Coucouuuuu joyeuses fêtes à toutes et à tous !

Et un chapitre pour aujourd'hui, un !

Tes Feels ne vont pas tenir non plus avec ce chapitre, Titou Douh hihi ! Bonne lecture !

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9. Morceaux de verres – Août enivré

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« Aristote », entendit-il le lendemain matin.

Une pluie de baisers coulait dans le creux de son cou lorsqu'il entendit la voix de Mademoiselle Ambuela. Un bon sommeil agrémenté d'un bon réveil… Que demander de plus ?

« Ambuela ? demanda-t-il en essayant de bouger son bras mais il ne le sentait plus.

— C'est le matin, ajouta-t-elle à voix basse en pouffant.

— Mon bras », bafouilla-t-il en ouvrant les yeux.

Elle se décala juste de quoi lui laisser reprendre son bras et faire partir les fourmis qui l'engourdissaient. Ce n'était définitivement pas une bonne position pour dormir mais… mais l'avoir contre lui… dormir avec elle… avoir l'amour contre soi… plus que pour une simple sieste… C'était merveilleux.

Il tourna la tête vers elle, pour la voir toute échevelée à côté de lui. Son rire emplit à nouveau le lit et Aristote se mit à rire avec elle, simplement heureux, avant de venir enfin profiter pleinement de pouvoir la toucher aussi librement. Il posa d'abord ses mains sur ses joues pour enfin l'embrasser aussi longuement et chaudement qu'il l'aimait. Ils étaient encore plus proches que la semaine dernière, lorsqu'ils avaient passé la soirée au pied du chêne, et bien plus au chaud. Lorsqu'il fit glisser ses mains sur son corps, il sentit ses courbes comme jamais. Elle cessa de simplement pouffer pour soupirer en plus lorsqu'il vint embrasser ce que sa robe ne couvrait pas, ce qu'elle lui laissait voir depuis hier soir mais qu'il n'était capable de contempler que maintenant.

« Aristote, je… je sais que je vous ai dit que j'avais très envie… et de ne pas hésiter… mais avant que ma mère n'arrive… il faudrait que vous partiez, dit-elle entre ses expirations.

— Bien sûr, je… je ne pensais pas à… » bredouilla-t-il en se reculant d'elle.

Étalée à moitié à côté, à moitié sous lui, elle le regardait avec insistance, sa robe plus transparente que blanche laissant deviner jusqu'aux grains de beauté de ses seins. Ses joues étaient roses, ses lèvres rouges, ses cheveux comme enflammés avec les rayons du soleil matinal. Lorsque ses yeux bruns s'écarquillèrent d'offuscation, il paniqua.

« Oh ne finissez pas cette phrase ou je finirai par croire que je ne vous plais pas, le prévint-elle en plissant les yeux.

— Mais…

— Vous êtes dans mon lit, Aristote, vous venez de m'embrasser comme… comme un démon, et vous n'auriez pas envie ? continua-t-elle furieusement. Si vous aviez seize ans, j'aurais dit que vous étiez puceau et effrayé, mais à trente-trois ans, j'ose espérer que j'aurais bientôt de quoi manger !

— Plaît-il ? bafouilla-t-il en se rappelant qu'il s'était fait traiter de casse-croute la semaine dernière.

— Je suis sûre que vous êtes charmant au lit, en plus, râla-t-elle encore. Si l'horrible a pris le risque de vous voir pendant quatre ans…

— Oh ne vous comparez pas à elle, s'horrifia-t-il. Et ne vous mettez pas en concurrence avec elle non plus ! Et puis zut, ne me parlez pas d'elle alors que je viens de vous embrasser comme… comme un démon comme vous dites ! »

Ses yeux se firent encore plus ronds de stupéfaction et il se rendit compte qu'il avait dû élever la voix.

« Je…

— Sont-ce là des ordres ? bredouilla-t-elle.

— Non, bien sûr que non, je… je suis désolée, je ne voulais pas élever la voix mais… mais je ne veux pas encore parler d'elle avec vous, je…

— Je ne veux pas que ce soit tabou, vous avez le droit d'avoir été amoureux d'une autre avant moi et…

— Je ne veux simplement pas la mêler à chacun de mes gestes, dit-il plus doucement. Je lui ai déjà donné trop de choses, c'est à vous que je veux tout donner à présent. »

Le visage souriant de Mademoiselle Ambuela le rassura avant qu'il ne le voie se doter d'un froncement de sourcil réflexif. Oh non.

« Est-ce que le problème vient d'elle ?

— Comment ? s'étonna-t-il.

— Est-ce que vous ne voulez pas aller trop vite pour ne pas me mettre dans votre situation d'il y a quinze ans ? demanda-t-elle avec inquiétude.

— Je… Mais non, je ne veux simplement pas aller trop vite parce que je veux profiter de chaque moment avec vous et…

— Vous avez compris que je ne suis pas novice, tout de même ? dit-elle en se redressant sur ses coudes.

— Novice ? » répéta-t-il prudemment.

Peut-être qu'il se freinait pour cela. Mais ceci lui plaisait aussi, de prendre son temps, le temps de tout redécouvrir avec elle, et qu'elle ne s'en étonne pas.

« Enfin, pas trop novice, nuança-t-elle avec un rire nerveux.

— C'est-à…

— Ambuela ! Mais qu'est-ce que tu fais ? Tu as laissé cette porte fermée à clé ? Je vais finir par enchanter les hiboux de Zoely pour qu'ils ne viennent plus chez nous la nuit ! Tu nous réveilles et en plus tu nous mets en retard ? Qu'est-ce que c'est que ces manières, jeune fille ! Je vais en parler à ton…

— J'arrive, Maman ! s'exaspéra Ambuela sans paraître inquiète une seule seconde.

— Tu ne dors pas les nuits le week-end, et après tu te lèves à midi, franchement, Amboubou, ce…

— J'arrive, j'ai dit ! couina Ambuela en enfouissant son visage dans ses mains pendant qu'Aristote se retenait de rire.

— Tu ne petit-déjeuneras pas, je suppose et…

— MAMAN, J'ARRIVE POUR ALLER CHEZ MA TANTE ! s'époumona-t-elle.

— Oh ce n'est pas la peine de hurler, je m'en vais », babilla sa mère.

Aristote explosa de rire dans l'oreiller qu'il attrapa lorsqu'il entendit les pas de Mrs Fortescue s'éloigner.

« Je ne vous permets pas !

— Amboubou, répéta Aristote en riant.

— Oh je suis sûre que votre mère aussi vous donne un surnom ! se lamenta Ambuela en quittant le lit.

— Non, elle m'a toujours appelé Aristote, nia-t-il en se levant à sa suite sans cesser de rire.

— Bien sûr. Eh bien si vous ne voulez pas que je vous appelle Ariri, rendez-moi ma robe de chambre et rhabillez-vous.

— Ariri ? répéta-t-il en riant encore.

— Moins fort et allez, ma mère va revenir, je la connais.

— Ambuela, chuchota-t-il en s'approchant d'elle.

— Dépêchez-v… commença-t-elle en cherchant à tirer sur la ceinture de la robe de chambre.

— Je vous aime, souffla-t-il en attrapant ses mains.

— Moi aussi, je vous aime, dit-elle en levant les yeux au ciel et en souriant. Mais…

— Je vous aime, et je vous permets de m'appeler Ariri quand nous serons de nouveau au lit », souffla-t-il en levant ses mains vers sa bouche.

Il en embrassa lentement le dos sans la lâcher du regard. Il la vit rougir et se calmer aussitôt.

« Et je n'aimerais pas que vous tombiez enceinte tant que nous ne sommes pas mariés alors si vous pouviez faire preuve de patience pour…

— Pas mariés ? répéta-t-elle en clignant des yeux.

— Eh bien oui, ce serait dommage de devoir se précipiter parce que…

— Mais il y a plein de choses à faire pour éviter une grossesse », l'interrompit-elle.

Elle avait parlé à toute vitesse avant de rougir et de le regarder comme si elle allait… le manger.

« Eh bien nous essaierons la prochaine fois que vous m'invitez dans votre chambre », accepta-t-il en sentant son cœur battre à ses oreilles.

Par Merlin, il avait tellement envie d'elle. Et si elle en avait envie aussi et sans crainte… Oh oui, il avait hâte de la découvrir toujours plus avant la fin août et sa demande en mariage.

Il lâcha ses mains et se tourna vers ses habits pour se rhabiller en vitesse. Il entendit vaguement Ambuela s'éloigner vers son armoire, et lorsqu'il jeta un coup d'œil par-dessus son épaule, il la vit brièvement de dos, nue de la tête aux pieds. Sa pomme d'Adam s'agita dans sa gorge, un vent chaud balaya tout son corps et l'image de ses fesses resta derrière ses yeux.

Bientôt.

« Lundi à Pré-au-Lard, n'est-ce pas ? » entendit-il dans son dos.

Il se retourna pour la voir, déjà habillée de cette robe au motif de cerises qu'elle portait lorsqu'il l'avait rencontrée.

« Dix-huit heures trente », confirma-t-il d'un hochement de tête.

Il s'avança pour l'embrasser une dernière fois comme si sa vie en dépendait.

« AMBUELA !

