Disclaimer : Les personnages ne m'appartiennent pas.

Note : Cet OS prend place après Un pont entre nos rêves, donc en post-Strange 2 sans le troisième oeil. Il se déroule également après la saison 2 de la série Loki.


Un pont entre nos coeurs


Kaecilius avait pris l'habitude de se cacher dans les rayons les moins consultés de la bibliothèque de Kamar-Taj afin d'éviter les regards trop curieux des autres maîtres des arts mystiques. Si sa présence était désormais tolérée, il préférait ne pas affronter les expressions de ses semblables, conscient que ses actes ombraient encore les couloirs de Kamar-Taj, comme autant de rappels de ses méfaits. Il n'avait esquissé aucun geste d'excuses envers tous ces gens, non seulement parce qu'il ne connaissait pas la plupart d'entre eux mais également parce qu'il considérait qu'il était désormais trop tard pour regretter le sang versé. Il en avait parlé avec Stephen et il avait compris que l'autre magicien ne lui serait d'aucun secours – Strange n'était pas le genre d'homme à distribuer des remords.

Perdu parmi les livres, il se sentait dans son élément. L'odeur du papier l'avait toujours rassuré, c'était ainsi qu'il avait épanché sa peine après la mort de sa femme et de son fils, c'était ainsi aussi qu'il avait tenté de reprendre goût à cette étrange vie quand son corps avait été retrouvé en-dehors de la dimension noire. Rien n'était plus précieux pour lui que le contact des feuilles, l'éclat de l'encre sur le papier, la beauté des lettres qui s'entrelaçaient en formant des mots qui emplissaient son esprit. Kaecilius aurait pu passer son existence enfermé entre les livres, sans communiquer avec les autres magiciens, mais d'après Stephen, ce n'était pas un comportement digne d'un maître des arts mystiques, ce que Wong avait confirmé non sans faire une remarque cinglante en direction de Strange.

Plongé dans la lecture d'un vieux traité de magie, il n'entendit pas tout de suite les pas qui se rapprochaient de lui. Il sursauta lorsqu'une silhouette se dressa devant ses yeux et ôta de ses mains l'ouvrage qu'il tenait depuis plus de trois heures. Kaecilius s'apprêtait à tancer vivement l'individu qui avait osé l'interrompre mais il s'apaisa face au regard plus que familier de Stephen. Ce dernier l'observait avec une mine courroucée, un sourcil haussé comme si une question lui brûlait les lèvres.

« J'avais du temps à perdre, se justifia Kaecilius avec un sourire ironique.

— Et tu vas me dire que ce livre est si intéressant que tu n'as pas vu l'heure, répliqua Stephen qui savait très bien que son compagnon essayait de se dérober dès qu'il le pouvait.

— Exactement. »

Vaincu par les émotions qu'il lisait dans les yeux de Stephen, Kaecilius rendit les armes et quitta sa cachette, se relevant d'un mouvement. Ses doigts trouvèrent la main libre de l'homme qu'il aimait et lui adressa un sourire bien réel. Après avoir déposé le livre à sa place, ils traversèrent les différents rayons de la bibliothèque, commentant l'un et l'autre les titres qui s'offraient à leur vue. Une apprentie aux bras chargés de bouquins croisa leur route, les salua avec enthousiasme mais manqua une marche, déversant livres, papiers et plumes. Les deux hommes s'empressèrent de l'aider, plaisantant avec elle pour détendre l'atmosphère alors que, les joues rougies par la honte, elle tentait de voir si un objet lui avait échappé. Concentrée dans sa tâche, l'apprentie effleura par mégarde la main de Kaecilius. Dès l'instant où leurs peaux entrèrent en contact, la jeune femme fut prise de soubresauts et la vision du maître des arts mystiques bascula dans un autre monde.

Debout sur une étrange plateforme, Kaecilius vit des entrelacements violets et verts veinés de bleu, partant de l'endroit où il se trouvait et s'étirant vraisemblablement à l'infini. Il se retourna et tomba nez à nez avec Stephen dont le regard, vieilli et triste, ne semblait pas le voir. Plusieurs versions de son compagnon s'occupaient des entrelacements, chacun bien trop translucide pour être des variants, mais plutôt un effet du sortilège qui permettait à Stephen de multiplier sa silhouette. Kaecilius s'approcha et tendit la main vers lui en murmurant son nom, cherchant à l'atteindre d'une manière ou d'une autre. Mais ses doigts ne rencontrèrent que du vide et son cœur se serra, mû par un mauvais pressentiment.

Intrigué et inquiet, Kaecilius se pencha vers l'un des entrelacements et aperçut, petits et insouciants, des individus qui vivaient dans une autre dimension. Une soudaine compréhension se fit dans son esprit, il avait sous les yeux la trame du multivers avec chaque version du monde, chaque possibilité. Il ignorait qu'un tel endroit existât, il pensait que les univers coexistaient sans avoir de point d'attache mais il était forcé de redéfinir sa vision des choses. Son regard fut attiré par l'une des possibilités, sa propre Terre, celle où il était désormais bien en vie et amoureux de Stephen ; il ne trouva là qu'un reflet de lui-même errant dans un endroit inconnu, une nouvelle fois brisé et seul, loin de l'homme qu'il aimait.

