Chapitre 21 : Pleine conscience

- Concentre toi...

- Mais j'essaie ! S'exclama Edward

Serena retint son sarcasme et prit une grande inspiration. Ils étaient assis face à face sur le lit d'Edward, au petit matin. Le silence semblait absolu et Serena faisait en sorte de parler à voix basse. Elle jouait à l'élastique avec sa conscience, pour se maintenir dans l'exercice noétique. Elle avait une large perception de tout ce qui l'entourait, y compris d'Edward en face d'elle, qui tentait de suivre ses directives. La jeune femme, de son côté, tentait de maitriser le très fort sentiment de culpabilité, qui était courant chez elle quand elle pratiquait la noétique mais qui là, était amplifié par le fait qu'elle l'enseignait à présent.

- J'y arrive pas ! Dit alors Edward, d'un ton plaintif

- Je sais... Murmura alors Serena, toujours remarquablement calme

- Ouais ben... comment tu sais ?

- Je te sens

- Tu me sens ? Où ?

- Dans ma tête.

Edward la regarda alors, complètement pantois, perdant encore davantage de sa concentration

- Comment tu peux me sentir dans ta tête ?

- Parce que j'ai ma conscience noétique qui est activée

- Mais tu m'as pas dit que...

- Je t'ai dit que quand t'arrives à maitriser suffisamment ta conscience, tu finis par avoir une notion aiguë de ce qui t'entoure et c'est comme ça que tu peux intervenir dessus

- Oui mais sur les choses, les objets !

- Non, sur tout ! Les gens aussi... Précisa Serena en souriant

- Donc t'arrives à lire dans les pensées ? Demanda Edward, légèrement paniqué

- Non. Je perçois la conscience des gens. À la limite, j'arrive à comprendre certaines émotions. Et là, je perçois que t'es concentré mais que t'arrives pas à faire la bascule...

Edward la regarda, l'air de pas y croire. Elle lui dit alors, d'une voix douce :

- Je fais ça depuis que j'ai 10 ans, Ed. Quand j'ai commencé, mon cerveau était beaucoup plus malléable que le tien à l'heure actuelle. Il est probable que t'arrives jamais à mon niveau

- C'est encourageant...

- On a pas besoin que t'en arrives là. Il suffit que t'y arrives suffisamment pour ouvrir la Porte.

- Si nos théories sont justes... Marmonna Ed

- Ben c'est sûr que si tu doutes...

- Je doute pas !

- Si.

- Mais ! Sors de ma tête !

- Dans ce cas, faut qu'on arrête... Tu veux arrêter ?

- Non ! Je veux essayer ! Bougonna Edward, en se remettant en condition.

Serena ne répondit pas et continua de jouer avec sa conscience. Elle restait toujours d'un calme absolu dans ces cas là et cette existence en pleine conscience, en plein contrôle avait quelque chose de grisant. Elle aimait ça mais elle avait peur de ce sentiment, de cette émotion. Edward essayait. Elle se demandait si il avait bien le profil pour la discipline. Mais au moins, il essayait avec toutes ses forces. Elle était en train de se demander si il fallait pas lui proposer un cursus de méditation pour le préparer quand elle remarqua le changement d'émotion chez Edward. Elle fronça les sourcils :

- Ed...

- Mmmmh

- Concentre toi...

- Je suis concentré !

- Non. C'est pas vrai.

Ed eut alors un sourire et se justifia :

- Non mais c'est juste que...

- Concentre toi, respire... Conseilla Serena

- C'est hyper cool. Hyper impressionnant. Ce que t'es capable de faire

- J'ai rien fait.

- Ça reste impressionnant. T'es un Jedi de la vraie vie...

- Et c'est ça qui t'excite ?

- Ben ouais. J'aime bien ta robe aussi faut dire

- Bon je vais me changer alors... Soupira Serena

- Pas la peine. Je crois que c'est mort...

Serena soupira et relâcha doucement sa conscience. Elle mit un stop immédiatement à Edward qui s'approchait d'elle :

- Deux minutes...

- Deux minutes de quoi ? S'étonna Ed, légèrement frustré

- Faut que je relâche doucement

- Sinon quoi ?

- Ben sinon y'a un truc qui va péter.

- Ah merde... Ben... Dis moi quand t'es... dispo

Serena lui sourit et continua doucement à relâcher la pression sans rien casser. Après quelques secondes, ils se retrouvèrent toujours face à face, en tailleur et se regardant dans les yeux. Hésitant, Edward chuchota :

- C'est fini ?