— Aïe, cette fois-ci c'est mon père, et il a horreur d'être en retard chez sa sœur, souffla-t-elle contre sa bouche. Filez, lui ordonna-t-elle en ouvrant la fenêtre.

Un coup de baguette plus tard et l'échelle était à nouveau là.

« J'arrive Papa ! s'exclama-t-elle pendant qu'il descendait l'échelle. J'ai si hâte d'être à demain, souffla-t-elle.

— Moi aussi », avoua-il en relevant la tête.

Un sourire d'Ambuela plus tard, un Je vous aime aussi, et la fenêtre se referma. Il regarda l'échelle disparaître avec un sourire niais avant de transplaner chez ses parents.

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« Ne me dites pas que vous vous êtes encore endormi au travail ? s'exaspéra son père pour tout accueil.

— Si je dis oui, vous en fâcherez-vous ? trouva-t-il malin de répondre en refermant la porte d'entrée derrière lui.

— Je m'en affligerai, répondit son père.

— Je vais me changer », dit-il aussitôt.

S'il avait réussi à frotter ses chaussures et à secouer assez sa robe pour faire partir le plus gros de la boue, il restait de jolies traces sur le tissu de sa robe. Heureusement que la robe était noire et qu'on ne voyait pas grand-chose. Il arriva dans sa chambre sans tomber sur sa mère et put se déshabiller rapidement avant de se laisser tomber en étoile sur son lit.

Une nuit avec Mademoiselle Ambuela valait toutes les afflictions du monde chez son père et même chez sa mère, mais s'il pouvait ne pas les entendre, c'était toujours mieux.

C'était toujours du temps mieux employé à penser à Mademoiselle Ambuela justement.

Allez, dans moins de quarante-huit heures il serait de nouveau avec elle, à Pré-au-Lard, à pouvoir s'embrasser et se toucher comme ils en auraient envie, sans personne pour leur dire quoi que ce soit.

Il attrapa sa plume. Si elle déjeunait ce midi chez sa tante, elle serait de retour ce soir. Il n'avait qu'à écrire la lettre et la donner à Lazlo dans quelques heures.

Ma très chère Mademoiselle Ambuela,

Je vous aime. Je vous aime et je suis tant heureux de vous aimer, et cela me rend tant heureux que je pourrais remplir un parchemin de cette déclaration de trois mots sans me lasser une seule seconde, si ce n'est pour écrire votre prénom… Mademoiselle Ambuela. Je m'excuse encore pour cette nuit, j'espère ne vous avoir pas trop ennuyée avec mes tracas et que vous avez tout de même pu dormir un peu…

Je suis déjà en manque de votre bouche et de votre peau. Je vous prie de m'excuser d'avance pour l'indécence de mon propos, mais je rêve déjà de l'instant où vous me laisserez vous toucher et vous embrasser là où vous ne me l'avez pas encore permis. J'en rêve et en même temps je n'en rêve pas, car je sais déjà que mon imagination ne saurait être à la hauteur de l'instant que vous rendrez merveilleux rien que par votre sourire, votre rire, votre douceur, votre… votre présence et votre vous, tout simplement. Je vous aime, et pour rien au monde je n'aimerais que quoi que ce fût soit autrement.

Je vous aime, et il me tarde de dormir à nouveau contre vous…

Damoiseau Aristote, rien qu'à vous…

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Il n'avait pas déjeuné avec Pollux ce lundi midi. Il n'avait pas reçu de note de son ami et il n'avait pas osé en envoyer une. Il ne se faisait pas trop d'illusion à ce sujet. Il n'avait pas eu de nouvelles de Melania ou Arcturus non plus, c'était donc qu'ils avaient réglé ça entre eux. Savoir comment cela s'était passé, si Melania avait tout raconté ou si la paranoïa d'Arcturus qui élevait Melania aux nues avait sauvé leur mariage ne l'intéressait pas. Ambuela avait raison, la situation avec Melania n'allait pas depuis le début, depuis qu'il avait maladroitement couché avec elle à dix-neuf ans, parce qu'il était amoureux, parce que Melania lui avait fait des avances, parce qu'il n'avait pas su quoi faire d'autres qu'accepter par crainte de la voir disparaître de sa vie.

Elle en avait vraiment disparu à présent – quatorze ans et une relation adultère après – et c'était tant mieux. Pourquoi s'embêter dans des situations inextricables avec Melania alors qu'il pouvait avoir une vie bien plus simple et simplement heureuse avec Ambuela ? Pourquoi encore penser à Melania et à sa relation faussée avec Pollux depuis quatre ans ? Il avait menti à son meilleur ami pour quelque chose d'aussi important et stupide à la fois… il ne pouvait pas attendre que Pollux lui pardonne ou même le comprenne… puisque lui-même ne comprenait plus pourquoi il avait pris une telle décision quatre ans plus tôt.

Il regarda la photographie du journal qu'il avait découpée un mois plus tôt. Ambuela lui fit un léger signe de main et un sourire discret qui trahissait sa fierté d'apparaître dans la Gazette du Sorcier. La lettre qu'elle lui avait répondue et qu'il avait reçue ce matin se rappela à lui, et il alla la tirer de sous son sous-main.

Mon très chez Damoiseau Aristote,

Moi aussi je vous aime, et je ne me lasse ni de vous l'écrire, ni de le lire sous votre plume, ni de vous l'entendre me dire… Mais je vous en prie, cesser de vous excuser pour tout : vous l'avez fait deux fois dans votre lettre, c'est bien trop ! D'abord, vous ne m'ennuyez pas, jamais, surtout pas quand vous venez chercher du réconfort dans mes bras et dans mes draps… Ensuite, j'ai passé une fin de nuit merveilleuse, et j'espère qu'il en est de même pour vous, malgré les fourmis que vous avez eues dans votre bras au réveil.

Enfin, mettons les choses au clair : je vous permets de me toucher partout, et de m'embrasser partout, à vous de voir par quel morceau de moi vous avez envie de commencer… Mais n'imaginer tout de même pas trop, vous risqueriez d'être déçu : je ne suis qu'une sorcière de dix-neuf ans qui peine à séduire son homme qu'elle a pourtant réussi à mettre dans son lit…

Votre bonheur d'aimer me rends si… si… Je peine à trouver mes mots, et pourtant je pourrais me mettre à rire et pleurer à la fois tant le même bonheur m'irradie à la lecture de ces mots et à la pensée de votre vous, tout simplement…

Mademoiselle Ambuela, simplement vôtre…

Comment pouvait-on recevoir autant d'amour ? D'une personne aussi belle, déterminée, drôle, tendre, entreprenante, et délicieusement gourmande ? Comment avait-il pu obtenir tant d'autorisations de sa part en moins de deux mois ? Tant de sincérité aussi ?

« Mr Parkinson ?

— Oui, Mr Bulstrode ? se reprit-il en rangeant la lettre sous le sous-main à nouveau.

— En ce qui concerne les accords commerciaux, nous avons réglé la question des importations de chaudrons serbes ce matin, mais les Acanthes et les Rosécarlates ne sont toujours pas soumises à contrôle. J'ai tâché d'apporter quelques précisions et solutions au dossier. Mr Prijović vous a-t-il donné une prochaine date de rencontre ?

— Nous le revoyons demain, j'allais vous en avertir, répondit Aristote en sortant la lettre de l'Ambassadeur des Balkans en Grande-Bretagne. Il nous donne rendez-vous dès le matin, mais nous ne viendrons qu'à midi. Nous allons commencer à faire traîner l'affaire sur les importations de plantes – qui ne peuvent pas patienter autant que les importations de chaudrons – parce que Mijomir semble bien trop sûr de lui et en réclamer bien trop. Il essaie de prendre ses aises avec vous depuis qu'il sait mon départ imminent, et il est hors de question que nous le laissions penser que vous serez à ses pieds, n'est-ce pas Mr Bulstrode ? »

La grimace de Caryl Bulstrode et son soupir lourd firent hausser les sourcils à Aristote.

« J'avais peur de me monter la tête, mais son attitude commençait à me faire me poser des questions, avoua Caryl Bulstrode avec embarras ce qui arracha un bref éclat de rire à Aristote.

— Depuis combien de temps l'avez-vous remarqué ?

— Le soir où le ministre a annoncé la retraite prochaine de Pelagius Slughorn et que vous serez promu Ambassadeur à sa place, répondit aussitôt Caryl Bulstrode avec quelque chose comme du soulagement. Vous m'aviez annoncé la vieille que j'aurais trois mois pour retourner à Sarajevo sans répondre à mes questions, mais j'ai compris à ce moment-là que je reprendrai votre place au Service de l'Europe. Mr Prijović aussi avait dû le comprendre, puisqu'il a passé toute la soirée à me parler, et je… je crois que sa fille… enfin, il m'a semblé qu'elle était très… trop proche de moi ce soir-là.

— Elle vous a fait des avances ? s'étonna Aristote avec méfiance.

— Eh bien je ne sais pas mais c'était étrange, en convint Caryl Bulstrode avec hésitation. Mais j'ai fait comme vous faisiez à Sarajevo, je suis resté très silencieux et très froid, et il n'y a rien eu de plus.

— Silencieux et froid ? s'étonna Aristote.