Une sensation de brûlure l'étreignit et il fut arraché à ce paysage. Il n'était plus en contact avec l'apprentie, enfin. Une fois la connexion entre eux effacée, la jeune femme s'écroula au pied des marches. Stephen, poussé par ses réflexes de médecin, se précipita auprès d'elle et sécurisa les alentours tandis que Kaecilius, hébété, ne parvenait pas à savoir ce qu'il pouvait faire ou non pour lui venir en aide, encore moins après ce qu'il avait vu. Son compagnon releva la tête vers lui et lui demanda, sur un ton ferme et sans appel, d'aller chercher Wong. Cela, au moins, était dans ses cordes et Kaecilius n'attendit pas avant de se précipiter dans les couloirs de Kamar-Taj en espérant trouver le Sorcier Suprême au plus vite. Son empressement surprit plus d'un disciple mais il n'avait pas le temps de s'excuser alors qu'une jeune femme convulsait à quelques pas de là.

Par chance, Wong n'avait pas quitté Kamar-Tak pour se rendre dans les Sancta Sanctorum et ce fut avec un certain soulagement que Kaecilius l'interpella. Il ne respectait ni les coutumes ni la bienséance mais cela faisait bien longtemps qu'il avait abandonné tout cela derrière lui et il estimait que la survie de l'apprentie valait bien quelques entorses au règlement. Wong créa un rapide passage entre ses appartements et l'escalier, rappelant ironiquement à Kaecilius que la magie lui aurait permis de gagner de précieuses secondes. L'ancien zélote se sentait idiot de ne pas y avoir songé mais il supposa que l'urgence de la situation avait certainement joué dans son manque de discernement. Ils retrouvèrent tous les deux Stephen auprès de la jeune femme qui, si elle n'était désormais plus secouée de tremblements incontrôlables, dardait un regard aveugle vers le plafond.

Jamais encore Kaecilius n'avait vu de tels yeux. Pupilles et iris avaient viré au blanc, ne laissant rien de visible sur les globes oculaires. Un flot de paroles s'échappait des lèvres entrouvertes de l'apprentie, en une langue que Kaecilius ne maîtrisait pas mais qui semblait familière à Wong. L'expression du Sorcier Suprême s'assombrissait de plus en plus en un mauvais présage qui déplaisait fortement à l'ancien zélote. Tout avait été étonnement serein depuis que Stephen et lui avaient débuté leur relation romantique, et il commençait à craindre que ce ne fût que le calme avant la tempête. Son compagnon devait avoir suivi le même raisonnement car il lui jeta un coup d'œil rempli de doutes – et si Stephen se mettait à douter, lui qui était sûr de tout, alors il fallait vraiment s'inquiéter.

« Il faut l'emmener à l'infirmerie, décréta Wong. Il sera plus simple d'utiliser la magie sur elle une fois qu'il y aura moins de monde et moins d'interférences. »

Kaecilius s'avança d'un pas pour les aider, se proposant de porter la jeune femme mais Stephen s'interposa rapidement entre eux et saisit son poignet.

« Elle a eu ses visions en te touchant, ne prenons pas de risques.

— Vous devez vous isoler, lança le Sorcier Suprême dans sa direction. Tant que nous ne saurons pas d'où provient le problème, vous ne pouvez pas vous promener dans Kamar-Taj. »

Sans avoir le temps de protester contre un traitement qui lui paraissait injuste, Kaecilius fut conduit à l'écart de la foule par son compagnon. Stephen avait lâché son poignet pour prendre sa main, refusant tout acte de prudence malgré les grognements de Wong. Les deux amants rejoignirent ainsi une salle vide où Stephen ouvrit la dimension miroir afin d'y être en paix. Courroucé d'être ainsi mis en isolement comme s'il était redevenu une menace, Kaecilius fit les cent pas, à la fois anxieux et contrarié. Il n'était en rien responsable des visions de la jeune femme, sans doute possédait-elle cet étrange pouvoir depuis longtemps – le monde était peuplé d'êtres avec des capacités surnaturelles, l'apprentie n'en serait qu'une de plus.

Ses allers et venues furent interrompues par Stephen qui l'attrapa par les épaules et le força à le regarder. Il n'y avait aucune émotion négative dans ses yeux, seulement de la douceur à laquelle Kaecilius s'était habitué. L'ancien zélote aurait voulu parler à son compagnon de ce qu'il avait aperçu dans les visions de la jeune femme mais les images étaient si brutales qu'il les garda pour lui.

« Tout va bien, déclara Stephen. J'ai touché bien plus que ta main et je n'ai jamais eu d'ennui, ce n'est qu'un hasard.

