Ça y est, j'ai trouvé le moyen de concilier « discipline d'écrire pour avancer alors que ce sont des passages chiants » et « envie de me faire plaisir à écrire les moments clés/intenses/beaux » : je fais la partie chiante en journée et le soir, si je ne suis pas sur autre chose, je prépare en avance tous ces passages qui fourmillent d'impatience dans ma tête. Double gain de temps et je suis moins frustrée (et je dors mieux).
On va y arriver !
Journal des reviewers
Liline37 : Un compliment sur les scènes d'actions si dures à faire, ça me va droit au cœur, merci ! Isobel sera en effet une grande avancée pour notre amie mais de là à tout savoir... ;) Astarion commence en effet à un peu se rendre compte que sa proie n'est pas si mal que ça, faut juste le travailler encore un peu.
RingoLemonadeCandy : Gâché, je n'irais pas jusque là mais sur le coup, ça nous a tous douchés et on flippait pas mal sur les trajets qu'on faisait avec la voiture de remplacement mais dans l'ensemble, tout s'est bien déroulé :)
Gayle aura ses quelques moments pour lui. Même si on a tendance à vouloir le faire tourner en bourrique, j'avais envie de le confronter un peu avec Astarion. Ils ont un côté très « coq » que j'aime bien et si je mets Silesta entre les deux... hé hé hé !
En avant toute !
CHAPITRE XXII – VERS LES TOURS DE HAUTELUNE
« Barcus ? »
Silesta approcha de la table surmontée de tout un tas de flacons en verre enchâssés dans leur structure de bois. Tout l'attirail du parfait alchimiste était là. La jeune femme ne cacha pas sa surprise de retrouver en ces lieux l'un des anciens esclaves de Nere libérés il y a peu et demanda à Barcus ce qu'il faisait là.
« Avec les autres gnomes de Maindefer, nous sommes toujours à la recherche de mon ami, Wulbren. Je me suis dit que j'allais partir en reconnaissance, au cas où des mauvaises surprises nous attendent sur le chemin. J'ai été servi », répondit le gnome, visiblement lassé par sa malchance.
Silesta lui retourna un sourire désolé. Le pauvre. Quitter le joug de son geôlier drow pour se retrouver coincé dans les ténèbres, il y avait de quoi se plaindre.
« Et qu'avez-vous trouvé ? essaya l'humaine en devinant la réponse.
_ Oh, si peu. Des ombres. La mort. Des Ménestrels. Le Poing Enflammé. Des horreurs ailées tout à l'heure. Merci d'ailleurs pour votre intervention. Mais j'ai aussi trouvé ceci, ajouta-t-il en désignant l'équipement sur la table. Un embryon d'atelier d'alchimiste et quelques ingrédients. Je m'évertue à essayer de reproduire une recette. Quelque chose qui pourrait vous être utile. Si vous avez l'intention de m'aider encore pour sauver Wulbren.
_ Encore à jouer les bonnes âmes ? »
La voix traînante d'Astarion suivi de ses autres compagnons fit retourner Silesta.
« Je me souviens de vous, dit Gayle en reconnaissant le gnome. Vous creusiez pour Nere. On dirait bien que vous avez quitté une obscurité pour une autre.
_ Je vous présente Barcus Wroot, annonça Silesta aux siens. Il est à la recherche de son ami. »
Le roublard qui avait eu l'oreille sélective s'enquit de savoir quelle récompense les attendrait s'ils consentaient éventuellement à risquer encore plus leur vie alors qu'ils seraient déjà au plus près de la dangerosité de l'Absolue. D'abord un peu renfrogné par cette tendance que les gens avaient à toujours exiger un paiement pour tout, Barcus se laissa entraîner par l'enthousiasme que ses recherches lui procuraient :
« Un nouveau type de poudre à canon, déclara-t-il avec fierté. Aussi destructrice que l'originale mais assortie d'une... petite touche de ma composition. Je l'ai nommée la Brillante Réplique. Elle vous sera utile si vous comptez poursuivre votre périple. Wulbren et les autres ont été enlevés par ces maudits cultistes. Si jamais je les attrape, ceux-là, je vais... je... Hum. » Il secoua la main en signe d'abandon. « Enfin, le mieux c'est que vous vous en chargiez vous-même, je n'aurais ainsi pas besoin de me demander ce que je ferais. »
Les aventuriers haussèrent très haut les sourcils. Barcus Wroot était quelqu'un de très humble concernant ses capacités... ou simplement dépourvu de tout courage. Il dégageait toutefois une certaine sympathie que son manque d'aplomb rendait maladroite et touchante.
