C'était sa première rentrée. Le début de sa carrière d'enseignant. Et Remus n'avait jamais été aussi stressé.
Mais, contrairement à ce que l'angoisse lui faisait penser, tout s'était parfaitement bien passé. L'école dans laquelle il enseignait était celle où il avait passé ses études, et ses nouveaux collègues étaient pratiquement tous ses anciens professeurs.
Il avait imaginé que ça serait sans doute un peu étrange, de revenir ici après autant de temps. Après avoir erré un moment, à se demander ce qu'il allait faire de sa vie, après avoir décidé de prendre cette voie et de devenir professeur. Après quinze ans, il avait pensé que tout serait différent.
Mais lorsqu'il était arrivé, lorsqu'on lui avait attribué des quartiers et que la pression était un peu retombée, c'était comme être rentré à la maison. Comme si ce lieu était exactement l'endroit où il devait se trouver.
Remus avait trente-trois ans, et c'était la première fois qu'il se sentait à sa place depuis que ses dix-huit ans s'étaient envolés. Depuis qu'il avait eu l'impression que tout s'était écroulé autour de lui.
Les choses avaient commencé à se compliquer lorsque les élèves étaient arrivés. C'était un pensionnat, ils restaient dans l'établissement toute la durée de l'année scolaire, et rentraient pour les grandes vacances. Certains rentraient également chez eux pour les vacances, mais la plupart du temps, les professeurs vivaient avec leurs élèves en permanence.
Pendant la cérémonie de rentrée, où les dortoirs étaient attribués et où chaque nouvel élève se présentait, Remus avait bien eu l'impression de se faire foudroyer sur sa chaise lorsqu'un jeune garçon s'était avancé.
Un petit brun à lunettes, avec des yeux incroyablement verts, qui avait fait ressurgir des tonnes de souvenirs que Remus avait tenté d'enfouir quelque part dans son esprit. Des souvenirs d'un adolescent qui lui ressemblait comme deux gouttes d'eau, en plein milieu d'un entraînement de foot. Des souvenirs de ce même garçon, au beau milieu de leur dortoir, en train de lui demander des conseils pour écrire une stupide lettre d'amour. Et forcément, des souvenirs d'autres personnes, que Remus s'efforça de chasser.
Harry, Harry Potter. Remus n'avait jamais prêté attention à tout ce qui entourait son ancien ami. Il avait entendu qu'il avait été recruté dans une équipe professionnelle, d'ailleurs, tout le monde semblait être au courant alors qu'Harry se faisait aborder de tous les côtés une fois installé. Mais il n'avait aucune idée qu'il avait eu un enfant. Peut-être même plusieurs.
Cette soirée lui avait laissé un goût amer dans la bouche, et la nuit qui avait suivi avait été catastrophique. Parce que tout était revenu avec force, tous les bons moments qu'il avait passé ici, les blagues stupides, les heures de cours qu'ils avaient séchés pour s'enfuir dans le petit village tout proche, simplement pour passer du temps ensemble. Tous les quatre.
Remus avait été incapable de vraiment dormir. Il se sentait mal, nauséeux, et ses pensées étaient un véritable capharnaüm. Alors qu'il était parvenu à tout garder sous clé pendant des années, alors qu'il était parvenu à ne plus y penser ou presque, il suffisait d'un adolescent pour tout lui rappeler.
Sa première heure de cours avait été compliquée. Pas parce que ses élèves avaient été dissipés, bien au contraire ils avaient été parfaits. Mais parce que tout était embrouillé dans son esprit. Et ce fut le cas pendant une bonne semaine, avant qu'il ne parvienne à s'y faire.
Harry était un jeune garçon absolument adorable. Remus avait cours avec lui, évidemment, et il avait presque espéré qu'il soit insupportable. Il avait presque espéré finir par le détester. Et ça ne lui ressemblait pas, d'avoir ce genre de souhaits. Mais s'il s'était mis à le détester, ça aurait sans doute été plus simple d'enfouir ses vieux souvenirs, de se mettre à haïr ses vieux amis.
Et il fallait croire qu'après quinze ans à essayer, ça n'était pas Harry qui allait l'aider à y parvenir. C'était même plutôt tout le contraire.
Il était souriant, extraverti, tout comme James. Et il était intelligent, incroyablement vif, toujours prêt à donner un coup de main à ses amis lorsque quelque chose les bloquait, comme Lily. Et Remus ne pouvait pas empêcher son cœur de se serrer douloureusement à chaque fois qu'il envoyait un clin d'œil taquin à quelqu'un à travers la pièce, ou à chaque fois qu'il le reprenait sur sa façon de se tenir sur sa chaise. Parce que c'était exactement le genre de choses que Sirius faisaient.