- Peut être

- A quoi tu penses alors ?

- Je me demande si ça vaut le coup de te faire méditer...

- C'est pas vraiment la méditation ma priorité là tout de suite

- Ça serait quoi alors ?

Edward clarifia alors si clairement ses intentions que Serena en rosit.

- A ce point ?

- Ouaip.

- Ben dis donc... Dit la jeune femme avant de se faire littéralement sauter dessus

*o*

Un rayon de soleil de moins en moins timide réchauffa l'atmosphère citadine et l'ensemble des habitants semblaient d'humeur plus joyeuse, se rassemblant sur les terrasses déjà bondées. Edward et Serena ne faisaient pas exceptions et avaient interrompus leur virée shopping pour prendre un café pleins de lait, d'épices et de sucres. Serena observait ses acquisitions d'un œil critique tandis qu'Edward se moquait un peu d'elle :

- Rappelle moi pourquoi tu veux absolument que j'ai un sablier alors que j'ai une très jolie montre qui parle...

- Je sais que t'as une jolie montre, c'est moi qui te l'ai offerte ! Le téléphone et les écouteurs qui vont avec aussi d'ailleurs

- Je suis un homme entretenu, je pensais pas l'accepter aussi facilement... Nota Ed, qui prit une gorgée du café qu'elle avait payé aussi

Serena ignora son sarcasme et compara deux sabliers entre eux, se demandant lequel était le plus lent. Elle expliqua à nouveau :

- J'arrive pas à te faire atteindre la pleine conscience. J'arrive pas à te faire méditer non plus donc je te donne des exercices à faire tout seul

- Et les sabliers, ça va m'aider en quoi ?

- Faut observer le temps qui coule doucement, se concentrer sur chacun des grains de sables qui s'écoule. Ça peut t'aider à dissocier ta conscience de ton esprit et une fois que t'arriveras à faire ça, t'arriveras peut être à atteindre la pleine conscience.

Edward, perplexe, prit un des sabliers et regarda avec attention le temps s'écouler à l'intérieur. Après quelques secondes, il posa l'objet et dit :

- Ça risque de me faire faire une crise d'angoisse plus qu'autre chose ton truc.

- T'as même pas encore essayé que t'es déjà défaitiste ! Soupira Serena

- C'est pas dans mon tempérament de rester poser à rien faire.

- J'avais remarqué, Elric... Mais je sais pas comment faire autrement pour t'apprendre la noétique.

Elle avait l'air un peu désespérée et Ed eut un sourire désolé à son encontre. Il avait bien conscience qu'il n'était pas le plus facile des élèves et qu'il ne lui rendait pas la tâche facile.

- Bon je vais essayer quand même...

- Je te remercie... Je t'enverrai aussi des vidéos sur YouTube qui peuvent...

- Mademoiselle Wolfe ? Demanda alors une voix derrière eux

Ils se tournèrent vers la voix et froncèrent les sourcils. Un militaire assez jeune se tenait bien droit et les observait. La foule autour d'eux les regardait d'un air gêné, l'armée mettant tout le monde mal à l'aise depuis quelques années. Serena demanda, d'un ton trop poli pour être honnête :

- Qui la demande ?

- Je suis le sergent Martin Boreman, Mademoiselle...

- Oh merde. C'est pas facile comme nom ça ! S'exclama la jeune femme

- J'en suis ravi, pourtant... Répondit le jeune homme, qui se tenait raide comme un piquet

- Vous savez que c'était le nom d'un nazi ou... Demanda Edward, en fronçant les sourcils

Le militaire le regarda sans répondre et Serena se renfrogna encore davantage. Non, sans doute que ça ne le dérangeait pas vraiment, au contraire.

- Mademoiselle Wolfe, votre nom a été porté à notre connaissance récemment.

- Vraiment ? Pour quelle raison ? Demanda Serena, toujours bien trop polie

- Vos capacités exceptionnelles nous semblent un atout indéniable et nous vous proposons une place parmi les...

- Je vous arrête tout de suite, ça m'intéresse pas.

- Aidez votre pays, ça ne vous intéresse pas ? Demanda le militaire, d'un ton un peu outré

- J'ai l'intention d'aider mon pays de bien des manières et faire partie de l'armée n'en fait pas parti. On s'en va Ed.