Le gnome ne s'appesantit pas davantage : s'ils acceptaient de lui offrir une nouvelle fois leur aide, il ferait de son mieux dans son propre domaine d'expertise et eux n'auraient qu'à faire... ce qu'ils savaient faire de mieux. Astarion fut prêt à répliquer mais sa voisine aux cheveux roux préféra prendre les devants :
« Nous ferons notre possible, lui promit Silesta. Et puis, nous avons un penchant pour faire exploser les choses autour de nous. C'est très tentant.
_ Que les dieux vous gardent, mes amis. »
Maintenant qu'ils étaient de nouveau au complet, les aventuriers firent un dernier point pour s'assurer qu'ils étaient bien prêts avant de partir pour les Tours de Hautelune. Quand ils jugèrent que tout était bon, ils partirent après avoir salué Jaheira une dernière fois.
Ils eurent un moment d'hésitation au moment de franchir le dôme protecteur d'Isobel sans l'aide de la lanterne lunaire. Puisqu'elle était la moins affectée de tous, Ombrecoeur fut la première à franchir le bouclier et effectivement, elle respirait sans la moindre contrainte.
« Cela me fait mal de l'admettre, mais la protection de cette sélunite est une bonne chose », reconnut la cléresse à demi-mot.
Même épargnés par le risque de mourir lentement par suffocation, nos amis jugeaient toujours que les Terres Perverties par les Ombres étaient aussi sinistres que lorsqu'ils étaient arrivés. Ils percevaient un étrange flou flotter autour d'eux comme si la malédiction cherchait à pénétrer leur organisme mais se heurtait à une aura qui les dissipait aussitôt.
Le groupe emprunta la route qui descendait vers le sud, droit vers les deux ombres dressées des tours qui leur servaient d'étoile du berger. À mesure de leur progression, ils constatèrent que l'environnement était de plus en plus ravagé et les nombreux restes d'une immense bataille s'accumulèrent dans un chaos mis en exergue par l'atmosphère pesante de la région. Des barricades côtoyaient d'autres fortifications de fortune et des restes de caisses ou de coffres qui devaient transporter vivres et munitions. Des cadavres d'armes de siège détruits ou enserrés de racines et de lianes sèches ponctuaient une ancienne ligne de front, accompagnés de débris de ce qui devait être des râteliers d'armes. La route pavée était défigurée par des trous béants et la terre était retournée par l'impact de projectiles de catapulte. Des flèches étaient même encore plantées dans le sol après avoir raté leur cible... quand elles n'étaient pas directement dans leur cible.
Les restes des malheureux qui avaient bataillé s'amoncelaient, terreau aussi stérile que la terre sur laquelle ils étaient tombés. Les voyageurs silencieux reconnurent des blasons de Ménestrels et de druides parmi les squelettes au milieu de ceux des Tribuns de la Nuit. Leur nombre ne faisait que croître alors qu'ils foulaient la morne pleine. Combien d'âmes s'étaient éteintes en ces lieux et qu'étaient-elles devenues en y étant prisonnières ? Le terrible affrontement du siècle passé dont avait parlé Jaheira était encore pire à le voir ainsi figé dans les ombres que de l'imaginer.
Silesta prenait garde de ne pas trébucher sur une épée cachée sous la poussière ou contre un casque qui traînait. Tous ces morts, druides, Ménestrels ou sharéens ne lui inspiraient que de la désolation.
« Ombrecoeur, vous avez dit à Malforge vouloir devenir Tribun de la Nuit, dit-elle en croisant un nouvel uniforme d'un adorateur de Shar. Qu'est-ce que ça représente pour vous exactement ?
_ Tout. Il n'existe plus grand honneur et moyen pour servir Dame Shar, sauf peut-être de se retrouver à la tête de Son Église. »
La prêtresse expliqua qu'accéder au titre de Tribun revenait à incarner le bras armé du Chant Nocturne, l'instrument dont Shar se servirait pour vaincre les infidèles et remporter l'ultime victoire pour restaurer les ténèbres parfaites et éternelles.