Et Remus ne voulait pas penser à Sirius. C'était supportable, de se souvenir de James et de sa bonne humeur, de ses conseils idiots. C'était supportable, de se souvenir de Lily et de sa douceur, de ses étreintes et de ses cheveux qui brillaient au soleil. Ça ne l'était pas de se souvenir de Sirius. Ça ne l'était pas de se souvenir de ses boucles noires qui caressaient son visage quand il lui sautait dans les bras, et ça ne l'était pas de se rappeler des yeux gris si doux lorsqu'il posait le regard sur lui.
Ça faisait mal, comme des milliers de poignards dans son cœur. Et Remus ne voulait plus avoir mal.
Et pourtant, peu importe avec quelle force il essayait de ne plus y penser, dès qu'il posait les yeux sur Harry, ça revenait brutalement.
Il avait pensé que ça passerait, il parvenait à dormir maintenant, sans trop de difficulté. Et puis, après deux mois de cours où Remus avait vraiment trouvé sa place, Harry s'était présenté à son bureau.
Alors Remus l'avait fait entrer sans trop comprendre, et le regard vert l'avait transpercé derrière les lunettes rondes. Comme si l'adolescent tentait de sonder son âme. Comme s'il essayait de le déchiffrer avant de parler.
- Qu'est-ce qui t'amène ici Harry ? avait-il fini par demander comme le silence s'éternisait un peu.
- J'avais une question… J'ai discuté de mes professeurs avec ma mère, puisqu'elle a étudié ici aussi. Et elle m'a dit que vous vous connaissiez… Que vous étiez à l'école ensemble. Avec mon père. C'est vrai ?
Remus eut clairement l'impression qu'un bloc de béton était tombé dans son estomac, et son visage avait dû devenir livide alors que l'expression d'Harry se faisait un peu plus inquiète.
- Vous allez bien monsieur ?
Il lui avait fallut quelques secondes pour hocher la tête, avaler sa salive et reprendre contenance. C'était bien la dernière chose à laquelle il s'attendait.
- Ça va. J'ai juste été un peu surpris, assura-t-il en se passant une main sur le visage. Oui, j'étais à l'école avec tes parents. Pourquoi ?
Et c'était bien ce qui le perturbait le plus, de ne pas comprendre où Harry voulait en venir. L'adolescent baissa un peu la tête avec un air gêné, jouant avec ses doigts avant de prendre une longue inspiration.
- Vous pourriez me parler de mon père ? Je veux dire… Je le vois pas beaucoup à cause de son travail, et j'aimerai bien savoir… Comment il était quand il était plus jeune. Ma mère m'a dit que vous étiez proches à l'époque. Et ils ne m'en parlent pas vraiment, enfin… Ils n'ont pas vraiment le temps de m'en parler.
- Ils ? questionna-t-il en fronçant un peu les sourcils.
- Oui, maman et oncle Sirius, répondit Harry avec un sourire éclatant. Maman dit que vous étiez proches aussi mais que vous vous êtes perdus de vue parce que vous êtes partis à l'étranger. Je pourrai vous donner son numéro si vous voulez, vous pourriez reprendre contact ?
Remus regretta immédiatement tous les choix qui l'avait conduit jusqu'ici. Il avait envie de disparaître, de s'enterrer quelque part ou de se barricader dans une grotte. Mais il se contenta d'afficher un sourire poli, et de secouer légèrement la tête.
- Ça ne sera pas utile Harry. C'est très gentil, mais je pense qu'on ne s'entendrait plus aussi bien qu'avant, déclina-t-il doucement alors qu'au fond quelque chose le poussait presque à accepter. Mais je peux te parler de ton père, j'ai un peu de temps. Qu'est-ce que tu veux savoir ?
Et c'est comme ça qu'il commença à parler à Harry de ses années adolescentes, de son père et de sa mère. Il répondit à ses questions du mieux qu'il put, essayant d'éviter de trop parler de Sirius.
Il avait appris qu'il vivait avec Lily et James, enfin plutôt avec Lily et Harry. Qu'il leur tenait compagnie quand James partait pendant plusieurs mois, et qu'ils vivaient tous dans l'ancienne maison de ses parents. Un manoir plus qu'une maison. Ils avaient passé du temps là-bas, quand ils étaient jeunes et que Sirius en avait hérité.
C'était devenu un rendez-vous presque quotidien. Une heure avant le repas, Harry s'invitait dans son bureau, et ils discutaient en buvant un thé et en grignotant du chocolat. C'était agréable, et Remus se prenait à imaginer ce que ça aurait été de le voir grandir, d'assister à ses anniversaires et de ne jamais couper les liens avec les autres.
C'était douloureux, et en même temps, il se sentait étrangement reconnaissant de pouvoir faire un peu partie de sa vie. Harry se montrait de plus en plus taquin lorsqu'ils étaient en privé, mais toujours aussi respectueux lorsqu'ils étaient en cours, et c'était agréable également.