Ed se leva immédiatement, laissant sa boisson à demi entamée sur la table. Serena et lui firent un signe de tête à Martin Boreman, qui les regarda partir d'un air agacé.

*o*

La jeune femme ne décrocha pas un mot de tout le chemin et une fois qu'elle mit un pied dans l'hôtel, elle décrocha son téléphone pour avoir une discussion avec la personne qu'elle pensait responsable de cette rencontre bien importune.

- Allo ? Fit la voix de Gale dans le téléphone de la jeune femme

- Alors comme ça, on parle des copains à des recruteurs de l'armée ? Susurra Serena, d'un ton mortel

- Oh n'en fait pas toute une histoire, princesse... Soupira le jeune homme au bout du fil

- Ne m'appelle pas princesse ! Je peux savoir pourquoi tu t'es permis de faire un truc pareil ? Explosa-t-elle

- Oh, ça va ! À croire que je t'ai inscrite sur la liste des déportés volontaire !

- Ah parce que c'est de retour en projet, la déportation ? On s'inspire des copains européens maintenant ? La collaboration européenne à son meilleur !

- Je me demande d'où tu tires ces idées. C'est pas ce mec que tu fréquentes qui te...

- Oh épargne moi ce genre de discours ! Tu me prends pour qui ? S'énerva Serena

- Je dis juste que...

- Peu importe. Je te remercie pour la mauvaise surprise. À plus.

Elle lui raccrocha au nez et ignora avec application le téléphone qui sonna trois fois par la suite. Edward lui tendit un sablier, en lui disant à voix basse :

- Tu devrais méditer un peu...

N'importe qui d'autre aurait frissonner devant le regard qu'elle lui lança mais il la connaissait trop bien à présent pour se sentir menacer. Elle finit même par sourire et dire :

- Te fous pas de moi, je suis vraiment énervée...

- C'est pas tes copains, les militaires hein... Murmura-t-il

- Pas trop...

- Tu sais que je l'ai été pendant des années quand même ? Et que le régime que j'ai servi était bien plus vénère en terme de dictature que le vôtre ?

- Je suis pas contre le principe... Au contraire. C'est même le genre de concept auquel je souscris complètement. Être au service de la population, être le bras armé qui préserve la paix, qui maintient l'ordre, qui accepte de se salir les mains pour que les gens normaux puissent vivre dans la paix et la sérénité. On a besoin de ça pour faire société... Ouais, je vais même te dire, ça aurait pu me plaire.

- Je te vois bien dans un uniforme tiens... Marmonna Ed

Serena soupira et dit :

- Calme tes fantasmes, je suis pas d'humeur...

- Je sais. Je voulais te faire rire un peu.

- Ça devient difficile de rire quand même. J'écoute même plus les nouvelles. Tout me déprime. Je comprends pas comment on a pu en arriver là. On est une des plus vieilles démocratie du monde.

- Raison de plus pour se barrer. Je vais t'emmener dans une démocratie toute neuve. On aura besoin de votre expérience pour éviter les pièges. Affirma Edward avec force

Cette fois, Serena eut un sourire plus sincère et admira Ed du coin de l'oeil, qui affichait toute sa confiance et sa tranquillité.

- Tu viens de dire que t'as servi une dictature hyper vénère et tu penses que ça ira mieux quand on y débarquera ? Le processus démocratique, il est souvent plus long que ça...

- J'ai confiance en ceux qu'on a laissé derrière nous. Et puis ça fait... tiens, ça fait presque pile deux ans qu'on a débarqué ici...

Il eut une drôle d'expression et Serena se redressa alors pleinement, pour le regarder dans les yeux.

- Ça va ?

- Ouais. T'inquiète pas. Je suis pas triste. Tu veux savoir pourquoi ?

- Bien sûr

- Déjà, parce que je suis hyper confiant dans le fait qu'on va pas trop tarder à y retourner. Surtout depuis que j'ai de supers sabliers pour m'entrainer !

- Tu te moques mais...

- Et puis, je suis pas si mécontent d'être venu dans ce monde. Déjà, j'ai appris à raffiner de la drogue...

- Génial ça

- J'ai découvert Star Wars, ce qui vaut tous les déracinements du monde.

- J'avoue...