« C'est ce que j'ai toujours voulu et j'ai longtemps prié pour que ce soit la voie choisie par ma déesse pour moi, avoua Ombrecoeur dans un frisson de dévotion béate avant de s'assombrir. Mais ma « mère », celle de mon enclave, m'a toujours interdit de faire mes preuves. Elle juge que je ne suis pas prête. Parfois, je me demande si elle changera d'avis un jour. Je dois tout à Dame Shar et je ne veux que la servir...»
Restée silencieuse à écouter avec attention, Lae'zel hocha la tête en signe d'assentiment. Elle ne saurait nier l'écho que ces paroles avait produit en elle.
« L'insondable silence de nos divinités ne doit être que le ciment de notre volonté à mieux servir. À nous de transcender notre dévotion pour qu'enfin nous soyons dignes de leurs yeux divins posés sur nous. »
La demi-elfe dévisagea sa meilleure ennemie avec un certain étonnement et finit par sourire discrètement. Heureuse de constater que pour une fois, ses deux alliées ne cherchaient pas à s'envoyer des piques assassins, Silesta avait aussi remarqué que la secrète Ombrecoeur leur avait accordé un bout de sa confiance, chose assez rare pour le souligner.
Son contentement se dissipa aussitôt que la jeune femme rencontra l'expression terne de Gayle dont les yeux erraient dans le vague. Si le court discours de Lae'zel s'appliquait à la perfection pour Ombrecoeur, il avait un tout autre goût pour le magicien d'Eauprofonde abandonné de sa divine maîtresse. Pour être enfin digne, hein ? Inquiète des noires idées qui devaient être en train de s'amonceler dans l'esprit de son ami, Silesta voulut aussitôt l'en arracher.
« Gayle, ne... »
Elle n'eut pas le temps d'en dire plus que tout à coup, Gayle se fit happer par ce qui sembla être des bras de fumée épaisse. Le magicien étouffa une exclamation de surprise mais fut vite réduit au silence par un autre bras autour de sa bouche.
« Des ombres ! s'écria Ombrecoeur. Macte virtute ! »
La protection qu'elle eut tout juste le temps de lancer sur Gayle avant qu'il ne disparaisse dans les fourrés fit l'effet d'une brûlure à la silhouette inconsistante qui poussa une plainte d'outre-tombe. À peine réussit-il à se dégager et à rejoindre ses compagnons que l'homme découvrit que d'autres ombres s'élevaient tout autour d'eux pour les encercler.
Supposant que ses bolas seraient d'une utilité nulle face à ces entités, Silesta prit la lanterne lunaire et la braqua devant elle pour tenir en respect les ténèbres humanoïdes qui approchaient ; à son grand bonheur, celles-ci s'évanouirent dans le sol.
« Ça marche ! »
Ou pas. La seconde suivante, une ombre se dressa dans le dos de Lae'zel pour lui asséner un coup de griffe bien matériel tandis qu'une autre enlaçait Ombrecoeur comme un serpent. La cléresse gémit.
« Urgh ! Elle me ponctionne mon énergie ! »
Astarion se risqua à un habile lancer de dague en plein ce qu'il considérait comme la tête de la chose qui tenait son alliée et fut surpris de la voir réagir par un cri furieux. Pour des ombres, elles avaient quand même un côté très concret ! Fort de cette information, le roublard se saisit de sa rapière, prêt à en découdre avec la nouvelle silhouette qui approchait dans une plainte monocorde.
« Ces choses n'aiment pas la lumière mais peuvent se rendre invisibles, comment faire ? enragea Lae'zel, à l'affût de la moindre ombre qui remuait autour d'elle.
_ On va forcer les choses, décréta Gayle qui sortait un parchemin de son sac. Serrez les rangs. Incende ! »
Il balaya la main en arc devant lui et un mur de flammes émergea de la terre pour se fermer dans un large cercle autour d'eux. Astarion fit remarquer à son collègue que tous les faire cuir était une solution un peu trop extrême, ce à quoi Gayle lui répondit de lui faire confiance. En effet, son audace paya car les ombres autour d'eux étaient prises au piège entre les flammes et surtout la lumière qui s'en dégageait. Les fantômes rendus vulnérables par leur incapacité à disparaître, les aventuriers n'avaient plus qu'à éliminer leurs assaillants pris dans la souricière et ceux qui tentèrent de fuir le firent au prix d'une cuisson à point. La tâche ne nécessita pas plus de quelques minutes, ce qui hélas dura moins longtemps que le mur de feu qui flamboyait encore de toute sa force.