— Oui, je l'ai bien vu, dès que la situation devient ambiguë, vous ne souriez plus du tout, et vos réponses sont très courtes, et ça fonctionne à chaque fois : la personne comprend que vous n'êtes pas intéressée, et elle s'en va. »

Il ne s'en était même pas aperçu. Il ne se souvenait même pas à avoir eu à repousser qui que ce soit à Sarajevo non plus à la réflexion. Simplement, dès qu'il sentait que la discussion perdait trop de son caractère officiel, politique et diplomatique, il ne se permettait plus de laisser s'échapper un mot de trop.

« Miss Stanka Prijović vous a recontacté depuis ? préféra-t-il demander.

— Non, mais Mr Prijović oui : il m'a invité à dîner chez lui ce soir à votre insu. »

Aristote pinça les lèvres. En soi, que Prijović veuille recevoir Caryl Bulstrode, c'était chose normale. Mais qu'il essaie de le cacher à Aristote, c'en devenait problématique.

« Qu'avez-vous répondu ?

— J'ai décliné en faisant mine de penser que vous étiez invité également, et que je savais que vous ne pourriez venir étant donné que vous aviez quelque chose de prévu. Enfin, je crois que vous avez quelque chose de prévu, non ? s'inquiéta Mr Bulstrode. Vous m'avez dit que vous deviez partir à dix-huit heure vingt donc…

— Peu importe, le temporisa Aristote en balayant l'air de la main lorsque le sourire de Mademoiselle Ambuela se rappela à lui. Méfiez-vous, Mr Bulstrode, cette attitude est suspecte. Enfin, vous vous en êtes rendu compte vous-même. Vous avez toujours un Bézoard sur vous, n'est-ce pas ?

— Bien sûr, répondit Caryl Bulstrode avec soulagement.

— Pourquoi ne m'en avez-vous pas parlé plus tôt ? s'étonna Aristote.

— Je pensais que je me faisais des idées, mais son attitude de ce matin m'a laissé un peu plus suspicieux encore. Permettez-moi de négocier moi-même l'accord demain après-midi et de lui montrer que je ne serai pas à sa botte, s'il vous plaît, Mr Parkinson. »

Aristote considéra l'idée plusieurs secondes. C'était peut-être la meilleure chose à faire pour que Mijomir Prijović cesse de prendre ses aises.

« Je regarderai demain matin les apports que vous avez fait au dossier, et je choisirai à ce moment-là, accepta-t-il à demi-mot. En attendant, vous l'avez dit vous-même, je dois y aller et je ferme derrière nous. »

Caryl Bulstrode prit ses affaires avant de sortir devant Aristote… qui lui, ne pensait plus qu'au sourire de Mademoiselle Ambuela.

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Il arriva aux Trois Balais par le réseau de Cheminette. Ambuela lui avait donné rendez-vous directement au pub en le priant de lui commander un Porto-Pur-Nuit parce qu'elle avait hâte de finir de dîner pour s'étendre contre lui… C'était écrit dans le post-scriptum de sa dernière lettre et il n'était toujours pas sûr d'avoir bien lu ce qu'elle lui avait écrit.

Il sortit fébrilement la lettre en lâchant du regard les deux verres de Porto-Pur-Nuit qu'il avait commandés.

Mademoiselle Ambuela, simplement vôtre…

PS : Commandez-moi dès que vous arrivez un Porto-Pur-Nuit : j'ai hâte de voir les étoiles dans le ciel m'indiquant qu'il n'est plus l'heure de dîner mais de m'étendre contre vous, sous des draps chauds et dans vos bras réconfortants… Pourrais-je dormir nue ?...

Si, il avait bien lu. Il avait bien trop chaud et il était bien trop impatient de la revoir, puis de s'étendre contre elle, nue et…

La porte du pub s'ouvrit à la volée. Il était assis à la même table que les deux fois précédentes, là où il n'avait qu'à lever la tête pour voir qui passait le sas d'entrée. La robe à motifs de cerises d'Ambuela entra aussitôt dans son champ de vision. Il remonta ses yeux vers son visage tout en entreprenant de se lever pour aller à sa rencontre. Son sourire s'écrasa lorsqu'Ambuela bredouilla son prénom avec une moue paniquée en venant se jeter dans ses bras.

« Ambuela, qu'est-ce qui ne va pas ? Qu'est-ce…

— Zoely, bafouilla-t-elle en respirant précipitamment pendant qu'il posait les mains sur ses épaules.

— Votre amie a un souci ? Que puis-je faire pour vous aid…

— Elle arrive », paniqua Ambuela.

Elle tourna brièvement la tête vers la porte du pub alors que le vide envahissait le cerveau d'Aristote. Comment cela, Zoely Zabini arrivait ?

« Mais de quoi parlez…

— Je lui ai un peu raconté votre venue de samedi soir, bredouilla-t-elle à mi-voix. Sans entrer dans les détails, le rassura-t-elle aussitôt. Juste que nous avions passé la nuit ensemble et… Elle… Elle se méfie de vous, elle…

— Mais pourquoi se méfie-t-elle ? Nous n'avons même pas…

— J'ai volé aussi vite que j'ai pu pour vous prévenir qu'elle exigeait la confrontation aujourd'hui lorsqu'elle a su que vous m'attendiez aux Trois-Balais mais Zoely court vite et… »

La confrontation. Aujourd'hui. Rencontrer la terrifiante meilleure amie de Mademoiselle Ambuela. Dont l'avis semblait définitif, incisif mais si important pour Ambuela. Elle avait dit que l'issue de la confrontation lui importait peu, mais Aristote n'était pas dupe : tout se gâterait vite s'il n'obtenait pas la sacro-sainte approbation de Zoely Zabini.

Il plongea vers la bouche d'Ambuela pour l'embrasser comme il ne l'avait jamais fait. Comme si c'était la première et la dernière fois. Il dégusta le moindre recoin de sa bouche pour s'abreuver d'amour et de vie, et ne jamais oublier que le bonheur existait.

Il cessa de respirer aussi, car l'air du pub était si peu de chose à côté du parfum sucré de Mademoiselle Ambuela.

Il oublia peut-être aussi de penser, emporté vers un autre rivage fait de sensations et de douceur. Ses doigts parcouraient le dos emprisonné de tissu d'Ambuela. Ses paumes se posaient sur sa taille, ses omoplates, sa nuque. Les paumes d'Ambuela remontaient de même dans le creux de son dos jusqu'à ses épaules et les cheveux à la lisière de sa nuque.

« Aristote, je… » bafouilla-t-elle lorsqu'il s'arrêta contre sa bouche.

Il regarda ses yeux, papillonnants et brillants il vit sa bouche, rouge et entrouverte il sentit son souffle, erratique et tremblant. Il se sentit hors de lui, au bord de sa bouche, au bord de la vie qu'elle lui offrait depuis quelques semaines. Il tomba encore amoureux, comme à chaque seconde qu'il pensait à elle, apercevait son sourire, et entendait la mélodie du chant de sa voix.

« Vous ne partez pas à la guerre, c'est seulement… »

Merlin. Zoely Zabini. La meilleure amie d'Ambuela. Il l'avait oubliée. Il avait oublié qu'il était aux Trois Balais aussi. L'absence de bruit lui indiqua très bien que tous les clients du pub avaient très bien vu l'étalage affectif qui s'était déroulé avec ce… baiser à bout de souffle qu'ils venaient d'échanger.

Il jeta un bref coup d'œil derrière Ambuela pour voir le regard offusqué d'un vieil homme, celui moqueur d'une vieille femme, celui envieux d'un jeune homme, celui éberlué d'une enfant, celui las de Rufus, le barman, que connaissait bien Ambuela.

La porte du Pub s'ouvrit à la volée.

Une jeune sorcière de l'âge d'Ambuela, aussi blonde qu'Ambuela était brune, apparut dans un fracas retentissant tout en hurlant :

« AMBUELA FALBALA SIONACH GLADYS FORTESCUE ! »

Aristote détailla rapidement sa robe noire très simple et très classique, mais coupé vingt-centimètres au-dessus du sol, comme il voyait rarement au ministère. Frida et sa mère s'étaient emportées contre ces nouvelles coupes qu'elles jugeaient indécentes. Elles s'étaient d'autant plus offusquées lorsque sa tante Florine – l'épouse de Sidoine, le frère de son père – en avait vanté la légèreté qui permettait de réaliser « des mouvements plus amples et habiles ». Tante Florine était toujours en tort selon sa mère et sa sœur de toute façon.

« Qu'est-ce que c'est que ces manières ! »

Les bottes en cuir de Zoely Zabini produisirent des claquements secs sur le parquet du pub des Trois Balais lorsqu'elle s'avança vers Ambuela et lui. Ils étaient coincés entre la table – qui était devenue la leur depuis deux semaines – le fond du pub, et le comptoir – gardé par Rufus. Pas d'échappatoire possible à l'œil noir de la sorcière, et à sa main armée d'une baguette tremblante de colère. Le regard apeuré d'Ambuela le laissa déconcerté.

« Ne l'approche pas ! » protesta Ambuela d'une voix suraigüe en faisant volte-face.

La voir ouvrir ses bras pour faire barrage entre lui et sa meilleure amie ne servit qu'à le décontenancer un peu plus. Confrontation. Confrontation… Zabini n'avait tout de même pas en tête l'idée de le défier en duel… n'est-ce pas ?

