Un soir de pluie, la lumière du réverbère de la rue se reflète sur les vitres.
"Regarde maman, y a des étoiles qui coulent sur la fenêtre".
Violette, 3 ans.
Une certaine agitation envahissait le hall de l'hôtel. JJ avait quitté tôt l'hôpital pour venir saluer ses collègues qui retournaient à Quantico mais elle avait trouvé ses amis encore endormis dans leur chambre. Elle avait pris un malin plaisir à réveiller Garcia, Reid et Lewis – elle n'avait pas poussé l'audace à s'aventurer dans la chambre de Hotch et Rossi – et l'oreiller que lui avait lancé l'informaticienne ne l'empêcha pas de savourer l'image de leurs moues encore ensommeillées. Ils avaient fini par tous se préparer en vitesse en voyant qu'il était déjà dix heures passées et ils avaient tous les quatre rejoints leur chef qui s'impatientait. On en arrivait à cette scène de bazar monstrueux, six agents du FBI et une montagne de sacs de shoppings. JJ apprit ainsi qu'ils avaient profité la veille de leur après-midi de libre pour encore dévaliser les magasins – surtout Garcia et Lewis – et pour finir la soirée au restaurant avec Morgan jusqu'à une heure indécente de la nuit.
« Je veux des nouvelles chaque jour Jennifer. Ordonna Hotch lorsqu'ils furent enfin tous entassés dans les deux 4x4 noirs de location.
-Oui papa. » Répondit-elle avec un sourire amusé et l'homme esquissa une grimace qu'elle savait être un sourire maladroit.
Le silence qui envahit le hall de l'hôtel sembla soulager le gérant qui avait regardé passer la dernière demi-heure avec une envie grandissante de mettre lui-même dehors les agents avec un grand coup de balai. JJ soupira juste en observant les voitures disparaître à un croisement lointain et elle quitta les lieux le cœur lourd. Elle avait décidé de rendre sa propre chambre. Hotchner lui avait bien dit de la garder mais elle avait préféré récupérer son sac et rapatrier ses affaires à l'hôpital. Le médecin d'Emily avait grogné et après avoir bataillé avec ses propres infirmières qui avaient pris la blonde en pitié, il avait fini par accepter que l'on installe un lit supplémentaire dans la chambre. Ce n'était pas conventionnel, les lits étaient à la rigueur réservés pour un parent lorsque le patient était mineur, ou un conjoint dans certains cas stricts, mais la plaque de JJ et la rébellion des infirmières attendries avaient fini par peser plus de poids que l'application obtus du règlement. La blonde avait pris rendez-vous dans l'après-midi pour rencontrer le responsable de l'entreprise qui détruisait les plaques des agents du FBI. L'homme au téléphone paraissait surpris de sa demande mais il n'avait pas fait de manière pour lui accorder une visite des locaux et répondre à ses questions. Elle n'avait pas osé contacter Clark pour lui demander où il en était. La lenteur de cette enquête l'énervait. En temps normal, l'équipe disposait d'une multitude d'indices. Scènes de crimes, cadavres, témoins, anciennes affaires, etc. Ils n'avaient pas l'habitude de devoir attendre que les rendez-vous arrivent ou que les analystes les contactent et cette attente était si anormale qu'elle en était pesante. Elle soupira de nouveau, se demandant ce qu'elle allait bien pouvoir faire en attendant l'heure de son entretien. Morgan lui avait envoyé un sms pour lui proposer de venir déjeuner à la maison mais elle n'avait pas répondu. Elle n'avait pas envie de le voir. Ce n'était même pas lui, elle avait juste…elle n'avait juste pas la force de faire semblant, encore. Parfois elle avait cette rage dans l'estomac et dans ces moments-là elle aurait pu détruire le monde entier. Elle se faisait peur parce qu'elle était brusque, parce qu'elle avait des envies de violence, de faire mal, d'avoir mal. D'autres, elle se sentait si vide, si absente. Absente d'elle-même, absente de sa propre vie, si lointaine de toutes les préoccupations quotidiennes. Elle avait alors le sentiment que rien ne pouvait la retenir, qu'elle était déjà partie trop loin, bien trop loin. Elle savait très bien ce qui lui arrivait. Elle était Profiler après tout, et il fallait pour ce métier des bases en psychologie qui lui indiquaient à l'aide d'un immense panneau d'appel à l'aide qu'elle était malade, dépressive. Elle n'avait pas honte, c'était juste…trop dur. Il n'y avait plus ce lieu refuge, ce lieu maison, cet endroit sécuritaire où elle pouvait arriver après les enquêtes plus dures les unes que les autres, lâcher prise et redevenir la jeune femme insouciante, la mère aimante et l'épouse épanouie. Il n'y avait plus de filet de sécurité, de maillage solidement ficelé pour la rattraper quand le monde autour d'elle, en elle, s'effondrait. Et elle ne savait pas comment reconstruire sa vie.
