Disclaimer : MFB ne m'appartient pas.
Son foyer
Ginga regarda sa maison. Ce qui avait été sa maison. Il ne pouvait s'en empêcher, comme à chaque fois qu'il se rendait dans son ancien village.
Il pourrait éviter le village tout simplement. Il ne se trouvait pas au centre du monde et l'éviter était bien plus facile que de s'y rendre. C'était tout le principe d'un village caché. Mais Ginga ne le faisait pas. Il revenait régulièrement, passait du temps avec Hyouma, amenait ses amis avec lui – plus souvent qu'il ne revenait seul.
Et, à chaque fois, il regardait sa maison – son ancien foyer – de l'extérieur. Jamais il n'en franchissait le seuil. Il se sentait... étranger. Cette maison avait été la sienne mais elle ne l'était plus. Tout comme les terrains qui l'entouraient, où il avait joué d'innombrables heures enfant. Il avait, dans la tête, des flashs indélébiles et des routines qui se confondaient les unes avec les autres, ne semblant former qu'un seul souvenir : grimper dans les arbres, se moquant de s'égratigner sur l'écorce rugueuse goûter les fruits qui apparaissaient au printemps et en été éviter les buissons aux baies empoisonnées contre lesquels les adultes ne cessaient de les avertir courir dans les herbes hautes – à la fois terrifié et exalté par la présence hypothétique de serpents – grimper et dévaler les collines.
Toutes les sensations étaient réelles. Ginga n'avait même pas besoin de fermer les yeux pour les ressentir. Mais le monde dans lequel il avait évolué – dans lequel ils avaient évolué – ressemblait chaque jour qui passait un peu plus à un rêve, un conte.
Comment avait-il pu être aussi insouciant un jour ? Si sûr de sa place, croyant fermement qu'il était là où il devait être ?
Tout ce qui lui restait de cette époque était son Pegasus, le seul morceau intact de son enfance, qui le suivait malgré le passage du temps. Sa bouée de sauvetage et sa béquille. La seule chose dont il avait réellement besoin pour affronter sa nouvelle vie et les obstacles qui obstruaient son chemin.
Mais Pegasus ne se résumait pas à ça. Il était également l'espoir d'un avenir meilleur, la joie à l'état pur, son lien avec les autres. Sans Pegasus, il serait seul. Désespérément seul. Une étoile abandonnée au milieu d'un espace noir et glacial, au lieu d'appartenir à une constellation.
Même si Pegasus était tout ce dont il avait besoin, Ginga ne pouvait empêcher son cœur de se serrer brièvement quand son regard se posait sur son ancienne maison. Elle avait tant représenté... et peut-être qu'elle continuait de représenter quelque chose ? Un passé à jamais révolu. L'enfant qu'il avait été. Une insouciance qui ne reviendrait jamais.
Même s'il pouvait en ressentir de vagues échos, comme si le passé l'appelait, criait pour qu'il l'entende.
Ginga l'entendait, mais il ne pouvait le rejoindre. Tout ce qu'il pouvait faire, c'était regarder sa maison de l'extérieur.
Plus le temps passait, plus s'ancrait en lui la certitude qu'il n'en franchirait plus jamais le seuil. Il ne savait pas ce qu'il craignait le plus : que sa maison ne soit plus conforme à ses souvenirs ou qu'il ait tellement changé qu'il n'y ait plus sa place, de toute façon.
Son premier retour à Koma avait visé à se ressourcer, après sa défaite contre Ryuuga. Mais il avait quitté le village depuis près d'un an et, à son retour, tout avait semblé différent. Il était comme un étranger découvrant un nouveau pays. Même les personnes étaient différentes.
(Il ne restait que Hyouma et Hokuto, et Ginga avait tant changé qu'ils ne le traitaient plus comme avant.)
Ça aurait été catastrophique si ses amis – Kenta et Madoka, Kyouya et Benkei – ne l'avaient pas suivi. Ils lui avaient permis de leur présenter le Koma qu'il avait connu, de raconter des anecdotes légères de son enfance. Et, il s'en rendait compte à présent, d'accepter que cela appartenait au passé et de faire son deuil.
La deuxième fois avait été plus légère. Ses amis l'avaient accompagné dès le début – Yuu, Tsubasa et Masamune remplaçant Kyouya... sans les deux premiers, il aurait incontestablement perdu au change – et ça n'avait été qu'une journée de vacances.
Après leur victoire contre Nemesis, il avait décidé de rendre visite à Hokuto et Hyouma... et c'était là que ça l'avait frappé.
Cette maison n'était plus sa maison. Plus depuis longtemps.
Il s'était également rendu compte que sa maison lui manquait.
Il l'avait regardée, sa main se refermant instinctivement sur Pegasus, recherchant son soutien.
Ce n'était plus sa maison.