« Ah oui ? reprit Zoely Zabini avec un ton un peu trop menaçant. Tu me fais des cachoteries et des cochonneries avec un inconnu, et je devrais pas lui remettre les idées en place ?

— Je fais ce que je veux ! » couina Ambuela pendant qu'Aristote écarquillait les yeux de malaise.

Toute la clientèle présente au pub des Trois Balais se repaissait visiblement de la scène. Si, avec ça, sa famille n'était pas au courant dans l'heure qui suivrait de sa liaison avec Ambuela Fortescue, il pouvait jouer à la loterie du ministère l'an prochain. Il leva la main pour la passer distraitement sur son front, tout à fait désemparé et désarmé.

« Ce que tu veux ? » répéta lentement Zoely en marchant vers eux.

Ambuela recula, le forçant à en faire de même, jusqu'à ce qu'il l'arrête en passant un bras autour de sa taille. La main, qu'il osa laisser à plat sur le ventre d'Ambuela, sembla faire sortir complètement Zoely Zabini de ses gonds. De colérique, son regard devint ouvertement furieux.

« Miss Zabini, intervint-il assez dérouté de se sentir en danger dans cette situation. Je vous assure que j'ai énormément de respect pour Ambuela et qu'au grand jamais je ne me suis permis quoi ce fût de déplacé auprès d'elle. »

Le clignement d'yeux perplexe de Zoely Zabini, le juron d'Ambuela et l'éclat de rire des clients achevèrent de le perdre. Qu'avait-il dit de drôle ? Lorsque la meilleure amie d'Ambuela leva sa baguette pour les pointer tous les deux, il ne comprit plus rien.

« Dis-moi, Rufus, avant que je perde le temps à venir là, ils faisaient quoi les deux ? » demanda-t-elle en plissant dangereusement les yeux.

Aristote tourna la tête vers le barman. Lequel reprit son torchon pour essuyer des verres et ignorer la jeune femme.

« Rufus ? » insista-t-elle.

Aristote tourna à nouveau la tête pour regarder Zoely Zabini. La fureur qui marquait son visage fit place à de l'agacement. Elle tapa du pied – ce qui fit sursauter Ambuela.

« Tais-toi, Rufus, répondit Ambuela.

— Toi, tais-toi ! s'emporta Zabini. Rufus ! On prendra trois Porto-Pur-Nuit et…

— J'ai déjà mon verre et Aristote aussi, protesta Ambuela.

— On en prendra quand même trois autres !

— Ah ? s'étonna Rufus dans sa barbe.

— On prendra aussi trois Ouzo tout à l'heure.

— …

— Et on dînera.

— …

— Plats ET desserts.

— Hum…

— Et puis on prendra une Bièraubeurre.

— Seulement ?

— Chacun », soupira Zabini sous l'incompréhension d'Aristote.

Oh non. Le sourire de Rufus s'agrandit. Il délaissa un moment son torchon et le verre qu'il essuyait, offrit un vague sourire à Zoely Zabini et Ambuela puis tira la bouteille de Porto-Pur-Nuit des étagères derrière lui. Tout en versant trois verres, il reprit la parole :

« J'ai jamais osé rouler en public à qui que ce soit un aussi gros patin, commenta-t-il en souriant pour la plus grande gêne d'Aristote.

— Argh ! » s'offusqua Zoely Zabini pendant qu'Ambuela insultait copieusement Rufus.

L'éclair qui éclata devant Ambuela et lui manqua de le faire véritablement devenir fou.

« Un sortilège de Tête-Chauve ? Vraiment Zoely ? s'offusqua Ambuela. Tu n'as pas honte ? »

Aristote remarqua qu'Ambuela tenait sa baguette devant elle, et qu'elle avait dû contrer le maléfice lancé par sa meilleure amie.

« Que dirais-tu si Aristote t'envoyait un tel maléfice pour t'accueillir, hein ?

— C'est lui le sandwich, pas moi !

— Aristote n'est pas mon sandwich, nom de nom ! pesta Ambuela en tapant du pied. Tiens-toi un peu, tu me fais honte ! Viens boire ton Porto-Pur-Nuit et te calmer ! »

L'affrontement visuel entre les deux sorcières acheva un peu plus de désarçonner Aristote. Toute cette situation était beaucoup trop insolite pour lui. Lorsque Zoely Zabini éclata d'un soupir dramatique – digne de ceux de Frida, il se demanda ce qu'il devait comprendre.

« Tu es beaucoup trop mélodramatique, Ambu, se lamenta-t-elle. Juste pour un homme je te fais honte ? Tu mets notre amitié sur la table pour… ça ? continua-t-elle en dévisageant Aristote de la tête au pied.

— Oh, ne recommence pas, râla à son tour Ambuela. Et viens t'asseoir. Eh vous, là, y a rien à voir ! » s'exclama-t-elle en direction des clients qui à présent gloussaient.

Aristote se laissa entraîner à sa place par Ambuela. Zoely Zabini s'octroya d'emblée la place d'Ambuela, si bien que cette dernière dût prendre une chaise ailleurs pour s'installer à la table. La configuration se transformait en confrontation. Si Ambuela avait mis un holà sur le duel que recherchait sa meilleure amie, elle se plaçait néanmoins entre eux deux, comme pour arbitrer la discussion qui suivrait.

Le regard fixe de Zoely Zabini acheva de faire dire à Aristote que l'affaire était d'importance, et qu'Ambuela l'avait fortement minimisée. La bouche pincée de sa meilleure amie le mit dans ses petits souliers. Sa moue hautaine et tout à fait sceptique lui donna l'impression d'avoir affaire à Frida dans ses mauvais jours.

« Eh bien, dis-lui de pas rester comme ça, et de se présenter, grogna-t-elle en jetant un coup d'œil dépité à Ambuela. Où est-ce que tu l'as encore trouvé, celui-là ?

— Zoely ! Tu peux t'adresser à Aristote toi-même, par Salazar ! Et puis tu parles comme si je t'avais présenté des dizaines des personnes ! s'offusqua Ambuela en rougissant.

— Ben oui, et ils n'étaient pas fameux.

— Zoely !

— Quoi ? J'ai pas le droit de parler vrai ?

— Je me passerai de tes commentaires. »

Des… dizaines d'autres ? Ambuela avait eu des dizaines d'autres… aventures ? Petits-copains ? Quand elle lui avait dit qu'elle n'était pas novice, voulait-elle dire… Et dire qu'il n'avait presque connu que Melania, de son côté. Est-ce qu'il saurait…

« T'es pas obligé de baver sur Ambuela quand elle te regarde pas, attaqua à nouveau Zoely Zabini.

— Zoely ! martela une fois de plus Ambuela, le rouge toujours tenace aux joues.

— Non mais c'est vrai, regarde comme il te regarde, on dirait qu'il va faire de toi son plat de résistance. Et après, tu oses prétendre que vous n'avez pas…

— Excusez-la, Aristote, intervint à voix haute Ambuela pour interrompre son amie. Zoely est un peu contrariée et elle oublie ses bonnes manières. Mais elle va vite se reprendre. »

Mais qui était Zoely Zabini ? Et pourquoi semblait-elle s'efforcer de mettre mal à l'aise Ambuela ? On aurait dit… une adolescente en proie à une crise face à sa mère. Ou sa grande sœur.

« Je suis simplement surpris de votre entrée fracassante, Miss Zabini, dit-il le plus calmement possible en remarquant les lèvres tremblantes d'Ambuela qui fuyait ostensiblement son regard pour fixer son amie. Je m'appelle Aristote Parkinson. Et pour répondre à vos questions, Ambuela et moi nous sommes rencontrés à un bal donné par Mrs Doireann Bulstrode. Elle est la sœur de la grand-mère d'Ambuela, et l'arrière-grand-mère de mon beau-frère.

— C'est un bien truc de Sang-Pur de présenter si précisément ses relations avec tout le monde. Un truc pour bien cacher la consanguinité, hein, Ambu ? »

Mais… Est-ce qu'il y avait une quelconque plaisanterie ou… Non, elle était ouvertement méprisante.

« Les Bulstrode sont bien tordus, en plus, hein, Ambu ? »

Euh.

« Y a en a pas une qui a fait ménage à trois avec deux frères, a épousé l'un, puis l'autre quand il est mort, les enfants ont sait pas trop ils sont de qui mais ça les empêche pas de se marier un peu ensemble avec le tonton ou la cousine et…

— ZOELY ! »

Il n'y avait plus ni exaspération, ni soupir chez Ambuela. Seule une profonde colère l'avait fait taper du poing sur la table. Aristote vit une larme de rage couler le long de sa joue. Il chercha sa main sous la table, ne la trouva pas puisqu'elle avait assené les deux sur la table, et posa simplement sa paume sur sa jambe.

« Il est vrai qu'il y a eu quelques histoires rocambolesques, souffla-t-il en se forçant à sourire, mais pas aussi extravagantes que ce que vous racontez là, Miss Zabini. Et nous n'allons pas parler de la famille Bulstrode. Parlons un peu de vous plutôt.

— Moi ? Qu'est-ce que tu… enfin, qu'est-ce que vous voulez savoir ? Faut vraiment que je le vouvoie ? C'est bien en truc de Vingt-Huit, ça. »

D'accord. Il avait compris.

