Hello !
Eh non, je ne me suis pas pressée même si j'enchaîne les publications. J'ai juste du temps pour écrire, et enfin le bon état d'esprit pour le faire. C'est très libérateur. Et c'est tellement d'émotions de retrouver cette fic et de l'achever. Ceci est l'avant-dernier chapitre :)
Dédicace à Mouktouk : je t'avais dit que je trouvais The Best Is Yet To Come incroyablement triste, non ? Ça m'a beaucoup inspiré pour écrire, avec un peu plus de ce que je crois que toi tu y vois :) (pour ceux qui se demanderaient, je parle de l'OST de Metal Gear Solid, pas de la chanson de Franck Sinatra !)
CHAPITRE CINQUANTE-HUIT – The Best Is Yet To Come
I
Quelques semaines plus tard
Lorsqu'il vit apparaître les tours d'Insomnia dans la brume bleutée de la fin de journée, une sensation poignante d'irréalité serra la poitrine de Noctis. Son passé et son futur se rejoignaient ici et maintenant, dans cette ville qu'il avait tant haïe. Il y avait vu sa propre tombe, mais en ce moment précis, il y discernait surtout un invraisemblablement vaste mausolée où reposait son père. Regis avait été l'âme et le gardien de cette ville, et Noctis ne pouvait s'empêcher de s'y sentir comme un invité, voire un simple figurant. Cependant, même en la redécouvrant balafrée par la guerre, le sentiment de familiarité qui le connectait à la majestueuse cité lui affirmait qu'il y avait plus que ça. C'était là, après tout, qu'il avait grandi et forgé ses amitiés. Une part de lui avait souhaité ne plus jamais y retourner, et pourtant, la nostalgie lui étreignait le cœur à mesure qu'ils s'en approchaient.
Il avait pris le volant, souhaitant faire de ce retour un acte de sa propre volonté, au moins symboliquement. Il ne voulait plus se laisser emmener vers sa destinée comme on mène un animal à l'abattoir. Et puis, retrouver le plaisir de la conduite lui réchauffait le cœur. Il aimait sentir le moteur gronder, la voiture réagir promptement à la moindre de ses impulsions, et dévorer des kilomètres d'asphalte à travers les paysages qu'il avait tant aimés, les parcourant comme s'il revenait sur ses pas. Mais il ne retournait pas dans son passé, se souvint-il. Rien ne serait jamais plus comme avant.
Sur le siège passager, Prompto regardait la ville se rapprocher d'un air mélancolique, et Noctis devina tous les souvenirs qui devaient surgir dans sa tête à cet instant. Cela faisait un moment que le photographe gardait le silence, mais Noctis ne l'en blâmait pas. C'était le genre de moment où il semblait simplement ne rien y avoir à dire.
Il jeta un coup d'œil dans le rétro : Ignis semblait un peu nerveux, nettoyant ses lunettes plus que nécessaire, tandis que Gladio faisait semblant de lire un livre, alors que son regard dérivait régulièrement sur le panorama de la cité qui se dévoilait au milieu des brumes. Puis, son regard tomba sur une cinquième personne qui n'avait guère l'habitude de voyager avec eux. Cor et ce qui restait des Lames avaient rejoint la capitale quelques temps auparavant, et Noctis avait bien proposé à Nyx de rester à Tenebrae, mais celui-ci avait rétorqué qu'il n'allait « tout de même pas louper la cérémonie de remise des médailles », ce qui bien sûr était un prétexte, puisque les officiels de Tenebrae y seraient conviés, qu'une telle cérémonie ne se déroulerait sans doute pas avant plusieurs mois. Alors, il était parti avec eux pour rentrer au pays, et lorsque le jeune roi croisa son regard dans le rétro, la Lame affichait une mine inhabituellement grave. Ils devaient tous, à cet instant, éprouver ce poids sur la poitrine, cette solennité mêlée de tristesse devant la cité qu'ils avaient dû abandonner sous le feu ennemi.
Noctis agrippa le volant un peu plus fort tandis qu'il s'insérait sur l'un des ponts ralliant la cité. Il n'y avait personne sur la route, mais Insomnia n'était pas vide. Il y distinguait des grues de construction et de multiples lumières indiquant qu'on y vivait encore. Le vent joua dans ses cheveux, sifflant, presque joueur, venant droit de la cité comme pour l'accueillir. Son cœur pulsait de frayeur, mais une part de lui se montrait presque impatiente à l'idée de retrouver son foyer. En proie à des émotions contradictoires, sa nervosité grimpa de plusieurs crans, mais il se maîtrisa, le visage fermé, concentré sur sa conduite, conscient de tout ce qu'il était et de tout ce qui l'attendait.
Aux portes de la ville, on contrôlait les entrées à l'aide de barrages de fortune. Ils avaient tous revêtu des tenues officielles, mais Noctis doutait que cela suffirait. Une jeune femme s'approcha de la voiture et lança un regard suspicieux à la ronde.
« Déclinez votre identité, lâcha-t-elle, sourcils froncés.
— Noctis Lucis Caelum », répondit-il calmement en la regardant droit dans les yeux.
Elle cligna des paupières, incrédule, puis son regard glissa sur sa main posée sur le volant, et l'anneau de son père. Elle déglutit, jetant encore des regards insistants aux autres passagers.
« Salut, intervint le photographe, moi c'est Prompto. Et toi ?
— Euh… Lucie. »
Et soudain, le regard de la jeune femme s'illumina en reconnaissant Ignis.