« Gayle... Il commence à faire chaud, se plaignit Ombrecoeur dont la cuirasse commençait à se changer en sauna.
_ J'y viens. Aqua pura ! »
Là où Silesta s'attendait à un élégant ruban d'eau qui irait enlacer le feu impétueux pour l'éteindre, ce fut en fait une trombe d'eau de la force de cinq tonneaux qu'on lui versait sur la tête depuis le toit d'une maison qui s'abattit de toute sa violence sur elle et ses amis. Elle en vacilla sous la pression au point de presque mettre un genou à terre tant l'impact sur ses épaules fut fort. Dégoulinante et les vêtements collés à sa peau, la jeune femme se tourna lentement vers le magicien, imitée de ses camarades armurées. Loin d'une telle maîtrise de soi et ses belles boucles blanches ruinées en gros paquets trempés plaqués sur son front, Astarion lui, piquait la crise de nerfs de sa vie à objurguer Gayle dans une violence qui en blesserait les oreilles de la décence.
Silence assassin. Le magicien eut un sourire crispé navré.
« Désolé. Je veillerai à travailler sur l'intensité, la prochaine fois.
_ Et je m'en vais travailler immédiatement l'intensité de mes crocs dans votre jugulaire ! » vociféra le vampire dont la tentative de meurtre ne fut empêchée que par Silesta qui lui ceintura la taille pour le retenir.
Une fois que fut clos l'incident que l'on nomma par la suite la Giboulée de Gayle, nos amis reprirent la route vers les Tours de Hautelune. Le trajet était plutôt silencieux, que ce fût par le lugubre de la région qui ne prêtait pas à la bonne humeur, la prudence qui demandait d'être en vigilance constante d'une nouvelle attaque d'ombres ou le râlement continu d'Astarion dans sa barbe qui s'évertuait à se recoiffer convenablement. Si Silesta restait sur ses gardes en cas de danger et restait donc calme, elle se demanda s'il en était de même pour son amie prêtresse qui avait une mine plus soucieuse qu'alerte.
« Vous semblez contrariée. »
Ombrecoeur confirma d'un signe de tête et avoua que quand l'ombre l'avait enlacée, prête à lui aspirer son énergie, des images de son passé lui étaient revenues.
« Des mauvais souvenirs ? » s'inquiéta la saltimbanque.
La demi-elfe se tut instant.
« Le plus simple serait que je vous montre directement. Servez-vous de la larve pour voir dans mon esprit. »
Son interlocutrice hésita. Était-elle bien sûre ?
« Absolument. J'ai confiance en vous. Je vais vous montrer comment je suis devenue celle qui se tient devant vous. Comment j'ai trouvé ma place dans les bras de Dame Shar. »
Silesta opina lentement du chef et fit le vide dans son esprit en se laissant guider par la voix d'Ombrecoeur. Elle ne se souvenait pas de comment tout avait commencé ; juste comment cela s'était terminé.
Le noir devant ses paupières s'éclaircit à peine dans la pénombre d'une forêt engloutie par la nuit et le silence. Une jeune adolescente aux longs cheveux de geai noués de part et d'autre de sa tête se tenait au bord d'un ruisseau, faiblement éclairée par les rayons de la lune. Ses yeux vert d'eau furetaient ici et là, surveillant les ombres dans une angoisse palpable. Elle se raidit tout à coup en découvrant un loup l'approcher à pas de velours de l'autre côté de la rive. Les perles de nacre qui brillaient dans ses yeux étaient vissées sur cette proie sans défense. Il courba les oreilles et retroussa ses babines dans un grognement menaçant.