— Wong pense le contraire, maugréa Kaecilius. Il … »

Ses plaintes se perdirent contre les lèvres de Stephen. Ce baiser fut le bienvenu, il effaça les craintes et les braises de colère de Kaecilius. Il laissa ses sentiments les plus tendres prendre le dessus, glissant ses mains sur les hanches de son compagnon. Il mit fin au baiser pour poser son front contre celui de Stephen, savourant sa proximité et son soutien. Kaecilius avait cru qu'il n'éprouverait plus que du chagrin et de la haine après la mort de sa femme et de son fils, comme si le monde n'avait rien à lui apporter puisqu'il lui avait tout pris, mais cette seconde chance auprès de Stephen le rendait heureux. Il avait retrouvé une raison de vivre qui lui faisait oublier les ombres de la dimension noire.

Longtemps, ils restèrent là, les yeux dans les yeux. Cette bulle hors du temps était agréable, elle leur permettait de croire que tout irait mieux, que l'incident survenu auprès de l'apprentie n'était rien de plus que la manifestation involontaire de son pouvoir. Kaecilius était prêt à admettre qu'ils allaient reprendre leur vie comme si de rien n'était mais ce moment fut brisé par l'arrivée de Wong et de son double anneau. Sur le visage du Sorcier Suprême, une tristesse infinie creusait ses traits, lui donnant un air plus vieux. Il les invita à quitter la dimension miroir puis s'assura qu'ils fussent bien seuls dans la pièce.

« Delphine a entrevu l'avenir.

— Une possibilité d'avenir, corrigea Stephen. Tu connais aussi bien que moi comment se construit le futur. Quand j'ai manipulé la pierre du temps lors de l'attaque de Thanos, j'ai eu accès à des dizaines de millions d'avenirs.

— Et c'est justement la différence avec elle. Je ne sais pas de quelle façon son pouvoir fonctionne mais elle ne voit qu'une seule possibilité, celle qui se produira à coup sûr. »

Kaecilius n'était pas certain de comprendre les tenants et les aboutissants de la discussion qui opposait Stephen et Wong. Il s'était déjà intéressé au destin et au libre arbitre, il avait plusieurs fois parlé du multivers avec son compagnon depuis qu'ils étaient ensemble mais il ne parvenait pas à imaginer les capacités de l'apprentie.

« Tu es en train de nous dire que cette jeune femme a toutes les clefs en main pour savoir exactement quel choix chacun de nous va faire ? s'enquit Stephen avec un scepticisme évident.

— J'étais aussi dubitatif que toi mais j'ai l'impression que nous devrions la croire.

— Qu'a-t-elle vu ? demanda Kaecilius en s'immisçant dans leur conversation.

— D'après elle, un homme est … »

Un son étrange vint interrompre la réponse de Wong tandis qu'une porte orangée apparaissait à quelques pas d'eux. Franchissant ce portail sans sembler se soucier d'entrer dans le territoire des maîtres des arts mystiques, un inconnu surgit, vêtu d'un costume marron et blanc, tenant dans ses mains un appareil rectangulaire. Wong se mit en position de défense, des boucliers d'énergie au bout de ses doigts tandis que Stephen, dans un geste de protection insensé et touchant, se plaça entre Kaecilius et l'importun. Ce dernier les dévisagea un par un et esquissa un sourire d'excuses.

« Pardonnez mon interruption. Je m'appelle Mobius et j'ai besoin de votre aide.

— C'est lui que Delphine a vu venir. »

Les mots de Wong parurent sonner le glas, déclenchant une tornade d'incertitudes dans le cœur de Kaecilius.

*.*

Entouré par les bruits de la ville, Kaecilius se perdit dans la foule, incapable de réfléchir correctement. Il avait utilisé un portail pour quitter Kamar-Taj dès l'instant où le dénommé Mobius avait terminé d'expliquer la raison de sa présence. Cet homme prétendait venir d'un endroit appelé le Tribunal des Variations Anachroniques, il avait évoqué une surcharge dans la trame des univers ainsi que le sacrifice de Loki pour contenir tous les embranchements, sauvant ainsi le multivers. Sous leurs airs suspicieux, Mobius avait insisté en affirmant que le dieu du chaos n'était plus le même et qu'il était injuste pour lui de passer l'éternité seul au cœur des possibilités.

Cela avait suffi à réanimer la peur de Kaecilius. La vision de Delphine tournait en boucle dans son esprit, il revoyait Stephen, solitaire sur ce trône étrange, et refusait ce que cela annonçait pour leur avenir. Quel mauvais esprit s'amusait d'eux en brisant tout ce qu'ils essayaient de construire ? Et pourquoi Loki avait-il le droit d'être sauvé de cet endroit en confiant sa place à quelqu'un d'autre ?

