Feel Invincible-Skillet


Le vent qui soufflait était brutal et glacial. Il faisait tournoyer dans une valse infernale les flocons de neige qui tombaient des épais nuages qui eux-mêmes semblaient se faire déchirer en deux par les plus hauts sommets rocheux. En ces lieux, aucune plante, aucune fleur, aucun arbre, aucune racine n'était parvenue à se frayer un chemin de sorte à se développer. Toute forme de vie demeurait quasi-inexistante. Quasi, car une silhouette progressait depuis un moment sur les flancs de ces montagnes escarpées sans pour autant se laisser décourager par la puissance des bourrasques qui lui suggéraient sans douceur de faire demi-tour.

Madison s'arrêta un instant de marcher et abaissa partiellement son cache-col. Malgré les températures extrêmement basses, elle n'avait pas spécialement froid. Le vent et la neige ne la dérangeaient pas, elle était capable de s'adapter à tout type d'environnement, et son séjour –privée de pouvoirs– dans les Limbes avait renforcé sa résistance aux milieux hostiles et peu accueillants. De plus, elle avait revêtu –par-dessous sa cape– sa tenue de combat hivernale transmise par Eléa, qui avait été conçue sur Jotunheim –bien qu'elle l'ait appris tardivement–.

Son regard se porta vers le plus haut sommet de la chaine de montagnes dans laquelle elle se situait. Elle savait qu'elle n'était plus très loin de son but et que, d'ici quelques minutes, elle pourrait accomplir ce pourquoi elle avait fait le déplacement. Le bruit du vent était si fort que c'était comme s'il criait pour la mettre en garde, pour avertir quiconque osant s'aventurer plus loin ferait mieux d'abandonner cette idée insensée et rebrousser chemin avant qu'il ne soit trop tard. Tout ne respirait que malheur et désolation, mais Madison était déterminée à poursuivre sans se soucier des éventuels obstacles qui tenteraient de la ralentir dans son expédition.

A ses côtés, Nerri semblait attendre son feu vert. Elle regardait dans la même direction que la mutante et elle aussi s'était accommodée au climat –après tout, elle était une panthère des neiges–. Lorsque la main de Madison frôla le haut de son crâne, elle sut qu'il s'agissait de son signal pour y aller.

Elle s'élança donc dans les airs d'une simple impulsion, se servant des nuages et de la brume comme points d'appui pour avancer en courant librement et en toute confiance, aux côtés de la terrienne qui elle aussi faisait appel à sa magie afin de se déplacer via la voie des airs.

Elle adorait la sensation qu'elle éprouvait à chaque fois qu'elle s'envolait. C'était comme si, pendant qu'elle ne touchait plus le sol, que tous ses tourments y restaient, justement. De plus, elle était désormais consciente qu'à chaque fois qu'elle utilisait ses pouvoirs, elle n'était jamais seule. Même s'ils restaient en retrait, Nerri, Eole, Brann et Amarok ne l'abandonnaient jamais, surtout maintenant qu'ils s'étaient retrouvés. Elle se sentait invincible grâce à eux.

Elle atteignit le sommet de la montagne et se posa en douceur, ses bottes s'enfonçant dans la neige. Etonnamment, à cette altitude, tout était plus calme, comme si le temps s'était figé.

Les flocons étaient en suspens, il n'y avait plus un souffle de vent et même s'il faisait un tout petit peu moins froid, l'atmosphère était plus pesante que jamais, plus pesante que sur n'importe quelle autre hauteur des environs. Tout était mortellement immobile, silencieux et morne. Chaque inspiration avait une odeur âcre de désespoir. Ici et là, les ruines d'un édifice inconnu étaient les uniques traces d'un événement inqualifiable mais probablement intense et surtout, dévastateur.

Pas un son, pas un mouvement, pas une seule trace de gaité. Le ciel était clair, mais les ténèbres n'étaient pas bien loin. C'était comme avoir mis les pieds dans une dimension parallèle où plus rien n'avait de sens. Aucun champ de ruines n'était à la fois aussi tranquille et pesant, en dehors de celui-ci. N'importe quoi pouvait surgir à tout instant, mais tout pouvait également demeurer aussi inanimé. C'était tout ce qui faisait le « charme » de cette zone dépravée : qu'il soit impossible de savoir s'il se passerait ou non quelque chose.

Après avoir balayé l'endroit du regard, Madison traça lentement son chemin en slalomant avec précaution entre les rochers, les restes de statues, les extraits d'obsidienne qui dégageaient trop de mauvaises ondes pour que cela soit naturel et desquels émanaient quelques étranges effluves de magie visibles lorsqu'on y prêtait vraiment attention. Les débris de granit entassés qui se trouvait sur le chemin de Madison tremblèrent un peu et se mouvèrent tout en douceur, la mutante les déplaçant mentalement sans effort.

Elle n'était jamais venue, certes, mais elle savait exactement où elle devait aller, elle le sentait. C'était comme un appel au secours muet que seule elle pouvait percevoir car il lui était indirectement destiné. Un appel de détresse lancé dans un certain désespoir, sans spécialement s'attendre à quoi que ce soit, un appel qui aurait pu être vain si Madison n'avait pas fait le déplacement. Sauf qu'elle l'avait fait, et qu'elle comptait y répondre sans plus tarder. Elle n'était pas certaine que la personne à l'origine de ce cri interdit soit consciente de l'avoir lancé, mais peu lui importait : elle était là avec de bonnes intentions, et pour de bonnes raisons.

La mutante s'arrêta lorsqu'elle arriva au pied d'un monceau de gravats accumulés les uns sur les autres, formant un dôme d'une bonne dizaine de mètres de haut. Elle inspira profondément, leva les bras devant elle et les bougea avec finesse et expertise. S'accordant parfaitement à ses mouvements, les débris s'élevèrent lentement mais simultanément, enveloppés et portés par un flux lumineux émeraude, puis se séparèrent de part et d'autre, dégageant ainsi l'espace situé au centre des ruines, avant de regagner la terre ferme.

Dès cet instant, ce fut comme si la réalité avait trouvé une brèche dans laquelle se faufiler pour atteindre le sommet de la montagne : le vent siffla, la neige délicate se remit à tomber, le froid mordant refit son apparition. En revanche, les maigres traces magiques déjà présentes avant que la terrienne ne se serve de ses propres pouvoirs s'évanouirent en même temps que le reste retrouva un semblant de « normalité ».

Désormais, c'était Madison qui était figée, et non le décor hivernal et post-chaotique. Elle fixait un point précis sans ciller, un point dégagé au milieu du site qu'elle venait de « nettoyer ». En apparence, elle était de marbre : quiconque l'aurait vue à ce moment aurait été loin de se douter que son cerveau fonctionnait en mode accéléré et que son cœur battait à peu près à six-mille à l'heure. Pourtant, ce n'était pas la peur, la panique ou la peine qui l'animaient. C'était une forme de délivrance, de soulagement. Tout au long de son expédition, elle s'était posée d'innombrables questions parfois invraisemblables, mais elle n'avait plus besoin d'en connaitre les réponses. Elle avait atteint son but.

Avec assurance, elle mit un pied devant l'autre, les yeux toujours rivés sur le même point. Elle cessa tout mouvement une fois qu'elle atteignit son but final et, arborant pour la première fois de la journée un sourire mélancolique mais réconfortant, elle tendit la main.

Quelques secondes à peines s'écoulèrent avant qu'une autre main s'accroche avec elle avec toute l'espérance du monde. Wanda.