Disclaimer : L'univers de Kuroko no Basket que vous reconnaitrez aisément appartient à Fujimaki Tadatoshi. L'auteur me le prête très aimablement pour que je m'amuse avec et je ne retire aucun profit de quelque nature que ce soit de son utilisation si ce n'est le plaisir d'écrire et d'être lue.

Note de l'auteur : Je veux remercier du fond du cœur ma béta-lectrice, Futae qui s'est servie de son "Eagle Eye" (fallait que j'la case celle-là ! ^^) pour corriger cette histoire et me conseiller. C'est grâce à son enthousiasme, ses encouragements et son sens de l'analyse et de la critique sans détour, que cette histoire a pu voir le jour.

Note importante : j'avais décidé de retirer toutes mes histoires de ce site suite à ce que je pense être un piratage. Je me suis laissée convaincre de les remettre, mais malheureusement ce site fonctionne tellement mal que je n'ai pas pu toutes les récupérer. J'ai donc décidé de les reposter. Si vous les lisez et qu'elles vous plaisent, n'hésitez pas à le dire, ça me fera plaisir et ça me remontera le moral même si les commentaires ne seront pas les mêmes qu'à l'origine.

Bonne lecture.


Le roman de notre histoire

Chapitre 09

Durant l'enquête, les bureaux de la maison d'édition Rakuzan avaient été envahis par toute une équipe de policiers. Une grande quantité de documents avait été saisie et un certain nombre corroboraient l'accusation de fraude aux droits d'auteurs. Nebuya, Mibuchi et Hayama avaient failli se faire avoir lorsqu'ils avaient été interrogés. Si, avant cela, ils voulaient dire qu'ils n'étaient au courant de rien, le fait que leur adresse mail apparaisse parmi les destinataires du courrier reçu par Furihata les discréditait complètement et ils s'exposaient à une inculpation pour parjure. Heureusement que leur avocat leur avait bien fait comprendre qu'il valait mieux coller au plus près de la vérité. Oui, ils avaient eu ce mail, mais ils ignoraient ce qu'il signifiait. Akashi n'étant pas quelqu'un de très ouvert ni prompt à répondre à leurs questions, ils n'avaient pas cherché plus loin. Ils chargeaient la mule, mais mieux ça que risquer eux aussi la prison.

Ce jour-là, dans le bureau du juge, l'ex-PDG de Rakuzan entendit le verdict de son procès. Il fut mis en faillite personnelle. Ces biens furent saisis et seraient évalués afin que les créanciers soient remboursés. Les auteurs récupéreraient leur dû avec un supplément de quinze pour cent pour préjudice causé. Sauf que pour sortir autant d'argent, Akashi allait devoir vendu sa villa avec piscine, ses trois appartements, ses quatre voitures, et surtout une grande partie de ses actions. Il n'avait pu en conserver que douze pour cent, en dessous de ce qu'avait estimé Shirogane. La dette était bien plus importante que prévu. Son séjour en prison avait été efficace si le juge interprétait correctement l'attitude de l'accusé. La tête baissée, les yeux vides et le dos légèrement vouté.

Nijimura s'était montré intraitable et impitoyable en ne les rachetant qu'à vingt pour cent de leur valeur et ainsi, il devenait l'actionnaire majoritaire du groupe. Le conseil d'administration avait approuvé la procédure à l'unanimité.

Considérant que l'expérience d'Akashi auprès des éditions était indispensable pour poursuivre l'activité afin d'éviter d'éventuels licenciements ou placer des écrivains en porte à faux, le juge l'autorisa à reprendre son poste sous la tutelle d'Higuchi qui allait devoir entériner tous ces choix en tant que seul décisionnaire. Et il lui faudra également pointer toutes les semaines au bureau juridique de son lieu de résidence, à savoir l'appartement de son avocat.

Il n'avait plus rien. Les actions qu'il avait pu garder représentaient douze pour cent du portefeuille du groupe. Cela lui permettait d'avoir un train de vie très décent, mais loin de ce qu'il avait auparavant. Et comme il avait interdiction de quitter la ville et le pays – sauf en cas de circonstances exceptionnelles et avec l'autorisation du juge – il ne pouvait même plus passer ces vacances à l'étranger. Et il venait d'en prendre pour cinq ans. Cinq ans d'une sorte de mise à l'épreuve pendant lesquels il allait devoir obéir à des règles et des lois, lui qui était habitué à faire obéir son entourage au doigt et à l'œil.

Mibuchi était celui qui le connaissait le mieux. Il arrivait à déceler son état d'esprit plus aisément que les autres. Oh, pas aussi bien qu'il l'aurait voulu, mais ça lui permettait d'adapter son attitude. Akashi n'avait rien perdu de son charisme, pourtant, le superviseur sentait bien que quelque chose le préoccupait et qu'il s'assombrissait chaque jour davantage. Il comprit que son compagnon devait se confier, sortir tout ce qu'il avait sur le cœur et sur la conscience sinon, il allait faire une dépression nerveuse si ce n'était pas déjà le cas. Il prit donc l'initiative de l'inviter chez lui sous prétexte de se changer les idées et de voir un peu où ils en étaient tous les deux.

Il leur servit un Bourgogne-Aligoté, un vin blanc français parfait pour l'apéritif. Assis côte à côte sur le canapé en cuir d'un vert pétrole, ils discutaient de tout et de rien, esquivant les sujets sensibles en espérant que l'autre ferait le premier pas. Parfois, il faut pousser mémé dans les orties.

