CHAPITRE 7 : Liqueur de tourmentes

« Les garçons, réveillez-vous ! »

Ils n'arrivaient pas à déterminer ce qui était le plus douloureux : l'alcool qui brûlait leur sang, les frappes envoyées par le demi-dieu ou bien la capricieuse de service qui leur donnait une leçon.

Pourtant, c'était un fait : ils avaient des lacunes. Passer ses journées à retourner les terres ou entraîner une fillette ne suffisait pas à conserver leurs réflexes. Yugo avait perdu celui de renvoyer les coups au travers de ses portails et Pinpin de contrer les chocs avec un unique bras.

Amalia avait suivi un régime plus strict, royal, qui lui permettait de passer à l'offensive tout en protégeant ses alliés, mais elle ne pourrait pas gagner ce combat seule.

Au moment où elle sentait planer une ombre, menaçante, une force colossale souleva Poo, enchaîné par un puissant rayon de wakfu. La princesse remercia silencieusement son sauveur, toussa, étourdie et empoisonna l'air autour du pandawa. Tristepin profita de cette ouverture. Il bondit sur sa cible, chuta en vrille, incisif. Son poing claqua. Ses doigts lui faisaient mal, mais il avait l'impression de lui avoir brisé la mâchoire. Le jeune roi abattit un déluge bleuté, fusionné à une tempête estivale contrôlée par la future reine.

Pourtant, le tank garda ses muscles bandés, sans fléchir. Il prit une inspiration et fit basculer Pinpin, échaudé, dans la poussière. Le chevalier n'entendait plus distinctement, le monde se dédoublait. Il rentra ses doigts couverts de sang sur son front et grimaça en sentant des cloques pustuleuses.

« J'comprends pas, ses attaques sont de plus en plus fortes… C'est pas un sacri, bon sang…

- En plus elles rendent malades, ajouta Yugo, agenouillé, qui s'était téléporté juste derrière.

- Il nous imbibe d'alcool, expliqua Amalia, qui semblait parfaitement lucide, les attaques des Pandawa sont plus violentes lorsque la cible est ivre. Vous êtes résistants, j'espère ?! »

Pinpin mima un signe de « coup-ci, coup ça », Yugo garde un silence parlant. Non, le fils d'aubergiste n'avait jamais touché une goutte de lait de bambou. Même au nouvel an. Et cette information ne concernait personne.

Le Pandawa pivota vers le trio et leur jeta un tonneau débordant d'eau de vie. La princesse répliqua avec une ronce, office de bouclier. Tristepin s'attela à escalader cette immense racine qui fonçait tout droit vers le tas de muscles. Poo se stabilisa comme une pierre, Tristepin se trouva plus affaibli après cette collision fatale.

L'eliatrope envoya une pulsation de dos au même instant, mais sa vue s'était tellement dégradée, il manqua sa cible. Son ventre se tordait. Il se plia instinctivement, sous le poids de la nausée. L'herbe frémissait à côté de lui et sans comprendre, tout son flanc gauche se déforma. Le pandawa frappait trop vite, trop fort.

Un souffle brûla son visage, puis un cri d'enfant. La douleur ne vint pas. Yugo fit volte-face et trouva Chibi et Grougal, désarticulés au sol.

« Chibi ! Grougal ! Vous deviez rester cachés ! les gronda l'Eliatrope désemparé. »

Un regain d'adrénaline le ranima, il créa deux portails qu'il rejoint en un seul, le rayon de wakfu transperça le pandawa dans ses entrailles. Des crépitements osseux pétillèrent dans leurs oreilles, comme le boucan des grêlons d'été contre les vitres d'une lucarne. Yugo en profita pour rejoindre ses protégés, plaqua son front trempé de sueur contre les leurs, brûlants.

« Il te faisait du mal… se justifia le dragon.

- Je refuse d'en perdre un de plus… répondit l'aîné. »

Attendris, les jumeaux émirent un couinement et ravalèrent un sourire humide disproportionné.

Amalia enfonça ses mains dans la terre. Une fissure naquit en son centre, tambourina en profondeur jusqu'à se propager pour former un îlot qui isola suffisamment la bête.

« ça suffit. Tu as attaqué une famille, des enfants, … ! Si nous avions vraiment ce Dofus, comme tu le prétends, ne crois-tu pas qu'on aurait au moins hésité ? Ce que tu cherches n'est définitivement pas sur ces terres, alors déguerpi. »

L'Eliatrope s'était décollé de ses frères pour la regarder, l'admirer. Elle avait cette prestance qui surprend et nous prend de court, comme on se fige en voyant un renard ou une genette en bord de route.