- J'ai lu pleins de trucs incroyables et j'ai appris pleins de nouvelles sciences, ce qui est très enrichissant

- Je m'en doute

- Et puis voilà, c'est déjà pas mal comme bilan, je crois que j'oublie rien... Dit il avec un sourire un peu provocateur

Serena leva les yeux au ciel et dit :

- Je sais très bien que tu me cherches et pourtant, qu'est ce que ça m'énerve...

- Attends, je réfléchis mais vraiment je vois pas ce que je pourrais oublier. Qu'est ce que j'ai bien pu trouver dans ce monde qu'il y avait pas dans le mien... Insista Edward

- Allez, ça me saoule, je suis pas d'humeur... Grommela Serena en se levant de son fauteuil pour sortir en trombe

Avec vivacité, Ed attrapa le poignet de la jeune femme et la tira vers lui. Elle se laissa plus ou moins faire et atterrit sur ses genoux, en lui lançant un regard qui se voulait blasé.

- Ça y est, je me souviens... Je suis tombé amoureux

- Ah ouais ? De qui ? Grinça Serena, qui sentait malgré tout son cœur battre plus fort

- D'une fille complètement folle. Elle fait que parler, elle veut toujours avoir raison, elle m'épuise complètement

- Ben pourquoi tu restes avec elle alors, si elle si chiante ?

- Parce qu'elle a des yeux où il fait si bon vivre que je suis incapable d'en partir

- Oh... Murmura Serena

- Je vais même te dire... Elle a débarqué dans ma vie à un moment critique et depuis, je constate bien qu'il y a quelque chose qui a changé. Je respire mieux, je suis plus heureux et j'arrive à voir les belles choses de la vie. Et c'est sans doute elle la plus belle d'entre elles.

- Non mais arrête un peu, je vais tomber amoureuse de toi à mon tour et c'est pas sympa pour mon mec... Dit elle en se penchant vers lui pour l'embrasser

- Ah merde... Et t'es amoureuse de lui ? Murmura-t-il en effleurant ses lèvres doucement

- Ouais... Je l'aime tellement que quand il m'a dit qu'il voulait m'emmener au bout du monde, j'ai pas hésité une seule seconde à lui dire que je l'y suivrais

- Et pourquoi tu l'aimes autant, ce con ?

- Parce que c'est lui, parce que c'est moi et que c'est absolument parfait comme ça.

*o*

Le soleil de printemps se couchait et inondait la chambre d'une douce lumière dorée. Edward, essoufflé, contemplait le corps étendu de sa compagne à ses côtés. Il effleura son dos sur toute la longueur et se fit la réflexion qu'elle avait l'air de luire. D'un air absent, il remarqua que cette impression se maintenait alors qu'elle remontait les draps sur elle et lui en fit part. Serena observa alors son compagnon et eut alors l'idée d'étendre sa conscience. Elle lui dit alors :

- T'y es...

- Hum ? Dit il, toujours le regard fixé sur sa cambrure

- T'y es, Ed. T'as fait la bascule.

Avec douceur, elle étendit sa main vers son torse et sa conscience vers la sienne. Il eut un mouvement de recul et elle lui dit immédiatement, d'une voix douce :

- Reste calme. Concentre toi sur tes ressentis. Fais moi confiance

Elle tenta alors d'envelopper la conscience timide d'Edward et lui montra alors, avec lenteur, le « mouvement » nécessaire au maintien de cet état. Elle murmura :

- Tu perçois ce que je fais ?

- Ouais... Répondit-il, hésitant

- Essaie de le faire sans moi

Le calme de sa voix et la présence rassurante de sa main sur son torse, associé à la douceur de l'environnement, fit qu'il parvint effectivement à suivre le mouvement. Il sentit alors ses perceptions augmenter. Les objets aux alentours, les draps contre lui et surtout la présence de Serena à ses côtés prirent comme une autre dimension, une autre réalité. Il murmura :

- C'est dingue

- Ouais...

- C'est comme si je découvrais un sixième sens...

- C'est ça, le truc.

Il tenta de pousser le mouvement jusqu'à elle mais quelque chose claqua et le fil se rompit. Serena cria alors :

- Aïe !

- Quoi ? Qu'est ce que j'ai fait !

Tout semblait revenu à la normale. Il se redressa brusquement et se pencha vers Serena, qui avait la tête dans l'oreiller. Elle leva la main et dit, le ton étouffé :

- T'inquiète, ça va...

- T'es sûre ? Qu'est ce qui s'est passé ?

- T'as voulu allé un peu vite, c'est tout...