— Comment tu gères tout ça ? finit par demander Mibuchi avec beaucoup de douceur pour éviter qu'Akashi ne se rétracte comme un escargot dans sa coquille.

— Tu t'décides enfin à poser la question ?

— Je savais pas trop comment m'y prendre, mais j'crois qu'y a pas trente-six façons...

— Effectivement. À ton avis ? Comment je me sens ?

Sa voix était un peu traînante, comme si plus rien n'avait d'importance. Il était là sans vraiment y être. Il semblait n'avoir jamais totalement quitté la prison.

— J'ai pas envie d'jouer aux devinettes. Réponds-moi, tout simplement.

— Imagine un instant que tout ce que t'as, on te l'enlève d'un claquement de doigts, commença Akashi après quelques secondes de silence. Ton appartement, ta voiture, ton argent, tes vêtements, jusqu'à ta brosse à dents. Imagine te retrouver à la merci de personnes qui décident quand tu dois dormir ? Manger ? Te promener ? Prendre ta douche ? Et que tout ça, tu ne le fasses jamais seul ? Que tu doives abandonner jusqu'au concept même d'intimité ? Peux-tu imaginer, Reo ?

Le ton si neutre de sa voix frisait l'indifférence. Un peu comme si Akashi refusait la simple idée d'avoir des sentiments. Il ne se révoltait pas, ne menaçait personne, ne donnait pas d'ordre avec cette voix glaciale qui le caractérisait tant. Il était là, mais il était absent. Mibuchi en fut profondément affecté.

— Parle-moi, je serai toujours là, tu le sais. Les gardiens ne t'ont pas maltraité, quand même.

— Les gardiens ? Pas physiquement… Mais les autres détenus ne sont pas tous des enfants de chœur… C'est la loi du plus fort qui règne…

— Alors je suis certain que t'as su t'imposer, sourit Mibuchi en caressant tendrement la joue où venait de dévaler une larme, ce qui le surprit au-delà des mots.

— Reo, ils m'ont brisé…

Mibuchi ouvrit des yeux horrifiés. Il retint un hoquet en mettant sa main devant sa bouche, mais il ne put retenir ses larmes. Il comprenait maintenant le vide qui rampait dans le regard d'Akashi. Dans un geste illusoire de réconfort, il serra le contre lui. L'ex-PDG se tendit. Ce geste lui rappelait de trop mauvais souvenirs. Les brimades, ne pas réussir à impressionner les autres par son aura menaçante, l'impossibilité de se défendre des coups et les rendre à cause de son petit gabarit, ne pas pouvoir crier à l'aide. Mais par-dessus tout, prendre en pleine figure sa propre impuissance à s'imposer alors que chez lui c'était une seconde nature. Ce n'était qu'un quartier de sécurité minimale, mais l'incarcération inhumaine lâchait la bête qu'il y a en tout homme. Manger ou être mangé. Tout ça parce qu'il était un gosse de riche et riche lui-même. Il avait bien tenté de résister, de dominer comme il l'avait fait en dehors de ces murs garnis de barreaux épais et solides, et où il y était parvenu grâce à son intelligence et sa rouerie. En vain. Il s'était convaincu lui-même qu'il était en acier trempé, mais lorsqu'on se croit au sommet du monde, et que la chute survient sans crier gare, elle est vertigineuse et très douloureuse. En quelques semaines, la prison l'avait broyé.

Il avait été éduqué dans une optique bien précise. Akashi Masaomi, son père, l'avait élevé comme un pur-sang, pour gagner, en oubliant la tendresse, l'amour, la compréhension que sa mère, disparue trop tôt, lui aurait apportée. Prendre les rênes de Rakuzan pour lui succéder petit à petit était tout ce qui comptait. La mort précoce de celui-ci avait plongé son fils dans le grand bain bien avant l'heure. On lui avait appris à ne viser que l'excellence et la perfection. Et seulement ça. Il ne voyait en son père qu'un éducateur, un précepteur, un professeur et la fierté de son parrain d'avoir un filleul aussi doué, avait conforté le jeune garçon et plus tard l'adolescent, que son avenir s'annonçait sous les meilleurs hospices. Il allait diriger une multinationale. Il aurait le monde à ses pieds. Et ce fut vrai, ou presque, pendant un temps. Pourtant, l'ennui le gagna. Il réussissait tout ce qu'il entreprenait et même son Vice-Président ne pouvait s'opposer à lui. Il était le patron, c'est tout.

Il voulait éprouver l'excitation du risque quand on ne sait pas si on va vaincre ou perdre, que la victoire n'est pas acquise. Quand l'avenir est incertain. Alors il avait choisi la spéculation boursière. Et ça, c'était vraiment dangereux pour un novice. Surtout lorsqu'il croit tout savoir parce qu'il est PDG d'une holding à seulement trente ans. Il avait eu un peu de réussite au début, mais très vite, ça avait tourné à la catastrophe. À chaque fois, il se disait que la prochaine tentative serait la bonne, et c'était pire. Tout son argent y était passé. Il avait contracté des emprunts assez conséquents auprès de plusieurs banques. Après tout, on ne refuse rien au patron de l'une des trente plus grosses entreprises du Japon. Mais quand vint le moment de rembourser, c'était devenu utopique. Il avait eu l'idée tordue de s'approprier une partie des droits d'auteurs des écrivains de la maison d'édition pour se renflouer. Pour mener à bien son plan, il avait fait appel à un hacker. Et une toute petite erreur de ce dernier avait provoqué un effet domino de conséquences jusqu'à faire cette confession à son ami.