« Monsieur Scientia… » bafouilla-t-elle.
Gladio s'esclaffa :
« Ha ! Je t'avais bien dit que c'était toi le plus célèbre d'entre nous !
— Juste après Cor, je crois », nuança Nyx.
Le conseiller du roi leva les yeux au ciel puis s'adressa poliment à la jeune femme :
« Excusez-nous, nous pensions que vous auriez été prévenus de notre arrivée.
— Eh bien… C'est-à-dire que… certaines Lames sont bien rentrées, mais les rumeurs couraient que le roi était mort… souffla-t-elle en évitant le regard de Noctis.
— C'est passé près, rétorqua ce dernier, mais non, je ne suis pas mort. Est-ce que… hm… Le palais tient toujours debout ?
— Oh ! Euh… Oui. La ville n'a plus été attaquée depuis… enfin… vous voyez. »
Elle rougit et osa enfin regarder Noctis :
« Alors… C'est vrai ce qu'on dit ? La guerre est terminée ?
— C'est vrai. J'ai rencontré le commandement du Niflheim, ou ce qu'il en reste. Un armistice a été signé. Et croyez-moi, cette fois, on a vérifié les garanties », ajouta-t-il d'un ton mi-figue mi-raisin.
Elle le regarda, les yeux écarquillés, les lèvres entrouvertes, pendant un moment avant de se reprendre :
« Je… Pardonnez-moi, votre majesté », murmura-t-elle, confuse.
Il resta un instant interdit, puis marmonna :
« Je crois que si quelqu'un doit se faire pardonner, c'est moi… »
Elle le fixa, muette de stupéfaction, et il ajouta avec un sourire :
« Vous voulez bien nous laisser passer ?
— Oh ! Bien sûr ! A-Allez-y ! » cria-t-elle pratiquement tout en s'écartant et en adressant de grands gestes virulents à l'intention de ses camarades de galère, qui, ayant visiblement compris qu'une chose importante se tramait, s'exécutèrent tout en les regardant avec insistance.
Noctis redémarra et passa le barrage, et tout d'un coup, ils furent à Insomnia. La ville les cernait de toutes parts, défigurée et à la fois vibrante, vivante, sans repos comme elle l'avait toujours été. Le crépuscule ricochait sur les vitres des buildings, glorifiant le panorama urbain toujours fier dans sa ruine. Ils roulèrent à travers des rues rebétonnées à la hâte, attirant des regards curieux de toutes parts – il faut dire que Noctis avait évidemment opté pour une voiture de luxe quand il s'était agi de choisir leur moyen de locomotion pour rentrer chez eux.
Quand le palais apparut au bout d'un grand boulevard, il ressentit comme un coup de poignard glacé dans les tripes. La façade éventrée par le daemon qu'ils avaient affronté tous les cinq laissait entrapercevoir les débris de la vaste salle du trône qui avait servi de sépulture à son père. Et il se rappela avec ironie combien de fois il s'était fait la réflexion – alors qu'il menait encore une vie de lycéen presque ordinaire – que ce palais ressemblait à un vaste mausolée. Il déglutit avec peine, les mains moites crispées sur le volant. Il tressaillit quand Prompto posa une main sur sa cuisse, et, sans regarder le blond, il inspira profondément et prit une rue sur sa droite pour accéder à l'entrée privée à l'arrière du palais.
Ici, l'endroit semblait plus ordinaire, plus familier, à peine touché par les tragédies qui avaient accablé la ville. Les grands arbres veillaient toujours sur le parc, le parking comptait quelques voitures, des fenêtres étaient allumées le long de la façade intacte. Un sentiment presque chaud, comme un timide soleil printanier, enveloppa son cœur.
Il gara la voiture et resta quelques instants immobile, comme s'il voulait s'imprégner du calme un peu nostalgique de l'endroit, puis il sortit du véhicule. Cor, qu'on avait prévenu de leur arrivée, les attendait sur le perron, en compagnie de Weskham. Ce dernier lui offrit un sourire chaleureux, tandis que Cor se contenta d'un accueil formel. Cependant, après les salutations d'usage, il parut soudainement gêné.
« Nous ne savions pas si… vous voudriez changer d'appartements maintenant que… »
Et dormir dans la chambre de mon père ? pensa Noctis avec effroi.
« Non, répondit-il fermement. Je reste là où je suis installé. »
Ça lui fit drôle de retrouver ce qu'il ne pouvait pas considérer autrement que « sa vieille chambre », comme la chambre d'enfant d'un jeune adulte qui a quitté le foyer familial pour voler de ses propres ailes. Tout ce qu'elle contenait lui semblait appartenir à une autre vie, mais ça ne le dérangeait pas, au contraire. Il avait besoin de se retrouver ces parts de lui-même qui s'étaient enterrées tout au fond de lui pendant qu'elles tentaient de survivre au chaos de ces derniers mois. Et peut-être, après tout, n'y avait-elles pas survécu, mais ça ne l'empêchait pas de vouloir essayer.
Et tandis qu'il défaisait ses maigres bagages en compagnie de Prompto, il avait l'impression de nager entre deux-eaux, comme s'il se dédoublait sur la réalité, bien présent, et dans le même temps, imitant les gestes d'une personne qui n'existait plus.