« J'aimerais vous faire confiance, princesse Amalia, mais vous avez la réputation de ne jamais abandonner, surtout quand vous êtes convaincus que votre cause est juste, peu importe les dégâts…

- Mais qu'est-ce qu'il raconte ce gros tas ?! C'est toi qui nous a attaqués, tu penses que c'est JUSTE, peut-être ?

- Vous êtes accusateur, Sir Tristepin. Ce n'est pas parce que vous êtes perdants que je suis celui qui porte le rôle de méchant. Vous qui aimez tant les raisonnements, pourquoi seriez-vous tous réunis ici, si, comme vous le dîtes, le lieu est réellement démuni ?

- Nous ne sommes pas là pour protéger le Dofus, mais nos amis ! rouspéta Amalia, insultée.

- Et les attaquer remet en cause votre innocence, termina Yugo. Si vous voulez des renseignements, conduisez-moi à Ad. On en discutera. »

Poo prit une mine déconfite.

« Il m'a confié que votre dernière « discussion » à ce sujet s'était terminée par des poings, alors… »

Les yeux de Yugo tournèrent au bleu. Une épée de wakfu chercha à le décapiter, mais Poo se téléporta près de son tonneau. L'élan entrepris lui porta préjudice et sans un douillet nénuphar pour le recueillir, il aurait fini enterré vivant. Mais la magie avait ses limites et Amalia ne s'était pas encore tout à fait remise de son sort terrestre. Vulnérable et vacillante sous l'effet de la liqueur, le demi-dieu n'eut aucun mal à la flanquer contre le sol.

Le pandawa souleva son tonneau au-dessus de la forme inconsciente de la princesse et l'écrasa vers le bas. Vers du vide. Yugo venait de téléporter Amalia et les enfants. Le décompte avait commencé, ils n'étaient plus que deux.

Poo, jusque-là en osmose avec la paix intérieure, balaya son attitude nonchalante. La chasse au trésor s'alanguissait trop et il abhorrait les guerres d'usure.

« Yugo, j'ai une idée pour le vaincre, mais il faut vraiment pas que tu manques ton coup.

- Tu peux compter sur moi, sourit le plus jeune, arrogant. »

Le iop fit une brusque embardé pour éviter la jambe fléchie du colosse. Il reprit tant bien que mal son équilibre et frappa les cervicales en vue, de tout son poids. Poo se trouva assommé un court moment. Mais ce n'était que la première partie du plan. Le héro à cape enjamba plusieurs mètres pour atteindre le tonneau de la créature. Depuis le début, le géant ne cessait de se jouer d'eux, de les imbiber, de se téléporter, de les écraser avec. C'était son arme, sa force.

« Pinpin, je suis pas sûr que ce soit une bonne idée, tenta un Rubilax soupçonneux.

- Oui, je sais, je suis pas doué pour ça, mais c'est la seule que j'ai ! »

Alors il buva. Buva, buva, non pas jusqu'à ce que sa gorge s'assèche, non pas jusqu'à ce que son crâne explose, que son estomac brûle ou ses jambes cèdent, mais jusqu'à vider son contenant. A la dernière gorgée, toute sa force le quitta. Le tonneau semblait léger, l'alcool ou était-il bel et bien vide ? Pinpin sentait une ombre dans son angle mort. Il voulait se retourner, mais n'y arrivait pas. Soudainement engouffré sous les décombres, la vue brouillée, il ne distinguait pas Yugo crier son nom.

L'ennemi ne possédait plus son arme et il était de nouveau sobre. Il ne suffit que de deux coups à Yugo pour en arriver à bout : un qu'il destina à ses amis et un pour sa famille.

Le plus jeune de la confrérie traînait sa carcasse et celle de son ami. Au loin d'une bifurcation d'une trompe d'éléphant stalactite, il aperçut la petite maison où ils avaient fêté la première, deuxième, jusqu'à la huitième année d'Elely et Flopin. Cette maison aux entrailles découvertes. La charpente geignant soutenait des murs écaillés. Il y avait des draps couverts de débris étendus sur une corde à linge, un panier en osier renversé à ses pieds. Un potager amorcé fut piétiné, à peine entouré d'un haut enclos de chêne. Une girouette en étain surplombait un petit moulin qui grinçait au vent.

Evangelyne, trop ronde pour combattre, était agenouillée, encadrée d'une sram et une enutrof. Elle entourait les épaules de sa fille, protectrice.