C'était ce que Mibuchi avait décelé. Akashi n'avait plus cette aura menaçante et lourde. Il avait toujours beaucoup de charisme et une présence indéniable. Mais il semblait avoir laissé sortir la personne qui était en lui depuis sa naissance, celle qui avait été bridée par son père pour le formater à l'image qu'il avait de ce que devait être "un Akashi". L'humain Akashi Seijuro venait de renaître, tel un phœnix, dans les cendres les plus abjectes qui soient. Est-ce que ce sera permanent ? Ou pas.


Après quinze jours d'hôpital, et bien qu'il ait encore quelques douleurs aux côtes s'il riait trop fort, Furihata fut enfin autorisé à rentrer à son domicile. Sauf que Kagami ne l'entendait pas de cette oreille et l'avait pratiquement forcé à venir habiter chez lui jusqu'à ce qu'il se trouve un nouvel appartement. Il avait passé son temps entre éplucher les annonces sur les sites des agences immobilières et poursuivre l'écriture de son roman policier. Après cette agression, il craignait de rentrer chez lui. Furihata n'était pas quelqu'un de très courageux. Il préférait éviter les problèmes, quitte à passer pour un peureux. Sa petite stature lui avait valu d'être toujours embêté à l'école et même en dernière année de lycée, il avait été le souffre-douleur de trois autres garçons de son âge. Il n'avait plus confiance en lui, mais la maturité avait effacé cet aspect de sa personnalité à condition qu'il ne se sente pas directement menacé. C'est pour cette raison que les personnages de ses romans étaient tout le contraire de lui. Il exorcisait ainsi son manque de bravoure. Ça ne le gênait pas, il vivait très bien comme ça.

Dans les jours qui suivirent, il visita les trois appartements qu'il avait repérés. Il y alla avec un ami pour ne pas déranger son hôte. Finalement il se décida pour un deux-pièces avec terrasse, un peu plus grand que son actuel domicile. Une chambre et un salon plutôt spacieux avec une kitchenette. Il n'avait pas besoin de plus. Il voulait économiser pour s'acheter une maison ou un beau loft plus tard, comme l'avait fait Kagami. Il choisit aussi le système de la boîte postale. Son courrier y serait envoyé sans qu'il ait à donner sa véritable adresse.

— Bonsoir, Taiga, fit-il d'un ton enjoué, ce qui ne lui était pas arrivé depuis longtemps.

— Alors cette visite ? demanda son ami tout en s'affairant devant les fourneaux.

— Trouvé et conclu. Demain j'appelle une société de déménagement.

— Et ton préavis ? Ton proprio ne va pas être content.

— Dans mon bail, il y a une clause de circonstances exceptionnelles qui permet de le réduire à quinze jours. Et vu ce qui m'est arrivé, je doute qu'il s'oppose à mon départ.

— C'est juste. Aller ! On fête ça ! Bon appétit !

— C'est délicieux ! T'as vraiment tous les talents !

— Au fait… Toute la semaine prochaine, je serai à Touou pour des corrections. D'après Aomine, y a pas mal de boulot.

— Pas de souci. Et ça se passe comment avec lui ?

— Pas mal… C'est un vrai fauve, mais quand je vois le résultat, je ne me plains pas. Seirin va éditer mes romans en poche, je te l'ai dit ?

— Ah non ! C'est génial ça.

— Le format numérique est déjà en vente...

— Et le format papier ?

— Fin novembre au mieux, mais plutôt début décembre. Tu devrais les contacter, t'as plus de livres que moi, ça risque de leur prendre un certain temps.

— T'as regardé tes stats chez Akashi ? demanda Koki, d'un ton plus sérieux.

— Mouais… ça vole bas. Les gens boudent Rakuzan, pas nos bouquins.

— Ils pensent qu'en boycottant les éditions y vont leur faire du tort, mais ils nous en font également.

— D'un côté, ça m'fait plaisir de savoir que l'public sanctionne ce genre d'escroquerie…

— … mais d'un autre, il ne voit pas qu'les écrivains sont aussi impactés, termina Furihata.

— C'est ça. On a peut-être été très bien indemnisés, mais une chute des ventes c'est une baisse de revenus pour nous.

— Et de notoriété. Les gens restent à la surface des choses. Ils ignorent comment ça fonctionne véritablement.

— Ça va aller. Quand ils s'apercevront qu'on est édité ailleurs, que nos livres sont toujours là, ça va s'arranger. Tu veux autre chose ? Un fruit ? Un thé ? proposa Kagami.

— Non, rien merci. J'ai les doigts qui m'démangent, sourit Furihata en les agitant devant son visage.

— Moi aussi… Je vais noircir quelques pages…

— On se voit demain ?

— Ça marche… Bonne nuit, Koki…


Le lendemain après-midi, Kagami envoya un mail à Midorima. Il ne voulait pas être indiscret, mais il était curieux de savoir où en était la traque du hacker qui avait piraté les bases de données des librairies. Bien conscient que l'avocat ne pouvait pas lui parler d'une affaire en cours, il espérait quand même glaner quelques informations qui pourraient être utiles à Furihata. Quelques minutes plus tard, son téléphone sonnait.

— Bonjour maître.

Monsieur Kagami, je ne m'attendais pas à votre mail. Votre affaire est terminée, déclara celui-ci sans préambule.

— De la curiosité tout simplement. Je ne veux pas que vous me dévoiliez les détails des investigations, dites-moi juste si vous avancez.

