Disclaimer : L'univers de Kuroko no Basket que vous reconnaitrez aisément appartient à Fujimaki Tadatoshi. L'auteur me le prête très aimablement pour que je m'amuse avec et je ne retire aucun profit de quelque nature que ce soit de son utilisation si ce n'est le plaisir d'écrire et d'être lue.

Note de l'auteur : Je veux remercier du fond du cœur ma béta-lectrice, Futae qui s'est servie de son "Eagle Eye" (fallait que j'la case celle-là ! ^^) pour corriger cette histoire et me conseiller. C'est grâce à son enthousiasme, ses encouragements et son sens de l'analyse et de la critique sans détour, que cette histoire a pu voir le jour.

Note importante : j'avais décidé de retirer toutes mes histoires de ce site suite à ce que je pense être un piratage. Je me suis laissée convaincre de les remettre, mais malheureusement ce site fonctionne tellement mal que je n'ai pas pu toutes les récupérer. J'ai donc décidé de les reposter. Si vous les lisez et qu'elles vous plaisent, n'hésitez pas à le dire, ça me fera plaisir et ça me remontera le moral même si les commentaires ne seront pas les mêmes qu'à l'origine.

Voilà. J'en suis arrivée où l'histoire c'était arrêtée lors de ce piratage. A présent, les chapitres sont nouveaux et puisque j'ai terminé d'écrire cette histoire, j'en publierai deux par semaine, peut-être trois si j'ai le temps sachant que j'en ai commencé une autre sur un autre fandom. Bonne lecture


Le roman de notre histoire

Chapitre 15

Furihata avait eu raison de suivre l'exemple de Kagami et de se faire éditer chez Touou. Le format papier proposé était moins onéreux ainsi que le numérique. Ses ventes avaient explosé. À son tour, il allait connaitre les joies de la dédicace en librairies. Kise s'était chargé de toute l'organisation et n'avait rien laissé au hasard jusqu'à la couleur des gobelets en carton. Il avait conseillé l'auteur sur les différentes tenues qu'il aurait à porter. Il fallait de la sobriété pour faire sérieux avec le côté "policier" et décontracté parce qu'il n'était pas un sauvage et qu'on pouvait l'aborder sans crainte pour de lui adresser la parole. Et pour ça, Kise Ryota était le meilleur. En matière de mode masculine, il avait un goût très sûr.

Le rythme n'était pas le même que celui auquel Kagami avait été soumis avec Hayama. Touou les organisait de la manière dont il avait fait la suggestion à l'époque c'est-à-dire de 13 h 30 à 18 h 30 du lundi au samedi. Soit environ trente heures par semaine réparties sur six jours. Kagami avait eu droit à vingt et une heures sur trois jours, une cadence infernale. Et pendant neuf semaines.

Le succès de Furihata ne se démentit pas. Non seulement il y avait dans les rayonnages ses livres au format de de Touou, mais également le poche de Seirin ainsi que celui de Rakuzan qui, lui, était une obligation. Autant dire qu'il y en avait pour tous les budgets. Il était rare que deux éditeurs partagent une même espace pour des dédicaces, mais étant données les circonstances particulières de cette affaire de droits d'auteur, les deux concurrents firent une exception. La campagne promotionnelle serait menée de concert. Touou investissait davantage puisque c'était son responsable publicitaire qui organisait tout alors que Seirin se contentait de fournir les livres de son format avec une aide financière d'un certain pourcentage des ventes. Au final, tout le monde était gagnant. Les maisons d'édition, les lecteurs et surtout l'écrivain qui voyait ses revenus augmenter.

L'auteur de polars était un homme effacé, plutôt timide et voir cette marée humaine se ruer vers lui le terrifia un instant. La main de Kise sur son épaule le rassura, comme si le promoteur savait exactement ce qu'il ressentait. Ils avaient eu de longues conversations pour mettre cette campagne au point et Kise avait bien cerné Furihata. Il allait falloir lui tenir la main un bon moment avant de le laisser se débrouiller seul. Comme quand on apprend à faire du vélo et qu'après un certain temps, on enlève les petites roues.

Furihata venait de la ville de Sendai dans le district de Tohoku, au nord du pays. Plus loin, il n'y avait que la grande ile d'Hokkaido. Très tôt, il avait démontré des facultés remarquables pour la lecture et l'écriture, ainsi que pour les probabilités et la déduction. Ses parents le voyaient déjà faire une superbe carrière dans les forces de l'ordre, mais leur rejeton en décida autrement. Il aimait lire Agatha Christie, Arthur Conan Doyle ou encore Stephen King ou Mary Higgins Clark. Et il regardait également beaucoup de films policiers et des thrillers. Tout ce qui se rapportait de près ou de loin à un mystère quel qu'il soit, le fascinait. Et son aisance à manier la langue l'orienta tout naturellement vers l'écriture de ce que l'on appelle couramment, le polar. Sa rencontre à la fac avec un jeune étudiant, Kasuga Ryuhei (1)qui, lui, voulait entrer à l'école de police dans le département scientifique, le conforta dans sa décision. Et c'est à lui que Furihata faisait lire en tout premier ses romans pour s'assurer de la crédibilité des faits qu'il racontait. C'était son premier critique et son plus grand fan. À chacun de ces romans, Koki ne manquait jamais de le remercier en préface.

Après avoir envoyé son premier livre à plusieurs éditeurs, ce fut Rakuzan qui lui donna sa chance et il déménagea à Tokyo pour se rapprocher de son correcteur. Il eut quelques mois de galère pour trouver un appartement, payer le loyer et tout ce qui va avec, les ventes commencèrent à augmenter et sa vie devint plus aisée. Son ami avait été muté au sud à Fukuoka dans le district de Kyushu, mais ils avaient gardé le contact et se parlaient souvent en visio. Lorsque celui-ci avait appris ses problèmes avec Rakuzan, il avait voulu venir le voir, mais Furihata l'en dissuada. Il n'était pas seul, il avait des proches sur qui il pouvait compter et ne se sentait pas menacé. Il ne lui avait rien dit non plus pour son agression, car, là, il n'aurait pas pu le retenir. Kasuga avait donc fait confiance à son ami qui se garda bien de monter son visage tuméfié prétextant une panne de sa webcam.