Le ciel s'assombrit d'un coup et des flocons de neige tombèrent en rafale. La plus âgée enveloppa une couverture sur le dos glacé de la cra. Elle sembla refuser. Yugo l'entendit pleurer. Il voulait s'approcher, mais ça signifiait laisser Tristepin vulnérable, sur la route. Tant pis. Il laissa tomber son compagnon et couru jusqu'à la scène.

Le soleil, singe de Satan, n'éclairait que ses amies et l'ignoble sram. Elle le repéra. Un sourire triomphant déforma son masque fluorescent. Elely s'était retournée. Des flocons fondaient sur ses cils.

Je vais vous sauver, voulu-t-il crier.

Puis le décor retomba dans le réel, brutalement. Ses pieds se prirent dans quelque chose, un cordage lancinant enserra sa cheville et l'emporta au ciel. La tête retournée, il pesta contre ce piège moyen-âgeux.

L'enutrof le considéra, placide, s'adressa à son amie sram et ouvrit un portail via la magie de quatre sphères.

Evangelyne hurlait. Elely pleurait. La neige prenait une texture boueuse sous les piétinements et débattements des deux filles. La méchante bise emportait ses cris au loin, la boiserie glacée se contracta sous l'agitation. Yugo s'agrippa à la corde pour la fendre en deux, elle ne voulait pas lâcher. Il ne savait plus où regarder. Corde, nœud, Eva, corde, doigts, Elely, corde...

Puis plus de bruit. Plus personne. Plus rien.

Juste comme ça.

Oropo & co, il y a plusieurs centaines d'années.

Ce matin-là, Oropo avait aidé sa mère à préparer le petit-déjeuner, elle passa la serpillère lorsqu'il lava la vaisselle, elle monta faire les lits quand il habilla Figaro, elle décrassa la salle de bain alors qu'il éplucha les pommes de terre, découpa les oignons, assaisonna les carottes. Oropo adorait la cuisine. Il aimait sentir le jus de courgette lui coller aux mains, ajuster les épices après avoir goûté la sauce, passer un coup d'éponge après avoir jeté les épluchures… Il ne savait pas si cette passion lui venait de sa mère, ou au plus profond de lui-même, ou… de quelqu'un d'autre. A cette époque, Oropo se sentait lui-même.

Lorsqu'il était seul, il tentait des saveurs et des plats inédits. Il voulait devenir doué, rêvait d'agencer les odeurs de chaque aliment, construire un menu intelligent, acheter avec ses économies un four qui ne brûlait pas les bords de ses gâteaux pour que le centre soit cuit, remplir le ventre de ceux qui gravaient son cœur.

Derrière la vapeur qui se dégageait de ses casseroles, son esprit vaporeux y dessinait un visage rond aux grands yeux marron, un sourire gracieux embellit par une chevelure qui sentait la menthe. Au début, il avait peur de cette image, qui lui rappelait trop Ivoirre, mais cette femme était différente. C'était une bonne personne. Alors il se laissa séduire et décida de cuisiner pour elle. Un jour, il la rencontrerait et l'embrasserait. Le jour où il se fit cette promesse, il cuisina une julienne de légumes.

Quelques fois, comme aujourd'hui, il s'autorisait quelques coquetteries et allait acheter des champignons sucrés, dont le kilo valait un rôti. Au marché, les enfants jouaient avec la terre humide, construisaient des royaumes dont ils seraient les rois, siégeant dans leur château, grand et haut, entouré de douves et abrité par un toit d'ardoises. Des marchands venaient y vendre leurs légumes, certains fruits s'entassaient dans des paniers.

L'eliotrope s'enquit d'acheter son bien, puis se trouva attiré par un élan de foule quand il chercha à rebrousser chemin. Il piqua au sud pour contourner la grande place, embêté. Figaro n'aimait pas quand l'heure du déjeuner se décalait. C'était un enfant dur, agité, dont Arabiatta s'était accommodée avec le temps. Sa curiosité le poussa jusqu'à un stand entreposé non loin d'un parc pour enfants. Un attroupement de bambins s'émerveillait devant un étalage de bibelots sans fin. Des peintures à l'huile, des instruments de navigation, des figurines représentant des épéistes aux cheveux roux ou bien des fées guérisseuses, des vases d'une autre culture, quelques morceaux de journaux arrachés où il y avait la photo d'inconnu d'une autre race.

La mâchoire d'Oropo se décrocha en voyant les prix, puis fit l'union des deux bouts en identifiant celui qui tenait le stand. Meribald.