Pétrifiée de peur, la jeune fille recula lentement, incapable de s'enfuir. Il lui bondirait dessus à la première occasion. Ses pas s'arrêtèrent quand son dos se tamponna contre quelque chose. Elle regarda par-dessus son épaule et vit la silhouette d'une femme vêtue d'une robe sombre et dont le visage se cachait derrière un masque de marbre blanc. Sans mot dire, l'inconnue passa près d'Ombrecoeur tandis que d'autres silhouettes masquées surgies de nulle part encerclaient le loup et le tenaient en joue de la pointe de leurs lances. L'échine courbée et la queue entre les jambes, l'animal se ramassa sur lui-même en grognant sur ses assaillants.
Le cœur battant et une sueur froide dans la nuque, la petite Ombrecoeur détourna son attention sur le masque de la femme qui venait de s'agenouiller devant elle. Un bruit de déchirement. Un glapissement aigu. La femme masquée porta la main à l'ornement sur son visage...
« Elle m'a demandé mon nom mais je ne me souviens pas de ma réponse, pas plus de ce qui s'est passé avant mon arrivée dans ces bois, termina Ombrecoeur alors que la vision se dissipait. Tout ce dont je suis sûre, c'est qu'elle m'a sauvé la vie cette nuit-là et m'a offert un nouveau foyer. Auprès de Dame Shar. »
Un gémissement de douleur causé par sa main fuit de ses lèvres et mit définitivement fin au lien psychique. Silesta demeura interdite, pétrie d'une impression étrange. Elle se souvenait avoir lu dans la bibliothèque du temple sélunite dans les Tréfonds Obscurs la description d'un rite de passage dont la dérangeante similitude rappelait ce qu'elle venait de voir : les adeptes de Séluné avaient pour coutume de laisser leurs enfants dans une forêt en pleine nuit et la lumière de la lune devait leur servir de guide pour retrouver leur maison. Venait-elle d'assister à l'un de ces rituels dont l'issue avait été viciée ?
La jeune femme rousse se sentit prise entre des tenailles. Si elle faisait part de cela à Ombrecoeur, celle-ci réagirait sans doute très mal. Elle préféra se taire pour l'instant. Son amie exultait d'avoir été favorisée par Shar et elle foulait une terre qui portait son essence ; lui insinuer qu'elle aurait peut-être un lien avec le culte adverse ne ferait que l'insulter. Mieux valait rester sincère mais factuelle.
« Merci d'avoir partagé cela avec moi. J'imagine que ce n'est pas facile pour vous.
_ Normalement, vous seriez dans le vrai mais je dois reconnaître que cela m'est de plus en plus simple avec vous, reconnut la prêtresse qui semblait s'étonner elle-même de ses propos. Vous êtes simple et tolérante.
_ C'est parce que j'ai encore la tête pleine de vide, contra Silesta à voix basse en se tapotant la tempe. Si ça se trouve, je serai pire qu'Astarion quand je retrouverai la mémoire. »
Sa plaisanterie réussit à faire sourire Ombrecoeur mais cette dernière secoua la tête de désaccord. Elle était du même avis que Gayle à propos de la mémoire sensorielle. Si la nature d'aujourd'hui de la saltimbanque était celle de quelqu'un d'altruiste et généreux, pourquoi aurait-elle été le contraire dans sa vie oubliée ?
« Je vous souhaite que vos souvenirs soient aussi légers et colorés que vous, Silesta. Sincèrement. »
L'humaine eut peine à déglutir car sa gorge s'était subitement serrée d'une émotion qui l'avait touchée en plein cœur. Elle pinça le sourire qui traversa son visage pour éviter de répondre et se laisser emporter. Ses yeux lui brûlaient un peu. Elle se ragaillardit en bombant la poitrine et pointa un index conquérant vers le lointain.
« Qu'est-ce qu'on attend ? Allez ! Giboulée de Gayle dans le tas et n'en parlons plus !
_ On avait dit qu'on ne parlait plus de ça ! »
Après une longue marche, ils firent halte devant un pont qui enjambait des eaux noires et lisses. De l'autre côté, un rideau de noirceur marquait une délimitation semblable à un feu de corruption qui dansait lentement et au-delà encore de cette barrière empoisonnée se dressait une ville, du moins ses restes. Tout comme le reste des Terres Perverties par les Ombres, cette ville fantôme avait été le théâtre de la guerre du siècle précédent et de ses ravages. Les belles routes pavées étaient éventrées, tout comme les habitations aux murs effondrés ou aux toitures arrachées et d'énormes racines noueuses reprenaient leur droit sur la civilisation morte en allant s'enrouler autour des bâtiments et d'une fontaine. Les lieux respiraient la mort et pire encore. La pression dans l'atmosphère était encore plus forte. Tous levèrent les yeux vers l'immense forteresse qui se détachait au loin sur leur gauche, isolée du reste de la ville par un autre pont. Ketheric Thorm était là, quelque part.