« Kaecilius ! le héla Stephen en surgissant à son tour d'un portail étincelant. »

Ils ne prêtaient aucune attention aux regards et aux murmures des plus curieux. Des rumeurs circulaient déjà sur le Dr Strange et son compagnon, ils ne dissimulaient pas leur relation et il s'agissait du cadet de leurs soucis en cet instant précis. La pluie avait commencé à se déverser dès l'arrivée de Stephen mais aucun des deux n'esquissa de geste pour se mettre à l'abri. Kaecilius sentait les gouttes d'eau couler sur sa peau à travers ses vêtements, le long de sa nuque, mais seul lui importait son amant, à quelques pas de lui.

« Dis-moi que cet homme est parti de Kamar-Taj, lâcha Kaecilius avec hargne.

— Wong s'occupe de lui. Tu devrais rentrer, c'est important. Le multivers est en jeu.

— Je le sais, Stephen. Bien plus que toi ou Wong. Ce type veut que Loki vive une existence tranquille mais il a oublié un détail : ce nouveau trône aura besoin d'un souverain. »

Il s'était avancé à chaque mot, sans s'en rendre compte. Ses paroles prirent fin alors que son souffle effleurait celui de son compagnon. Un pas les séparait d'un baiser, d'une étreinte, d'un corps à corps. Kaecilius aurait aimé oublier l'individu du TVA, entraîner Stephen dans un recoin et se perdre entre ses bras pour l'éternité. Peut-être auraient-ils dû quitter Kamar-Taj pour un lieu plus serein, éloignés des conflits et de la magie. Mais Kaecilius avait vu à quel point le rang de maître des arts mystiques était important pour Stephen car il lui donnait le sentiment d'agir pour le bien de tous.

Une porte orangée se matérialisa à trois mètres des deux hommes, ouvrant un passage à Mobius et à Wong, accompagnés d'America. La présence de l'adolescente étonna Kaecilius, elle était auprès de ses mères depuis quelques jours. Il comprit rapidement que le Sorcier Suprême avait sans doute décidé de la rappeler à Kamar-Taj pour appuyer les propos de l'individu du TVA.

« Messieurs, nous devons rentrer, annonça Wong. Immédiatement. »

Un ordre du Sorcier Suprême n'était pas contestable, Kaecilius le savait. Il contint sa colère et se dirigea vers l'étrange porte, suivi par Stephen qui s'autorisa un geste tendre en effleurant sa main de la sienne. Revenus à Kamar-Taj, ils prirent place dans l'un des salons d'études de la bibliothèque. Stephen et Kaecilius étaient assis l'un à côté de l'autre, rapprochés, tandis que Wong et America leur faisaient face. Mobius était le seul encore debout, il triturait nerveusement l'appareil qui lui permettait d'ouvrir les portes orangées.

« Je sais que je bouscule un peu vos plans mais …

— Vous débarquez de nulle part pour nous obliger à aider un dieu criminel, rétorqua Kaecilius. »

Un coup d'œil entendu de Mobius lui apprit que cet individu semblait en savoir beaucoup à son sujet. L'ancien zélote se renfrogna, il n'était pas non plus un enfant de cœur, loin de là, mais il n'avait pas demandé aux maîtres des arts mystiques de le sauver, ils l'avaient fait d'eux-mêmes. Il ne le leur reprocherait jamais, il était enfin heureux, avec Stephen, et il s'imaginait désormais sans mal se tracer un avenir. Mais personne n'avait décidé de traverser la dimension obscure pour le ramener, cela s'était produit spontanément, sous l'effet d'un sortilège venu d'ailleurs.

« Loki est piégé sur un trône pour l'éternité, reprit Mobius. Et quand je dis éternité, je suis encore assez loin de la réalité. Il a sacrifié tout ce qu'il avait pour que le multivers puisse demeurer, pour que vous tous puissiez vivre. Nous voulons lui offrir une chance.

— En le remplaçant par quelqu'un d'autre, rappela Stephen. Ce n'est pas plus juste pour la personne qui devrait prendre sa place.

— C'est le temps de trouver une solution alternative. Nous avons parcouru le multivers dans le seul but d'éliminer les variants de Celui-qui-demeure et désormais, il n'y a plus besoin d'une surveillance aussi pointue. Nos bureaux travaillent sur une machine qui permettrait de gérer le flux des lignes temporelles sans obliger une personne, qui qu'elle soit, à rester là dans la solitude. »

Une fois encore, la vision de Delphine vint obscurcir le jugement de Kaecilius. Combien de temps, au juste, faudrait-il au Tribunal des Variations Anachroniques pour construire cette machine dont il parlait ? Combien de décennies, de siècles, de millénaires avant de pouvoir remplacer un humain par un engin ? Combien de nuits allait-il pleurer sur un bonheur brisé parce qu'il serait seul à attendre le retour de l'homme qu'il aimait ? Kaecilius se moquait bien de Loki, de son changement de personnalité, de son sacrifice, il refusait d'éprouver la moindre empathie pour le dieu des mensonges ou pour ses amis. Si ce que Wong avait assuré était vrai alors la prédiction de Delphine était réelle, elle finirait par se produire, il n'y aurait rien à faire pour l'éviter ; alors non, Kaecilius ne comptait pas se laisser amadouer.