« Tiens ! déclama grandement le cousin d'Ivoirre. Notre Oropo effarouché, vierge de toutes âneries ! M'offres-tu l'honneur d'accompagner ta première fois ?

- Enfreindre les règles et mettre en péril notre village ne te suffit pas, il faut en plus que tu nous arnaques ?

- Arnaquer de quoi ? Ce sont des objets rares, tu ne les trouveras pas ici et personne ne peut se les procurer autrement que par achat !

- Ça ne vaut pas son prix ! trancha Oropo, les oreilles de son chapeau rabattues en arrière.

- Le prix est déterminé par l'offre et la demande, gamin.

- Comme je le pensais, vous, les rebelles, n'êtes qu'une bande d'escrocs. J'comprends même pas pourquoi on vous autorise à revenir…

- Blabla ! Que de grands mots ! J'en ai bavé et tout travail mérite effort, se vanta le vendeur, et comme tu es plein de gentillesse – n'est-ce pas ? - laisse-moi te présenter mon article-phare. »

Ainsi il étala une immense feuille où s'y dessinait en relief une configuration informe, quadrillée régulièrement par des repères incompréhensibles. Plusieurs éléments graphiques coloriaient les surfaces bleues, vertes et beiges, dont des symboles surmontés d'une note à l'écriture joliment calligraphiée, des flèches vectorielles précédant des chiffres. Oropo trouva la structure familière.

Les enfants sautillaient comme des biches en pointant du doigt le dessin, sans rien y comprendre.

« Mais qu'est-ce que c'est ?

- Il faut tout vous apprendre, hein ? ricana Meribald. C'est une carte !

- Une carte ? répéta Oropo, les oreilles bien dressées.

- Carte de l'île sur laquelle nous nous trouvons. Plus précisément, c'est une carte au trésor.

- Un trésor ?! s'ébahirent les petits, charmés.

- Comme dans les histoires que racontent papa ?!

Un trésor comme dans vos histoires, oui ! Avec des pierres si brillantes que vous pourrez voir votre reflet mille fois dedans ! De l'argent qui vous permettrait d'acheter tous les jouets que vous souhaitez, ou même acheter le temple si ça vous chante ! »

Stupéfaction générale de l'assemblée. Sauf…

« Mais bien sûr. Une telle richesse gracieusement offerte par un renard comme toi.

- Mon cher Oro, sois intelligent comme tu sais si bien le faire, ne reconnais-tu pas, de vue aérienne, la rive qui borde ta maison au nord ? N'est-ce pas une représentation exacte du village ? Ne vois-tu pas, le soleil se coucher entre les deux grandes montagnes que tu vois à l'est ? »

Il fallait admettre que la carte semblait effectivement fidèle à tout ce qu'il savait de l'île.

« Peut-être… C'est plus l'existence du trésor que je remets en cause.

- Sans te contredire, depuis qu'on se connaît, c'est toute ma vie que tu remets en cause, ria Meri soudainement affectueux, mais soit ! Je reçois tes doutes, mais il n'y a qu'un seul moyen de vérifier ma parole, mh ?

- Ne crois pas que je vais entrer dans ton jeu, Meribald. J'achèterai pas cette carte.

- Où est passé le gosse rempli d'aventure qui sommeille en chacun de nous, hein ?

- La ferme, je suis plus un gosse !

- On dirait pas. »

Les petits spectateurs commençaient à se sentir de trop. Les deux garçons se lancèrent des flèches empoisonnées télépathiques.

« Je te fais un prix d'ami, pour avoir pris soin de ma jeune cousine : 500 kamas !

- J'en ferai rien de ton torchon, j'ai pas encore l'âge pour sortir hors du village.

- Et alors ? T'sais, on a pas encore de cartographe au Vieux Pic… T'auras pas d'autres occas' comme ça.

- Moi je la veux bien, la carte ! déclara un petit qui comptait ses pièces.

- Non ! se fâcha Oropo. Ecoutez, vous ne comprenez pas ! Nous ne sommes pas inscrits dans ce monde ! Nous n'avons pas encore de dieu pour nous protéger, les gens extérieurs vont nous rejeter, et la moindre modification de notre part pourra perturber toute l'histoire ! Imaginez que l'on empêche la naissance de notre créateur ? Nous mettrons en danger toute notre espèce, nos amis, nos familles… ! »

Meribald se fendit de rire, à en taper la paume de sa main contre le bois instable. Les babioles et camelottes sautaient en rythme.