Le groupe traversa le pont et Gayle approcha d'une vieille pancarte branlante accrochée au mur d'enceinte de la cité. « Reithwin ». Silesta ressortit la lanterne lunaire et ouvrit la marche pour ses compagnons afin de passer le mur de corruption. Même avec cette protection, ils furent tous traversés par un froid qui râpa leur peau. Ils arpentèrent les rues désertes en ignorant la nouvelle flopée de squelettes étendus dans les herbes jaunies ou abandonnés dans des cages suspendues en guise d'avertissement. Plus leurs pas les rapprochaient des tours, plus ils suffoquaient, à moins que ce ne fût psychosomatique en sachant qu'ils touchaient du doigt le cœur de la malédiction des ombres.
Enfin, le pont menant aux tours s'esquissa dans un brouillard sombre. Ils y étaient.
« Nous faisons comme suggéré par Jaheira. Nous sommes des âmes éveillées qui se joignent au reste du culte, répéta Gayle avec conviction. Il faudra être crédibles tant que nous n'aurons pas découvert la source d'immortalité de Ketheric Thorm ou l'Absolue. Soyons forts. »
Silesta acquiesça faiblement, consciente que la dernière recommandation lui était surtout adressée. Ce serait sans doute là qu'elle représenterait la plus grande faiblesse pour ses compagnons. Le culte de l'Absolue était cruel et déterminé, elle devrait s'endurcir pour le bien de leur couverture.
Ils passèrent le pont et furent surpris de sentir la terrible pression décroître d'un seul coup. En fait, cela n'avait rien de bien étonnant sinon, comment les gardes qui tenaient l'escalier d'entrée feraient-ils pour rester en vie ? Silesta rangea la lanterne et suivit de près ses alliés. Elle réprima une grimace peu rassurée en voyant sur le côté des goules assurer une ronde sur la promenade le long des douves en claudiquant. Charmante patrouille. Près d'elle, Astarion grimaça ostensiblement face à ces créatures grotesques et chuchota de ne pas les regarder. Ça ne ferait que les encourager.
Les gardes qui leur firent signe de s'arrêter, eux, étaient bien des humains. Une femme encapuchonnée d'une haute coiffe alla à leur rencontre.
« Halte. »
À peine venait-elle de les commander que tous sentirent du mouvement dans leur crâne et la larve remua avec un plaisir familier.
« Ah, des êtres bénis comme moi. Quelles sont les nouvelles, âmes éveillées ? » s'enquit la zélote avec joie.
Loin de s'interroger pourquoi une « collègue » âme éveillée ne s'occupait que de simplement monter la garde, Lae'zel plissa froidement les yeux.
« C'est à vos supérieurs que l'on s'adressera.
_ Dans ce cas, allez trouver Z'rell dans la salle d'audience pour vous présenter à elle.
_ Pour l'Absolue », proclama Gayle avec le plus de conviction possible.
La zélote lui répondit d'un signe de tête et s'effaça pour leur laisser le passage. En montant les marches menant vers l'entrée de château, la voix de l'elfe dans le prisme se manifesta à Silesta.
« L'influence de l'Absolue est immense entre ces murs. Nul doute que tu touches au but. Sois prudente. »
La jeune femme rentra la tête dans ses épaules malgré elle et talonna ses compagnons d'encore plus près.