Les vacances arrivèrent enfin, et l'adolescent lui annonça qu'il rentrait pendant cette période. Et Remus se sentit presque triste de le voir partir pendant ces deux petites semaines. Il s'était attaché à lui de façon beaucoup trop dangereuse, alors qu'il n'aurait dû être qu'un élève comme les autres.
Ces deux semaines passèrent avec une lenteur affolante. Mais ça lui permit d'avancer dans ses préparations de cours et de devoirs. Et dans les quelques corrections qu'il avait déjà à faire.
La soirée d'Halloween était toujours grandiose à Poudlard. Elle l'avait toujours été lorsqu'il était étudiant, et cette année-là ne fut pas une exception. Les décorations étaient incroyables, le repas succulent, et le directeur avait engagé quelques acteurs pour effrayer les élèves restant, avec un succès étonnant.
Remus avait passé des vacances excellentes, pour la première fois depuis un moment, et le retour des élèves fut un retour brutal à la réalité.
Jusqu'à ce qu'Harry ne rentre dans son bureau comme une furie, un sac à la main et un air excité sur le visage.
- Sirius m'a dit de vous donner ça quand je reviendrai, s'exclama-t-il en posant le sac devant lui. Je ne sais pas ce que c'est, mais il a dit que c'était vraiment très important.
Et l'adolescent repartit aussi vite, sûrement pour ranger ses affaires avant le dîner.
Son regard se posa sur le sac comme s'il s'agissait d'une bombe, et Remus considéra un instant l'idée de le jeter sans même regarder le contenu. Il ne voulait pas de quelque chose qui venait de Sirius.
Mais la curiosité le poussa à l'ouvrir, pour y trouver un petit paquet et une lettre étrangement soignée. Il l'ouvrit, le cœur battant à tout rompre devant cette écriture qu'il avait vu tellement de fois. Elle était un peu plus appliquée qu'à l'époque, les lettres étaient un peu plus rondes et Remus eu un peu de mal à se lancer dans sa lecture.
«Remus.
J'ai longuement hésité avant de t'écrire. Enfin, en réalité, j'ai longuement hésité avant de prendre la décision de te faire parvenir cette lettre. Je t'en ai écrit des tas ces dernières années. Je te les aurais envoyés, si j'avais su où les adresser. Si j'avais eu un numéro, une adresse, même un mail.
Tu sais… Je ne comprends toujours pas pourquoi tu as disparu comme ça. Est-ce que c'était de ma faute ? Est-ce que tu voulais simplement cesser de nous voir ? J'ai retourné la question des milliers de fois, et je n'ai toujours pas de réponses.
Harry m'a dit que tu étais un professeur génial, Lily lui a dit que c'était déjà le cas quand on était encore à l'école et que tu devais nous réexpliquer tous les cours. On parle beaucoup de toi en ce moment, Harry nous appelle presque tous les jours pour nous raconter vos discussions.
Il a l'air heureux que tu lui parles de tout ça, mais j'espère que ça n'est pas trop ennuyant pour toi. J'espère… J'espère que tu vas bien. J'ai espéré que tu ailles bien pendant quinze ans, j'ai essayé de te trouver, mais tu n'as pas de réseaux sociaux. Je ne veux pas m'immiscer dans ta vie Remus.
Enfin, pour être honnête, si, j'aimerai beaucoup redevenir une part de ta vie. Tu n'as jamais cessé d'être une part de la mienne. Mais je ne veux pas t'y obliger. Je resterai à distance si c'est ce que tu veux. J'avais juste besoin que tu saches que je suis soulagé que tu sois là. Que tu fasses quelque chose qui te plaît.
Je t'ai laissé un petit quelque chose avec, je crois que c'était ceux-là que tu préférais.
Tu me manques beaucoup Moony. Tu me manques atrocement. Tu nous manques à tous, mais à moi un peu plus.
Prends soin de toi, et si tu en as envie, écris-moi. S'il te plaît fais-le.
Sirius.»
Remus ne put empêcher les larmes de couleur sur ses joues, peut-être qu'elles étaient là depuis le début de sa lecture. Et il ne put s'empêcher de remarquer les quelques tâches à la fin de la lettre, son cœur se serrant violemment.
Son regard fixa le numéro noté tout en bas, et s'il s'était écouté, il l'aurait sans doute appelé. Là, dans la seconde, sans savoir quoi dire et en larmes. Mais il replia la lettre, la glissant dans son sac, et il ouvrit le paquet lentement.
Il y découvrit des chocolats, ceux que Sirius avait l'habitude de lui acheter lorsqu'il partait en vacances en Suisse, et ses larmes redoublèrent. Il était perdu, complètement, et il n'avait aucune idée de ce qu'il devait faire.
Il avait tout gâché quinze ans avant, il ne pouvait pas se permettre de recommencer. Il ne pouvait pas se permettre d'être blessé à nouveau, parce qu'il ne s'en remettrait pas cette fois.