Sauf qu'il avait oublié que Kasuga était flic et qu'il pouvait savoir beaucoup de choses. Comme, par exemple, que quelques librairies tokyoïtes allaient accueillir l'auteur de romans policiers Furihata Koki pour dédicacer son dernier livre.

— Tu aurais pu me le dire quand même ? fit une voix que l'écrivain aurait reconnue entre mille.

— Ryuhei ! s'exclama Furihata en bondissant sur ses pieds pour prendre son ami dans ses bras.

Les deux hommes échangèrent une franche accolade devant les clients et les fans assez surpris.

— Mais qu'est-ce que tu fais là ? C'que je suis content de te voir !

— Je viens faire dédicacer mon livre pardi ! Pourquoi tu m'as rien dit ?

— Je voulais, mais tout préparer c'est un travail de fou et j'y ai plus pensé. Je suis désolé.

— C'est pas grave, j'avais deux jours de repos, j'en ai profité.

— Furihata, d'autres lecteurs attendent, lui rappela discrètement Kise qui veillait au grain.

— Ah oui… Je te présente Kise Ryota, c'est lui qui s'occupe de toute la publicité du livre. Voici l'homme qui lit mes romans le premier, fit-il en souriant au blond qui surveillait la cadence des dédicaces. Pas plus d'une dizaine de secondes en tout et pour tout.

— Je me souviens… le policier… vous en aviez parlé lors de nos réunions, se remémora le promoteur. Enchanté.

— Moi également. Merci de vous occuper de Koki.

— C'est mon travail, fit-il avec toujours le même sourire dont on finissait par comprendre qu'il n'était accroché à ses lèvres que parce qu'il le fallait. Pouvez-vous vous décaler légèrement pour ne pas gêner les autres clients, s'il vous plait ?

Kise avait dit ça avec beaucoup d'amabilité, mais on sentait bien qu'il l'aurait poussé s'il n'avait pas obtempéré au plus vite. L'auteur pouvait parler avec qui il voulait aussi longtemps qu'il le voulait, mais le rythme devait rester constant. C'était le secret pour satisfaire un maximum de fans.

— On va faire une pause, lui confia discrètement Kise. Vous avez besoin de vous détendre, et de manger quelque chose. Je vais faire patienter les clients.

— Merci, Kise. Viens, Ryuhei.

Un peu à l'écart, il y avait une desserte flanquée de deux tabourets, avec une cafetière, une théière et une boite de gâteaux. Il y avait également des bouteilles d'eau et des jus de fruits dans un petit frigo.

— Qu'est-ce que j'te sers ? demanda Furihata à son ami.

— Un thé, c'est parfait.

— Alors ? Comment va ta femme ? Et le bébé, c'est pour quand ?

Kasuga détourna le regard et baissa la tête. Ce qui en disait long sur la situation. Furihata n'était pas tombé de la dernière pluie, aussi préféra-t-il ne pas insister.

— Tes parents vont bien ?

— Oui, merci. J'ai divorcé, il y a presque un an, finit-il par avouer en se tortillant sur son siège.

— Oh… Je suis désolé. Tu aurais pu te confier à moi, ça aide parfois…

— Je savais pas trop comment aborder la chose… Tu m'connais, j'suis pas trop du genre à faire des confidences.

— Tes parents ont dû être surpris, eux qui s'attendaient certainement à avoir des petits enfants...

— On n'aurait pas pu en avoir, de toute façon. Notre mariage n'en a pas été vraiment un, confia-t-il visiblement mal à l'aise.

— Comment ça ?

Le policier resta un instant silencieux comme s'il cherchait ses mots, le fil de son récit. De toute évidence, il avait énormément de mal à s'ouvrir à son ami.

— Tu sais que tu peux tout me dire, on est ami, reprit Koki très doucement.

— Je n'ai touché ma femme que le soir de nos noces... Ça a été la seule et unique fois... Je croyais que je pourrais donner le change, m'habituer, mais je n'ai pas pu…

— Attends… J'te suis pas…

— Je ne l'ai jamais dit à personne, Koki. J'ai toujours eu du mal à l'accepter, j'avais honte... Mais j'arrivais pas à lutter…

— T'es gay, affirma l'écrivain en décryptant sans mal les dernières paroles.

Kasuga leva vivement la tête et regarda son ami. Il comprit à ce moment qu'il aurait effectivement pu lui en parler vu qu'il avait deviné si vite. Il s'en voulut de ne pas lui avoir fait suffisamment confiance. Il finit par hocher la tête.

— Il n'y a rien de répréhensible, tu sais... Tu es là pour combien de temps ?

— Je rentre demain soir, pourquoi ?

— Ce soir tu dors chez moi et on va parler de tout ça...

— Mais, Koki, je veux m'impo…

— M'imposer ? C'est c'que t'allais dire ? J'te garde avec moi tout l'après-midi pour le cas où t'aurais dans l'idée de disparaitre, termina-t-il en souriant. Faut qu'j'y r'tourne...Tu bouges pas d'ici...

Furihata retourna à son bureau aux côtés de Kise et reprit les dédicaces. Il y avait encore beaucoup de monde et l'organisateur gérait ça de main de maitre. Un œil sur son protégé, un œil sur la file de lecteurs qui n'en finissait pas – ce dont il était particulièrement satisfait – et son troisième œil ou son sixième sens, au choix, sur certaines personnes qui semblaient être là sans savoir pourquoi. Elles flânaient dans les rayons, prenaient un livre, le reposaient, en regardaient un autre, quand finalement l'homme que Kise avait repéré s'approcha à la faveur d'une accalmie.

— Bonjour monsieur Furihata.

— Lieutenant Kasamatsu ? s'étonna l'écrivain. C'est un plaisir de vous revoir ! Vous avez l'air en forme !