En fait, pas vraiment. Ce… Itsmine est très doué. Mon enquêteur est à bout de nerfs. Il ne dort presque pas et mange à peine.

— Je vois… Accepteriez-vous que je vous offre un verre comme lorsque nous nous sommes vus en tête à tête ? Quand ça vous arrange…

Vous souhaitez des précisions sur le déroulement du procès?

Kagami jubilait. Cet avocat avait vraiment l'esprit vif. Personne n'imaginerait quelle pourrait être la teneur de leur entrevue en ignorant de quoi ils avaient déjà discuté.

— C'est ça, exactement, et ça pourrait me servir dans mon roman. Mais je dois d'abord terminer une chose et je vous rappelle pour qu'on se voie ?

Très bien. Tenez-moi au courant.

L'écrivain venait d'avoir une idée complètement folle, mais pour la concrétiser, il lui fallait d'abord l'accord de son ami Himuro.

Mon écrivain préféré! Un souci avec ton ordi? Besoin d'un câlin? fit la voix enjouée de l'informaticien.

— Non, rien de tout ça. Tu vas bien ? J'te dérange pas ?

Du tout. Tout va bien.

— J'ai un truc à t'proposer, mais il faudra définir les règles.

Quoi? Tu veux une expérience SM et tu veux connaître le mot de sécurité?

— Mais non ! Arrête tes conneries et écoute ! répondit l'écrivain avec un petit rire.

OK! Vas-y.

— Je viens d'avoir mon avocat au téléphone et il m'a dit que son enquêteur avait beaucoup de mal à coincer Itsmine.

Ça m'étonne pas. Il est très fort. Ça va par être facile.

— Et si tu bossais avec lui ? À vous deux, vous y arriveriez peut-être…

Ohé! T'es fou? HawkEye est accrédité pour faire ça, pas moi! s'écria Tatsuya sur la défensive.

— Je sais, mais personne n'a besoin de l'savoir. Tu pourrais faire ça d'manière anonyme. C'est faisable non ?

Bien sûr, souffla Himuro d'une voix à peine audible, oui c'est faisable...

— Et j'connais beaucoup de personnes qui seraient contentes de voir c'connard derrière les barreaux. J'sais que tu vois ça comme du cyberterrorisme, pas comme ce que toi et les gars comme toi vous faites. Ça te tente d'essayer ?

Comment tu vois les choses?

— J'en parle à Midorima de vive voix et s'il est d'accord j'lui demande le téléphone de son enquêteur et tu le contactes. À partir de là, c'est entre toi et lui.

J'te rappelle dans une heure…

Kagami se retrouva le bec dans l'eau. Himuro venait de lui raccrocher au nez. Il savait qu'il venait d'en demander beaucoup à son ami, mais quelque chose lui disait que c'était ce qu'il fallait faire. Les deux informaticiens devaient travailler ensemble pour que cette traque soit plus efficace. Un peu plus d'une heure plus tard, son ami le rappelait.

Bon, c'est OK. J'ai tout vérifié... Ça devrait marcher...

— Super ! J'peux dire à Midorima qu'j'ai un joker pour lui ?

Tu peux. J'ai aussi amélioré les programmes qu'j'ai utilisés pour rentrer chez Rakuzan.

— Ceux qui t'font passer pour une composante du système ?

C'est ça. J'vois que t'as bien tout retenu, le complimenta Himuro, un sourire dans la voix. Mais n'oublie pas que tout est piratable sur Internet. Absolument tout. Même moi, avec mes programmes, on peut m'retrouver. Difficilement, mais c'est pas impossible.

— Je sais… Dès qu'je vois l'avocat et qu'il me donne le numéro d'HawkEye, je te l'envoie.

Ça marche.

— Tatsuya ?

Oui?

— Merci du fond du cœur. Ça m'f'rait chier qu'Itsmine s'en tire. Surtout à cause de c'qui est arrivé à Furihata.

Je sais… J'comprends. On va l'avoir, t'inquiète!


Si Mibuchi et Hayama s'étaient réjouis du retour d'Akashi, l'ambiance était lourde en particulier lors des réunions d'approbation avec Higuchi. Il détestait Akashi et ne le cachait pas. Auparavant, ce dernier aurait tout fait pour le faire sortir de ses gonds, il l'aurait provoqué sans relâche pour bien lui montrait qu'il restait seul maître à bord ou peu s'en faut. Mais depuis, il était presque arrangeant avec son directeur par intérim. Il disait amen à tout ou presque et lorsqu'il voulait faire valoir son point de vue, s'était comme s'il demandait l'autorisation de s'exprimer. Au début, Higuchi avait pris un malin plaisir à le contrer, mais il ne connaissait pas aussi bien les éditions qu'Akashi et son attitude ne les servait pas. Alors il écouta avec plus d'intérêt, les idées qui lui étaient présentées. Et il dut bien avouer qu'elles étaient frappées au coin du bon sens.

C'est pourquoi, lorsque Akashi suggéra d'élargir les genres et les formats, et après avoir demandé leur avis aux chefs de départements, il accepta. Rakuzan allait faire des livres de poche ainsi que de la Science-Fiction et de l'Heroic Fantasy. Mais il allait falloir du temps pou lettre tout ça en place.