Il sentit les doigts de Stephen enserrer les siens, comme s'il lisait dans ses pensées, et il se força à lui accorder un sourire. Son compagnon n'était pas responsable de toute cette situation, il la subissait autant que lui – sans même savoir qu'il deviendrait une marionnette pour leur futur. America fronça les sourcils, posa ses pieds sur la table avant de reprendre une position plus correcte en avisant le regard de Wong. L'adolescente paraissait chercher ses mots, comme si une question la démangeait et secouait ses pensées.

« Vous dites que votre dieu là, Loki, serait remplacé par quelqu'un le temps de trouver une machine qui ferait le boulot, c'est ça ?

— Oui, confirma Mobius sur un ton calme.

— Alors pourquoi ne pas simplement laisser Loki sur son trône pendant que vous travaillez sur cet engin ? C'est ridicule de faire vivre ce cauchemar à quelqu'un d'autre alors que vous cherchez une solution. »

Un sourire vint flatter les lèvres de Kaecilius tandis que l'expression de l'agent du TVA se décomposait sous leurs yeux. L'ancien zélote aimait bien America et il n'en était que plus attaché face à la logique de son raisonnement. Une nouvelle pression des doigts de Stephen contre les siens le rappela à l'ordre et l'obligea à reprendre son sérieux malgré la fierté qu'il ressentait. Peut-être cette gamine allait-elle avoir les bons propos pour forcer Mobius à changer d'avis. Mais ce dernier ne semblait pas décidé à remettre ses plans en question, il argua que Loki venait de passer l'équivalent de plusieurs siècles à parcourir le temps pour sauver des vies et qu'il avait besoin de repos.

« Vous ne savez pas combien de temps ça va prendre pour votre machin, riposta America qui ne semblait pas déterminée à lâcher l'affaire. Donc en gros, vous voulez que votre dieu se repose tout en condamnant une autre personne à subir les mêmes dégâts. Ça m'étonnerait que vous ayez un autre dieu sous la main.

— Une divinité n'est pas nécessaire pour accomplir tout ça, répliqua Mobius. Il y a des gens avec des capacités suffisantes dans tout le multivers, et ici même. »

Cette réunion n'était qu'une parodie pour Kaecilius, pour leur donner l'impression qu'ils pouvaient tous prendre une décision ou émettre un avis mais les dés étaient déjà jetés. Aucune plainte ne serait admise, aucune protestation, aucune supplication. Ce Mobius avait acquis la certitude que Loki sortirait de cet endroit où il régnait et qu'une personne viendrait à sa place, sans se soucier de l'identité du concerné. Kaecilius avait aussi été égoïste à une autre époque, quand il s'était laissé séduire par la magie de la dimension obscure, quand il avait choisi d'enfreindre toutes les règles des maîtres des arts mystiques. Désormais, il n'éprouvait plus que mépris et dégoût face à un tel comportement – peut-être en aurait-il été autrement si Stephen n'avait pas été impliqué dans cet avenir mais il ne le saurait jamais.

En constatant que parler ne servirait qu'à renforcer sa colère, Kaecilius se leva et quitta la pièce d'un pas rageur. Derrière lui, Stephen l'appela pour le retenir, soutenu par America, mais il se fit sourd à leurs demandes et traversa la bibliothèque avant de rejoindre l'infirmerie. Il avait besoin de réponses que seule l'apprentie était en mesure de lui offrir et il ne comptait pas la questionner en présence de son compagnon tant qu'il pouvait encore lui dissimuler cette vision cauchemardesque. Kaecilius avait appris à se protéger mais il souhaitait aussi défendre l'homme qui lui avait redonné goût à la vie, peu importait qu'il dût s'élever contre l'ensemble de Kamar-Taj ou contre le monde tout entier. Il avait survécu aux tortures de Dormammu, il ne craignait plus les autres magiciens.

Delphine ne dormait pas quand il entra dans la salle de repos de l'infirmerie. Tous les autres lits étaient vides, ce qui arrangeait Kaecilius, et il s'assit sur le rebord de l'un d'eux, celui qui jouxtait le matelas de l'apprentie, avant de planter son regard dans le sien.

« Vous êtes venu à cause de la vision, comprit-elle.

— Wong prétend que tu n'aperçois que les événements exacts, sans t'encombrer des possibilités dues à nos choix.