« Vous êtes les seuls, en ce foutu monde, à avoir la prétention de modifier toute l'Histoire ! Des gens donnent leur vie pour y entrer, mais nooon, les eliotropes ! haleta-t-il en prenant une pause triomphante, nous, eliotropes, avons le pouvoir, rien qu'en se montrant, de perturber une planète entière ! Bieeeen sûr.

- Parce que nous ne sommes pas-

- Ecoute Oropo, je vais t'apprendre un truc : les gens s'en fichent de toi et de ton gros chapeau. Tu as peur de te montrer ? Faut déjà qu'ils te regardent. Voilà une vérité. »

Agacé, Meri commençait à ranger son comptoir. Ses gestes étaient imprécis, saccadés, comme s'il retenait une colère sourde.

« T'rends juste pas compte de ce que tu loupes. Et j'te parle pas de la mer, les champs, les forêts, les gorges, nan, j'te parle de tout un monde. T'as jamais rêvé, toi, de tout ça ? Des villes grouiller de monde ? De la nourriture comme tu en as jamais goûté ? »

Meribald se suspend, les yeux clos, le pouce et l'index collés ensemble, comme un mélomane face à l'orchestre d'un compositeur extraordinaire. Il ravala sa langue, sourit, fit découvrir une incisive manquante, une cicatrice sur la gencive.

« Et t'as pas envie de la rencontrer, toi aussi, ce délice aux cheveux verts ? »

Yugo & co

La confrérie savait tout à présent. Evangelyne et Elely avaient été enlevées, par les amis d'Adamaï de surcroit. Pinpin se revoyait éclabousser les trottoirs en cherchant un préau pour abriter sa femme trempée jusqu'aux os, lorsqu'ils étaient allés acheter une écharpe en laine doublée aux motifs imprimés, la veille de l'anniversaire du dragon. Il repensait à leur rencontre sur l'île d'Oma, leur combat contre Nox, les parties de cartes qu'ils se faisaient tous les trois, quand les Percedal allèrent visiter Amakna. Adamaï leur préparait la blanquette. Il savait que Tristepin n'aimait pas les navets et les retirait. Ce même Adamaï qui a enlevé sa femme et sa fille.

Flopin était épris d'une grosse indigestion. Après avoir avalé sa faiblesse, la culpabilité dont était allergique son estomac le tiraillait. Il tenta de se consoler, si Yugo n'avait pas pu les sauver, personne n'aurait pu, après tout.

Ruel traçait cercles dans la neige avec son manche. Embêté, mais pas inquiet.

« Bon, vous me faites de la peine avec vos têtes d'enterrement, mais savoir qu'Adamaï est avec Eva et Elely, ça me rassure, expliqua-t-il, une grande ride creusée au-dessus de ses sourcils.

- Tu veux dire, le même qui a brûlé mon château ?

- Le même qui a partagé l'œuf de Yugo, oui, Amalia. Ça fait plusieurs mois qu'on le cherche, on se doutait bien qu'une mouche l'avait piquée, mais Ad reste Ad. Ce n'est pas notre ennemi, on va discuter avec lui, lui mettre une trempe et tout rentrera dans l'ordre. Les filles ne courent aucun danger. »

Yugo leva des yeux trop écarquillés vers l'enutrof, au même titre qu'un toxico sous l'emprise d'une drogue. Tristepin se détendit en l'écoutant.

« Il est peut-être sous une mauvaise influence, ça arrive quand on quitte le cocon familial. J'en ai déjà vu des bonnes de ce genre, croyez-moi.

- Il mérite une raclée, mais Ad a toujours été un ami, souffla le iop requinqué, il s'est juste fait des potes plus puissants que nous, haha !

- Ouais, appuya son fils en frappant son poing contre sa paume afin de reprendre de la contenance, allons récupérer maman et la casse-pied !

- Ça c'est ce que je veux entendre ! ria un Ruel fatigué de l'ambiance morose, bon, il ne reste plus qu'à récupérer les morveux, je crois qu'ils ont trop profité de Morphée cette nuit, hein Amalia ?

- Pardon ? s'effaroucha la concernée.

- Cette nuit… la maison… un voisin petit et confortable… tout ça… »

Amalia fit le lien, compris, puis regarda Ruel comme quelqu'un qui s'était pris un œuf sur la tête et qui n'aimait pas le sentir dégouliner.

« Les plus courtes sont les meilleures, Ruru.

- Oui, on sait que tu les aimes comme ça, petits.