Il avait dû se sortir de cette transe avant que Hyouma ou Hokuto ne le surprennent et lui demandent ce qu'il avait. C'était... Il ne pouvait pas partager ça avec eux. Ça faisait des années. Pourquoi s'en inquiétait-il maintenant ? Ils le trouveraient sans doute ridicule.
C'était ridicule.
Les quatrième et cinquième visites à Koma avaient suivi le même modèle. Chacune lui serrant le cœur un peu plus. Ses souvenirs étaient intacts. Parfois, d'autres lui revenaient. Ils étaient aussi bien déclenchés par un paysage familier que par un lieu qui avait changé.
Ça a été mon foyer, un jour, ne pouvait-il s'empêcher de penser quand il jetait un regard vers la maison.
Ginga la reconnaissait, mais il remarquait aussi tout ce qui la différenciait de sa maison – les murs extérieurs, les rideaux, ce qui se trouvait sur le perron, les sons, les odeurs – ce n'était pas son foyer.
Koma aussi avait changé. Ginga n'aimait pas ça. Il n'avait pas évolué avec le village. Ils avaient changé séparément, et semblaient par là même irréconciliables.
Un jour, il remarqua qu'un arbrisseau avait été coupé pour faire de la place à une réserve. Ça l'avait frappé. Il avait regardé le cabanon, essayant de comprendre. Ce n'était qu'un arbrisseau, il le savait – ils étaient entourés par une forêt entière – mais, aussi ridicule et immature que ce soit, il avait eu l'impression qu'on avait arraché un morceau de son enfance.
Il se souvenait de s'être tenu à côté de cet arbrisseau, demandant à son père de comparer leurs tailles – la même. Il se souvenait avoir été impressionné que cet assemblage de branches frêles, qu'il aurait pu briser sans même utiliser Pegasus, deviendrait assez grand et solide pour qu'il puisse l'escalader et s'installer contre ses branches, comme ses parents plus loin. Il se souvenait de la première année où ce petit cerisier avait produit des fruits et où il avait grimacé devant leur acidité, sans arrêter de les manger – par solidarité.
Et, maintenant, il avait disparu. Aussi simplement que ça.
Ce n'était qu'un arbre, Ginga le savait rationnellement, mais ça lui faisait mal. Et il pensait à ce petit cerisier à chaque fois qu'il voyait le cabanon.
Marcher dans les rues de Koma, maintenant qu'il était adulte, était une expérience étrange, qui le faisait à la fois évoluer dans le passé et le présent.
Devant un coin particulier, il se sentait de nouveau comme un enfant, souriant alors qu'il pouvait sentir les odeurs d'antan, éprouver la joie insouciante de ses aventures, entendre les rires et les voix réconfortantes de ses proches.
Quelques pas plus loin, tout disparaissait, et il se sentait étrangement vide. Même en reculant, il ne pouvait rattraper cet instant magique. Il avait essayé, plus d'une fois. Maintenant, il avait accepté que c'était impossible et il se contentait de savourer cette chute dans ses souvenirs, acceptant le cadeau que c'était.
Un étranger dans une terre étrangère.
Un étranger qui, il était une fois, était un enfant grandissant ici et s'y sentant à sa place.
Parfois, Ginga était tenté de demander où était passé le décor de son enfance. Mais il savait qu'il était juste là, même s'il avait changé.
D'autres arbres avaient été coupés, pour des raisons de sécurité ou d'aménagement. Des villageois étaient partis et d'autres s'étaient installés à leur place – originaires d'autres villages cachés, ils semblaient plus à leur place qu'il ne l'était. Un terrain avait été dompté par des mains humaines pendant qu'un autre avait été laissé à l'abandon, pour que la nature y reprenne ses droits.
Ginga n'avait pas exploré tout le village. Il y avait des lieux qu'il voulait garder intact, ne serait-ce qu'en souvenirs. Comme le potager, en hauteur, caché dans la forêt, où l'on pouvait accéder que par une rampe abrupte en terre battue. Une cachette où poussaient des fraises sauvages. Des haies qui formaient des cabanes en leur cœur. Une prairie qui semblait au sommet du monde, où l'herbe chantait avec le vent. Un coin envahi de fleurs sauvages, explosant de couleurs et de formes variées. Les fougères qui se refermaient quand on les touchait.
Ce soir, Ginga échappa à la compagnie de Hokuto et de Hyouma, et se réfugia sous les étoiles en compagnie de Pegasus.
– Ai-je raison de continuer à venir ?
Il ferma les yeux et pensa que ce serait pire de ne jamais revenir, de ne plus avoir ces souvenirs qui se déclenchent, doux-amers, et qui lui rappelaient celui qu'il avait été, dans ce qui semblait être une autre vie.
Oui, il avait raison.
Revenir et revivre ces souvenirs en valait la peine.
FIN