Puis, il s'assit au bord de son lit, et son regard erra sur le meuble de la télévision avant de s'arrêter sur sa console de jeu. Et tandis qu'il fixait cet objet ordinaire et sans charme, il sentit sa poitrine s'ouvrir, comme si le monde extérieur y pénétrait soudain en une bourrasque fraîche et pure. Il leva la tête vers le plafond et inspira profondément. Il réalisa qu'il y avait de la place en lui. De la place pour le passé, pour ses émotions compliquées, pour ses souvenirs, pour le futur. De la place pour aimer et recevoir de l'amour. Il tenait un monde dans sa poitrine, un univers tournoyait dans sa tête, des abysses tapissaient ses entrailles, et même si parfois tout semblait trop, tout saturait et se solidifiait, et son être se contractait pour refuser de se mêler à la réalité extérieure, pourtant, oui, il y avait de la place en lui. Il lui semblait ne pas avoir connu ce sentiment depuis l'enfance, et il était différent au seuil de l'entrée dans l'âge adulte, plus lourd de signification, peut-être.
Prompto s'assit à côté de lui et demanda presque à voix basse :
« Ça va ?
— Je ne sais pas », répondit-il honnêtement. Il passa une main dans le dos de Prompto et caressa le creux de ses reins, avant d'ajouter : « Mais ça ira. »
Le blond acquiesça silencieusement, semblant comprendre ce qu'il n'était lui-même pas certain de saisir. Et ça le rassura. Avec Prompto, il n'avait pas besoin de s'expliquer et de se justifier. Les choses étaient étrangement, et merveilleusement… simples.
II
Sur le toit terrasse dominant l'une des tours du palais royal, Gladio tenait la rambarde, regardant la cité incendiée dans le couchant. Il avait contemplé ce panorama tellement de fois. Il venait déjà ici gamin, s'imaginait des histoires héroïques dont il était le protagoniste. Il n'avait pas démérité, il le savait. Pourtant, dans la fraîcheur de la brise qui amenait la nuit, il se sentait fragile. Il avait lutté, il avait trouvé ses propres limites. Comme un vent froid monté des rues anonymes d'Insomnia, les souvenirs lui remontèrent avec une cruauté joueuse, comme s'ils voulaient tous attirer son attention à la fois. Qu'avait-il fait de sa vie ? Il avait foncé, endossant la fonction de son père sans un regard en arrière. Plusieurs fois, il avait eu l'impression d'échouer, mais ce soir, il se sentait étrangement nu, comme si ce bouclier qu'il avait manié toute sa vie lui faisait à présent défaut. Rien ne s'opposait entre la symphonie de solitude des rues d'Insomnia abîmées par la guerre et sa propre âme fêlée.
Il inspira, son regard dérivant vers l'horizon flouté. Même dans la brume, il distinguait la forme effrayante et majestueuse des cristaux du disque de Cauthess, lui rappelant le road-trip qu'ils avaient entrepris un auparavant, même si ça en paraissait dix. Prompto était arrivé comme un vent de fraîcheur, ressuscitant Noctis presque au sens propre, leur laissant enfin à Ignis et lui la respiration nécessaire pour prendre du recul, de la maturité. Leurs relations en un sens avaient toujours été malsaines, car déséquilibrées, scellées par la royauté et tout ce que ça impliquait. Mais il aimait toujours Noctis de tout son cœur, il était tombé amoureux d'Ignis, et tenait Prompto pour un ami proche. Peut-être pouvaient-ils repartir de zéro, tout en sachant toutes les erreurs qu'ils avaient commises, tout en assumant ce passé qui l'asphyxiait ce soir-là ? Noctis avait toujours voulu être libre… Et aujourd'hui que son protégé acceptait enfin son destin, c'était lui qui s'interrogeait sur qui il était et où aller… Peut-être qu'en un sens, ça l'avait arrangé de veiller sur la vie d'un jeune homme désorienté. Quand on pose soi-même les balises pour éclairer le chemin, à quel moment se questionne-t-on vraiment ? À quel moment voit-on que son chemin à soi est dépourvu de toute source de lumière ?
Était-il toujours assez fort ? Se sentait-il même fort ? Et de quoi avait-il envie ? Il ferma les yeux tandis que l'image de son père se superposait à la réalité. Clarus avait toujours été un homme dur, rigide de bien des points de vue. Il aimait ses enfants, mais sa réalité semblait solide et définie comme les contours de son armure de fonction. Iris et lui avaient tâtonné dans ce monde promptement déchiré par la guerre, sans vraiment se trouver eux-mêmes, n'ayant d'autre certitude que celle de leur propre fonction. Ils étaient des Amicitia, leur place en ce monde était toute trouvée. Une pique poignante s'enfonça dans son cœur lorsqu'il se dit qu'Iris avait dû, de nombreuses fois, se poser la même question. Et lui, il avait juste foncé tête baissée.
Ce fut pourquoi, quand sa petite sœur arriva finalement près de lui, parce qu'il lui avait donné rendez-vous ici, il n'osa pas la regarder dans les yeux. Et aussi parce que ses paupières chassaient en vain les larmes.
« Hey… » fit Iris en s'approchant, se collant spontanément à lui.
Sans réfléchir, il passa un bras autour de ses épaules et la serra contre lui.
Ils avaient tous les deux survécu, et il ne restait plus qu'eux. Les seuls Amicitia, contemplant le crépuscule, avec un cœur couturé de balafres qui se rouvraient encore parfois.
« Je suis désolé d'être resté loin de toi, admit-il d'une voix étranglée.
— Je me suis sentie seule », avoua-t-elle avec une franchise qui enfonça un nouveau poignard entre les côtes. « Mais j'ai toujours su qu'on se retrouverait. Et puis…. Je suis la petite sœur, mais je sais me débrouiller », ajouta-t-elle en levant la tête vers lui, le gratifiant d'un de ces regards qui lui semblaient trop sages pour être de son âge.