Les Vingt-Huit. Les Vingt-Huit Sacrées. Les Vingt-Huit familles sorcières inscrites dans le crasseux registre des Sang-Purs de Teignous Nott cinq ans plus tôt. Le livre qui lui avait donné envie d'encastrer Pollux et toute sa famille dans un mur. Les polémiques qui en avaient résulté lui avaient fait fuir l'Angleterre un long moment, puis revenir seulement pour le Ministère – et se faire tout autant consoler que détruire par Melania.

Les Zabini avaient peut-être voulu y être ajoutés. Ou bien ils étaient en guerre contre ce registre.

Ses parents avaient été bien contents que le nom de Parkinson y figure et depuis lors, ils participaient un peu trop aux petites réunions privées des Vingt-Huit. C'était peut-être grâce à ce registre, en y pensant, qu'ils avaient laissé Frida épouser Edmond. Edmond Bulstrode avait beau être très amoureux de Frida, il n'avait que sa paie au ministère pour vivre – et il ne travaillait même pas au Département des relations internationales (horreur pour Dwight et Artemisa Parkinson !) : son grand-père Bulstrode avait dilapidé leur patrimoine au jeu, à la guerre ou ailleurs (cette histoire de ménage à trois n'était pas tout à fait fausse mais agrémentée de dépenses compétitives entre les deux frères Bulstrode pour gagner l'affection de la belle entre autre…).

En règle générale, même avec Pollux, il se contentait de fermer la bouche et d'attendre méprisamment que son vis-à-vis s'épuise sur ce sujet. Tout simplement parce qu'on entrait dans le fanatisme, et qu'Aristote n'arriverait jamais à croire qu'on puisse tirer quelqu'un loin de son fanatisme.

Il faisait comme avec les diplomates dont l'attitude était ambiguë.

Il devenait froid et silencieux, comme l'avait très bien analysé Caryl Bulstrode.

Mais il ne pouvait pas être froid et silencieux avec la meilleure amie d'Ambuela, la sorcière qu'il aimait de tout son cœur depuis un mois. La sorcière qu'il pensait déjà à demander en mariage.

Il ne le pouvait pas, même s'il se faisait littéralement agresser verbalement pour un registre qu'il trouvait d'une stupidité sans nom. Et puis s'il disait qu'il se fichait de ce truc, elle lui dirait que c'était facile de se ficher d'un registre quand on était dessus. D'un registre qui vous ouvrait toutes les portes. Qu'elle ne l'avait pas beaucoup entendu argumenter contre ledit registre au contraire des Weasley.

Il était bien occupé avec les Balkans à l'époque de la sortie du bouquin. Il s'était rassuré en se disant qu'il avait déjà assez à faire pour lutter contre Grindelwald.

Il avait aussi été trop lâche pour s'opposer frontalement à ses parents, sa famille et son unique ami.

Il regarda Ambuela dont les yeux n'essayaient plus de retenir leurs larmes. Elle plissait le nez pour renifler le plus silencieusement possible sans lâcher du regard sa soi-disant meilleure amie, qui elle, ne perdait rien de son mépris dans le silence qui s'était créé entre eux trois.

« Le vouvoiement quand on se rencontre, c'est un truc de personnes polies, Zoely, finit-elle par intervenir avec une voix étouffée.

— On vouvoie pas quelqu'un qu'on fréquente, Ambu. Il t'a lavé le cerveau : t'es toute inquiète pour quelques mots un peu francs. C'est parce qu'il est vieux ? Je croyais que quinze ans c'était rien. Je… »

Leurs quatorze années de différence revinrent violemment à son esprit. Il est vrai que c'était beaucoup mais…

Le sanglot d'Ambuela et la main qu'elle posa précipitamment sur celle qu'il avait sur sa cuisse le ramenèrent à elle. Ils avaient déjà eu cette discussion. Quatorze ans, ce n'était rien. Ce… Et puis ce n'était pas la question actuellement. Il devait juste réfléchir, trouver quelque chose à dire pour que Zoely Zabini cesse ses diatribes affreuses contre lui afin qu'Ambuela ne pleure plus. Peut-être qu'il était trop vieux pour elle mais… mais…

« Ambuela, souffla-t-il en se penchant vers elle. »

Elle ferma enfin les yeux pour ne plus regarder Zoely Zabini. Il approcha sa bouche de son oreille pour lui donner autre chose à entendre que les horribles mots de sa meilleure amie.

« Ce… C'est vous que j'aime, souffla-t-il. Je… Je vais simplement aux toilettes respirer, et je reviens, insista-t-il lorsqu'elle le regarda avec désespoir. C'est vous que j'aime », répéta-t-il avant de lui embrasser la joue.

Elle le regarda sans rien dire avant d'hocher la tête en reniflant et en tremblant. Lorsqu'il se leva, il entendit le coup de grâce de Zabini.

« Ben il n'aura pas tenu longtemps, celui-ci.

— Je te déteste.

— Oh, arrête, lui aussi il t'aurait quittée, comme tous les autres. »

Comme tous les autres ? Combien d'hommes avaient donc quitté Ambuela ? Combien d'entre eux Zoely Zabini avait-elle fait fuir ?

Il essaya de ne pas y penser lorsqu'il s'aspergea le visage avec de l'eau. Alors c'était ça la confrontation ? C'était se faire rabaisser plus bas que terre parce qu'il était né Parkinson au lieu de naître n'importe quoi d'autre ? Parce qu'il avait eu le malheur d'avoir quatorze ans de plus qu'Ambuela ?

Alors quoi, il devait encore prouver de quoi il était capable ? C'était comme une journée de travail ? Prouver encore et encore qu'il était capable de gérer la pression ? Le mépris ? Les regards de travers ? Les suspicions ? Avec une personne qu'il n'avait absolument pas envie de voir ? Mais qui était la meilleure amie de la femme qu'il aimait ?

Comment pouvait-il calmer Zoely Zabini ? Que lui avait dit Ambuela au sujet de sa meilleure amie ? Elle avait parlé de l'hydromel. De soirées au Trois-Balais. De Quidditch.

Essayer de boire quelques verres ne pourraient pas faire de mal. Et puis si Zoely Zabini ne se calmait pas, il… il ferait danser Ambuela.

Et puis il la kidnapperait.

Voilà, il attraperait la main d'Ambuela, et il la tirerait à sa suite dans une chambre des Trois-Balais. Mieux : il prierait Ambuela de les mener loin d'ici avec son balai. Ils passeraient une soirée en tête à tête et… et il la demanderait en mariage. Pourquoi attendre encore alors qu'il voulait le faire dans tous les cas ? Il n'y avait pas besoin d'attendre puisqu'il était tellement sûr de lui qu'il était prêt à encore supporter la langue de vipère de sa meilleure amie.

« Rufus, vous me serviriez un autre Porto-Pur-Nuit, je vous prie ? demanda-t-il en revenant dans la salle.

— Hum, accepta Rufus en regardant avec inquiétude derrière Aristote, où l'on entendait Ambuela et Zoely Zabini se disputer.

— Zabini va se calmer, essaya-t-il de promettre avec légèreté.

— Pas sûr, grommela Rufus en remplissant le verre.

— Vous n'auriez pas un conseil pour la ramener au calme ? demanda-t-il en se forçant à sourire.

— Vous voir revenir avec un Porto-Pur-Nuit la calmera peut-être, marmonna Rufus. »

Aristote pris le verre et fixa un moment le chignon de cheveux bruns d'Ambuela. Il était assez défait à présent qu'elle hurlait après son amie.

« Pour Ambuela. »

Il se rappela ses grands yeux bruns, tels des lumières sous la voûte céleste. Il pensa à la douceur de sa peau. Il inspira à pleins poumons avec l'espoir que l'univers se parfume à l'odeur d'Ambuela.

Puis il passa derrière Zoely Zabini pour poser avec fracas le verre devant elle. Ceci la fit aussitôt taire, et Ambuela aussi. Lorsqu'il croisa le visage plein d'espoir de sa très future fiancée, il reprit confiance à son tour. L'avis de Zabini lui importait vraiment peu, comme elle le lui avait dit finalement. Elle voulait seulement que le sien sur sa meilleure amie lui importe peu à lui également. Il lâcha le verre et fit le tour de la table pour retourner s'asseoir en face d'elle.

Il allait lui parler comme aux diplomates en herbes qu'il avait fréquentés pendant son Grand Tour.

« Un bras de fer, Zabini ? demanda-t-il en enlevant ses boutons de manchette. Celui qui perd accepte la sentence d'Ambuela. »

Il n'avait pas fait ça depuis dix ans. Misère, dans quelle situation était-il en train de se mettre ? Le sursaut de gloussement d'Ambuela le fit aussitôt relever la tête. Elle le regardait à nouveau avec des yeux brillants de joie et d'amour.

« La sentence d'Ambuela ? bafouilla Zoely Zabini en ouvrant elle aussi les boutons de sa manche.

— Oh oui, je donne un gage à celui qui perd ! se réjouit Ambuela. Celui de vous deux qui déclare forfait paie la tournée d'Ouzo que tu as commandée tout à l'heure !

— Je marche », accepta Aristote en tirant son mouchoir en tissu.

Il vint le déposer devant Ambuela, qui le recueillit avec de nouvelles larmes aux yeux. Mais comme elle souriait en même temps, il osa se rassurer. Lorsqu'elle se pencha vers lui dans l'idée évidente de l'embrasser, il ne pensa même pas au monde qui l'entourait. Il accepta simplement le baiser comme n'importe quel geste d'affection.

