J'ai pensé et écrit cet OS pour Eejil dans le cadre de l'échange de noël sur le forum HPF d'après sa fiche personnelle. Un grand merci à elle de m'avoir inspiré ce texte et de m'avoir fait un retour aussi touchant et gentil. Un grand merci à Pruls pour sa relecture perspicace. Un grand merci à Pruls et CacheCoeur aussi de m'avoir écoutée parler de cette histoire quand j'y réfléchissais encore.
Si vous connaissez un peu mon univers, vous ne serez pas surprises du lieu où se passe cet OS ! Après l'accord d'Eejil, je vous le partage.
Bonne lecture :)
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Les Chants d'elles
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Tonks, fille d'Andromeda Black, fille de… Druella Rosier.
Le doigt de Ginny serpente sur les fils bruns. Il serpente sur les branches de la tapisserie légendaire qui ressemble, dans son ensemble, à une vieille carpette abandonnée. C'est un objet de curiosité et de saleté. Mais pour la première fois, elle l'observe avec autre chose qu'un regard répugné. Elle y imagine le nom de celle qu'on lui a annoncée le nom de la mère, carbonisé et y découvre le prénom de la grand-mère, en doré. Une tache noire et un minois blanc. L'ironie est patente.
Elle se redresse, s'éloigne et laisse son regard glisser jusqu'à un autre rond noir esseulé. La mère de son père devrait le colorer, là, au-dessus du canapé, avec un portrait. Elle imagine son nom se dessiner, arabesque et fils d'acier. Et à côté de sa grand-mère Cedrella, elle se demande pourquoi son grand-père a figuré là quel coup du destin a voulu qu'un trou noir apparaisse à côté de celui qui la représentait. D'une manière ou d'une autre, son grand-père Weasley s'est momentanément vu brodé sur le paillasson mural, et pour la première fois, Ginny se pose des questions sur cette grand-mère qu'elle n'a pas connue, mais qui avait apparemment un caractère enflammé.
Pour l'heure, cependant, c'est cette Tonks qui l'intrigue. Tonks. Ils l'ont tous appelée purement et simplement « Tonks ». Drôle de prénom. Fol Œil a dit qu'il l'amènerait avec lui. Sirius a bondi de joie en parlant de sa cousine préférée. Remus a demandé s'il s'agissait d'Andromeda. Et Molly a expliqué que Tonks était la fille d'Andromeda.
Mais peu importe qui est Tonks par rapport au monde, puisque le monde semble incapable d'en faire un portrait simple.
Aurore.
Rebelle.
Sérieuse.
Maladroite.
Fantasque.
Lumineuse.
Habile.
Tête en l'air.
Butée.
Drôle.
Grandiloquente.
Efficace.
Colorée.
Franche.
Taquine.
Brillante.
La constellation d'adjectifs a fusé comme un feu d'artifice. Sa mère, Sirius, Fol Œil et Kingsley n'ont pas su en faire un portrait, n'ont pas réussi à se mettre d'accord sur un portrait. Ginny en est d'autant plus intriguée. Tonks a certainement une de ces personnalités insaisissable et sidérante en compagnie de laquelle nul ennui n'est possible.
Or, au quartier général de l'Ordre du Phénix, l'ennui est un compagnon quotidien.
Toute la journée, Ginny oublie de briquer la maison, elle joue à cache-cache avec sa mère et ses frères. Ils ont déjà enlevé tellement de poussière et de fatras, qu'elle s'étonne qu'il y ait encore autant à jeter. Tout est plein de vieilleries, un coup de balai ne fait pas de mal, mais au lieu de faire du tri dans le taudis qu'ils habitent depuis le début de la semaine, elle a envie de profiter un moment du travail accompli.
Et elle ne cesse d'imaginer cette Tonks en héroïne d'aventures et d'épopées hors du temps. En nouvelle compagne de route.
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Lorsque le soir tombe enfin, elle est la première dans le salon avec une lettre de Luna à laquelle elle tente de répondre. La lettre est pleine de taches de doigts, signe que Luna a aidé son père à imprimer Le Chicaneur avant d'écrire. Peu importe, Ginny ne la lirait pas mieux si le papier était encore parfaitement blanc. Elle a l'esprit ailleurs. Fol Œil doit arriver avec Tonks d'un instant à l'autre, et comme une enfant qui attend son cadeau d'anniversaire, Ginny trépigne d'impatience.