« Je sais… T'as pas besoin de moi, même si des fois, j'aimerais que ce soit pas vrai. C'est égoïste, je sais.
— J'ai toujours besoin de toi. Ça m'empêche pas de me débrouiller. »
Gladio hocha la tête lentement. C'était tout aussi vrai pour lui.
« Je comprends. Mais… J'ai plus envie qu'on soit si éloignés.
— Moi non plus », assura-t-elle, le regard résolument porté sur la ligne d'horizon enflammée par le crépuscule.
Gladio la serra un peu plus fort, sentant de minuscules forces bienveillantes couturer une blessure qui lui semblait pourtant béante dans sa poitrine. Il n'ajouta rien, écoutant la respiration de sa sœur pressant doucement son corps contre le sien, contemplant avec elle les ombres nimber peu à peu le couchant, puis enfoncer le soleil sous la ligne d'horizon. Ils restèrent dans la demi nuit éternelle des environnements urbains, attentifs à tous les bruits légers qui papillonnaient autour d'eux. Il n'y avait rien d'autre à dire, et c'était un sentiment puissant et réconfortant. Ils étaient toujours entiers, après tout. Et prêts à se battre, comme ils l'avaient toujours été. Ils trouveraient leur propre voie, Amicita ou non, et récolteraient d'autres blessures, qui cicatriseraient elle aussi. Et qu'importait si le chemin n'était ni balisé ni éclairé. Gladio avait quand même envie de voir où il menait. Ils étaient rentrés chez eux, et le reste de leur vie leur appartenait.
III
Nyx était retourné « chez lui ». Mais ça ne l'était plus vraiment depuis la mort de Jay. Ils étaient colocs, et maintenant, il se retrouvait tout seul dans cet appartement plein de vide. Et pourtant, il avait voulu rentrer. Ou plutôt, il en avait eu besoin. Pour boucler la boucle, en quelques sortes. Mais à présent qu'il était là assis sur son canapé dans le silence tonitruant, il ne savait plus si c'était une bonne idée. Les souvenirs se tapissaient dans le moindre recoin, l'assaillant par paquets dès que son esprit dérivait un tout petit peu. Il s'y était attendu, et de ça aussi… il avait probablement besoin.
Il n'avait pas eu le temps de faire son deuil. Jay était mort lors de l'assaut du bunker où ils se cachaient le temps de coordonner la résistance et de marcher sur la capitale de Tenebrae. Il n'avait pas eu le temps de penser, de ressentir. Il s'était concentré sur les innombrables urgences requérant son attention en situation de guerre. Il n'en avait parlé à personne, même pas à Ravus, même s'il savait. Il avait continué comme si de rien n'était.
Et maintenant, tout était terriblement calme. Le silence bourdonnait avec insistance dans ses oreilles comme s'il lui en voulait personnellement. Tout l'appartement suintait la rancune et l'hostilité. Il n'y avait pourtant personne d'autre que lui ici, mais c'était comme si son propre foyer ne voulait plus de lui. Cette sensation, aussi glaçante que déchirante, le laissait apeuré et affaibli comme un chien perdu sous la pluie, avec sa canette de bière froissée dans sa main crispée, un grand vide au creux des poumons, son regard vague balayant le décor étrange de sa vie d'autrefois.
Il avait déjà perdu des proches à la guerre, déjà enduré ce chagrin sans repos qui tisse des nuits d'insomnie. Mais ce n'était pas comme si on pouvait s'habituer, pas vrai ?
La pire année de sa vie…
Ces mots revenaient en boucle dans son esprit, et pourtant il savait, au fond de lui, qu'il s'était déjà répété de telles mots l'année d'avant, et celle d'encore avant, et… Il secoua la tête, levant sa canette de bière froissée pour en absorber les dernières gouttes. Ce n'est pas parce qu'on a la vie difficile qu'on ne vit pas, pas vrai ? Et à quel standard se référait-il vraiment pour définir toutes ces années « pires » ? À un bonheur, sans doute, qui n'appartenait qu'aux romans à l'eau de rose.
Il baissa la tête, envahi par le froid. Le deuil et la douleur avaient cette façon de s'infiltrer sous l'épiderme, gelant les poumons et les entrailles. La culpabilité et le vide auquel on se retrouve confronté quand on est seul à soi-même, avaient aussi cette façon d'appuyer sur son estomac. Ce n'était même pas lourd, c'était insistant et désagréable comme une main qui vous touche sans votre consentement.
Il s'adossa au canapé en soupirant. Il pensa à Ravus qu'il avait laissé à Tenebrae, il pensa à ses parents, à son frère décédé depuis longtemps. Morts et vivants étaient tous là autour de lui, et pourtant il était terriblement seul. Il respira, conscient de la façon dont l'air entrait dans ses narines, affluait dans sa gorge et soulevait sa poitrine. C'était la définition même d'être en vie, non ? Alors pourquoi ne le sentait-il pas ? À la place, son esprit semblait vaguement accroché à son corps comme un accessoire inutile, tout prêt à se détacher et s'en aller dériver dans le plafond enténébré au-dessus de sa tête.