— Ça va… Vous avez du succès… J'ai attendu qu'il y ait un peu moins de monde pour venir vous voir...

— Je me souviens que vous m'aviez dit avoir lu tous mes romans. Kise, voici le lieutenant Kasamatsu. Il était enquêteur sur l'affaire Rakuzan...

— Oh… Ravi de vous rencontrer, fit le promoteur, sidéré par la couleur des yeux du policier.

— Moi également, répondit Kasamatsu en serrant la main tendue et parcourut par un incontrôlable violent frisson.

— Kise s'occupe de toute la campagne pour mon éditeur, Touou.

— Ce doit être un sacré boulot, observa Kasamatsu, qui ne quittait pas du regard ou presque, l'homme blond qui semblait veiller sur Furihata comme une poule sur ses poussins.

— C'est effectivement beaucoup d'organisation, mais si ça ne me plaisait pas, j'aurais choisi un autre métier, concéda Kise avec un magnifique sourire.

— Je vous comprends, j'aime aussi mon travail...

— Je vous avais dit que je faisais lire mes romans en priorité à un ami policier comme vous...

— Exact, je m'en souviens...

— Ryuhei, viens que je te présente un confrère ?

— Un écrivain aussi ?

— Non, un policier comme toi... Brigade financière... Mon ami est à la scientifique de Fukuoka...

— C'est la personne dont vous nous aviez parlé quand on est passé chez vous ?

— Exact, c'est lui…

Les deux hommes se serrèrent la main et discutèrent ensemble quelques instants un peu à l'écart de la foule, tout en jetant chacun un coup d'œil régulier et discret à Furihata ou Kise, comme s'ils voulaient s'assurer qu'ils étaient toujours bien là

— Vous ne m'aviez pas dit que vous connaissiez un aussi séduisant policier, chuchota Kise sur le ton de la plaisanterie.

— L'affaire Rakuzan...

— J'me souviens... Un gros caillou dans notre petite mare de l'édition...

— C'est l'premier enquêteur que j'ai rencontré avec son coéquipier... Il vous plait ? demanda Furihata avec un regard malicieux.

— Disons que, quel que soit l'angle sous lequel je l'observe, y a rien à jeter !

— Je crois que j'ai gardé son numéro de téléphone quelque part…, proposa l'auteur en éclatant de rire.

Voyant que Furihata se débrouillait de mieux en mieux avec ses fans, Kise s'octroya une pause pour boire un thé et ranger un peu les étagères mises à mal par les clients. Il épiait ce lieutenant qui avait le sourire le plus lumineux qu'il lui avait été donné de voir. Mais rien ne disait qu'il avait des goûts identiques aux siens. Il était peut-être même marié et père de trois gosses.

La journée se termina enfin. Les personnes qui n'avaient pas pu avoir leurs dédicaces seraient les premières servies le lendemain, leur assura Kise. Kasamatsu et Kasuga étaient restés bavarder une bonne partie de l'après-midi et le policier était reparti sans avoir sous-entendu qu'il repasserait peut-être le jour suivant. Furihata promit d'être à l'heure et Kise n'en finissait plus de sourire. Il avait eu un très bon contact avec Kasamatsu. Ils n'avaient pas encore échangé leur numéro, mais le promoteur était convaincu qu'il n'était pas marié ni père de trois enfants. Certains signes ne trompent pas.

Furihata regagna son domicile avec son ami. Il se félicita d'avoir une deuxième chambre et laissa Kasuga s'installer. Ils prirent leur douche et le policier insista pour commander des bentos. Il ne voulait pas que Koki reste derrière les fourneaux sous prétexte qu'il avait un invité inattendu. Ils mangèrent tranquillement, se remémorant la journée à la librairie, l'un répondant aux multiples questions de l'autre. Puis, les souvenirs de fac s'invitèrent dans la conversation et c'est là que Koki comprit ce qu'il n'avait pas vu à l'époque.

Kasuga était excellent en physique, chimie et mathématique, en particulier en probabilités et déduction, comme Koki. En ce qui concernait les autres matières, il ne faisait pas des étincelles, mais il avait la moyenne et c'était ce qui comptait. Il avait juste un petit souci en sport. Il aimait bien l'athlétisme, ce qu'il appréciait moins c'était les vestiaires et les douches. Il avait vite remarqué ses réactions charnelles. Les périodes de lycée et d'études à l'université étaient propices à toutes sortes d'expériences. C'est l'âge où l'on se cherche, où l'on essaie de comprendre notre corps, qui on est. On réfléchit aussi à notre avenir. Que va-t-on faire de notre vie ? Quel sera le métier que l'on exercera ? Certains le savent très tôt, comme Furihata et n'en démordent pas. D'autres le découvrent plus tardivement. Kasuga ne fut intéressé par la police scientifique qu'en troisième année de lycée seulement.

Il sut avec certitude qu'il était gay lorsqu'il eut sa première relation avec une fille. Il avait déjà connu des garçons avant elle et il ne trouva pas cette tentative aussi fabuleuse que ces collègues hétéros le disaient. Il préférait les garçons, un point c'est tout. Malheureusement pour lui, ces parents étant des personnes assez obtuses, il finit par se laisser embarquer dans une union arrangée. Bien que l'on soit en 2029, ces choses avaient toujours cours. De moins en moins heureusement, car les mariages sentimentaux avaient pris le pas.