« Va pour moi aussi mais ne vous papouillez pas ! » couina Zoely Zabini.

Aristote ne se gêna pas pour embrasser Ambuela une seconde fois avant de se placer.

« Enlevez vos gants, Miss Zabini, l'arrêta-t-il.

— Mais…

— Ce sont des gants magiques.

— Ce n'est pas…

— Essaieriez-vous de tricher ?

— Zoely, ne triche pas avec Aristote ! s'offusqua Ambuela. Sinon, tu prends tout de suite un gage !

— Argh, vous êtes pénibles ! Je vais perdre ma réputation à cause de vous ! »

Elle jeta ses Gants-à-Retourner sur la table qui, effectivement, cherchèrent à retourner des mains invisibles.

Là, ils étaient à présent à égalité pour conquérir le cœur de Mademoiselle Ambuela.

« Partez ! » annonça Ambuela.

Il perdit la première manche. Il dût embrasser Ambuela.

.

Il réussit à faire capituler Zoely Zabini pas de la manière la plus loyale qui soit, mais elle déclara forfait avant qu'il ne tombe de fatigue. Et comme c'était tout ce qu'il voulait, il le considéra comme une victoire.

Qu'importe le nombre de verre il avait dû lui faire boire.

À elle et à Ambuela.

Et un peu à lui aussi.

« Oh Aristote vous… vous… vous êtes le meilleur ! » s'exclama Ambuela quand son amie resta plus de dix secondes face contre la table du bar, la tête entre les mains.

Il regarda Ambuela se lever et la rattrapa alors qu'elle lui tombait dessus. Elle s'assit aussitôt sur ses genoux, passa langoureusement ses bras dans son cou et vint l'embrasser comme une démone. Il oublia les muscles endoloris de ses bras pour répondre à son étreinte et à son baiser renversant. Il ne l'avait pas volé celui-là. Combien de temps avait-il dû batailler avec sa teigne de meilleure amie ? Mmmh Merlin, Ambula. Il sentit ses mains dans son cou, à même sa peau. Encore. S'il vous plaît.

« C'était beaucoup trop sexy de vous voir défier ainsi Zoely pour moi, souffla Ambuela contre sa bouche.

— Ah ? » demanda-t-il le souffle court en l'entourant de ses bras pour la serrer contre lui.

Elle se blottit dans ses bras, comme il l'avait fait sur le vichy rouge le soir du pique-nique nocturne lorsqu'il s'était calé dans le creux de son épaule. Ses cheveux avaient l'odeur de tabac que des sorciers avaient fumé plus loin dans la pièce. Mais sa peau avait toujours un goût de soleil.

« J'ai horreur qu'on joue les gros bras pour moi, mais là je… Je suis tout émoustillée de vous voir… de vous voir confronter Zoely et… et de vous voir ouvrir vos manchettes et… et… et même votre tenue ainsi… Je… On ne pourrait pas prendre une chambre ou aller chez vous ou chez moi ou… »

Il s'humidifia les lèvres. Il était dans le même état qu'elle. Ses yeux à semi-ouverts et sa bouche écarlate d'envie lui donnait tellement de… de…

Elle se laissa tomber contre lui, son visage sur son épaule, sa bouche contre son oreille.

« Je ne tiens plus, Aristote, j'en veux plus, et vous aussi.

— Moi aussi », répéta-t-il.

Le souffle d'Ambuela lui lécha l'oreille. Ou bien fut-ce sa langue ? Oui, c'étaient ses lèvres, là, dans son cou et…

« RUFUS, JE DOIS PAYER L'OUZO, TU PEUX NOUS LE SERVIR QUAND MÊME !

— Oh non, Zoely, on va y aller avec Aristote », babilla Ambuela en se relevant.

Elle se rattrapa si bien à la table pour ne pas tomber que la moitié des verres vides – que Rufus n'avait pas encore débarrassés – tombèrent de leur socle. Deux allèrent s'exploser au sol sous les cris apeurés de leurs voisins.

« Tu bouges pas, Ambu ! la prévint Zoely le nez toujours collé à la table. Et tu bois l'Ouzo avec nous ! Attends, c'est moi qui paie, tu vas pas faire ta difficile en plus !

— Miss Zabini, ce n'est peut-être pas raisonnable de boire en plus un verre d'Ouzo après tout le kirsch que vous… »

Il se tut sous le regard noir de Zoely Zabini. Elle avait relevé la tête si lentement qu'il avait l'impression d'avoir affaire à un Inferi – bien qu'il n'en eût jamais vu. Son maquillage avait coulé sur ses joues. Les nœuds du bois de la table s'étaient imprimés sur son front. Elle montrait les dents comme un chat sauvage.

C'était lui, à vrai dire, qui n'avait pas envie d'ajouter de l'ouzo à tous les verres de kirsch qu'il avait bus. Pas de mélange. Sinon il aurait un mal de crâne d'enfer le lendemain matin.

« Parkinson, restez là devant moi boire votre ouzo, vous zallez pas y échapper non plus, non mais ! »

Zoely Zabini n'était clairement pas une personne à se remettre à dos à présent qu'il avait réussi à ce qu'elle lui parle plutôt correctement – et sans l'insulter. Aussi, il prit le verre d'ouzo en même temps que les deux jeunes femmes, ferma douloureusement les yeux, et le but cul sec en même temps qu'elles.

Le gloussement d'Ambuela calma l'anticipation de son mal de crâne.

Mal de crâne anticipé qui revint brusquement lorsque Zoely Zabini s'écroula dans leurs bras.

« Tu peux me ramener chez moi, Ambu ? Et tu peux dormir chez moi aussi ? Je crois que j'ai un peu abusé du kirsch. »

La voix, petite et vaseuse, fit lever les yeux au plafond à Aristote avec exaspération. Il avait passé une confrontation au lieu d'une soirée de rêve avec Ambuela. Et en plus, à présent, il devait s'occuper avec elle de son adversaire dans la confrontation – la meilleure amie de sa future fiancée – au lieu d'aller dormir contre sa belle ?

Il y avait des situations tellement injustes.

« Zoely, c'est toujours la même chose, soupira Ambuela. L'ouzo te rend toujours malade. Il faut arrêter de vouloir en boire parce que Rodrigue n'aime pas ce…

— Tais-toi, se lamenta Zoely Zabini. Ramène-moi s'il te plait, et ne me laisse pas.

— Zoely, je ne peux pas dormir chez toi, Aristote…

— Qu'il vienne aussi, couina Zoely en désespoir de cause en posant la main sur la base de son cou comme si elle allait faire un malaise.

— Tu invites Aristote chez toi ? s'écria Ambuela. »

Toute exaspération s'en était allée. À présent elle trépignait littéralement de joie. Ses yeux brillaient tout autant grâce à l'alcool qu'au bonheur lorsqu'elle releva la tête vers Aristote.

« Oh Aristote, Zoely vous invite à dormir chez elle ! Vous… Vous en êtes heureux n'est-ce pas ?

Aristote ne pouvait même pas dire qu'il était surtout effrayé de recevoir ce genre d'invitation de la part de la meilleure amie d'Ambuela – sa très future fiancée – tout simplement parce que Zoely Zabini avait passé plusieurs heures à l'agresser, qu'ils avaient passé la soirée à faire bras de fer sur bras de fer – littéralement – afin de passer leurs nerfs l'un sur l'autre et de trouver un semblant d'accord sur le sujet Ambuela… alors qu'ils venaient de se rencontrer.

« Très heureux, mentit-il avec un ton d'une telle ironie qu'Ambuela l'aurait évidemment perçue si elle n'était pas tout à fait ivre.

— Oh Aristote, je suis si heureuse que vous appréciez Zoely ! se réjouit-elle.

— Moi aussi », répliqua-t-il, forcé de mentir face au sourire lumineux de sa belle.

Il la laissa tenir un moment Zoely toute seule pendant qu'il allait payer au comptoir. Le sourire désabusé de Rufus, le barman, le convainquit qu'il était dans une drôle de situation.

« Zoely râle beaucoup, mais elle est sympathique, hein ? marmonna Rufus pendant qu'il réglait les quelques verres de kirsch qu'ils avaient bus.

— Bien sûr », mentit-il encore, complètement dépassé.

Zoely n'avait pas râlé, elle l'avait insulté et agressé. Zoely n'avait pas été sympathique, elle avait fait pleurer et sangloter Ambuela sans la moindre once de compassion avec cette attitude. Il voulait juste sortir du pub le plus vite possible à présent.

« Oh Aristote nous allons pouvoir dormir nus l'un contre l'autre, enfin ! chuchota un peu trop fort Ambuela au milieu de la salle du pub.

Aristote se sentit bien trop rougir. Il ne savait pas si les clients avaient entendu les mots, mais il fut persuadé que chaque regard qu'on lui lançait était moqueur, et que chaque éclat de rire était dirigé contre lui. Et puis dormir nu contre elle, pour la première fois, chez sa foldingue de meilleure amie ? Ce n'était pas avec un enfin qu'il avait envie de dire cette phrase, mais avec un jamais !

« Bien sûr, Ambuela, mentit-il encore pour vite faire sortir Ambuela et Zoely du Pub.