Il ferma les yeux, crispa les paupières, une main posée sur son front comme pour cerner les contours de sa propre réalité. C'était presque ironique, de se sentir aussi perdu, seul dans les ténèbres, alors que tout était enfin terminé. Il ne retournerait plus jamais à la guerre, ça, c'était décidé. Il ne savait pas encore quel genre de vie il allait mener, mais ça serait différent du tout au tout. Il n'avait plus besoin de se battre, et c'était ironiquement le moment que choisissaient les ténèbres pour envahir son âme, qui tremblait comme le chiot craintif auquel il pensait tout à l'heure.
Puis, il comprit doucement, dans un saisissement de douleur qui le laissa haletant, que si c'était aussi dur, c'était aussi parce que Jay avait été la seule personne à qui il avait ouvertement demandé de l'aide. Il n'y avait que lui qui avait fait ressortir ce besoin. Avec tous les autres, il l'avait enterré.
Il ignorait si c'était la chose « mature » ou « raisonnable » à faire étant donné qu'il était tard et qu'il avait bu, mais il décida qu'il n'était pas obligé de se morfondre. Il avait bien quelqu'un à qui parler, même s'il ne l'avait jamais vraiment fait jusqu'à présent.
Il attrapa son portable sur la table basse et appela Ravus.
« Je ne dormais pas », lui assura l'ex-commandant des forces armées du Niflheim avec une voix qui indiquait le contraire.
Ça fit sourire Nyx.
« Tu me manques.
— C'est toi qui as voulu partir.
— C'est vrai, et c'est pas lié. Je suis tout seul… Je suis triste. Jay… »
Un silence succéda au bout du fil, puis Ravus dit :
« Je comprends. Je me sens comme ça aussi.
— Tu penses à Lucius ? »
Nouveau silence.
« Oui. Souvent. Et à ma mère, aussi. »
Ravus n'en parlait jamais, et n'avait jamais évoqué le sujet depuis qu'il lui avait raconté ce qu'elle avait subi quand le Niflheim avait envahi Tenebrae, et Nyx s'en émut.
« J'ai toujours pensé, reprit Ravus, que deux solitudes qui se rencontraient ne faisaient que renforcer le sentiment.
— Et maintenant ? interrogea Nyx devant une nouvelle pause.
— De toute évidence, je ne le pense plus. »
Il déglutit. C'étaient des mots simples, qui contenaient bien plus que ce qu'ils semblaient signifier, et il les apprécia à leur juste valeur, comme une gorgée d'alcool qui réchauffe le gosier dans un froid sibérien.
« Tu sais que je t'aime ? demanda-t-il soudain à son petit ami également sibérien qui avait horreur des effusions de sentiments.
— Je sais », répondit Ravus.
Nyx se demanda s'il allait lui aussi prononcer les mots. Il attendit tout en sachant que ça ne durait que quelques secondes, et quand les mots vinrent, ce fut comme une légère pluie d'été. Ils étaient prononcés d'une voix étouffée, tendue dans l'effort que ça demandait à Ravus de les exprimer, mais Nyx ne lui en voulut pas. Tout à l'inverse. Il se détendit subitement et s'enfonça plus profondément dans son canapé, le portable calé de travers contre son oreille.
« T'as fait quoi aujourd'hui ? » demanda-t-il, les paupières closes, écoutant vaguement son tumulte intérieur.
« Rien. Enfin, pas grand-chose. Beaucoup d'administratif. Pour préparer la suite. »
La suite. Ils en avaient parlé. Un peu. Mais rien n'était sûr.
« La suite ? demanda-t-il donc.
— Je quitte mes fonctions », annonça Ravus.
Ça eut pour effet de se faire redresser Nyx tandis qu'il collait le téléphone contre son oreille.
« Tes fonctions ? répéta-t-il.
— Tu as bien entendu. Toutes mes fonctions. Désormais, je ne serai plus que le frère de la reine. Tu avais parlé de voyager, non ? »
Nyx resta interdit, son cœur cognant contre ses côtes. Le silence bourdonnait plus violemment encore dans ses oreilles, mais sa qualité avait changé. Il semblait empli d'interrogations muettes, mais sans agressivité, juste suspendues dans le bruit blanc.
« Ouais… Pourquoi ?
— C'est évident, non ? Je suis d'accord. »
Nyx sentit sa poitrine se serrer, bien plus fort que quand Ravus lui avait rendu ces trois petits mots qui lient deux personnes. Il bégaya, incertain de devoir se fier à son émotion grandissante :
« C'est vrai ?
— Est-ce que j'ai l'habitude de parler pour ne rien dire ?
— Non.
— Alors c'est réglé. »
Et quand Ravus prononça ces mots, c'est comme si les choses autour de lui revenaient à la normale, cessaient de vibrer et de lui en vouloir, redevenaient de simples choses.
« D'accord… murmura-t-il d'une voix étranglée.
— Bonne nuit, Nyx. Je t'appelle bientôt. »
Un sourire se dessina sur ses lèvres.
« Bientôt. D'accord. Bonne nuit. »
Un déclic résonna dans son oreille, puis la tonalité plaintive. Mais il souriait toujours.