Elle se tourna vers lui et lui fit un sourire un peu contrit :

- C'est ma faute, je t'ai lâché trop vite. C'est pas grave. C'est juste un rebond

- Un rebond ? Dit il, surpris

- C'est comme ça que je l'appelle. C'est quand l'élastique lâche. Tu comprends mieux, ma métaphore de l'élastique maintenant ? Je t'avais dit que ça serait plus clair quand t'y serai arrivé...

- Ouais. Ouais je comprends mieux.

Il s'assit alors dans le lit, légèrement sonné. Elle l'imita, en ramenant ses jambes contre sa poitrine et lui toucha alors l'épaule.

- Ça va ?

- Ouais. C'est un truc de fou

- Maintenant que tu l'as fait une première fois, c'est plus simple après. Une fois que t'as saisi le truc, que t'as expérimenté l'élastique, t'arrives mieux à le choper après. Faut juste parvenir à retrouver le même état d'esprit. C'est de l'entrainement

- T'es sûre que je t'ai pas fait mal ? S'inquiéta-t-il

- Mais oui, je suis sûre. C'est comme le claquement d'un élastique. On s'habitue. Quand je le fais toute seule, ça me fait plus rien maintenant.

- OK...

Il se recoucha, le cœur battant d'émotion. Elle sourit et lui dit :

- C'est original...

- De quoi ?

- Comme moyen de découvrir la conscience noétique. En post orgasme

- Ah ben j'étais en pleine conscience, Dit il dans un rire

- Je vois ça. Si je dois l'enseigner à d'autres personnes, c'est une technique à retenir

- Alors, je me dois d'émettre des protestations là... Dit il en se tournant vers elle

- Sois pas égoïste ! Murmura la jeune femme en se penchant vers lui

- Je fais ce que je veux, Répondit-il en l'embrassant

*o*

Implacable, Serena fit travailler Edward suffisamment pour qu'il puisse atteindre la conscience noétique rapidement et facilement, au point qu'il commençait à doucement parvenir à interagir sur l'environnement extérieur. Bien pris par les examens de fin d'année qui approchait, Alphonse trouva le temps de commencer à travailler la conscience noétique à son tour. Son tempérament bien plus posé faisait dire à Serena qu'il aurait sans doute plus de facilité à atteindre la conscience noétique, ce qui était un soulagement, étant donné qu'elle ne se sentait pas d'employer la même méthode que pour son grand frère. Le printemps s'installa définitivement sur le pays, apportant les dernières vacances scolaires avant les examens et ils voulurent en profiter un peu pour partir à nouveau en vacances.

Un matin qu'ils trainaient au lit, Serena et Edward discutaient avec légèreté de leurs plans et théories, qui avançaient de mieux en mieux. Après un moment de silence un peu étrange, Ed finit par dire à sa compagne :

- Tu sais que c'est pas évident...

- De quoi tu parles ? Demanda Serena en fronçant un peu les sourcils

- De pas être chez soi. Pas dans son monde.

- Sans doute. Je me sens pas spécialement attachée à ce pays... Dit la jeune femme en s'étirant

- Je te parle pas de changer de pays. Je te parle de changer de monde. Répondit Ed, un peu agacé

- J'ai bien compris

- Y'a pas Star Wars, de l'Autre Côté.

- Ah ça, ça risque sans doute d'être le plus compliqué. Vais-je m'en remettre ?

Elle essayait d'être ironique mais quand elle regarda Edward, elle perdit son sourire. Il avait l'air mortellement sérieux. Elle lui chuchota alors :

- Pourquoi tu me dis tout ça ?

- Je sais pas si t'as conscience de ce que ça représente. De tout laisser derrière soi

- Je laisse pas tout derrière moi. J'emmène l'essentiel, Alicia

- Et George ? Maël et Lio ? Gabrielle ?

- Je...

- Je veux juste être sûr que tu saisisses bien tout ce que ça implique.

- Je saisis tout ça Edward.

- T'es sûre ? Certaine ?

- Mais... Pourquoi... Évidemment ! Tu veux plus que je vienne ou quoi ?