Ces deux genres étaient bien plus répandus qu'on ne le croyait et la compétition était rude. Mais Rakuzan devait agrandir sa gamme pour redevenir concurrentielle et proposer des conditions particulièrement attractives afin d'attirer de nouveaux écrivains. Elle devait clore définitivement le chapitre du détournement des droits d'auteurs et tourner la page pour en entamer un tout neuf. Et pour cela, il fallait des fonds et après mûre réflexion, le Vice-Président Nijimura – parce qu'Akashi était toujours PDG en titre même s'il n'était plus majoritaire – accorda l'argent nécessaire à ce projet soutenu par son bras droit. Il en fut quelque peu déconcerté, sachant à quel point Higuchi haïssait Akashi. Il ignorait pourquoi, mais peut-être qu'un jour il poserait la question.

Puisque Nijimura s'occupait de diriger le groupe, Akashi put passer plus de temps au management de la maison d'édition. C'est ce qu'il préférait. En plus de ses études de commerce et de gestion, il avait également suivi des cours de littérature et d'informatique. Mais ces compétences ne lui avaient jamais permis de devenir écrivain ou informaticien. Et de toute façon, ce n'était pas ce qu'on attendait de lui. Avec le recul, il se demandait pourquoi il avait mis tout ça en péril. Ah oui… le frisson du danger. Assis à son bureau, le regard tourné vers la baie de Tokyo, il était perdu dans ses pensées. La prison l'avait-elle vraiment changé ? Ne risquait-il pas un jour ou l'autre de s'ennuyer à nouveau et de retomber dans ses travers ? Non. Financièrement, il n'en avait plus les moyens. Il avait joué, il avait perdu. Et perdu très gros. Il prit son téléphone et passa quelques appels.

Lorsqu'il vit le nom de son contact sur l'écran, Kagami faillit s'étouffer avec une gorgée du café qu'il était en train de boire. Que pouvait bien lui vouloir son ancien éditeur ? Ancien éditeur. Deux mots à la consonance excitante et à la signification jouissive. Pour le savoir, il devait répondre.

— Qu'est-ce que tu veux ? cracha l'écrivain en prenant l'appel.

Eh bien, quel accueil! Pas même bonjour?

— J'ai rien à te dire, mais comme j'suis curieux, je vais t'écouter... Fais vite, j'ai pas de temps à perdre.

T'écris toujours ton roman de Science-Fiction?

— Qu'est-ce que ça peut t'faire ? J'croyais que t'allais ramper et me présenter tes excuses les plus plates et les plus hypocrites.

Je comprends… prends-le pour c'que ça vaut, mais… je suis désolé. Si tu l'souhaites, Rakuzan t'éditera encore avec des conditions plus avantageuses que précédemment…

— Pardon ? Tu peux répéter ? s'étrangla Kagami après quelques secondes de silence pour assimiler ce qu'il venait d'entendre.

On va ouvrir deux nouveaux départements. Science-Fiction et Heroic Fantasy. Tu s'ras le bienvenu si tu décides de travailler avec nous.

— J'ai un contrat avec une autre maison. Si tu veux, tu pourras me rééditer sous ton format lorsqu'il sera déjà sorti.

Je vois… T'as déjà rebondi…

— Parce que tu croyais qu'j'allais t'attendre ? Tu rêves ! Allez ! Sois gentil, efface mon numéro de tes contacts. Si j'ai besoin de Rakuzan, j'te sifflerai.

Kagami raccrocha. Il se mit à sourire, puis à rire franchement. Qu'est-ce que ça avait été bon de claquer le bec d'Akashi ! Depuis le temps qu'il voulait faire quelque chose de ce genre, il avait dégusté ce moment inoubliable. Il regrettait de ne pas avoir enregistré leur conversation pour Furihata. Il tambourina sur son bureau comme un gamin et se leva pour esquisser quelques petits pas de danse. De plus, novembre touchait à sa fin et peut-être que son dernier livre "Sur les plages de Sado" allait sortir en livre de poche. C'était plus certain pour début décembre, mais qui sait ? Son roman SF avançait bien, et maintenant Akashi qui le relançait et lui présentait des excuses. La vie pouvait être pleine de surprise. Un coup d'œil rapide à son téléphone lui indiqua qu'il était temps d'aller à son rendez-vous avec Midorima.


Il y avait de belles journées en cette fin du mois de novembre, mais les températures peinaient à dépasser les douze degrés. Le réchauffement climatique, loin de s'améliorer, perturbait progressivement le rythme des saisons et la météo. Midorima avait quitté son bureau sans rien dire à Takao qui était de plus en plus renfermé et sur les nerfs. La traque d'Itsmine le rendait fou. En marchant vers son lieu de rendez-vous, il essayait de deviner ce que pouvait avoir à lui dire l'écrivain. Il avait bien compris qu'il s'agissait d'une chose dont ils ne pouvaient discuter par téléphone. Serait-ce juste de supposer que ça concernait encore le piratage informatique ? Il entra dans le bar et aperçut Kagami qui lui fit un signe de la main.

— Bonjour, fit-il en s'asseyant en face de son interlocuteur.

— Maître Midorima. Comment allez-vous ?

— Bien. Et vous-même ?

— Je fais aller. Vous désirez boire quelque chose ?

— Un thé. Le temps incite aux boissons chaudes.

— Je suis d'accord. S'il vous plaît ? demanda-t-il en levant la main qu'un serveur vit immédiatement. Un thé et un déca.

— Tout de suite, messieurs.

— Alors ? Pour quelle raison vous vouliez me voir ? s'enquit Midorima en s'installant plus confortablement sur son siège.

— Vous m'avez dit que votre informaticien avait du mal à localiser Itsmine, résuma l'écrivain pour remettre les choses dans leur contexte.