Comme il l'avait expliqué à Furihata, il n'avait consommé cette union que par obligation. Son épouse était ravissante, mais elle n'éveillait aucun désir chez lui. Il avait dû faire appel à des trésors d'imagination pour pouvoir l'honorer et encore, la pauvre fille n'avait pas dû garder un souvenir transcendant de sa nuit de noces. Après trois ans de mariage, il avait demandé le divorce, prétextant que sa femme ne l'attirait pas parce qu'il s'agissait d'une alliance arrangée. Il vécut très mal le fait d'accuser d'abord ses parents, qui étaient quand même en partie fautifs pour obliger leur fils à épouser une femme dont il n'est pas amoureux. C'était une coutume archaïque et dégradante pour les deux époux. Ensuite, il incrimina la pauvre jeune femme qui n'y était absolument pour rien. Du fait qu'il n'assumait pas son homosexualité, il fallait bien trouver des responsables. Il en fut très malheureux et il puisait un peu de réconfort en lisant les romans de son ami qui les lui faisait parvenir pour avoir son avis. Ils en discutaient souvent en visio et pour Ryuhei, ces moments étaient privilégiés, une oasis dans son désert sentimental, qui lui permettait de se sentir vaguement mieux dans sa peau. Mais il n'arrivait toujours pas à endosser cette facette de sa personnalité. Jusqu'à aujourd'hui.

Il avait dit à Koki qu'il était venu juste parce qu'il avait appris qu'il était en dédicace alors qu'il aurait pu attendre qu'il passe à Fukuoka. En réalité, il avait demandé à être muté à Tokyo pour se rapprocher de son ami qui écrivait de si fantastiques histoires policières d'un réalisme si bluffant qu'elles pourraient être vraies à ses yeux expérimentés en la matière. Et puis, être remercié à chaque préface lui permettait de sentir un peu plus valorisé. Il n'avait pas songé un seul instant que Furihata puisse ne pas avoir la même orientation que lui. Qu'il l'ait appréhendé si vite ne voulait pas dire qu'il était gay lui aussi.

Ils finirent par aller dormir. Koki était si fatigué que s'il rêva, il n'en garda aucun souvenir. Quant à Ryuhei, il fit des rêves magnifiques, heureux comme jamais, d'avoir trouvé quelqu'un à qui parler, qui ne le jugeait pas, quelqu'un dont le regard n'avait pas changé, qui le comprenait, qui l'acceptait tel qu'il était. Un ami, c'était donc ça ? Alors c'était le seul qu'il avait…


Les températures étaient à peine descendues à moins deux ou moins trois degrés, cependant c'était suffisant pour que la neige fine et légère, qui était tombée pendant quelques heures, tienne sur les arbres et les toits des maisons. Sur les routes, elle avait déjà fondu à cause de la circulation et dans le quartier où résidait Kagami, les sableuses du service de voirie étaient à l'œuvre depuis le milieu de la nuit.

Il regardait son jardin qui avait pris un tout nouvel aspect. La végétation riche en nuances de verts était devenue monochrome, mais d'une incroyable luminosité. Il sortit sur l'engawa, respira profondément l'air pur et froid et prit quelques photos avec son téléphone, histoire d'immortaliser l'instant surtout que d'ici deux jours maximum, cette jolie neige aurait disparu. Il venait de terminer l'écriture d'une bataille spatiale et franchement, il n'avait pas imaginé toutes les petites subtilités auxquels il fallait penser. Il avait détaillé tout le scénario avant de commencer à rédiger la scène proprement dite. Il n'était pas mécontent, sauf qu'il se doutait bien qu'Aomine trouverait quelque chose à redire. Il trouvait toujours quelque chose à redire et Kagami adorait ça. Tous les jours, il remerciait le destin d'avoir placé cet homme sur sa route.

Tant qu'il avait écrit des romans historiques, il était relativement facile de se baser sur les faits, de les décrire, de les exploiter et Mibuchi était plutôt bon dans ce domaine. Là, il s'agissait de l'espace, celui où il n'y a pas d'air et donc pas de bruit, où la température vous congèle un gars jusqu'à la moelle en moins de dix minutes, où on peut voyager en hyperespace, enfin tout un tas de notions qu'il fallait prendre en compte et ça n'était pas évident même en faisant des recherches basiques en astrophysique. Mais quand il sentait ses doigts courir presque tout seuls sur le clavier à tel point que, parfois il en oubliait des mots dans les phrases tant ses pensées allaient plus vites que sa cadence de frappe, il était heureux.

Il avait envoyé cette scène à son correcteur depuis presque trois heures et plus le temps passait, plus il se disait que ce jet était bon. Il y aurait des choses à revoir, mais dans l'ensemble, ce devait être satisfaisant. C'était le premier vrai combat spatial qu'il écrivait. Jusqu'à présent, il avait surtout expliqué les raisons qui avaient mené notre civilisation cantonnée sur une seule petite planète, à une expansion fulgurante dans le Système Solaire d'abord et la Galaxie (2) ensuite.

Les progrès technologiques étaient la clé de voute de cette colonisation, mais les problèmes économiques et sociaux que cela engendra eurent des effets inattendus. En s'évertuant à les résoudre, cela ne fit que donner naissance à un nouvel ordre : un empire galactique basée sur la terrible Rome Antique et ces pires côtés. Il n'était pas question d'une république, mais bien d'une dictature imposée par des consortiums financiers qui satisfaisaient les citoyens en engrangeant toujours plus de bénéfices. C'est ainsi que les nouveaux jeux du cirque virent le jour. Et avec le temps, les spatiogladiateurs qui au départ étaient des prisonniers furent petit à petit remplacés par des personnes kidnappées et forcées de combattre dans les spatioarènes, le tout retransmis par des centaines de relais satellites dans toutes les colonies. Le peuple avait besoin d'un exutoire pour se tenir tranquille et ne pas faire de vague. Le moindre mécontentement donnait lieu à des émeutes.

Mais un jour, un homme se dressa contre l'ordre établi. Spartus, un spatiogladiateur invaincu dans les arènes déclara qu'il était un homme libre et que ceux qui voulaient le rester devaient le suivre et se battre à ses côtés pour conserver cette liberté. L'empire ne le toléra bien évidemment pas et lança ses spatiolégions à ses trousses pour le stopper. Mais il y avait, chaque jour, davantage de gens qui se joignaient à lui. Les affrontements au sol sur les planètes où ils se réfugiaient parfois tournaient presque toujours en leur faveur. Que pouvait un simple soldat face à un gladiateur surentrainé ? Dans l'espace, c'était plus compliqué, car ils étaient peu nombreux à savoir piloter les chasseurs et les destroyers qu'ils volaient à cette dictature. Mais ils ne baissaient pas les bras.