— Et il dit vrai. J'ignore comment mon pouvoir fonctionne mais il anticipe toutes les décisions. Je … ce n'était pas ma première vision, j'ai déjà assisté à ce phénomène. »

Une vague de désespoir et de colère s'abattit sur Kaecilius, lui faisant prendre conscience non seulement de son impuissance mais aussi de l'inéluctabilité des événements. Qu'avait-il cru, au juste ? Que son retour dans une vie paisible se ferait sans heurt ? Que cette seconde chance inattendue aurait une fin bien plus heureuse que la première fois ? Qu'il vivrait auprès de quelqu'un sans risquer de perdre ce nouvel amour ? Il avait trahi ses principes en utilisant des sortilèges interdits, il avait déséquilibré l'univers et ses lois ; il en payait le prix d'une manière bien plus vicieuse que toutes les tortures infligées par Dormammu et sa magie noire.

Incapable de se contrôler, Kaecilius vint saisir l'apprentie par les épaules et la secoua sans ménagement, en espérant faire surgir chez elle une nouvelle vision. Il avait besoin d'entrevoir un avenir où il n'aurait pas à souffrir, il avait besoin d'être rassuré sur la place que Stephen devait occuper dans sa vie, il avait besoin d'imaginer, pendant quelques instants déraisonnés, que tout finirait par s'arranger.

« Lâchez-moi, lui intima Delphine avec une lueur craintive dans les yeux. »

Ses doigts se serrèrent plus fortement sur ses articulations, des mots interdits envahirent son esprit, échos de cette période pendant laquelle il servait Dormammu. Kaecilius était capable d'arracher des cris à ses victimes, il l'avait déjà fait et serait prêt à recommencer, pour Stephen, pour lui-même, pour eux.

« Laisse-là. »

Des bras l'agrippèrent, une voix familière s'engouffra dans sa colère et perça le voile de ses illusions. Kaecilius relâcha enfin Delphine et recula de quelques pas, désarçonné par son propre comportement. Il sentit à peine les mains de Stephen venir chercher les siennes pour l'apaiser, il ne vit que le regard effrayé de l'apprentie et celui, fortement désapprobateur, de Wong.

« Qu'est-ce qui vous prend ? lui lança le Sorcier Suprême sur un ton dur.

— C'est à cause de mes visions, répondit Delphine à sa place. Il a vu … »

Elle hésita quelques secondes puis se tourna vers Stephen.

« Il vous a vu sur le trône de la fin des temps, vous remplaciez Loki. »

La surprise qui se peignit sur les traits de son compagnon aurait fait rire Kaecilius dans un autre contexte. Ce n'était pas de cette manière qu'il aurait voulu annoncer cette information à Stephen, il aurait aimé prendre le temps de se poser, rien que tous les deux, pour oublier les autres maîtres des arts mystiques, pour oublier qu'un dieu assassin allait être sauvé, pour oublier qu'ils n'avaient jamais eu les rênes de leur avenir.

« Alors c'est moi. Je comprends mieux ta réaction, Kaecilius.

— J'ignorais comment t'en parler, avoua l'ancien zélote à contrecoeur. Quand Mobius a débarqué, j'ai … paniqué.

— Je suppose que c'est une punition adéquate après ce qui s'est passé avec le multivers. J'ai enfreint de nombreuses règles.

— Mais tu n'es pas le seul dans ce cas ! Je … j'ai tué des gens, Stephen. Nous avons tous … »

Ses mots se perdirent dans le silence, la frayeur l'étreignait bien trop fortement pour donner corps à ses idées, coupant court à ses supplications. Si cela n'avait tenu qu'à lui, il aurait invoqué un cercle d'étincelles sur le champ, aurait saisi Stephen par sa cape et l'aurait entraîné dans une grotte pour le protéger de l'avenir. Peu enclin à apparaître aussi déboussolé aux autres, il s'excusa à mi-voix en direction de Delphine et quitta l'infirmerie. Il entendit derrière lui le pas de son compagnon mais ils n'échangèrent aucune parole jusqu'à leur arrivée dans leur chambre.

Stephen prit soin de refermer derrière eux tandis que Kaecilius arpentait la pièce, sans parvenir à soutenir le regard de l'homme qu'il aimait. Sa colère avait disparu, remplacée par un profond sentiment de tristesse et la conviction qu'il était sur le point de retomber dans les abysses.

« Kaecilius …

— J'ai déjà perdu ma femme et mon fils, je refuse de souffrir encore une fois. »

La détresse dans sa voix exprimait celle qui enserrait son cœur. Stephen et lui avaient enfin commencé à se construire un bonheur fragile, tout ne pouvait pas être détruit en un instant à cause de cet homme qui avait surgi dans leur vie. Son compagnon saisit ses mains dans les siennes puis lui assura que rien n'allait changer pour eux, soufflant ensuite qu'il ne laisserait pas l'univers s'interposer dans leur vie. Il y avait tant d'assurance dans les paroles de Stephen que Kaecilius faillit le croire mais la vision de Delphine se rappela à lui. Leur avenir était voué à disparaître, il n'y aurait plus jamais de place pour leur amour, plus de place pour eux deux, plus de place sur cette Terre pour Stephen.