— Oui, et ce n'est rien de le dire.

— Est-ce qu'il accepterait de l'aide ?

L'avocat vrilla ses prunelles vertes dans celles de Kagami et le cloua sur place. Il le sonda, tenta de savoir si l'auteur plaisantait, mais il ne voyait pas pourquoi il ferait une chose pareille. Devant l'intensité du regard que celui-ci lui renvoyait, il ne douta pas de son sérieux.

— Que dois-je comprendre ?

— Eh bien… Formulons quelques hypothèses si vous le voulez bien. Imaginons que je connaisse quelqu'un qui a les mêmes compétences que votre enquêteur. Quelqu'un qui m'a dépanné dans mon affaire contre Rakuzan, vous vous en souvenez ? Quelqu'un qui n'a ni autorisation ni accréditation, mais qui est prêt à l'aider de façon anonyme et le plus discrètement possible. Pensez-vous qu'il accepterait ? Bien sûr, il ne s'agit là que de suppositions …

— C'est évident, et supposons également, que je l'appelle pour lui poser la question ?

— Je dirais que c'est une excellente idée, sourit Kagami, ravi de voir avec quelle facilité l'avocat entrait dans le jeu. C'était un vrai régal.

— Comment nous y prenons-nous ?

— Donnez-moi son numéro et je le fais suivre à cette personne. Après ils se débrouillent entre eux.

— Si ça s'trouve, ils se connaissent, songea Midorima.

— Ce n'est pas à exclure…

— Mais tout ceci n'est qu'hypothétique…

— Totalement hypothétique, l'assura Kagami en souriant franchement.

L'avocat sortit pour téléphoner à Takao. Après tout, mieux valait ne pas risquer qu'une oreille indiscrète et un peu trop fine entende la conversation. Kagami but une gorgée de café. Alors que le thé est, pour ainsi dire la boisson nationale du Japon avec la bière et le saké, lui préférait le café depuis un bref séjour en Italie, pays renommé pour ses expressos. Il avait même un percolateur dans sa cuisine. Étant donné que la caféine n'est pas recommandée à trop forte dose et vu le nombre de tasses qu'il avalait tous les jours, il avait opté pour le décaféiné. Après avoir essayé plusieurs marques, il trouva celle qui s'accordait parfaitement, du moins à son goût, avec sa cafetière.

— Il est d'accord, déclara Midorima en revenant à table et en avalant une gorgée de sa boisson. Avant, il souhaite connaître son nom.

— Son nom ?

— Enfin, son pseudo.

— Mirage.

L'avocat tapota sur son téléphone et attendit… dix secondes tout au plus. Il sourit et montra l'écran à l'écrivain. Il put y lire : "OK ! OK ! OK !" Il lui donna le numéro de Takao qu'il transmit à Himuro. Le reste ne regardait que ces deux-là. Les deux hommes discutèrent encore un moment avant de se séparer. Lorsqu'il rentra chez lui, il contacta Furihata en visio pour lui relater l'appel d'Akashi. Il avait emménagé dans son nouvel appartement depuis quelques semaines et son moral était remonté en flèche. Il se sentait beaucoup plus en sécurité et ça se voyait. Son ami non plus n'en revenait pas. Quelle mouche avait donc piqué le PDG ? Qu'importe, l'essentiel était que tout allait bien pour les deux écrivains et pour leurs autres collègues impliqués dans l'affaire des droits d'auteur de Rakuzan. Pour autant que Kagami le savait, ils avaient tous trouvé un nouvel éditeur. La vie semblait leur sourire.


Depuis son renvoi, Nebuya Eikichi, de son prénom, passait ses journées à manger, ruminer, faire de la musculation et imaginer un plan pour se venger d'Higuchi. Il l'avait vraiment mauvaise. Jamais personne ne l'avait humilié à ce point. Et il avait la rancune tenace. Akashi l'avait appelé à sa sortie de prison et il avait trouvé son patron changé. Il n'avait plus la même agressivité à la limite de la tyrannie qu'auparavant. Il lui rappelait le garçon qu'il était lorsqu'il habitait encore dans la résidence des Akashi, avant que son père ne prenne en main son éducation.

Il lui avait reproché d'avoir agressé Furihata. Il n'aurait jamais dû faire ça, même si le jeune PDG avait compris son geste. Il lui était reconnaissant de sa loyauté, mais il lui avait bien dit qu'il avait été trop loin. Qu'à cela ne tienne. Il laissera l'écrivain s'en tirer. Au départ, il voulait le tuer, mais il avait renoncé parce qu'il commençait à y avoir des témoins attirés par les cris et il n'avait pas eu le temps de vérifier si sa victime vivait encore ou pas. Dans sa précipitation il n'avait pas pu, non plus, lui dérober sa sacoche et son téléphone pour faire croire à un vol crapuleux. Mais il avait promis. Il ne toucherait plus à Furihata. Par contre, Higuchi ne perdait rien pour attendre. Il trouverait son adresse et s'en prendrait à sa famille, sa maison, sa voiture et peut-être même qu'il l'estropierait un peu.

Dans la salle de sport qu'il fréquentait, il avait rencontré de drôles de types. Du genre à vous apporter leur aide, peu importait comment, moyennant une certaine somme d'argent en liquide. La photo d'Higuchi était sur le site Internet du groupe, rien de plus facile que de le désigner en donnant le lien à celui qui accomplirait la sale besogne. Akashi lui avait assuré de le reprendre à son service dès que ce serait possible et Nebuya le croyait. En attendant, il cogitait, il peaufinait, il mettait tout en place jusqu'au moindre détail pour que celui qui effectuerait le travail ne risque rien. Et surtout pas de le balancer.