Et Kagami venait de se frotter pour la toute première fois à un combat dans l'espace entre les chasseurs révolutionnaires et les spatiolégions. Il trouvait qu'il ne s'en était pas si mal sorti. Un tintement de son téléphone lui indiqua que quelqu'un tentait de le contacter en visio. Il accepta l'appel.

C'est quoi ce truc?

Ni bonjour ni merde, ça commençait bien.

— Aomine ! Ça va ? ironisa l'écrivain.

De toute évidence le correcteur avait sa tête des mauvais jours, mais Kagami était, à chaque fois, content de le voir. Sauf que là, quelque chose lui disait que ça n'allait pas être simple. Que ça risquait même de virer à la dispute.

Cette scène de combat spatial, ça va pas du tout…

— Vous pouvez être plus précis ?

Vous êtes chez vous là?

Oui, pourquoi? demanda Kagami intrigué par les bruits de fond de leur conversation.

Je serai là dans un quart d'heure. J'vais vous montrer mes techniques de travail…

Quoi ? Qu'est-ce ? D'où ? Qui ? Dans quel état j'erre ? Quand ? Pourquoi ? Et tous les autres mots interrogatifs connus. Ses méthodes de travail ? Kagami se souvint brusquement de ce qu'il voulait dire. Ils en avaient parlé en tête à tête après le repas qu'il avait organisé. Il n'y avait plus repensé et croyait surtout qu'Aomine exagérait un peu. Tout le monde avait tendance à enjoliver ses capacités pour se faire passer pour meilleur qu'il n'était en réalité. Sauf que là, l'écrivain se demandait pourquoi Aomine venait chez lui. Qu'avait-il dont de si spécial à lui montrer ? Moins de vingt minutes plus tard, il entendit un crissement de pneu à la "John Wick" (3) devant la maison. Ça n'augurait rien de bon s'il était arrivé si vite après leur conversation. Avait-il seulement pris le temps d'éteindre son ordinateur ? D'aller aux toilettes ? De respirer ? Quand soudain il réalisa qu'il l'avait appelé de sa voiture. C'étaient les bruits de la circulation routière qu'il avait perçu en fond. Il était déjà en chemin ! Ce type était une énigme.

Il n'attendit pas qu'il sonne et alla l'accueillir. L'homme qui descendit du véhicule ressemblait à Aomine, mais il semblait être une tout autre personne. Une aura sombre l'enveloppait comme un esprit maléfique. Il lança un regard furieux à Kagami qui fronça les sourcils et patienta qu'il entre, mais il détacha la corde qui retenait fermé le haillon du coffre de sa voiture.

— Vous m'aidez ?

— C'est quoi ?

— Du matériel pour votre scène.

Poser des questions de suite n'aurait pas fait avancer les choses. Donc il les ravala et l'écrivain prit plusieurs futons assez épais. Aomine débarqua une sorte de fauteuil boule comme ceux qui sont en principe suspendu (4). Ils mirent tout ça dans le salon, là où il y avait le plus de place.

— Dites-moi, commença Kagami, vous pourriez au moins demander si ça m'dérange, non ?

— Non, parce que grâce à ça vous allez réécrire cette scène et vous m'direz merci !

— Vous êtes d'un sans gêne pas possible ! s'énerva pour de bon l'auteur. Vous vous croyez où comme ça ?

— Chez un écrivain qui oublie la moitié des données sensorielles d'une scène primordiale ! gronda Aomine tout prêt à sortir de ses gonds. Ce premier combat spatial doit être épique ! Vous comprenez ?

Aomine avait presque crié ces mots en s'approchant si près de Kagami que celui-ci avait pu voir différentes nuances de bleu dans ses pupilles.

— Vous pourriez quand même demander !

— À côté de la table, c'est parfait.

— Et s'il vous plait, ça vous arrach'rez la bouche ?

Aomine ne releva pas et Kagami l'aida à installer les matelas et le fauteuil. Il s'écarta tandis que son correcteur marchait dessus comme s'il voulait tester la souplesse de l'épaisseur. L'aura sombre qui l'entourait quelques minutes plus tôt semblait s'être évaporée. Au moins ça de bien.

— Vous êtes passé à côté de beaucoup trop de détails dans les ressentis des pilotes... Il faut plus de réalisme si vous voulez embarquer vos lecteurs...

— J'attends vos suggestions, fit Kagami en sentant sa patience s'amenuiser.

— Les sensations de gravité dans les manœuvres, de chute, d'accélération, tout ça, c'est trop léger ! expliqua Aomine tout en installant ce qu'il avait apporté.

— C'est assez compliqué quand on l'a pas vécu, vous croyez pas ? s'énerva pour bon l'écrivain.

— Bien évidemment ! C'est pour ça que vous m'avez donné votre feu vert, non ? Et là, j'ai pas l'choix !

— Quoi ? Quel feu vert ?

— J'ai enfin la possibilité de vous montrer mes méthodes, s'exclama-t-il. J'attendais l'occasion et je savais que ça arriverait, poursuivit-il en vérifiant son matériel.

— Mais enfin de quoi parlez-vous ?

— Vous vous souvenez quand je vous ai dit que je pouvais aller très loin en tant que correcteur ? dit-il, plus exalté qu'énervé, parce qu'il savait que l'écrivain pouvait faire beaucoup mieux avec un coup de pouce.