Une peur panique remonta de ses tripes pour l'envahir brusquement, lui donnant la nausée, puis le tournis. Il ne pouvait pas lui faire ça. Pas après qu'elle se soit livrée comme elle l'avait fait, sans filtre, sans précaution. Elle était à sa merci. Il ne pouvait pas lui faire ça. Elle dut avoir l'air terrorisée car il réagit au quart de tour :

- Bien sûr que si ! Bien sûr que je veux que tu viennes ! C'est juste que je veux être sûr que tu comprennes tout ce que ça signifie

- Je comprends ce que ça signifie. Ça fait des mois que j'y pense. Je suis sûre. Alicia aussi

- Ok... C'est tout ce que je voulais savoir...

Perturbée, elle se leva et chancela un peu en passant à la verticale. Une petite voix dans sa tête lui susurrait que c'était justement pour ce genre de chose qu'il fallait mettre des barrières et des frontières autour de son cœur. Mais c'était trop tard de toute façon, elle l'aimait tellement que c'était sans doute inscrit dans sa chair maintenant.

- Je ferai bien un tour sur la plage, ça te dit ?

*o*

Une fois leur révision et leur crapulerie terminées, Alphonse et Alicia rejoignirent leurs aînées sur la plage. Ils y trouvèrent un petit groupe de jeunes et moins jeunes hippies, qui semblaient vivre en marge. Ils partagèrent un peu de leurs réserves d'alcool contre des provisions de bouffes et une grosse liasse que Serena leur fila avec l'arrière pensée qu'ils en auraient sans doute bien besoin. Pas évident d'être un marginal par les temps qui courraient. Une fois le soleil couché, le résultat fut qu'Alicia et Alphonse se couraient après dans les vagues et dansaient ensemble de temps en temps. Surveillant un peu sa sœur au début, Serena fut détournée de sa mission fraternelle par l'image de son mec, le regard plongé dans l'horizon avec un air vaguement béat. Elle alla s'assoir en face de lui et lui dit, d'un air un peu moqueur :

- Tu devais pas avoir l'habitude de boire toi, si ?

- Non. Effectivement, j'ai jamais autant bu que depuis que j'ai débarqué dans ce monde.

- On t'aura déniaiser jusqu'au bout alors

- Je m'en plains pas, tu remarqueras

Il ne se départissait pas de son air heureux et Serena lui demanda :

- Tu dois pas être loin de la pleine conscience, si ?

- J'y suis. C'est incroyable. L'océan par noétique, c'est incroyable...

- Attends que je t'emmène dans un musée dans ce cas... Répondit la jeune femme en activant elle même sa conscience noétique.

Immédiatement, elle perçut l'immense flux d'énergie dans son dos mais ça n'est pas ça qui la fit frissonner. Par habitude, Edward l'avait frôlée dès qu'il l'avait perçue. Elle qui avait été si seule dans sa pratique, si honteuse de ses capacités, redécouvrait sa science fétiche en la pratiquant avec lui. Comme elle l'avait anticipé, l'enseignement de la noétique passait forcément par les contacts réguliers des esprits du maître et de l'élève. Et chacun de ces contacts la remplissaient de joie au point qu'à ce moment précis, elle se demanda si ça valait pas le coup de...

- Je tenterai bien un truc... Murmura-t-elle alors doucement

- C'est à dire ?

- Tu me fais confiance ?

- Bien sûr...

Suivant son instinct et son idée, elle se rapprocha de lui et noua ses jambes autour de sa taille, sans le quitter des yeux et surtout, sans briser le lien. Elle sentit qu'il l'enlaçait par la taille et elle lui murmura :

- Je suis pas sûre de ce que je vais faire

- Je crois que j'ai compris le plan... Murmura-t-il

- Si y'a bien quelqu'un avec qui c'est possible...

Toujours connectés par noétique, ils s'embrassèrent doucement, longuement. Et tout aussi doucement, le corps et l'esprit qui s'effleuraient doucement ouvrirent la porte à la troisième partie de la trinité, qui suivit le mouvement. Deux âmes qui s'effleuraient, soit le contact le plus intime possible, absolument indescriptible avec des mots. La déflagration fut telle qu'elle eut un impact sur le monde physique, puisque le sable se vitrifia autour d'eux sur plusieurs mètres de profondeur et de circonférence. Le moment dura à la fois quelques secondes et des années, les emporta très loin tout en les maintenant fermement dans la réalité. Encore une fois, c'était indescriptible.

Le soir même, en calant sa respiration sur la sienne, Edward se fit la réflexion qu'il avait ressenti un bonheur trop fort, durablement ancrée dans son âme, sans doute même trop pour un seul homme.