint, plaisanta-t-elle en ouvrant la porte de son armoire à l'aide de sa magie. Je n'allais pas tarder à appeler pour prendre des nouvelles et éventuellement voir si ma présence était requise pour réassurer quelques cours.
–Tu rigoles !? s'exclama Ororo avec entrain. Je crois que tout le monde n'attend que ça ! Crois-moi, on a tous hâte que tu reviennes, que ce soit pour enseigner, jouer à D&D ou nous faire part de deux-trois conseils…
–Et je suppose que c'est pour ça que tu appelles ? devina la plus âgée lorsqu'elle remit ses vêtements à leur place. Pour un conseil ?
–… Moui, baragouina-t-elle, et au ton de sa voix, Madison sut que l'autre mutante paraissait un peu gênée. Hum, je… Alors, comment dire… Niveau relations, tu… penses pouvoir m'aider… ? lui demanda-t-elle presque timidement.
Madison, qui s'était mise à marcher de long en large, s'arrêta subitement, ne s'étant pas attendue à cette « requête ».
–J'espère que tu es bien consciente du fait que même si ma situation actuelle est à nouveau stable et très bien partie pour durer, je ne suis pas une excellente référence en matière de relation ? lui dit-elle en s'asseyant sur le bord de son lit, néanmoins curieuse de ce que son élève et amie attendait d'elle. Tu as demandé à…
–Raven et Hank sont partis en vacances, Erik passe la semaine chez Natalya, Charles dîne avec Moïra et Kitty est occupée je ne sais où à faire je ne veux pas savoir quoi avec Bobby, énuméra-t-elle. Ne penses pas être le dernier recours, je ne voulais juste pas te déranger.
–Tu ne déranges pas, affirma-t-elle en se laissant tomber en arrière sur son lit. Je t'écoute.
Elle entendit Ororo prendre une grande inspiration à l'autre bout du fil, comme pour se donner du courage avant de se lancer. Madison patienta silencieusement, ne voulant pas la brusquer, la précipiter en la forçant à lui dire rapidement ce qui la travaillait.
–Alors voilà, hum… Il y a quelqu'un… débuta-t-elle. Une fille, poursuivit-elle. On ne s'est vues que deux fois, mais on a pas mal échangé par messages, dernièrement, lui expliqua-t-elle. On s'appelle beaucoup aussi. On s'entend vraiment super bien, on a plein de centres d'intérêts communs, et on peut passer des heures à discuter sans jamais s'ennuyer. Je crois que je… Hum… Que je commence à ressentir quelque chose de différent et je ne sais pas trop… comment lui en parler. Est-ce que je suis bizarre ?
–Oula, pas du tout, la rassura Madison. Dans le monde de folie dans lequel on vit, je t'aurais proposé de foncer sans hésiter, mais tu as l'air de vouloir y aller à ton aise, plus en douceur.
Le silence d'Ororo lui confirma qu'elle avait vu juste. Elle réfléchit donc très sérieusement à ce qui pourrait correspondre à son amie.
–Tu penses la revoir quand ? la questionna-t-elle, pensive.
– … Elle est de passage aux Etats-Unis cette semaine, c'est pour ça que je te demande, avoua-t-elle, impatiente de recevoir sa « solution miracle ».
–Si tu commençais par simplement lui proposer d'aller boire un café ?
–Un café ? répéta-t-elle.
–Il faut bien commencer quelque part.
–Ok. Ok, je vais faire ça, répondit Ororo, toujours un peu hésitante et stressée mais apparemment ravie de pouvoir passer à l'action. Merci, vraiment. Tu reviens bientôt, pas vrai ?
–Invite-la, rétorqua-t-elle, et je reviendrai pour que tu me racontes comment ça s'est passé.
–Ca ne serait pas du chantage ?
–Ah, mais absolument, confirma-t-elle. Tu avais besoin d'autre chose ?
–Juste que tu me promettes de te dépêcher de revenir au manoir.
–On me demande de faire énormément de promesses, en ce moment, soupira-t-elle. Je te le promets, dit-elle cependant très sincèrement.
–Tu es géniale.
–Je sais. Toi aussi, ma grande. Ne veille pas trop tard, compris ? la mit-elle gentiment en garde.
–A vos ordres, prof'. Encore merci.
–Je t'en prie. A bientôt.
Même après que leur conversation ait pris fin, Madison continua de sourire. Ca lui avait fait un bien fou d'entendre Ororo, de discuter comme avant, comme si les dernières années de ténèbres, de difficultés n'avaient jamais existé. Elle était heureuse de pouvoir se rendre utile, même si cela paraissait à première vue moins important. Rien ne lui paraissait moins important lorsque ses proches se tournaient vers elle pour lui demander de l'aide, quelle qu'elle soit. Si ses mots parvenaient à guider ceux qui en avaient besoin, alors tout était parfait.
Assise en tailleur sur son lit, Ororo soupira en regardant l'écran de son téléphone. Ca l'avait rassurée d'entendre la voix de Madison, qui s'était comportée comme une mentor, une « grande sœur » dès l'instant où elle avait intégré l'école. Elle ne s'était jamais sentie mise de côté, on ne l'avait jamais jugée pour ses décisions passées. Elle avait immédiatement eu l'impression d'être à sa place, d'être comprise, d'être appréciée pour ce qu'elle était.
Elle se leva et alla ouvrir la porte-fenêtre qui menait vers son petit balcon, sur lequel elle s'aventura tranquillement en inspirant longuement, laissant l'air frais de ce début de soirée envahir ses poumons. Elle s'appuya contre la balustrade en passant ses doigts dans sa chevelure blanche, observant les quelques derniers élèves restés dans le parc du manoir. Elle préférait cette ambiance sereine au chaos dans lequel elle avait passé une bonne partie de son enfance. Ici, elle n'était pas complètement isolée du monde, mais elle s'y sentait en sécurité. Ici, elle s'était trouvée une famille.
Elle esquiva de justesse une boule de neige ensorcelée –créée par magie, puisque ce n'était pas la saison– qui s'écrasa contre un carreau derrière elle. Un petit « désolé » en contrebas résonna, mais elle fut plus amusée qu'autre chose. Elle ne pouvait pas en vouloir aux jeunes apprentis qui découvraient encore l'étendue de leurs pouvoirs en s'amusant. Elle savait ce que c'était, elle était passée par là.
Elle se focalisa à nouveau sur son portable et fit rapidement défiler sa liste de contacts, jusqu'à ce qu'elle atteigne les « S », avant de tomber sur la personne désirée. Son cœur se mit à battre un peu plus vite, mais elle se décida finalement à presser la touche d'appel. Elle porta l'appareil à son oreille et attendit en retenant son souffle, légèrement stressée. Une sonnerie, deux sonneries, trois so…
–Allô ?
Ororo respira normalement lorsque la voix de son interlocutrice retentit dans le combiné, ce qui la fit sourire. Prenant son courage à deux mains, elle se lança :
–… Salut, Shuri. Ca te dirait qu'on aille boire un café ensemble ?