Lorsque la clochette de l'entrée retentit enfin, Ginny est aussitôt sur ses pieds et dévale les escaliers. Ses frères la suivent sans tarder – ils s'ennuient, eux aussi, et ont hâte de rencontrer du monde. Sirius en tête, ils arrivent dans le couloir de l'entrée. Le tableau de l'horrible mère de Sirius marmonne dans son sommeil depuis que le cadre a été recouvert d'un drap noir, mais il ne hurle plus dès que l'un d'eux emprunte le passage. Sirius déverrouille la porte, se fait bousculer par Fol Œil, qui lève sa main pour désigner quelqu'un derrière lui.
Ginny observe silencieusement la nouvelle venue passer le seuil de la porte.
Elle a des cheveux plus flamboyants encore que Ginny. Ils sont d'un rose bonbon absolument lumineux et déplacé dans une maison aussi glauque. Elle porte un t-shirt des Bizarr'Sisters comme jamais sa mère ne lui a permis d'acheter et un pantalon noir en cuir ou en vinyle absolument rock'n'roll. Ses chaussettes du même rose que ses cheveux dépassent largement d'une énorme paire de bottes noires qui résonnent sur le parquet mal ciré et les tapis élimés.
Elle est bruyante sa voix vole dans tout le couloir, son corps heurte porte-parapluie et meubles bancals.
Elle est timide et enthousiaste face à Sirius, face à ses frères, face à elle.
— Et toi, tu dois être Ginny !
— Oui, c'est…
— Moi, c'est…
— Tonks, regarde où tu mets les pieds, bon sang !
— Ouais, ouais, vigilance constante, Fol Œil. Même les coins de tapis sont passibles d'une peine à Azkaban, je sais : c'est pour ça que je préfère les vérifier.
Son apparence est si différente de celle de Luna, elle est même à l'opposé de celle si calme et onirique de son amie d'enfance, mais il y a la même franchise dans leur attitude, une même affirmation face au monde.
— Allez, tout le monde à table !
— Oh la la, bonsoir Molly ! Qu'est-ce qu'on va manger ? Je meurs de faim !
Ni une, ni deux, le bruit nouveau du rire accompagne chacun jusqu'à la cuisine au bout du couloir. Le temps de la soirée promet enfin quelque chose.
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— Et tu es Aurore depuis combien de temps ? demande avidement Ginny.
— Je suis diplômée depuis un an. Il faut trois ans de formation, d'entraînement et d'examens pour devenir Aurore, ainsi qu'une mise en situation finale, raconte Tonks en faisant de grands gestes. Ton ragoût est incroyable, Molly !
— Merci, ma…
— Je peux y ajouter des croûtons ?
Le sourire de sa mère se fige un peu, puis s'effondre totalement quand Tonks renverse la moitié de son assiette sur la table et fait tomber sa fourchette par terre au passage. Ginny cache son rire derrière sa serviette de table. C'est définitif : elle veut que Tonks vienne plus souvent mettre de la bonne humeur par ici.
— Comme tu veux, soupire Molly en tirant sa baguette pour remettre la part renversée dans l'assiette. Calme-toi et fais attention, ma chérie.
— Oh, je suis désolée mais c'est trop bon et la compagnie est trop bonne : tout m'échappe ! plaisante Tonks mais Ginny la voit rougir d'embarras – en même temps, toute sa figure se métamorphose en sauce tomate à cause de l'émotion…
Et un geste de trop envoie cette fois-ci son couteau à terre. Ses frères explosent de rire, et Ginny se retient à grand-peine d'en faire de même.
— Ma chérie… soupire Molly en face de la tablée. Alastor disait que tu étais maladroite mais je pensais qu'il exagérait.
— J'ai d'autres qualités que la maladresse, Molly ! couine Tonks sous la table.
Lorsqu'elle se redresse, Ginny ne voit plus qu'un bec de canard au milieu de son visage. Le « coin coin » qui emplit l'instant d'après la pièce fait résonner les rires de tout le monde – même celui étrangement gallinacé de Tonks. La bonne humeur n'a pas brillé avec autant d'intensité depuis deux longues semaines, pas même avec l'aide de Fred et George. Ron aussi semble moins grognon ce soir – Hermione lui a dit qu'elle n'arrivait que dans une semaine et on lui a interdit d'entrer en contact avec Harry dès le début des vacances. Quant à Sirius, il a un sourire vague en regardant Tonks qui pourrait être flippant s'il ne rappelait pas à Ginny celui qu'elle a vu sur des photos qui datent du temps précédant la première guerre des Sorciers. Son père discute avec Fol Œil avec un air plus léger que la veille. Et même Remus paraît moins vieux ce soir.