Kagami se figea un instant et tout lui revint en mémoire avec la délicatesse d'une charge de rhinocéros. "Exhortez-moi à me dépasser. Faites ressortir c'qu'il y a de mieux en moi, dans mon esprit. Bousculez-moi ! Secouez-moi ! Stimulez-moi !" Voilà ce qu'il lui avait dit après ce repas chez lui avec Takao, Himuro et Furihata. Et Harasawa, son patron, était également d'accord. C'était de ça qu'il parlait, ce feu vert qu'il lui avait donné, cette autorisation de le pousser toujours plus loin. Croyait-il donc tellement en son talent pour l'inciter tant à atteindre la perfection ? Léonard de Vinci avait dit que les détails faisaient la perfection, mais que la perfection n'était pas un détail. Aomine l'encourageait-il à faire sienne cette citation ? Pourquoi pas, mais qu'avait-il en tête avec tout ce fourbi ? Kagami n'arrivait pas à comprendre comment ça allait l'aider à réécrire ce combat spatial.

— On va fait un exercice qui va vous surprendre un peu, commença Aomine plus calme, mais vous allez vite comprendre pourquoi. Je vais le faire d'abord et ce s'ra votre tour.

— Ça consiste en quoi ?

— Confiance et… sensations...

Dans d'autres circonstances, Kagami n'aurait pas dit non aux sensations, bien au contraire. Pour la confiance, il ne voyait pas du tout ce que ça signifiait pour l'instant.

— Écoutez-moi bien, reprit Aomine. Placez-vous derrière moi. J'vais m'laisser tomber en arrière et vous me rattraperez sous les bras. Les futons sont là pour amortir ma chute si vous ne le faites pas...

— Quoi ? Mais c'est quoi ce…

— Vous la voulez cette scène ? Alors, faites ce que je vous dis...

Le regard perçant, le ton persuasif auquel rien ne pouvait résister, la proximité, tout cela laissa Kagami sans voix et curieux.

— D'accord… souffla-t-il, incapable de plus.

Aomine se plaça au bout du futon, se tourna, écarta légèrement les bras.

— Si vous me laissez tomber, j'vous en voudrai pas, on r'commencera… Alors, n'ayez aucune crainte…

Et il bascula. Kagami le réceptionna sans la moindre hésitation. L'idée de le laisser s'aplatir sur le matelas rien que pour rire lui traversa bien l'esprit, histoire de lui rabattre un peu le caquet, mais son corps avait bougé tout seul. Il avait fait un pas en avant et ses mains passèrent sous les bras d'Aomine pour le retenir. Le poids de ce corps contre le sien le troubla énormément, bien plus qu'il ne l'aurait cru. Il perçut les effluves d'une eau de toilette subtile et très masculine. Et sous ses doigts, il sentit les muscles durs des flancs jouer sous la peau tandis qu'il l'aidait à se redresser. En moins de trois secondes, ce qu'il venait d'apprendre lui donnait envie d'en savoir encore plus. Tellement plus. Infiniment plus…

— Je sais que vous aviez envie que j'm'éclate par terre,

— Non, je…

— Ne l'niez pas, je l'sais, insista le correcteur, un sourire goguenard aux lèvres.

— Vous m'expliquez le but de l'exercice ? demanda Kagami, peu désireux de poursuivre sur ce terrain.

— Dans cette scène, vos personnages sont soumis à de grosses sensations dues à la vitesse, aux changements de direction, aux mouvements de leurs vaisseaux de combat. Un peu comme nos pilotes de chasse d'aujourd'hui, mais en nettement plus intense parce que les appareils de votre histoire sont beaucoup plus rapides et puissants. Pour décrire tout ça, vous devez en faire l'expérience ou du moins, faire quelque chose qui vous en rapproche. On va inverser les rôles et vous allez vous laisser tomber aussi souvent qu'il le faudra jusqu'à ce que vous parveniez à mettre des mots d'une précision quasi chirurgicale sur ce que vous ressentez. Enfin, sur ce que vos personnages éprouvent.

— Si vous m'laissez tomber, moi j'vous en voudrai, grinça l'auteur pas vraiment convaincu.

— Essayez… et n'oubliez pas de fermer les yeux. Vous êtes… ils sont, dans le noir de l'espace… Faites-moi confiance…

Kagami se plaça à son tour au bout du futon, respira profondément, ferma les yeux, écarta les bras, se laissa tomber… et mit un pied en arrière pour se retenir.

— Désolé…

— On réessaie... Vous avez moins confiance en moi que moi en vous... Pourtant je suis celui sur qui vous vous reposez le plus pour ce roman... Encore une fois… ayez confiance…

La voix avait changé. Elle s'insinuait en lui, comme si elle s'adressait directement à son subconscient. Sa tonalité plus grave semblait hypnotique, elle pénétrait par tous les pores de sa peau. C'était impossible d'y résister. Il écarta les bras, ferma les yeux… et bascula. La chute lui parut interminable. Plus rien ne le retenait, plus rien à quoi se raccrocher, le noir total, cette sensation incroyable de vide était si intense qu'il comprit qu'il était loin de ce qu'il avait décrit. Il cessa de tomber lorsque deux mains puissantes le réceptionnèrent à trente centimètres du sol et qu'il reposa sur les cuisses d'Aomine, qui l'avait laissé tomber le plus longtemps possible. Il ouvrit les yeux et rencontra le regard de son correcteur qui l'observait. Mais le point de vue inversé était assez étrange. La lueur qui brillait dans les deux perles cobalt était bien réelle et la satisfaction était lisible sur ses traits.

— Vous avez compris ? Vous vous souvenez de vos sensations ou on recommence ? lui demanda-t-il avec une telle douceur que Kagami en fut véritablement retourné.

— On r'commence, murmura-t-il.

Ils firent l'exercice à trois reprises et à chaque fois, l'écrivain engrangeait des émotions différentes, des perceptions sur lesquelles il pouvait mettre des mots de plus en plus précis. Aomine poursuivit avec le fauteuil boule après avoir expliqué en quoi consistait ce qu'il allait faire. L'auteur n'était pas vraiment convaincu cette fois encore, mais le coup de la chute avait plutôt bien fonctionné, alors pourquoi pas ?

— Où vous avez trouvé ce truc ? s'enquit Kagami pour le moins curieux.