Ils étaient en plein vol lorsque Spencer se leva pour aller voir Hotch qui s'était isolé dans l'avion. Il avait bien réfléchi et il en était arrivé à la conclusion que leur supérieur allait forcément leur demander de contacter l'ex-agent Blake dans le cadre de l'enquête. Il voulait le faire. Et il ne voulait pas juste lui passer un coup de fil. Il voulait la voir, pouvoir lui parler et reprendre contact. Ces trois dernières années, il avait mille fois tenté de la recontacter. Il avait appris qu'elle avait obtenu un poste de professeure à Boston, qu'elle avait ainsi pu rejoindre son époux et il en était vraiment heureux pour elle. Il n'avait pas pu. Pas réussi à attraper son téléphone ni à aligner deux phrases sur un bout de papier vierge. Il n'avait pas pu passer au-delà de sa silhouette qu'il voyait s'éloigner encore et encore depuis la fenêtre de son appartement. Elle lui manquait.
« Hotch ?
-Hum
-Tu vas nous demander de parler à Alex n'est-ce pas ?
-Oui. Il faut comprendre pourquoi c'est son écriture que le tueur - l'homme buta sur son propre lapsus et il avala difficilement sa salive - enfin pourquoi celui qui a agressé Jordan a utilisé son écriture.
-Il aura pu y avoir facilement accès, elle est professeure, elle corrige les copies de centaines d'étudiants.
-Certes. Mais elle aura peut-être une autre idée ou bien…il faut que l'on essaye.
-Je sais. Est-ce que je peux m'en occuper ? »
Hotchner le regarda un long instant. Un pli s'était formé sur son front et la question semblait l'avoir plongé dans une lourde réflexion.
« Tu t'en sens capable ? Demanda-t-il enfin.
-Oui.
-Alors d'accord. Répondit simplement l'agent en rebaissant la tête dans les papiers qu'il consultait avant que Reid ne vienne lui parler.
-Hotch ? L'homme releva la tête. Est-ce que je pourrais aller à Boston pour lui parler ? » Demanda timidement Spencer.
Son supérieur ne lui répondit pas. Il ne sembla pas y réfléchir et retourna à son occupation première sans un mot. Reid fini par regagner son siège d'origine après quelques minutes à attendre, une déception grandissante – et de la colère aussi – dans le ventre. Il serra les poings, sembla se faire force pour ne pas insister et juste tourner les talons. Il venait à peine de s'asseoir quand la voix d'Hotchner retentit dans l'avion.
« Lewis ?
-Oui ?
-Tu accompagneras Reid à Boston pour voir Alex Blake. Vous partirez demain matin, le temps de récupérer quelques affaires chez vous.
-D'accord. »
L'avantage, avec Tara Lewis, c'est qu'elle ne posait pas beaucoup de question pensa Spencer en regardant son supérieur, des remerciements qu'il voulait clairs dans les yeux.
Emily observait le visage défiguré de son amie. Son rythme cardiaque dessinait des courbes régulières sur les machines mais elle n'arrivait pas à imaginer que son ancienne amante puisse un jour se réveiller. Son rendez-vous du jour chez le psychologue l'avait fatiguée. Elle avait dû insister pour avoir le droit de venir voir Jordan mais là ou dans sa chambre… Il n'y avait qu'un étage de différence, c'était sans nul doute ce qui avait fait basculer la joute verbale en sa faveur. Ça, ou ses yeux éplorés. Le psy ne lui avait pas reparlé des panneaux stop. Ils avaient discuté littérature et cinématographie un long moment, comme si l'homme avait senti qu'aujourd'hui était un jour où il ne pourrait rien tirer de l'agente. Les sous-entendus étaient toujours sinueux dans la conversation, à portée de main – ou de langage – mais Emily avait fait comme si elle n'en saisissait aucun. Elle n'avait pas envie de se demander pourquoi elle était si triste et si heureuse à la fois de voir que Jennifer avait obtenu un lit près d'elle, pas envie de se demander pourquoi le départ de l'équipe l'affectait si peu ou trop peut-être, pas envie de se torturer l'esprit en pensant aux tortures bien réelles qu'avait subi son ancienne amante, pas envie non plus de remettre en question les sentiments qu'elle éprouvait pour ses amis, pour JJ et pour Jordan. Emily aimait les hommes avait dit Morgan et Emily comptait bien s'y tenir. Le psy avait tapoté son bureau agacé de voir qu'elle esquivait l'énième perche qu'il lui tendait et avait mis fin à la séance en laissant fuser un commentaire perçant.
Il faudra bien que l'on parle de votre place auprès d'eux.
Il faudrait qu'ils en parlent un jour oui, du moins elle supposait que ce jour serait inévitable. Elle ne pouvait pas être leur collègue, leur amie, leur confidente, leur pilier. Elle ne pouvait pas être tout cela sans se perdre au hasard de ces différents rôles, ne le pouvait pas sans s'abandonner au passage.
Mais peut-être devrions-nous d'abord parler de vous.