IV
Le lendemain matin, Noctis marcha, seul, jusqu'au tombeau de son père. Étant données les circonstances, il n'avait pas eu droit à un mausolée grandiose comme les autres rois, mais à une tombe simple aux côtés de son épouse, qui n'avait pas souhaité une grande sépulture. Elle se trouvait dans une annexe du cimetière, au fond du parc, dans un coin arboré dissimulé aux regards. Noctis s'y rendit plein d'appréhension, puis s'arrêta devant la tombe, qu'il fixa longuement, le cœur battant. C'était étrange d'être seul, dans un monde où ils n'existaient plus, totalement hors d'atteinte les uns des autres. Il lui semblait qu'il était beaucoup trop jeune pour porter ce fardeau. Il s'assit par terre alors que ses jambes faiblissaient, et ne chercha même pas à lutter contre la vague d'émotion qui montait. Il pleura, le visage caché dans les mains, alors qu'en lui, il y avait en lui un gouffre immense, une déchirure qui s'agrandissait encore et encore en labourant sa poitrine. Il continua de pleurer jusqu'à se sentir épuisé, sonné. Puis, il se laissa le temps de se calmer, levant les yeux vers le ciel où des nuages printaniers filaient dans le vent, indifférents, changeants, poussés sans but éternellement vers l'horizon. Il laissa le soleil sécher ses larmes, attendit que le monde retrouve sa substance et ses couleurs naturelles. Quand son environnement lui parut plus stable et plus solide, il se releva, et rentra lentement chez lui, la tête baissée, à petits pas comme un vieillard.
Il erra un long moment dans son palais, désœuvré, sa tête embrumée et pleine de pensées vagues. Il regardait tout ce qui lui appartenait et qui lui était pourtant étranger. Il n'avait vraiment été chez lui ici. Il croisait des gens qui le saluaient avec raideur, il ne les reconnaissait pas. Il ne savait littéralement pas où aller, ni quoi faire. Il était perdu. Soudain, une voix calme et mélodieuse le tira de son apathie. Il leva les yeux vers Ignis. Celui-ci s'approcha et posa une main presque tendre sur sa nuque, et à cet instant, Noctis n'eut plus du tout l'impression d'être roi, juste un ado qui avait perdu son père. Sans réfléchir, il se nicha dans les bras de son aîné et respira son odeur rassurante et familière d'eau de Cologne, et il ferma les yeux.
« Comment tu as fait quand tu es devenu orphelin ? » demanda-t-il tout doucement.
Après un silence, Ignis répondit :
« Je me suis concentré sur ma propre vie. Et puis… C'est à cette époque que j'ai commencé à m'occuper de toi. Et j'avais Gladio sur qui m'appuyer. Grâce à vous, je ne me noyais pas dans les idées noires. »
Noctis releva la tête :
« Et tu as fini par aller mieux ? »
Ignis sourit et hocha la tête.
« Oui. »
Ce simple mot rassura Noctis, qui avait besoin de réponses simples, aujourd'hui. Il resta un moment à puiser dans l'aura calme qui émanait d'Ignis, et enfin se détacha de lui.
« Merci. »
Ignis secoua la tête comme pour signifier qu'il n'avait rien fait, puis dit :
« Veux-tu commencer à travailler sur ce dont on a parlé ? Ça pourrait t'aider de te concentrer sur quelque chose que tu veux vraiment faire. »
Noctis ne s'en sentait pas vraiment capable, mais il acquiesça quand même, et suivit Ignis dans son bureau. Son ami lui servit du thé et commença à lui expliquer les livres et les textes de loi qu'il avait étudiés en vue de ce « projet ». Noctis l'écouta du mieux possible, posa des questions. Petit à petit, son cœur devint un peu moins vide, alors qu'il se rappelait qu'il avait sa propre vie, même si ce n'était pas celle qu'il avait imaginée. La présence d'Ignis, son calme et son attitude à la fois sensible et pragmatique le rassérénait. Avec lui, tout semblait un peu moins insurmontable. Et alors qu'il ne s'en croyait pas capable, il parvint à se concentrer et oublia l'heure. Quand Gladio les interrompit, la nuit était tombée.
Son bouclier examina le bureau où étaient disposés toutes sortes de documents, et les deux hommes concentrés penchés dessus, studieux, plongés dans le cercle de lumière de la lampe d'appoint, plongeant le reste de la pièce dans le noir. Il siffla entre ses dents.
« Noct, t'es en train de bosser ?!
— Comme si ça m'était jamais arrivé ! s'outra ce dernier en relevant la tête.
— Ça t'est déjà arrivé ? demanda innocemment Gladio.
— Enfoiré, marmonna Noctis.
— Tu l'as fait travailler sa répartie ? interrogea Gladio en s'adressant à Ignis.
— Eh bien, pas vraiment.
— Tu devrais, ça la fout mal pour un roi d'avoir aussi peu de répondant.
— T'avais un truc intéressant à dire ou t'es juste venu te foutre de moi ? » grogna Noctis.
Gladio s'éclaira d'un sourire.
« Dîner, ça vous dit ? Il est tard. »
Noctis jeta un coup d'œil à son portable et se frotta les yeux. C'était vrai, il était tard, et il était crevé. Il réfléchit quelques instants. Il n'avait pas vraiment envie de rester ici, mais pas non plus de dîner en ville.
« Hm… J'crois que j'aimerais bien passer la soirée dans mon ancien appart. On pourrait commander.
— Je préfère cuisiner, si ça ne te dérange pas, intervint Ignis.
— Oh, je disais ça si t'avais la flemme.
— La flemme ? répéta Ignis en le regardant avec perplexité.
— Tu sais bien qu'il connaît pas ce mot, intervint Gladio.
— Dans ce cas… Où est Prompto ?