— La remise de Touou au sous-sol est pleine d'objets insolites, je l'ai juste un peu bricolé pour ce que je veux faire…

Aomine fit asseoir Kagami et le ceintura dedans avec les sangles qu'il avait fixées. Il lui demanda de bien s'accrocher et de fermer les yeux. Il le secoua dans tous les sens, pour imiter le combat des chasseurs, les brusques changements de direction à droite, à gauche, vers l'arrière, en avant, la pression de l'accélération, la sensation de chute à nouveau, tous ces mouvements que l'arrondi du fauteuil permettait de faire. Ça ressemblait aux montagnes russes d'un parc d'attractions en miniature et en moins brutal quand même. Ce qu'il avait oublié, c'était à quel point ça pouvait être fatigant. Kagami pesait plus de quatre-vingts kilos au bas mot et Aomine le ressentit très vite dans ses bras, son dos et ses jambes malgré son excellente condition physique. L'envoyer à droite pour le faire rapidement revenir sur la gauche ou d'avant en arrière était plus dur qu'il ne l'avait imaginé.

Aomine savait que cette méthode porterait ses fruits et pas plus tard qu'aujourd'hui. Quand il lâcherait Kagami, celui-ci se précipiterait sur son ordinateur et reprendrait toute la scène en y adjoignant tout ce qu'il venait d'expérimenter. Bien sûr, on était certainement très loin de ce qu'il pouvait réellement se passer dans l'espace avec de tels appareils de combat, s'ils existaient un jour, mais ça ne faisait pas de mal d'essayer de s'en rapprocher. Ces techniques étaient peu orthodoxes, mais elles fonctionnaient. Il se souvenait d'avoir emmené Momoi faire l'expérience d'une tour de chute dans un petit parc d'attractions pour qu'elle puisse le décrire dans un de ces romans quand son héroïne tomba d'une falaise. La pauvre fille avait hurlé tant qu'elle pouvait et lui avait ri comme un fou. Au final, la scène que la jeune femme avait écrite était criante de vérité pour son personnage. Et là, il était persuadé que ce serait exactement la même chose. Se rapprocher des impressions et laisser l'imagination faire le reste. Il n'allait pas non plus emmener Kagami faire du parachutisme pour qu'il éprouve la sensation de chute libre ni lui payer un tour en avion de chasse pour qu'il encaisse des G. Ces méthodes avaient quand même leur limite. Mais il n'avait pas son pareil pour les trouver et les adapter aux scènes d'un roman quand cela était nécessaire.

Lorsque Kagami se leva de ce fauteuil, il eut une perte d'équilibre, ce qui ne le surprit pas. Aomine le rattrapa par le bras avec un réflexe félin. Il le tint un moment pour s'assurer que l'auteur allait bien. Celui-ci secoua la tête, redressa les épaules.

— On vous a déjà dit que vous étiez un grand malade ? grinça l'écrivain en le fusillant du regard.

— Bien sûr, mais j'm'en fous parce que j'sais qu'c'est efficace... Vous n'avez pas envie de réécrire cette scène avant que toutes ses sensations s'estompent ? demanda-t-il en haussant les sourcils, un air amusé sur le visage.

— Vous m'le paierez ! Je vais vous en donner, moi, des sensations ! grommela Kagami en s'asseyant devant son ordinateur.

Avait-il seulement eu conscience de ce qu'il venait de dire ? Bien sûr que non. Aomine eut un sourire que l'auteur ne vit pas. Il se souvenait encore de son corps dans ses bras, de la chaleur qui s'en dégageait, de la fermeté de sa musculature pour le peu qu'il en avait perçue à travers les vêtements. Son odeur sous le parfum de l'eau de toilette, toutes ces impressions, il voulait les revivre encore et encore, indéfiniment. Mais bien sûr qu'il rêvait que Kagami lui fasse connaitre des sensations ! Déjà que la lecture des scènes érotiques était particulièrement émoustillante et le mot était faible, qu'est-ce que la réalité devait être, alors ? Il avait toujours des incertitudes sur ce qu'il éprouvait, mais elles s'envolaient les unes après les autres à chaque fois qu'il le voyait en vrai ou en visio. Ce diable rouge d'écrivain s'était insinué dans son esprit depuis leur première rencontre. Bien involontairement, cela s'entend, mais quand même. C'était un démon. Il était parvenu à faire en sorte qu'il ne s'occupe que de lui. Il fallait dire que ce roman était exceptionnel.

Il percevait le tapotement frénétique des doigts sur le clavier et il sourit. Il attendait patiemment que Kagami ait terminé. S'il ne s'était pas trompé, il en aurait pour au moins une bonne heure encore. Il lui dit qu'il sortait un instant sans trop savoir s'il avait été entendu. Il s'arrêta dans un restaurant et pris des plats à emporter. Il était assez tard et il commençait à avoir faim. À son retour, Kagami était toujours en train d'écrire. Il disposa les assiettes sur l'ilot central et alla voir le romancier.

— Il faut diner, lui dit-il doucement.

— J'ai fini et je meurs de faim ! C'est quoi tout ça ? demanda-t-il en le suivant dans la cuisine.

— J'ai juste été acheté des plats à emporter. Venez manger ou vous allez faire une hypoglycémie...

— Vous auriez dû m'dire que vous sortiez…

— J'l'ai fait, mais vous m'avez pas entendu tellement vous étiez absorbé. Alors ? Cette scène ? réclama le correcteur en s'asseyant devant ce qui devenait de plus en plus un fantasme pour lui.

— Vous la lirez, j'vous l'ai envoyée, lui confia Kagami en souriant tout en engloutissant un onigiri en deux bouchées.

— Est-ce que je vous ai aidé ? demanda Aomine quand même curieux de connaitre l'avis de son auteur.

— Honnêtement ? Oui. J'm'attendais pas à ça, mais j'avoue que c'est efficace… J'ai vraiment pu mettre des mots précis sur certains passages... On en reparlera...

— Je suis ravi d'vous entendre dire ça... J'ai perdu quatre romanciers parce que j'avais un peu trop forcé et j'avais oublié qu'c'était pas moi qui écrivais l'histoire...