Comme si elle n'était pas uniquement cette agente-amie-confidente-pilier. Comme si Emily Prentiss pouvait se raconter, accepter de se raconter. Il y avait bien longtemps qu'elle ne s'était pas prêtée à cet exercice. Bien longtemps qu'elle ne s'était pas penchée sur elle-même. Elle devait être ensevelie sous les couches et les couches de rôles à tenir. Elle n'était pas sûre de savoir se retrouver. Se retrouver, elle au milieu d'eux.
« Agent Jennifer Jareau. Je viens voir le directeur Nicols. »
Le bâtiment qui lui faisait face était immense. Elle avait passé les nombreux contrôles en observant avec attention la sécurité, essayant de trouver la moindre faille qui pourrait être exploitée. L'homme arriva enfin. Le parfait bureaucrate. La quarantaine, un costume à la chemise un peu trop boudinée sur un ventre rebondi, des cheveux bruns parsemés de mèches blanches, une barbe minutieusement entretenue pour donner l'illusion d'être naturellement mal-rasée dans l'optique de se donner un air jeune.
« Agent Jareau, je suis enchanté de faire votre connaissance. Que puis-je pour vous ? Votre message n'était pas bien clair.
-Je viens inspecter vos locaux et vérifier la bonne destruction des plaques et documents officiels que vous confient le FBI.
-Y a-t-il un problème avec nos services ? Demanda l'homme poliment pour masquer sa nervosité.
-Plutôt oui. Nous venons de retrouver la plaque d'une ancienne agente sur le corps torturé d'une femme. L'ancienne agente en question a démissionné depuis dix ans, nous nous demandons donc comment est-ce possible de retrouver aujourd'hui en parfait état son insigne alors qu'il aurait dû être détruit dans vos locaux.
-Hum, et bien, heu, nous allons vérifier cela immédiatement oui, tout cela est très gênant, c'est fâcheux. Etes-vous bien sûre que la plaque est un exemplaire original ?
-Assurément.
-Je vais immédiatement vérifier dans nos dossiers. Dix ans vous avez dit ? Nous gardons une trace de tous les documents détruits dans un serveur central. Le FBI a un accès à nos fichiers bien sûr.
-Donc finalement, les documents que vous détruisez ne disparaissent pas complètement ? Demanda JJ, un haussement de sourcil désapprobateur.
-Si bien sûr. Pour les documents papiers, le FBI nous les confie dans des cartons qui portent un mot code qui est enregistré dans la base de données. Voyez celui-ci par exemple, le service de votre agence qui nous l'a confié à la destruction a inscrit dessus Carlton. Notre personnel ne sait pas ce que cela signifie mais lorsque le carton arrive dans nos locaux, il est d'abord enregistré puis déposé sur le tapis roulant qu'il ne quittera plus. Il va traverser les différentes salles de destruction, broyeur, déchiqueteuse, incinérateur, incinérateur 2 et enfin il va arriver à cette salle-ci. »
Le directeur et Jennifer avaient eux-mêmes fait le trajet dans les différentes salles. JJ avaient ainsi pu vérifier la sécurité des portes et la présence de caméras de sécurité tout du long du transport des documents. Rien n'était laissé au hasard, aucun angle mort ou endroit propice pour subtiliser les effets voués à la destruction.
« Le trajet est légèrement différent pour les objets n'étant pas entièrement composés de papier mais c'est le même principe. Enregistrement, tapis roulant, incinérateur 1, broyeur, incinérateur 2. L'incinérateur est en premier pour faire fondre le métal par exemple. Enfin du coup on arrive à cette salle. Comme vous l'avez peut-être constaté, sur les tapis roulants il y a des démarcations numérotées. Lorsque notre carton Carlton a été enregistré, la section du tapis a été également indiqué – en l'occurrence 119. Le passage dans les incinérateurs et broyeur se fait par section, c'est-à-dire que les appareils sont vides lorsque la section arrive dedans et vides lorsque la section en ressort.
-Oui je vois. A quoi cela sert-il ?
-Et bien dans cette salle le tapis roulant défile et nous enregistrons la destruction du carton uniquement lorsque la section 119 passera devant nous. S'il n'y a plus rien dessus, c'est que l'objet a entièrement été détruit, nous pouvons donc mettre à jour le dossier.
-Qu'en est-il pour la plaque dont je vous parle alors ?
-Je regarde ça immédiatement. Les plaques sont enregistrées individuellement donc nous les enregistrons à la première lettre du nom de famille et du prénom et l'année de destruction. Voyons voir. GE2008…Détruite ! Vous voyez, c'est indiqué là !
-Et donc… La voix de Jennifer s'était faite dangereusement doucereuse. Comment expliquez-vous que je la tienne dans mes mains ? »
Merci à Cleca51. Ta review m'a relancé dans la publication, petit rappel au milieu de nulle part qui fait du bien. J'espère que le chapitre t'aura plu, ainsi qu'à tous ceux qui sont encore là.
Belle année à vous,
EllyanaZoé