Ce furent des sanglots qui franchirent les lèvres de Kaecilius. Il n'avait plus pleuré depuis qu'il avait entrepris de faire son deuil, reléguant les larmes à son passé en dessinant un futur plus fort. Mais les digues qu'il avait érigées dans son esprit ne suffisaient plus à contenir le flot de son chagrin. Quand les bras de Stephen se refermèrent autour de lui, Kaecilius pleura contre son torse. Les doigts affaiblis de son compagnon tracèrent des cercles sur son dos, l'étreinte se raffermit, les larmes redoublèrent leur ardeur. Peu à peu, Stephen l'attira vers leur lit où ils s'allongèrent sous les couvertures, au chaud et serrés l'un contre l'autre.

Kaecilius pleura longtemps et fut vaincu par la fatigue. Il s'éveilla toutefois en sursauts en percevant les premiers rayons de lumière de l'aube. Stephen ne dormait plus, leurs regards se croisèrent dans le silence en exprimant tout ce qu'ils ressentaient l'un envers l'autre. Au-dehors, la pluie tombait encore, noyant Kamar-Taj sous un déluge que l'endroit n'avait pas connu depuis bien longtemps, comme si les nuages se liaient à leur peine pour déverser sur eux des sanglots venus des cieux.

« Pourquoi vois-tu cet avenir comme une punition ? s'enquit enfin Kaecilius en songeant aux propos que Stephen avait eus à l'infirmerie.

— J'ai utilisé les pouvoirs du Darkhold pour posséder un corps mort. Les lois de la magie sont strictes à ce sujet, et j'étais assez étonné de ne pas avoir eu de retour de flamme.

— Tous ceux qui commettent des crimes ne le paient pas de cette façon. Il suffit de voir les Avengers. »

Kaecilius n'avait jamais rencontré les autres super-héros mais il avait suivi leur évolution, de loin, jusqu'à se rendre compte qu'ils n'étaient pas des modèles de vertu. Stark avait autrefois vendu des armes pour des organisations terroristes – sans le savoir mais c'était une autre histoire. Romanoff avait assassiné des gens pour le compte de la Chambre Rouge, Barton avait aussi tué sur les ordres de personnes peu recommandables. Maximoff avait causé des ravages avec ses pouvoirs de Sorcière Rouge, brisant elle-aussi des vies, piégeant des innocents sous un dôme d'illusions. Combien d'autres encore avaient des actes à se reprocher ?

« Tu as entendu Mobius, non ? Ils travaillent sur une machine.

— Pendant combien de temps ? Peut-être que toi, tu auras l'éternité devant toi là-bas mais moi … Je ne suis pas immortel, Stephen, et je ne serai pas protégé par la fin des temps. Tout ce que tu pourras faire, c'est me regarder mourir. »

Stephen se redressa dans leur lit et quitta précipitamment les draps avant de se prendre les pieds dans le tapis. Kaecilius le vit s'enfermer dans la salle de bain, il entendit distinctement la porte claquer et se reprocha ses mots trop vifs. Il se leva à son tour et rejoignit son compagnon qu'il découvrit penché sur l'évier, les mains serrées sur le lavabo et le visage noyé de larmes.

« Je suis désolé Stephen, souffla l'ancien zélote.

— Je refuse cet avenir, autant que toi, mais nous … nous n'avons pas le choix. »

D'un geste délicat, Kaecilius attira son compagnon contre lui, le serrant dans ses bras en maudissant tous les dieux du multivers. Ses lèvres vinrent trouver celles de Stephen, pour un baiser désespéré, pour un contact qui lui prouverait que ce cauchemar n'avait pas encore eu lieu. Il entraîna l'autre homme dans leur lit, l'embrassa encore et encore, se perdit dans les brumes d'un rêve éveillé avec lui, en espérant qu'ils s'éveilleraient dans un monde où leur bonheur serait intact, où aucun dieu n'aurait besoin d'être remplacé par un homme des plus mortels, où aucun agent du Tribunal des Variations Anachroniques ne les attendrait, où il leur suffirait de passer leurs jours l'un avec l'autre, jusqu'au bout. Mais ils n'étaient que des pantins dans un grand théâtre de marionnette et personne ne leur écrirait de fin heureuse.

*.*

Ils retrouvèrent Mobius, America et Wong dans le bureau de ce dernier. Une porte orangée s'ouvrit dès qu'ils furent au complet, leur livrant un passage vers le TVA. Kaecilius et Stephen la franchirent main dans la main, sans un mot, sans se préoccuper de ces nouveaux locaux qui n'étaient en rien comparables à Kamar-Taj. Une femme les accueillit avec un regard curieux mais elle ne s'attarda pas et rejoignit Mobius.

« O.B a pris contact avec Loki, il va bientôt pouvoir relâcher les branches du multivers. Il y a une période de latence de quelques minutes mais il ne faut pas traîner.

— Non, murmura Kaecilius en retenant son compagnon. Non, non, non, c'est beaucoup trop dangereux. Tu dois … tu dois laisser quelqu'un d'autre s'en charger.