Calé dans son fauteuil basculé en arrière, Aomine venait de finir de lire le chapitre neuf du manuscrit de Kagami. Non. Non ! Ce gars n'avait aucune idée de ce qu'il était en train d'écrire. Aucune ! Chacune des sections ou presque ressemblait à un tome complet si le développement était plus lent et plus précis. Il y avait des histoires parallèles à l'histoire principale d'une importance capitale pour la suite. Il fallait aller plus loin dans l'élaboration de la trame. Ce n'était pas aussi simpliste. Il y avait matière à une formidable saga digne de Dune d'Herbert ou du Trône de Fer de Martin. Penser à ces deux écrivains en lisant ce que Kagami était en train de faire, ça n'était pas rien quand même. Surtout que les deux œuvres avaient bénéficié d'adaptations au cinéma et à la télévision. "Le Prix de la Liberté" pourrait bien être de cette trempe. Il reposa ses coudes sur le plateau de son bureau et appuya son menton sur ses mains jointes en fixant l'écran de son ordinateur sans le voir, perdu dans le tumulte de son esprit. Il ne fallait pas trop s'emballer. Kagami ne serait peut-être pas d'accord pour un tel changement. Après tout c'était son idée, mais lui en tant que correcteur, avait aussi un rôle de conseiller, de proposer des alternatives, de nouveaux chemins à explorer, voire, à développer.

Faire revivre la Rome Antique au XXIIIe siècle s'était quand même sacrément culotté. Pas surprenant que ces idées n'aient eu aucun sens pour lui lorsqu'il essayait de les placer dans notre époque. Par contre, dans le futur, il l'avait bien dit lui-même, elles prenaient toute leur signification. Il devait d'abord en parler à Harasawa pour qu'il le guide.

C'est à ce point? s'étonna le PDG de Touou.

— Et même au-delà. Ce truc est absolument énorme, mais j'veux pas qu'il se braque, expliqua Aomine comme s'il avait perdu confiance en lui, en ses capacités de correcteur et de conseiller.

Tu dois amener la chose en douceur… J'te connais… Quand t'es sûr de toi, t'insistes trop pour imposer ton point d'vue… Et c'est comme ça qu'tu perds un manuscrit…

— Je sais et t'as entièrement raison. T'as lu, mais juste pour découvrir l'histoire. T'as pas commencé à lire entre les lignes. Il doit faire plus, faire mieux. Y a matière pour ça. Beaucoup de matière.

J'te crois, mais la décision lui appartient. Fais-lui part de tes idées, mais ne le lui rentre pas dans le lard s'il est pas d'accord. J'veux l'garder à Touou.

— OK. J'vais y aller à pattes de velours. Au fait, Seirin va éditer tous ses bouquins en format poche, t'es au courant ?

Oui, il m'a envoyé un mail pour m'informer par politesse. On fait ce format en première main, pas en réédition. C'est pour ça qu'il m'a prévenu.

— Dommage, on aurait pu faire une exception pour lui, non ?

Si on le fait pour un, il faut le faire pour les autres et avec tous les auteurs qu'on a, ça n'aurait pas était rentable ni gérable. Faisons bien ce que nous savons faire. Tiens-moi au courant, s'il accepte tes suggestions.

— Bien patron. À plus tard…

Il lança négligemment son portable sur son bureau et se tourna vers la fenêtre. Exposé plein ouest, les couchers de soleil se suivaient, mais ne se ressemblaient pas. Sauf qu'aujourd'hui, il pleuvait. Une pluie fine, pénétrante et froide. Le temps faisait grise mine comme son esprit. Il se demandait parfois comment les romanciers faisaient pour ne pas s'apercevoir de ce que lui voyait dans leurs écrits. Tout simplement parce qu'ils n'avaient pas son recul, et c'était pour cela qu'ils n'avaient pas son œil critique. C'est connu qu'un artiste n'a pas un œil objectif sur sa propre création. Il occulte ce qui est évident pour lui sans toujours penser à celui qui regarde. Et sur ce roman, il était sûr de lui, il était certain qu'il avait raison et sa tête fourmillait de théories. Autant il était capable de conseiller un écrivain sur ses propres idées, autant il n'avait jamais réussi à concrétiser les siennes. Il n'aurait pas fait un bon auteur, mais il était un excellent correcteur. Et ça aussi, il le savait. Touou l'avait recruté à sa sortie de l'université avec son diplôme en langue et littérature tout frais en poche. Il avait commencé en bas de l'échelle et huit ans plus tard, il dirigeait un département. Et il adorait ça. Seulement, il avait la sale habitude de trop bousculer les écrivains avec qui il travaillait pour leur "ouvrir les yeux" comme il disait. Il en avait perdu quatre comme ça, en étant trop insistant. Ce à quoi il s'était entendu répondre que ce n'était pas son roman et qu'il n'avait qu'à en écrire lui-même. La douche froide et l'engueulade d'Harasawa.