- TU VAS TE LA AAAGRIKSOKD. »

Yugo ne savait pas de quoi ils parlaient. Et c'était tant mieux.

« Bon, je vais chercher les enfants, ronchonna une Amalia cramoisie. »

Les garçons la regardèrent piétiner, tel un poney vers la maison des Percedal, chercher ce qui était, il y a quelques minutes, son amant imaginaire.

Flopin brandissait ses poings d'enthousiasme. D'habitude, c'était toujours Elely qui pouvait s'entraîner avec papa…

« ça me rappelle quand on s'était rencontré, quelle aventure ! savoura naïvement Pinpin qui se retourna vers son fils, tu vas voir, mon grand, je vais t'apprendre à frapper les méchants comme un vrai Iop ! »

- Et par où on commence ?

- Euh… Bonne question… ! Yugo, par où on commence ? »

Yugo ne prêtait qu'une oreille peu attentive à la conversation, essayant de trouver la sortie de son monde, perdu. Ses iris se plantèrent au loin, où un ciel sans soleil se réfléchissait paresseusement sur le gel. On ne distinguait plus la cime des arbres, noyée dans les nuances grisâtres semblables aux tableaux à la gouache que réalisait Grougal. Il humecta ses lèvres gercées avant de parler.

« Chez Goultard, sans doute.

- Oui, on risque bien de croiser leur route, vu qu'ils cherchent les dofus… réfléchi Ruel. Il en a combien, celui-là ?

- Deux, comme Amalia. Celui de Mina, Phaeris et de Glip, Balthazar…

- Ces fichus demis-dieux avec leurs dofus, grogna Flopin, dire qu'on en a même pas, ils nous ont quand même attaqué… ! »

La tête baissé, il ne vit pas Yugo grincer des dents, ni son père mordre sa joue.

« Grand-frèèèère ! »

Amalia venait de les rejoindre, un Chibi avec de la morve au nez installé sur ses hanches. Grougal, sous sa forme de dragon, reposait sur le haut de son crâne.

« Alors, les garçons, prochaine étap… Chibi, ne tire pas sur mes cheveux…

- Goultard. Il traîne où dernièrement, celui-là ? A l'île Couronnée, non ?

- Ça fait une sacrée trotte… compta Pinpin en essayant de se repérer sur une carte imaginaire.

- Pas si on a des contacts, renchérit la princesse avec un clin d'œil, si on passe par Sufokia, on pourra prendre un bateau. J'ai des connaissances, ils ne me refuseront pas !

- Depuis quand tu connais des Sufokiens ? interrogea un Tristepin surpris.

- Depuis quand des gens acceptent de te rendre service ? poursuit un Ruel moqueur.

- Et depuis combien de temps tu t'es échappé de la maison de retraite, toi ?!

- Bon, on y va ? s'impatienta Flopin.

- Ouiiiii ! Allons trouver Elely ! s'écria gaiement Chibi. Le dernier arrivé est un Piou rôti ! »

Et le petit eliatrope zappa, direction plein sud, poursuivit par un Flopin à la traîne et un Grougal trop rapide. Des éclats de rire réchauffaient l'atmosphère. Des rayons lumineux obliquèrent vers l'horizon, le soleil se découvrait.

Un seul membre marcha à reculons, les articulations raides, les yeux secs. Yugo recueillit quelques flocons sur la paume de sa main tremblante. Il ne sentit pas le froid.

Encore et encore, il se répéta que rien ne se serait passé s'il n'avait pas confié le dofus ébène à Pinpin, et bien d'autres reproches.

Haaaan, trop d'amour dans les commentaires ! Merci de prendre le temps d'écrire de si jolis mots, ça me touche et m'encourage énormément à continuer ce looong projet. (ravie de te revoir LordBlackTiger666 ! Rassure-toi, Oropo va bientôt monopoliser l'écran, hihi !)

Eh oui, pas d'Adamaï pour ce chapitre. :ignore le public qui hue: La confrontation n'aurait pas été assez dramatique, faut faire monter la mayonnaise, OH ! D:

Pour Oropo, tout arrivera à point, y a tellement de choses à raconter, entre sa philosophie, le fonctionnement des Elio, la construction de la fratrie, puis Echo… ! D'ailleurs, qu'avez-vous pensé de l'OAV ? Je vous confie que ma version d'Oropo ne suivra pas cette voie…

Allez, joyeuses fêtes de fin d'année ! (en cadeau de Noël pour Yugo, je propose une thérapie de famille, oui, oui !)