— Pas de papouilles dans ma maison, geignit Zoely.

— Ah si c'est ça, on ne vient pas », protesta Ambuela en cherchant son balai parmi la cargaison au sol.

Aristote n'essaya même plus d'arbitrer l'énième désaccord entre les deux amies. Il se contenta de tenir Zoely un peu mieux, en ajustant sa prise sous ses épaules et en priant pour aller au lit au plus vite.

« D'accord, d'accord, capitula assez rapidement Zoely. Mais je peux monter sur ton balai pour rentrer ?

— Aristote, vous pouvez m'aider à hisser Zoely sur mon balai ?

— Allons-y, souffla-t-il pour lui-même. »

Zoely tomba trois fois en roulade du paresseux sur le trajet. Sans doute parce qu'elle était vraiment trop ivre. Sans doute parce qu'Ambuela faisait faire des embardées au balai qu'elle tenait à l'avant, comme la laisse d'un chien, à chaque fois qu'elle se jetait dans les bras d'Aristote pour réclamer un baiser.

Ils arrivèrent tant bien que mal aux portes d'une immense ferme. À la lumière de sa baguette, Aristote devina plusieurs portes de plusieurs petites habitations en pierre. Les commentaires d'Ambuela – dignes d'un guide touristique – lui expliquèrent rapidement que chacun avait sa petite maison dans la ferme de la famille de Zoely Zabini. Celle de Zoely était à l'entrée parce qu'elle rentrait souvent tard et qu'on ne voulait pas qu'elle réveille tout le monde.

Le temps qu'il aide Zoely Zabini à descendre du balai, Ambuela avait ouvert la porte de la petite maison – il ignorait comment – et avait récupéré son balai pour le ranger sous l'auvent. Il décida de laisser Ambuela gérer sa meilleure amie.

« Allez Zozo, avance encore un peu, je vais t'installer sur le canapé.

— Pourquoi pas dans mon lit ? chougna Zoely Zabini en se laissant tomber sur le canapé en cuir.

— Parce que tu m'as invitée à dormir avec Aristote.

— Ah oui c'est vrai, ah oui, mais tu le laisses pas te papouiller, hein, faudrait pas qu'il prenne ses aises avec toi, hein, et…

— Allez, dors un peu, ça ira mieux demain.

— … tu me sors le seau, s'il te plaît ?

— Et je t'amène un verre d'eau.

— Ça va pas, tu veux que je me noie ?

— Allez Zozo, sinon demain ta tête va exploser. »

Merlin. Jamais il n'aurait pensé passer une telle soirée avec Ambuela. Voilà qu'elle prenait soin de sa meilleure amie complètement ivre alors qu'elle était quasiment aussi ivre. Dépassé, Aristote marcha jusqu'au meuble pour ouvrir le placard dont Ambuela avait tiré un verre pour son amie. Il voulut en prendre un pour lui-même, hésita en voyant de près leur état de propreté et décida que son hydratation et celle d'Ambuela valaient bien quelque prise de risque. Il les remplit avec l'eau du seau dans lequel Ambuela avait également puisé de quoi servir à Zoely.

Il but son verre d'eau d'une traite et laissa l'autre sur le meuble, entre une pile de bols sales et le seau d'eau.

« C'est pas bon l'eau. Ça n'a pas de goût, râla Zoely sur le canapé.

— T'es bête », gloussa Ambuela.

Un sursaut de rire agita brièvement ses épaules lasses. Que répondre à ça ? Que répondre à rien ? Ambuela savait toujours répondre quelque chose. Si Zoely Zabini avait été sa meilleure amie, pour sûr qu'il l'aurait envoyé paître depuis un moment. Il passa ses index sur ses tempes en songeant brièvement au lendemain. Huit heures et demie au bureau. Pour relire les propositions de Caryl Bulstrode pour les négociations avec Mijomir Prijović. Il n'y arriverait jamais.

« Aristote, allez dans la chambre pendant que j'aide Zoely à enlever sa robe. Je vous rejoins dans un instant », ajouta-t-elle plus bas lorsqu'il se retourna en sursaut.

Il lui sourit simplement en voyant son regard pétillant. Il pourrait enfin dormir, contre elle, pour la deuxième fois. Il vint glisser une main sur la joue à la peau halée d'Ambuela, et contempla la joie qui façonnait ses traits dans la semi-obscurité de la pièce. La courbe de sa lèvre lui proposait déjà mille rêveries pour le reste de sa vie.

Il se pencha vers sa pommette pour l'embrasser avec toute la douceur qu'il voulait lui offrir après une soirée aussi mouvementée. Il resta une seconde de trop contre sa joue, puisque Zoely brisa le moment enchanteur en tombant bruyamment du canapé.

« Oh Zozo, soupira Ambuela en se détournant de lui. Ne me dis pas qu'il faut que je jette un Sortilège de Barrière pour que tu ne tombes pas ? Non mais tu as quel âge ?

— J'ai mal », chougna Zoely.

Aristote écarquilla les yeux d'inquiétude avant de les lever au ciel en voyant Zoely se remettre toute seule sur le canapé. Il se dirigea vers l'escalier pendant qu'Ambuela drapait le corps maigre de son amie d'une couverture en patchwork.

« Allez Zozo, il faut que tu dormes, sinon tu seras fatiguée demain matin.

— C'est déjà demain matin.

— Et tu es fatiguée, non ? Eh bien voilà. Il faut que dormes pour être moins fatiguée tout à l'heure.

— Moui.

— J'ai mal entendu ? »

L'étage donnait tout de suite sur une porte qu'Aristote poussa simplement. Il ignora les quelques vêtements qui traînaient au sol, les livres qui reposaient de-ci, de-là sur les meubles et le reste d'un repas sur un plateau dans un coin de la pièce, pour trouver le lit, à moitié défait. Il tira sur le drap – il faisait de toute façon si chaud qu'il doutait de pouvoir dormir dessous – avant d'aller mécaniquement fermer le volet de la fenêtre. Il entendait encore indistinctement Ambuela et Zoely Zabini parler lorsqu'il ôta ses chaussures et sa robe. Il n'avait même pas fait attention lorsqu'il avait enlevé sa cape et son chapeau au rez-de-chaussée, sans doute en raison d'un réflexe acquis depuis des années. Il se laissa tomber sur le lit, épuisé physiquement et émotionnellement.

Il n'était pas sûr de saisir parfaitement toute la situation en cet instant.

Il réfléchirait plus tard. En attendant, il avait juste à fermer les yeux et à s'endormir afin d'être un minimum présentable le lendemain matin face à l'ambassadeur des Balkans en Grande-Bretagne. Ambuela ne devrait plus tarder, et il dormirait si bien contre elle, qu'il arriverait peut-être même à faire bonne figure.

Le brouhaha de ses pensées et les étoiles s'éteignirent un instant, très court, avant qu'Ambuela ne reviennent, énergique comme jamais.

« Enfin à nous ! chuchota-t-elle à voix haute. Oh Aristote, j'arrive, je ferme la porte et j'arrive ! »

Il cligna ses yeux et ne profita même pas de la regarder se dévêtir tant il somnolait.

« Ambuela ?

— Oui, attendez, j'ai voulu mettre un bustier ce soir, mais je… il est neuf, je l'ai fait faire la semaine dernière pour être belle mais…

— Vous n'avez pas besoin de bustier pour être belle, marmonna-t-il en réussissant à garder un œil ouvert pour profiter quand même un peu du spectacle.

— Alors je ne le mettrai plus ! Ma mère me disait que ce n'était pas pratique, que j'avais de la chance que ce soit tombé en désuétude grâce à tous les sortilèges qu'on ajoute aux robes aujourd'hui mais je voulais tout de même… oh, on s'en fiche, aidez-moi à enlever ça. »

Il se redressa tant bien que mal en regardant Ambuela marcher à lui. Il avait assez aidé Melania à enlever et remettre le sien pour savoir sur quels fils il fallait tirer et de quelle manière afin de l'en débarrasser rapidement. Il en profita pour fermer les yeux et poser sa tête contre la peau chaude d'Ambuela lorsqu'il laissa ses doigts se perdre sur les morceaux de tissu qui recouvraient sa peau.

« Eh bien, vous êtes habile, Ariri », souffla-t-elle en détachant bien les syllabes de son nouveau surnom.

Il sentit un sourire étirer ses lèvres lorsque, assis au bord du lit, il s'éloigna d'elle pour tirer sur le lien qu'il avait auparavant desserré.

Il était en train de déshabiller Ambuela.

Pour la première fois.

Il rouvrit aussitôt les yeux lorsqu'il se rendit pleinement compte de ses gestes et de la chance qu'avaient ses doigts de pouvoir enfin se glisser sous son bustier, contre la chemise de lin humide de la sueur d'Ambuela, et qu'il pouvait – même – l'aider à l'enlever.

Le temps qu'il assimile cet état de fait, Ambuela s'était retournée et s'installait sur ses genoux, à califourchon.

« Oh mon Damoiseau Aristote, je vous aime, je vous aime, je… »

Il aurait presque pu décrire cet énième et merveilleux baiser de la sorte : il crut qu'il se faisait avaler tout cru. Il se sentit minuscule face au désir infernal d'Ambuela. Un instant, il lui céda tout droit sur lui, juste parce que c'était bon, juste parce que personne ne lui avait jamais permis de se sentir aussi paisible, serein et simplement rempli de sensations enchanteresses avec un seul baiser.