Avec Kagami, il ferait tout pour ne pas retomber dans ses travers. Ce Mibuchi était vraiment aveugle. Aomine avait lu le dernier roman de l'auteur. S'il avait été son correcteur, il en aurait fait une saga de trois ou quatre tomes au moins. Le Japon avait une histoire riche qui permettait de raconter beaucoup d'histoires fictives sur fond historique (1). Et les études de Kagami lui ouvraient des portes insoupçonnées dans le déroulé de ses romans. Qu'importe. Maintenant, il avait signé avec Touou et son cursus ne lui servirait à rien dans un futur qui n'existe pas – ou pas encore ou peut-être jamais – et c'est là que le correcteur pouvait exercer tout son talent. Montrer les trames dans la trame et le persuader de l'intérêt de les développer. Travailler sur ce roman allait vraiment être un pur bonheur. Il songea quand même qu'il faudrait qu'ils se voient tous les deux pour faire un gros point et découvrir où en était l'auteur dans l'évolution de son récit.

Aomine! Comment allez-vous? entendit-il.

Un frisson lui parcourut l'échine. En face de lui, la ressemblance s'effaçait, mais au téléphone, sa voix était encore plus proche de celle d'Haruka. Trop proche. Allait-il tenir la distance ? N'allait-il pas rendre les armes et avouer son impuissance à travailler avec Kagami ? Non ! Non et non ! Ce gars était en train d'écrire un chef-d'œuvre et il méritait le meilleur de son correcteur. Aomine devait tout donner pour ce roman et son auteur.

— Ça va, merci. Il faudrait qu'on fasse un bilan précis du développement et qu'on voie un peu, maintenant qu'il y a quelques chapitres, comment vous pouvez orienter l'histoire ?

Je suis libre tous les après-midis de la semaine prochaine sauf vendredi.

— C'est parfait. J'ai quelques idées à vous soumettre, nous en reparlerons.

Bien sûr. Jusqu'à présent, vos suggestions ont été excellentes, je vous remercie. Continuons comme ça.

— Comptez sur moi. On se voit lundi alors.

Parfait. Bon week-end.

— Vous aussi.

Aomine resta immobile, comme frappé de paralysie soudaine. Ces réactions lui démontraient clairement qu'il n'avait pas fait son deuil malgré les années. Sur son chevet, il y avait une photo qui les montrait tous les deux avec le mont Fuji en arrière-plan lors d'une escapade de deux jours en tête à tête. Sur son téléphone, il en avait plusieurs autres. Il frappa violemment son bureau du plat de la main et se leva. Il fit quelque pas nerveux dans la pièce, les poings sur les hanches, la tête baissée. C'était évident qu'il n'avait pas fait son deuil. Et voilà pourquoi son cœur était resté fermé, bouclé à triples tours et totalement hermétique à ce sentiment si fort qu'il avait éprouvé durant ces trois années-là. Il avait fallu l'arrivée de ce Kagami pour lui en faire prendre conscience. Mais la vache ! Que ça faisait mal ! Il s'était persuadé qu'en ouvrant un peu la porte de son âme, ce serait une infidélité à Haruka. Lui qui était si généreux, aurait-il apprécié de voir son amour de l'époque, se détourner de ce qui avait fait ses plus beaux souvenirs d'université ? Aurait-il accepté qu'il ne vive que dans la mémoire de ces trois années si spéciales ? Non. Haruka lui aurait mis son pied au cul en lui disant d'avancer sans se retourner. Ne pas oublier évidemment, mais poursuivre sa route et vivre. Tout simplement.

En était-il capable ? Se laisser à nouveau submerger par des émotions intenses au détour d'une rencontre fortuite ? Haruka lui dirait qu'il avait le droit d'être heureux encore une fois, même sans lui. La vie est ainsi faite. Elle les avait mis sur le chemin l'un de l'autre, mais pour un temps seulement. Peut-être pour leur faire découvrir le sentiment le plus puissant, le plus profond, le plus magique et terrible qui existe. Sauf que ça n'était pas pour le vivre ensemble pour toujours. Juste pour leur donner envie de l'éprouver à nouveau même si le leur retirer de façon aussi atroce peut rendre particulièrement frileux. Mais c'est la vie, n'est-ce pas. Magnifique et cruelle à la fois.

Continuer à vivre ? Regarder vers la lumière de l'avenir et non plus se retourner sans cesse sur les ombres du passé sans pour autant les effacer. Simplement les laisser s'endormir sereinement pour ne plus que leur réveil intempestif soit si douloureux. Regarder vers la lumière…

Il essuya les deux larmes qui avaient coulé sur ses joues d'un revers de main déterminé et un peu rageur. Il se rassit à son bureau et poursuivit son travail sur "Le prix de la Liberté" et plus il découvrait cette histoire, plus son enthousiasme grandissait. Il ferait tout pour que se soit un best-seller comme jamais encore il n'y en avait eu. Ce serait un chef-d'œuvre…

À suivre…


(1) Le meilleur exemple que je puisse trouver pour illustrer cette phrase c'est "Angélique, Marquise des Anges". Une histoire fictive sur fond d'Histoire de France avec un grand H durant le règne de Louis XIV. Les faits relatés comme l'affaire des poisons ou celle de La Voisin sont avérées ainsi que la Fronde du Prince de Condé, qui sont évoqués dans les romans d'Anne et Serge Golon

fr . wikipedia wiki / La Voisin Enlevez tous les espaces sauf entre La et Voisin, celui-là il faut le conserver.

Le manga Hakuouki est aussi un assez bon exemple. Il raconte l'histoire d'une jeune fille à la recherche de son père (partie fictive du manga) et qui va être aidée par les membres du Shinsen Gumi, une force de police qui a marqué l'histoire du Japon (partie historique du manga basé sur l'histoire du Japon). Certains historiens pensent que ces samouraïs sont, en partie, à l'origine de la police moderne.