Une fois entrés, ils descendirent une autre volée de marches qui menaient sur une grande pièce rectangulaire faisant office de hall d'entrée. Ils furent presque étonnés de découvrir que l'intérieur du château partageait le même état de déliquescence que le reste. Même si Ketheric Thorm occupait les lieux, ceux-ci étaient en piteux état. Les dalles étaient soulevées par l'intrusion de racines, les tapisseries couvertes de poussière et tout un tas de caisses, d'armes et râteliers s'entassaient dans les recoins. Comme ils le savaient déjà, le culte ne rassemblait pas que du matériel : il y avait du monde ici. En majorité des gobelins qui discutaient en petits groupes mais aussi des drows ou des humains. Droit en face, au bout de la pièce, une énorme porte à double battant était gardée par deux zélotes qui veillaient avec attention les différents invités et d'autres couloirs s'ouvraient sur les côtés, plus accessibles car sans personne pour les surveiller. En découvrant ces accès, nos amis furent aussitôt tentés de s'y rendre dans l'espoir de visiter l'endroit plus à leur guise, hélas, l'un des gardes de la grande porte centrale les apostropha à leur entrée :
« Bienvenue, âmes éveillées. Le général Thorm vous recevra bientôt. »
Aïe. La séance de fouille approfondie devrait attendre. Ils répondirent par un signe de tête en signe de compréhension et allèrent se poster dans un coin de la pièce pour observer tranquillement. Les appelés du culte parlaient entre eux dans un frisson d'impatience et d'enthousiasme, tous ravis de bientôt rejoindre l'Absolue en son sein. L'influence de cette pseudo-religion était vraiment effrayante.
Au juger du nombre de personnes qui attendaient déjà avant eux, ils avaient peut-être assez de temps pour jeter un coup d'œil pas très loin. Nos amis se hasardèrent à se faufiler vers le couloir le plus proche et pénétrèrent ce qui semblait être une ancienne cuisine. Une immense cheminée occupait le fond de la pièce et toute une collection de marmites, casseroles, poêles et autres récipients de cuivre occupaient étagères et tables. Au milieu de la salle, quel ne fut pas leur étonnement de trouver un gnoll qui faisait face à une halfeline à la peau brune. Loin d'être effrayée par la présence de la bête sauvage à un mètre d'elle, la petite femme lui parlait comme à un enfant dont elle s'occupait.
« Barnabus, mon trésor. Écoute Linsella : c'est avec une louche qu'on remue la soupe. Laisse cette hache », pria-t-elle avec douceur.
La hyène humanoïde remua la tête avec un faible grognement en regardant l'ustensile qu'elle tenait dans sa patte. La même expression partagée entre la circonspection, le malaise et une curiosité morbide prit place sur les visages des visiteurs.
« Barnabus ? répéta Ombrecoeur avec une mine écœurée. Voilà bien la première fois que je vois un gnoll apprivoisé.
_ N'est-il pas doux comme un agneau ? se targua sa maîtresse qui arborait le même médaillon que les autres cultistes. Il ne se souvient plus de sa vie sauvage. Tel est le don que m'a accordé l'Absolue : réécrire la vie de ses fidèles pour qu'ils puissent devenir meilleurs. »
Silesta sentit tout de suite tous les traits de son visage se tendre à l'écouter. Même si elle avait eu à se frotter à des gnolls auparavant et que ces créatures ne lui avaient pas laissé un très bon souvenir, voir celui-ci figé dans cet état de revenant sans âme lui retournait les entrailles, sans parler du fait qu'il avait été rendu amnésique pour cela. Comme elle l'était. Le pire était peut-être la voix si melliflue et dégoulinante de fierté nauséabonde de cette halfeline qui sonnait comme une agression aux oreilles de la jeune femme rousse. Cette Linsella ne se rendait même pas compte de ce qu'elle infligeait à cette bête ; elle était même convaincue qu'elle œuvrait pour son bien. C'était à vomir.
Si Silesta avait concentré son attention sur le gnoll, Gayle lui s'était arrêté sur un autre détail :
« Vous vous êtes tenue devant l'Absolue ?
_ En effet. C'est une chose d'entendre Sa voix et c'en est une autre de ressentir le pouvoir qu'Elle peut vous octroyer. Jugez-en par vous-même. » Elle se tourna vers le gnoll pour le fixer avec un grand sourire et sa voix grimpa encore plus dans les aigus. « Barnabus. Montre-nous comment tu es un bon garçon. »
Quelques secondes après, la hyène se redressa, le museau en l'air et l'air hagard. Linsella le tenait en joue du bout de son parasite. Elle demanda dans le plus grand détachement à son public ce qu'il voudrait faire faire à la créature. Jamais le dernier pour se distraire de façon cruelle aux dépens des autres, Astarion demanda une petite danse en guise de démonstration.
« Cela te plairait bien, n'est-ce pas, Barnabus ? » susurra la halfeline en se concentrant vers son pantin.