— Dans le coin, je lui ai demandé de nous rejoindre. »
Et un instant plus tard, le blond arriva effectivement. Tous les quatre quittèrent le palais peu après, et Noctis reprit le volant pour les conduire chez lui. Refaire ce trajet familier dans une ville qui avait changé de visage, après tout ce qui s'était passé, alors qu'il ne retournerait sans doute plus au lycée, était une expérience étrange. Il avait des souvenirs à tous les coins de rue, des impressions s'accrochaient à chaque panorama. Rien de précis ne lui venait à l'esprit, c'était plutôt un mélange confus et fragmenté de visions, de sensations et d'émotions. Il n'avait pas beaucoup de bons souvenirs, mais ça lui faisait du bien de se reconnecter à ce passé, de savoir, même s'il en avait parfois l'impression, que sa vie ne venait pas de commencer. Il avait déjà connu d'autres tempêtes, et d'autres éclaircies.
Gladio et Ignis discutaient en sourdine à l'arrière, et Prompto à ses côtés semblaient lui aussi profondément absorbé dans ses pensées. Noctis ne chercha pas à rompre sa méditation, appréciant ce moment de calme. La journée avait été longue… Et il avait l'impression que devant lui ne l'attendaient que de longues journées. Un mince sourire se dessina sur ses lèvres, quand il réalisa que ça ne le changerait guère du lycée… il restait en terrain connu.
Il gara la voiture dans le parking souterrain et remonta avec ses compagnons jusqu'à son appartement. Dans ce cadre, tout était plus familier, plus réel qu'au palais. Là-bas, c'était toujours chez son père. Il déverrouilla la porte de son appartement. Tout avait été rangé et le ménage avait été fait, mais il eut tout de même, pour la première fois depuis qu'il avait vu Insomnia apparaître derrière le pare-brise, l'impression de rentrer chez lui. Et c'était un sentiment chaud et réconfortant, celui d'être protégé, d'avoir un endroit où fuir et se cacher, un refuge. Il décida qu'il garderait cet endroit. Il en aurait besoin.
Ignis retrouva aussitôt ses marques en cuisine, tandis que Prompto et Noctis s'affalaient comme autrefois dans le canapé, et que Gladio sortait des bières du frigo.
« Y a quand même quelques avantages à être roi, remarqua Prompto d'un ton fatigué. C'est comme si t'étais jamais parti de chez toi.
— C'est vrai… acquiesça Noctis.
— Et puis, t'aimes pas trop t'occuper de tous ces trucs, hein ? ajouta le blond en lui donnant un coup de de coude dans les côtes.
— Ouais, je déteste.
— Alors les problèmes du royaume, c'est easy. Du moment qu'on te demande pas de faire le ménage et les courses.
— Vu sous cet angle… »
Noctis laissa échapper un rire, c'était tout bête, mais ça lui remontait le moral. Il vivait finalement la période qui l'avait tellement terrifié, qui l'avait poussé à fuir, se renfermer sur lui-même, et même à chercher un moyen d'en finir une bonne fois pour toutes. Et pourtant il était là, non pas serein, loin de là, mais plus calme qu'il ne l'aurait imaginé. Il est vrai qu'il ne savait pas vraiment ce qu'il éprouvait et qu'il avait un peu la sensation d'être sous le choc, pas tout à fait conscient de ce qui se passait en lui. Mais au moins, il ne se trouvait pas piégé dans ce cauchemar glacé qu'il avait imaginé. Il pourrait dormir cette nuit, et serait en état de se lever demain matin. Et il trouvait que c'était déjà une sacrée victoire.
Le dîner fut calme. Ils mangèrent en échangeant quelques anecdotes. Personne ne parla de la guerre, ou de l'avenir.
« Tu te souviens, quand on a tué un dragon ? demanda soudain Prompto.
— Évidemment que je m'en souviens ! s'esclaffa Noctis.
— Honnêtement, je crois que même après tout ce qui s'est passé par la suite… ça reste le truc le plus flippant que j'ai jamais fait.
— C'est parce que t'avais peur de tout à l'époque !
— Même pas vrai !
— Bien sûr que si. Dès que Gladio et moi on parlait d'aller chasser des daemons, tu blanchissais.
— Même quand Noctis a voulu pêcher en pleine nuit, t'as passé ton temps à délirer à propos des requins », ajouta Gladio.
Prompto se renfrogna, se rappelant de cet épisode où ils étaient ivres et qu'un gros poisson plein de dents les avaient fait tomber tous les trois à l'eau. D'accord, ce n'était pas un requin, mais c'était presque encore pire.
« Je ne risque pas de l'oublier non plus… murmura Ignis. Être réveillé dans une chambre d'hôtel luxueuse par une odeur de varech pour découvrir trois imbéciles trempés, couverts de sang et d'algues, ça n'arrive qu'à moi. »
Il avait dit ça d'un ton parfaitement égal, mais Noctis put voir le coin de ses lèvres trahir un sourire.
« J'ai encore la cicatrice ! » s'exclama fièrement Gladio en exhibant son bras mordu par le poisson.
Ils enchaînèrent en se racontant d'autres moments marquants du périple qu'ils avaient entrepris cet été-là. Leurs frasques à Lestallum où Luna et Noctis avaient échangé leurs vêtements et que la reine de Tenebrae s'était fait tatouer le visage de Gladio sur l'épaule, les courses à dos de chocobos qui avaient donné lieu à des concours de mauvaise foi entre le roi et son bouclier, leurs aventures dans les ruines où Prompto avait été blessé par « une serpillère », selon les mots de Noctis pour qualifier le hundun, et même la fois où ils avaient passé des jours à rapporter des pièces à Cid le jeune pour améliorer la Regalia, dans des quêtes toujours plus longues et dangereuses auxquels les trois compagnons du roi s'étaient astreints uniquement pour faire plaisir à Noctis. Celui-ci rougit violemment en se souvenant de cet épisode peu glorieux, et argumenta faiblement que la Regalia en avait tout de même sacrément bénéficié.