— Je reviendrai, lui promit Stephen. »

Mobius les conduisit dans les couloirs jusqu'à une porte derrière laquelle les attendait une silhouette dont la tête ornée d'un casque à cornes ne trompait personne. Le dieu de la malice tendit une main vers la porte, l'ouvrit et s'avança vers eux, fatigué mais vraisemblablement heureux. En quelques pas, Loki vint enlacer Mobius, avec tant de force et de tendresse qu'ils n'eurent pas besoin de parler pour expliquer quelle était leur relation. Cela ne fit qu'attiser les braises de colère de Kaecilius, il les voyait se retrouver alors même qu'il allait perdre son compagnon.

Après cette étreinte, le dieu salua les sorciers ainsi qu'America puis les remercia, s'attardant sur Stephen dont le teint, pâle, reflétait une peur que Kaecilius aurait aimé balayer d'un revers de la main. Après Dormammu, après Thanos, après la folie de Wanda, son compagnon était terrifié par ce qui se trouvait là-bas dans l'inconnu.

« En haut de l'escalier, il y a un trône en or, indiqua Loki d'une voix rendue rauque par le manque de parole. »

Le dieu remua ses doigts pour faire étinceler ledit escalier, révélant une pente qui s'étendait à perte de vue. Stephen acquiesça, comme s'il avait perdu la parole, puis serra une dernière fois les doigts de Kaecilius entre les siens avant de poser un baiser sur ses lèvres. Il franchit à son tour la porte qui menait à la passerelle en bas de l'escalier, secoué par une énergie qui sembla le tester, passant et repassant sur son corps avant de l'entourer en une fine protection où le vert se mêlait à l'or.

Au pied des marches presque invisibles, Stephen se retourna une dernière fois vers eux, son regard chargé d'excuses. Kaecilius sentit son cœur se briser en mille éclats de douleur, heurté par la vision de l'homme qu'il aimait en train de s'éloigner de lui, montant l'escalier qui allait le conduire à la fin des temps, là où l'attendaient les branches du multivers. À mi-chemin, Stephen s'arrêta, tourna légèrement la tête et adressa ses derniers mots à son compagnon, du bout des lèvres, en un adieu silencieux.

« Je t'aime. »

Puis une intense lueur verte l'entoura et Stephen disparut à leur vue, happé par une magie plus forte qu'eux. Mobius posa une main sur l'épaule de Kaecilius, en un signe de soutien, mais l'ancien zélote se dégagea d'un geste brusque, dardant sur lui une expression féroce.

« Tout est votre faute, persifla Kaecilius. Vous avez sacrifié Stephen pour sauver votre dieu. J'ai voulu croire en une seconde chance, en la bonté du genre humain, mais j'ai eu tort. Il n'y a rien de bon ici. »

Il franchit la porte orangée du TVA pour retourner dans l'enceinte de Kamar-Taj. Ce paysage familier lui avait apporté du réconfort à plusieurs reprises mais, à chaque fois, l'utopie avait perdu de sa superbe pour revêtir les traits du cauchemar. Il avait été trahi par l'Ancien, il venait d'être séparé de Stephen, et il n'y aurait pas de troisième chance pour lui. À quelques pas de lui, il aperçut la silhouette de Wong, en retrait, et un rictus étira ses lèvres. Que craignait donc le Sorcier Suprême ?

« Ne laissez pas la haine vous guider, implora Wong. Stephen n'aurait pas voulu que …

— Vous ignorez ce qu'il aurait souhaité, répliqua Kaecilius en serrant les poings. Vous vous dites son ami mais vous ne l'avez pas retenu. Ce doit être une fierté pour Kamar-Taj d'annoncer qu'un maître des arts mystiques protège le multivers ! »

Étreint par une furieuse amertume, Kaecilius était prêt à accuser Wong de tous les maux. Mais il ne le fit pas, il se contenta de jeter un coup d'œil aux spectateurs rassemblés à différents niveaux de Kamar-Taj – une garde pour protéger le Sorcier Suprême, comprit-il – et se détourna d'eux. Il n'était plus à sa place dans l'enceinte sacrée, pas plus que dans les Sancta Sanctorum ; où il comptait se rendre, il l'ignorait encore, mais c'était la solitude, plus que la pitié, qui avait sa préférence.

Il fit jaillir de ses doigts un cercle d'étincelles, le traversa et s'effaça, à nouveau ombre parmi les ténèbres. Kaecilius aurait donné tout ce qu'il possédait pour retracer un pont entre son cœur et celui de Stephen, pour affronter mille dangers et retrouver sa place dans les bras de son compagnon. À peine le cercle se fut-il refermé qu'un rire lointain résonna dans son esprit. Une conscience lointaine mais douloureusement familière effleura la sienne, remplie de noirceur et d'envies vengeresses, puisant dans sa colère et son désespoir.

Reviens à moi, mon fidèle.

Alors Kaecilius, comme autrefois, accepta et céda au pouvoir de Dormammu.