Angsty - évocation de la mort d'un personnage

8 décembre - Balade en luge ou en calèche

Drago était assis là, sur la banquette en bois verni de la calèche. La fenêtre ouvragée laissait le soleil et la neige cracher leur lumière partout dans l'habitacle. Les pas des chevaux claquaient contre le sol, échos ridicules de la tempête qui martelait son crâne.

Il était là, assis bien droit, le menton relevé, le regard perdu dans le vide. Une statue aux yeux d'un autre, un amas de chair informe aux siens. Lorsqu'il était dans cet état, Drago aimait se regarder dans un miroir pour constater que son visage de craie n'était pas contaminé par le chaos qui lui retournait l'estomac.

Il n'avait pas de miroir à portée de main. Il n'y avait que le vide sur la banquette lisse en face de lui. Tranchante dans la lumière crue et froide de l'hiver. Odieuse dans son exhibition impudique de l'invisible impalpable. Pleine d'attraits, lourde de promesses, écrasante de conséquences.

Petit, Drago n'échappait pas à la balade du vingt-cinq décembre. Son père l'emmenait dans sa calèche et en profitait pour lui donner des conseils, d'homme à homme, de père à fils. Des règles de vie. Une mélodie dont les paroles se dévoilaient à mesure qu'il grandissait, un poème dédié à la vie dorée que son père avait construite pour lui. Un tissu de mensonges craché sur la vie que son père avait détruite pour lui.

Son père était mort, maintenant, il avait payé de sa vie celle qu'il avait volée à Drago. Celle qu'il avait souillée, défigurée, dépouillée du sens même que son fils aurait dû donner à ce mot. Pourtant, son père vivait encore quelque part.

Drago haïssait l'ombre qui brouillait sa vue quand il réalisait que cette banquette vide était son oeuvre. Il avait voulu la liberté, elle aurait dû être sa fierté. Il avait sué, pleuré, tué pour en arriver là, et pourtant, son père était toujours là. Son père ne le lâchait pas, avec son absence brûlante, son vide terrifiant. Son père sur cette banquette obscène, pleine de rien. Toujours là.

Les morts vivent dans le coeur de ceux qui les aiment.

Drago avait envie de s'arracher le sien.