— Que dirait ta mère en voyant ta conduite ? s'agace finalement Molly en mode maman n'est pas contente.
Ginny s'apprête à lancer un autre sujet pour empêcher sa mère de gâcher l'ambiance, mais Tonks est plus rapide.
— Ma mère ? entonne-t-elle et sa voix porte, porte, porte si loin que plus personne ne parle.
Elle pose son pied sur le banc dans un son sourd, botte enfilée, comme si elle partait à l'assaut.
— Ma mère ? Elle me dirait de boire l'univers distillé par l'envie, de croquer la mort avant la vie, de brûler les deux bouts de la chandelle pour en garder le cœur coulant et chaud d'une existence pétulante d'égoïsme.
Ginny cligne des yeux avec perplexité. Sa vision de Tonks était faussée. L'Aurore n'est ni joyeuse, ni légère : elle est revêche et guerrière.
— Ma mère ? Elle me dirait de faire ce que je veux avant que le monde ne fasse ce qu'il veut de moi. Ma mère…
— Ta mère voudrait que tu te nourrisses, interrompt Molly en remettant à nouveau le ragoût dans l'assiette.
Le rire de Remus redonne vie à la pièce.
— On dirait Sirius.
— On dirait sa mère, riposte ledit Sirius avec un grand sourire.
Et voilà les deux amis réconciliés pour une nuit. Ginny oublie de rire : elle frémit, elle sourit et cherche à attraper la rêverie que les mots de Tonks ont rendu tangible. Elle admire, elle cherche quoi dire. Mais rien ne vient à part l'émotion et l'envie de savoir, de voir, de croire que ces mots existent, et qu'ils brillent.
— Elle a l'air incroyable ta mère ! reprend Ginny plus bas.
— Ouais, pour me flanquer un prénom pareil, faut pas être croyable, marmonne Tonks en mangeant à nouveau.
— Un prénom ?
— Nymphadora, articule Tonks avec lassitude. C'est du grec. Cadeau des nymphes, ou un truc comme ça. Du grec, quoi.
— Du grec ?
— Du grec ancien. Ma mère aime ces trucs qu'on ne parle plus. Elle dit que si les gens parlaient plus, ils se disputeraient plus… mais mieux.
— Ta mère parle grec ancien ? s'étonne Ginny.
— Ma mère aime ces conneries. Elle pense qu'il y a une magie dans chacune des langues et chacun des mots, une guérison à chacun des maux.
Tonks réfléchit un court instant.
— Un motif pour la ramener, ouais.
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Nymphadora – puisque c'est son prénom – Tonks a renvoyé d'autres piques à Molly, toujours belles, toujours grandiloquentes. Mais jamais méchantes. Et pourtant, Ginny sait que sa mère peut être écrasante avec ses principes de mère, de maman, de femme d'un autre temps. Autour du foyer de la cheminée à présent, chacun vaque à ses occupations. Remus et Sirius jouent à un jeu de leur génération. Maugrey fume sans rien dire. Ron gribouille un devoir pour au plus vite le finir. Ses parents blottis dans les bras l'un de l'autre discutent et savourent un moment de calme. Quant à Fred et George, paix à leurs âmes, ils bricolent dans leur chambre de nouveaux et éternels drames.
Ginny discute avec Tonks. C'est si facile de parler avec elle. Le mot heureux chatouille sa bouche et l'énergie irrigue ses propos. Anecdotes, réflexion, convictions et éclats de rire : c'est un chant de bonnes espérances infinies.
— Ma mère me disait d'envoyer l'univers à Azkaban, si ça pouvait me rendre heureuse.
— Si je parlais de devenir Auror, ma mère s'affolerait.
La voix d'Andromeda – Andromeda Tonks, donc – semble partout dans les mots de sa fille. Tonks semble si fière de sa mère, que ça en perturbe Ginny. Ce n'est pas qu'elle n'est pas fière de dire que sa propre mère est Molly Weasley. Mais mis à part répéter qu'elle a élevé sept enfants à la force de ses bras, elle ne sait pas quoi raconter de plus sur elle, alors que Tonks distribue bons mots, conseils et exploits de sa mère à tour de bras. Dans la bouche de Tonks, il y a mille vies qui virevoltent. Dans la bouche de Tonks, mille voix résonnent.
— Ah oui ? Je croyais que tes grands-parents avaient été Aurors, pourtant, s'étonne Tonks. Eh, Fol Œil, t'avais pas des copains Weasley dans ta promotion à l'époque ?