Tous perçurent son commandement envelopper le gnoll tout entier pour l'étreindre et le contraindre, emporté comme une vague sous la tempête. Les ongles de Silesta s'enfoncèrent dans ses paumes jusqu'à blanchir les jointures de ses doigts quand elle contempla le gnoll se dandiner maladroitement de droite à gauche en couinant faiblement, l'œil toujours mort. Petit à petit gagnée par la même pression vengeresse que chez les gobelins, l'humaine bouillait de l'intérieur.
Tout d'un coup, Barnabus cessa de se trémousser et releva le museau. Un grognement roula au fond de la gorge de la bête. Près d'elle, Silesta entendit Astarion siffler un faible « Oh, oh... » qui trahissait plus un certain ravissement que de la peur.
Fâchée par ce début de rébellion, Linsella fronça les sourcils.
« Barnabus, non ! Nous en avons déjà parlé. »
Les réactions furent diverses. Gayle et Ombrecoeur firent un pas prudent en arrière et Lae'zel posa la main sur le pommeau de son épée, prête à réagir en cas de dérapage. Silesta plissa les paupières, dénuée de la moindre expression.
Quel ne fut pas l'étonnement d'Astarion quand il perçut une poussée psychique aller soutenir la sienne pendant qu'il cherchait à rompre la connexion entre le gnoll et la cultiste. Son ébahissement n'en fut que plus grand en reconnaissant Silesta qui agissait de concert avec lui.
Tel le fil d'une épée affûtée sur un cordage sec, le lien se rompit. Le gnoll cessa de lutter et se dressa de toute sa hauteur face à son bourreau, les babines retroussées sur ses dents acérées. La halfeline recula ; sa voix guillerette n'était plus qu'une angoisse chevrotante.
« Barnabus... Mon petit... NON ! »
Son cri mourut aussi nettement que s'abattirent les deux énormes pattes griffues pour la lacérer. Silesta ne remua pas d'un cil quand une giclée de sang souilla sa joue tant elle se laissait porter par une intense satisfaction face à ce spectacle. Elle ne retrouva sa pleine conscience que lorsque le gnoll se mit face elle, à présent enhardi d'avoir pu goûter de nouveau au sang. Il ne voulait pas en rester là. Elle se raidit en rencontrant les petits yeux jaunes emplis de haine vengeresse de la bête.
Astarion fit un pas vers la hyène, l'air encore plus prédateur.
« Essaie pour voir. »
Barnabus le jaugea puis les autres... avant de s'en retourner plus loin dans la cuisine. L'endroit regorgeait de charcuteries qui feraient des proies bien plus accessibles en plus d'offrir un coin chaud auprès du feu. Ouf.
« Voilà qui était mérité mais fort risqué, concéda Gayle qui avait redouté l'escalade. Allons-y, ne faisons pas attendre Ketheric Thorm. »
Lae'zel et Ombrecoeur lui emboîtèrent le pas, elles aussi loin de se désoler du sort de la cultiste. Délestée soudainement de sa tension qui chuta dans ses chevilles, Silesta eut un faible soupir de soulagement et s'en retourna à son tour en manquant de se tamponner contre Astarion qui se tenait derrière elle. Elle lui adressa un bref sourire pour le remercier d'avoir fait fuir le gnoll et le doubla, laissant le vampire seul avec ses interrogations mêlées de surprise. Décidément, il lui était à présent impossible de nier à quel point cette femme l'époustouflait et ce, de toutes les manières possibles : drôles, agaçantes... attrayantes.
Il se trouva étrange de se découvrir une attention aussi poussée pour l'une de ses « proies ». Cela ne lui ressemblait pas. En près de deux siècles, jamais il n'avait eu à lever le nez de la feuille de route gravée dans son âme pour accomplir ce pour quoi il avait été relevé et pourtant, Silesta lui montrait de plus en plus sa prodigieuse capacité à le faire ralentir, voire le faire s'interroger. Qu'est-ce qui avait changé ?
Je sais pas... peut-être qu'elle te plaît bien ? Non ? XD
Dédicace à toutes ces bouteilles ou ces trombes d'eau abattues sur notre groupe pour retirer toutes ces vilaines marques de sang qui font pas très joli dans les dialogues XD