La peau chaude d'Ambuela fut enfin sous ses doigts. Ses mains se glissèrent sous sa chemise de corps en lin au son de leurs soupirs étouffés par le, puis les baisers qu'ils partagèrent à en perdre la tête, la vue, les sens… à se perdre dans la bouche de l'autre. Il n'y avait que la langue d'Ambuela emmêlée à la sienne, que ses mains à lui sur ses cuisses et son dos, que ses mains à elle dans sa nuque et ses cheveux.

Il finit par ne plus avoir de forces pour rien, et se laissa tomber en arrière sur le lit, émerveillé de constater qu'il existait un tel état de plaisir, où rien, pas un son, pas un mot, pas une pensée ne traversait alors son esprit. Il existait un état de plaisir rêvé et murmuré tout bas, un état qu'il avait cherché en vain, avait considéré comme mythique et illusoire, mais qui venait l'envelopper de sa chaleur bienveillante et réelle ce soir, enfin, pour la première fois.

La voix d'Ambuela et ses mains sur son torse nu le sortirent de cet état céleste sans pour autant le faire dégringoler de la sérénité totale qu'il avait momentanément atteinte et qui l'empêchait encore de penser. Il passa dans un état de semi-conscience ses mains dans le dos d'Ambuela pour la garder contre lui avant de mettre des mots sur les sons qu'elle produisait.

« J'ai si envie de vous, Aristote, si envie, depuis la première fois que je vous ai vu, il y a quelque chose chez vous qui… qui me rassure et me donne si envie de… de tout laisser pour accourir à vous et… quelque chose qui me rend folle ! »

Il cligna des yeux, ne parvint plus à la retenir lorsqu'elle se redressa pour relever sa chemise en lin et dévoiler à ses yeux sa poitrine bardée d'une brassière blanche et son ventre nu.

Elle était en dessous sur lui, elle…

En culotte, plutôt, puisqu'elle ôta deux secondes plus tard sa brassière.

Il passa sa langue sur ses lèvres.

Il l'aimait, comme un fou, lui aussi, mais il n'avait pas la moindre force ce soir. Il voyait déjà double à cause de l'alcool tout à l'heure, à présent il voyait en seize fois : en quatre fois à cause de la fatigue, en quatre fois de plus à cause de la chaleur de la pièce et de l'art du baiser qu'elle venait de lui faire redécouvrir.

Sans parler du fait qu'il était bien trop enivré pour être capable de la moindre… prouesse.

Pourquoi avait-il bu déjà ? Pour que Zoely Zabini – dont ils occupaient le lit – cesse de l'insulter ?

« Vous allez m'achever, se lamenta-t-il en tendant néanmoins les mains vers ses seins.

— C'est bien mon but », reconnut-elle avant de glousser comme il l'aimait.

Elle rejeta la tête en arrière tout le temps qu'il passa à arpenter ses seins doux et chauds avec appétit, pour soupirer goulument. Puis, d'un coup, sans crier gare, elle se laissa tomber sur lui, sa poitrine contre son torse, pour renouveler cet échange dévastateur entre leurs deux bouches. La chaleur de la rencontre de leurs corps le fit gémir contre sa bouche, et entendre le même son faire vibrer la gorge d'Ambuela cessa de seulement le détendre pour l'exciter un peu. Juste un peu plus. Pas de quoi proposer à sa belle une nuit rêvée digne de la convaincre de devenir son épouse, mais juste assez pour qu'Ambuela revienne à la charge avec une euphorie qui manqua de le tuer en sentant toutes les caresses qu'elle s'aventurait à déposer sur son torse, son dos, son…

Il la fit tomber sur le lit à côté de lui dans un dernier effort pour la freiner immédiatement.

« Je ne pourrai pas, souffla-t-il entre deux inspirations.

— Vous ne pourrez pas quoi ? »

Elle était tombée allongée à côté de lui dans un couinement. La regarder respirer aussi rapidement que lui tout en glissant naïvement ses mains entre sa joue et les draps lui redonna un peu plus envie sans pour autant le rendre prêt pour elle. Elle était enfin toute à lui et il n'était même pas capable d'en profiter ? Mais quel idiot.

Et c'était déjà la troisième fois qu'il se défilait. Sous le chêne à Fortarôme. Et samedi soir parce qu'il était quasiment traumatisé à cause – encore – de Melania. Et ce soir. Et puis aussi le soir de leur première sortie à Pré-au-Lard, et la seconde, il l'avait poussée à rentrer bredouille alors qu'elle n'avait attendu que ça.

Nec spe, nec metu. Ni espoir, ni crainte. Ah si, il craignait qu'elle le prenne vraiment mal cette fois-ci.

« Je ne pourrais pas aller au bout, bredouilla-t-il en sentant la maigre excitation de son corps se faire déjà la malle.

— Tant mieux, j'en aurai pour toute la nuit ! se réjouit Ambuela en essayant de regrimper sur lui.

— Non mais je suis fatiguée, Ambuela, je vais m'endor…

— Ouhhh, vous me laissez tout faire, j'adore ! C'est viril comme j'aime, se réjouit-elle encore. Installez-vous et laissez-moi faire, vous…

— Je vais m'endormir, Ambuela, plaida-t-il complètement dépassé encore une fois.

— Oh, alors commençons par moi, et puis je m'occupe de vous ensuite, susurra-t-elle en embrassant méthodiquement son torse. Oh Ariri, je veux vous sentir partout sur moi, et partout en moi, je veux… »

Il n'allait tout de même pas lui dire qu'il avait une panne à cause de la fatigue et de l'alcool cette fois-ci ? Et puis qu'il était tout simplement tellement fatigué qu'il n'avait plus aucune force pour prendre soin d'elle.

« Non mais je n'arriverai pas à me contrôler, bredouilla-t-il en désespoir de cause en se retenant de jurer.

— Comment ? Vous ne pourrez pas aller au bout ou vous ne pourrez pas vous contrôler ? » demanda-t-elle en fronçant les sourcils.

Elle s'arrêta de l'embrasser et de vouloir lui grimper dessus pour retomber allongée à côté de lui. La tête qu'elle logea avec perplexité dans sa main faillit le faire partir en courant sous la panique. Il ne pouvait pas lui dire que…

« Je ne pourrais pas me contrôler et je ne veux pas que vous tombiez enceinte, inventa-t-il. Si je…

— Je vous arrêterai avant, ne vous inquiétez pas », souffla-t-elle en gloussant.

Bon. Nec spe, nec metu sed fortitudine alors. Courage, Aristote.

« Je suis ivre et épuisé, Ambuela. Je vais m'endormir et je ne banderai pas, c'est tout », avoua-t-il en fermant douloureusement les yeux.

Le silence de sa déclaration fut seulement meublé par les caresses qu'il faisait glisser du bout de ses doigts le long du dos entièrement nu d'Ambuela. Le léger frottement qui en résultait aurait presque pu bercer Aristote s'il n'avait pas été aussi gêné. Jamais il n'avait fait ce genre d'aveu par le passé. Ni à Melania, ni aux quelques autres. De toute façon, sa relation avec Melania n'avait pratiquement consisté qu'en des rapports charnels finalement. Peut-être qu'elle avait accepté de venir à son bras à un ou deux dîners avec des ambassadeurs, mais ça avait été en tant qu'amie. Il avait préféré annuler ses rendez-vous quelques fois pour ne jamais avoir à se retrouver dans la position dans laquelle il était actuellement.

Mais il aimait beaucoup trop Ambuela pour s'éloigner d'elle simplement parce qu'il était fatigué. Il avait juste envie de rester contre elle, tout contre elle, et de laisser ses mains se perdre sur ses courbes jusqu'à s'endormir au creux de son cœur.

Il rouvrit les yeux lorsque l'attente devint vraiment trop inconfortable. Elle le regardait, allongée contre lui, avec un visage calme et pensif. Le léger froncement de sourcil qui entailla sa sérénité le refit parler.

« J'ai très envie de vous caresser, reprit-il, mais…

— Oh des caresses, oh oui. Je me mets là et vous dans mon dos ? s'empressa-t-elle d'accepter. Mmmh dépêchez-vous, je vais attendre. »

Elle était à présent en train de s'installer sur le lit dans l'autre sens, la tête sur les oreillers, comme si elle s'apprêtait à dormir. Aristote ne pensa même plus aux deux ou trois heures que devaient afficher sa montre à gousset et se glissa dans le dos d'Ambuela pour continuer ses caresses. Il aurait aimé qu'un peu plus de lumière – autre que la bougie allumée posée sur la commode par Ambuela – traverse la pièce afin de pouvoir contempler ses courbes, même si déjà leurs yeux se fermaient.

Un moment, lorsque la respiration d'Ambuela devint silencieuse, il vint poser un baiser dans son cou. Pendant qu'il inspirait son parfum au miel, elle se retourna mollement pour l'embrasser sur les lèvres avec lenteur et douceur, puis il décida de se blottir contre elle, dans son dos, et de la tenir contre lui. Le soupir – digne d'un ronronnement – qui résonna dans la pièce venait tant d'elle que de lui. La bougie s'éteignit lorsqu'ils s'endormirent.