Ginny jette un coup d'œil à son père et à sa mère. Ils ne discutent plus et se regardent avec tristesse. Son père ne parle pas souvent de ses parents. La guerre. Toujours la guerre.
— Septimus et Cedrella étaient Oubliators, pas Aurors, marmonne Alastor.
— Sérieusement ? s'exclama Ron avec de grands yeux stupéfaits en délaissant son travail.
— Bonne équipe d'Oubliators, mais ils auraient été désastreux chez nous. Septimus était nunuche et Cedrella une vraie brute, continue de grommeler Maugrey.
— Alastor ! proteste sa mère en regardant son père avec inquiétude.
— C'est un drôle de portrait de tes amis, Alastor, commente simplement son père avec un rire gêné. Disons que mon père était patient et gentil, alors que ma mère s'emportait vite.
— Tu veux dire plus vite que Maman ? demande Ron avec toute sa maladresse.
— Ron ! proteste ladite maman et Ginny se mord les lèvres pour s'empêcher de rire.
— Ma mère râlait beaucoup mais elle nous laissait toujours faire ce que nous voulions à la fin.
Hum. L'inverse de Molly Weasley alors.
— Eh bien quand ton père disait des niaiseries à ta mère devant tout le monde, j'avais l'impression de tenir une chandelle explosive, conclut Fol Œil d'un ton bourru en se levant. Je vais rentrer. Ne sois pas en retard demain, Tonks.
— Comme toujours, Fol Œil !
Les parents de Ginny se lèvent pour raccompagner le vieil Auror. Ginny s'imagine un temps son grand-père et sa grand-mère les remplacer sur le canapé. De la photo qu'elle a vue, elle se rappelle un grand homme roux et maigre au visage avenant et une femme brune à la moue boudeuse. Et belle, très belle, d'une beauté leste mais victorienne. Les trois bambins autour d'eux, son père et ses deux oncles, se dandinaient d'un pied sur l'autre et se couraient après. Il y avait tant de vie dans ce tableau ancien et usé.
— Je ne veux pas d'enfant, lance Tonks dans un murmure.
— Ah ? bafouille Ginny en tournant la tête vers son profil de cheveux roses qui regarde le plafond.
Elle ne s'est jamais posé la question des enfants. Mais Tonks a vingt-deux ans, c'est peut-être plus d'actualité de son côté.
— Je l'ai dit à mes parents hier soir. Mon père a boudé mais ma mère a souri, précise-t-elle.
— Si je disais à ma mère que je ne veux pas d'enfants, je déclencherais l'Apocalypse.
Un reniflement et un sourire en coin plus tard, Tonks tourne la tête vers Ginny.
— Ma mère a quitté mon père quand elle a compris qu'elle était enceinte parce qu'elle ne voulait pas être mère mais qu'elle me voulait moi.
Ginny écarquille les yeux. Ce n'est pas logique. Enfin si, peut-être. Quelle aporie.
— Alors elle a compris. Enfin je crois, puisqu'elle m'a dit ça et qu'elle m'a souri. Mais comme je suis née et qu'elle s'est mariée, je ne comprends pas vraiment.
Le chant plein de verve d'Andromeda, celui terre-à-terre et impérieux de Molly, celui explosif de Cedrella, celui assuré et hésitant de Tonks et celui semblable et différent de toutes les autres n'a peut-être pas tant de sens alors. Ou bien peut-être trop. Tant pis. Tant mieux. Il vaut mieux s'en inspirer que le recopier à la lueur des chandelles du passé.
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La réflexion finale sur le désir d'enfant n'était pas prévue, mais, j'ignore pourquoi, elle a glissé de mes doigts et elle m'a paru logique, même si, si l'on suit le canon, Tonks aurait ensuite changé d'avis. Et donc je me suis demandé tantôt ce qu'il se serait passé si Teddy n'était pas né, tantôt si le climat de guerre pouvait chambouler une personne au point de la faire changer d'avis sur cette question à un âge aussi jeune (enfin ça me paraît jeune ahah).
Si vous voulez en savoir plus sur mes Cedrella, elle apparaît dans Pour la Grâce du monde. De même pour Andromeda : elle est la protagoniste de Infestée. Mais allez plutôt lire l'Andromeda que Josy m'a écrite pour l'échange de Noël dans Mauvais sang, elle est sublime ! (coeur)
Ah et j'adore le latin et le grec ancien. N'y voyez que de l'autodérision hihi.
Merci pour votre lecture :)
Ju'