« Par contre, dit Prompto, si tu y retournes, je veux rien entendre. »
Noctis éclata de rire devant son air boudeur.
« C'est bon… J'étais vulnérable à ce moment-là, c'est tout !
— T'as intérêt ! Il est même pas si beau que ça, ce mec.
— Tu rigoles ?! fit Noctis d'un air choqué.
— Tu vas pas recommencer ! » protesta le blond avec véhémence.
Noctis rit encore et l'assura que non, il ne recommencerait pas. À cette époque, il se cherchait beaucoup, et il avait besoin de vivre… Mais aujourd'hui, les choses étaient plus claires. Plus définies. Plus personne d'autre ne l'intéressait que Prompto, et il saurait, décida-t-il, le lui prouver.
V
Plus tard dans la soirée, ils étaient retombés dans un silence pensif. Tout le monde était fatigué, mais personne ne semblait avoir envie d'aller se coucher. Il y avait quelque chose dans l'atmosphère, comme une question en suspens, et des non-dits flottants dans l'obscurité qui s'amassait aux fenêtres et dans les coins de la pièce. Noctis, assis sur le canapé, fixait la table basse, notant vaguement les lumières de la ville qui jouaient sur sa surface lisse comme des reflets sur l'eau, ou comme… les flammes vacillantes d'un feu de camp. Il avait un gros poids sur la poitrine et les mots semblaient se presser dans sa gorge, sans toutefois parvenir à franchir ses lèvres. Il inspira plusieurs fois profondément, comme s'il voulait prendre son souffle avant un grand discours, mais les grands discours, ça n'avait jamais été son truc. Et il n'était même pas sûr de savoir ce qu'il voulait dire au juste. Puis, comme pour se donner du courage, il regarda ses compagnons un par un. Gladio était penché en avant, les avants bras reposant sur ses cuisses, sourcils froncés. Noctis détailla son visage concentré, orné de cicatrices plus ou moins récentes, admira, comme toujours, la détermination et la fierté qui imprégnaient ses traits ouverts et chaleureux. Puis, il passa au mélancolique Ignis, ses yeux vert pâle, pleins de calme et de douceur, errant dans le vide, son beau visage affichant une expression à la fois sereine et triste. Enfin, il posa son regard sur Prompto, nerveux, effrayé, palpitant de vie. Le teint un peu halé, faisant ressortir ses taches de rousseur. Ses lèvres frissonnantes, comme s'il était lui aussi sur le point de parler. En une réalisation aiguë et douloureuse, Noctis songea à tout ce qui les liait. Combien de chemin, même bref dans le cas de Prompto, ils avaient tous parcouru ensemble. C'était aussi ça qui pesait et vibrait dans cette étrange atmosphère. Il y avait comme un goût de fin de voyage. Il se racla la gorge, et tous levèrent les yeux vers lui, comme s'ils n'avaient fait qu'attendre qu'il prenne la parole.
« On vient probablement tous de passer l'année la plus dingue de toute notre vie », commença-t-il en les regardant tour à tour.
Gladio lâcha un rire étouffé, Ignis hocha la tête, et Prompto se contenta de le fixer avec intensité.
« On a survécu à tout… continua-t-il à voix basse. Et maintenant, on est de retour au point de départ. Je vais pas vous dire que je suis prêt, parce que je le suis pas, et… Je crois pas qu'on puisse vraiment se préparer à ce genre de truc. Je vais pas non plus vous dire que j'ai pas peur, parce que c'est tout l'inverse. Je sais pas ce qui va se passer, je sais pas… » Il hésita un instant et ajouta d'une voix étouffée : « Je sais pas si je vais y arriver. »
Il regarda ses mains, tâchant de garder la maîtrise de son émotion. Il joua nerveusement avec l'anneau de son père. Tout semblait vibrer autour de lui, son cœur lui semblait audible dans le silence chargé de tension. Il s'était promis d'être sincère, mais ce n'en était pas moins dur à dire.
« Mais j'ai compris une chose, reprit-il en relevant la tête, un faible sourire sur les lèvres. « Mon père non plus ne savait pas. Il se levait tous les jours sans le savoir. »
Une larme roula sur sa joue.
« Et je crois… que c'est pareil pour vous. »
Ce qu'il vit dans les yeux d'Ignis valait la peine de s'exposer ainsi et de montrer cette vulnérabilité. Car c'était de la fierté qu'il y lisait. Son ami sourit doucement, sans rien dire. Gladio se leva et lui asséna une tape douloureuse sur la nuque.
« Bien dit, Noct. »
Puis il se rassit, et Noctis jeta un coup d'œil à Prompto en murmurant : « Désolé de pas avoir compris ça plus tôt… »
Le blond posa une main sur son genou et le serra doucement.
« Ça fait rien, Noct. Vraiment. Merci d'avoir dit ça. »
Noctis lui sourit timidement, et Prompto posa la tête contre son épaule, prenant sa main dans la sienne. Le jeune roi ferma les yeux, inspirant pour se calmer.
« Tout ira bien, promit Ignis.
— Merci les gars », murmura-t-il, paupières toujours closes.
Et alors qu'il serrait la main de Prompto dans la sienne, il sentit son sourire s'élargir, et répéta :
« Merci. »