— Vous vous êtes trop impliqué ?

— On peut dire ça... Les auteurs n'ont pas aimé mes méthodes, mais avec le temps, j'me suis… amélioré, on va dire...

— Eh bien, j'apprécie vos améliorations... Vu l'résultat, si vous estimez qu'c'est encore nécessaire, parlez-m'en avant de vous pointer chez moi avec tout vot'matos...

— Vous voulez goûter le saké que vous m'avez offert ? proposa Aomine qui avait de moins en moins envie de mettre un terme à cette séance de travail.

— Vous l'avez apporté ? C'est un coup monté, avouez ! plaisanta Kagami.

— Non, pas du tout... En sortant d'chez moi, j'ai vu la bouteille et j'ai pensé qu'on pourrait la déboucher ensemble après ce boulot comme un réconfort après l'effort...

— Boulot obligatoire que vous avez initié… Moi j'y suis pour rien…

— Vous regrettez ? demanda Aomine avec un regard si intense que l'écrivain ne savait plus trop s'il fallait être sérieux ou continuer sur un ton moins professionnel.

— Non, pas du tout, mais je persiste à dire que j'avais rien d'mandé, même si ça valait le coup, tempéra-t-il incapable d'avouer qu'il avait réellement apprécié surtout pour les résultats obtenus.

Le romancier se leva et alla chercher des verres dans le bar et il revint avec la bouteille de cognac qu'il n'avait pas non plus entamée.

— Les mélanges, en principe, c'est pas conseillé, observa doctement le correcteur.

— Juste pour goûter, argua l'écrivain en servant le saké.

Assis sur le canapé, chacun porta la coupe à ses lèvres et dégusta la saveur subtile de l'alcool. Il n'était pas très fort et laissait en bouche un arrière-goût indéfinissable et très agréable. Ils recommencèrent, tout à fait satisfaits de ce qu'ils buvaient et de ce qu'ils ressentaient. Il n'y avait pas que le saké qui leur faisait de l'effet. La présence de l'autre si proche était impossible à ignorer. Un silence paisible s'était installé et ils le savouraient sans retenue. L'un et l'autre se sentaient bien, conscients de ce qui se jouait entre eux. Pour Kagami, il ne s'agissait que d'une attirance physique au départ, mais c'était devenu bien plus que ça. Il attendait leurs rendez-vous en visio avec impatience et s'ils devaient se voir au bureau d'Aomine ou chez lui, il était excité comme une puce.

— Le cognac ? proposa l'auteur en revenant de la cuisine avec une carafe d'eau pour se rincer la bouche s'ils voulaient apprécier l'autre boisson.

— Pourquoi pas ? Au point où on en est…

— Au pire vous dormez ici, j'vous l'ai déjà proposé... Attention, c'est plus fort que le saké...

Kagami servit une petite dose de cognac dans les verres adéquats. Il ne fallait pas qu'Aomine pense qu'il envisageait de le saouler pour profiter de lui, même si l'idée lui avait rapidement traversé l'esprit. Très rapidement. Juste passer. Très vite…

— Pour le boire en digestif, il faut un verre ballon, expliqua Kagami. En le faisant tourner dans votre main, vous chauffez le cognac qui libère ses arômes... Mettez le verre sous votre nez et sentez…

— Difficile de trouver un parfum dominant, observa fort justement Aomine.

— C'est qu'il est équilibré… Le guide nous avait précisé ce détail lorsque nous avions fait ce voyage en France avec mon père... Après, vous trempez à peine les lèvres avant de reprendre une toute petite lampée...

— C'est fort, effectivement, toussota Aomine qui ne s'attendait pas à une telle brulure dans la gorge. Combien ?

— Quarante degrés. Le saké n'en fait que seize.

— C'est un vrai délice, ajouta-t-il en goutant à nouveau l'alcool.

— Eh bien, nous ne nous sommes pas trompés sur les présents que nous avons échangés, conclut l'auteur en faisant tourner le liquide ambré dans son verre d'un geste hypnotique sans quitter son interlocuteur des yeux.

Aomine ressentait cette proximité avec une telle acuité qu'il ne fit pas attention au cognac qui lui montait un peu à la tête. Dès le premier jour, il était tombé sous le charme de Kagami parce qu'il ressemblait trop à Haruka. Mais à cet instant, ce n'était pas à son ancien amant défunt qu'il pensait, mais bien à cet auteur diabolique capable d'écrire des scènes érotiques si réalistes qu'il avait été jusqu'à se masturber en les lisant. Il y avait tant de volupté dans ces passages qu'il en était arrivé à se demander comment ce serait de faire l'amour avec cet homme. À quoi songeait-il lorsqu'il rédigeait ces scènes de sexe ? Faisait-il appel à son imagination ? À son vécu ? Aux deux peut-être ? S'inspirait-il en regardant du porno ? Et pourquoi pas ?

— … mine… Aomine ?

— Pardon ? Oh désolé, j'étais plongé dans mes pensées… Il se fait tard, je vais y aller…

— Vous êtes sûr ?

— J'ai déjà conduit après avoir bu plus que ça et je sais, c'est pas bien, termina-t-il en levant les mains en l'air comme pour s'excuser de l'avoir fait.

— Vous m'enlevez les mots de la bouche, confirma son hôte. Je vous aide à remballer votre matériel ?

— J'veux bien…

Ils remirent le fauteuil et les futons dans le coffre de la voiture et sur le siège arrière et s'apprêtaient à se dire au revoir.

— N'oubliez pas votre bouteille, sourit Kagami en la lui tendant.

— Je la ramènerai la prochaine fois, murmura le correcteur en la prenant.

Leurs doigts se frôlèrent et ce fut comme si une petite décharge électrique crapuleuse les avait parcourus. Ils n'avaient pas lâché la bouteille. Ils étaient si près l'un de l'autre qu'ils percevaient la chaleur que dégageait leur corps. Une chaleur trop vive pour résister encore bien longtemps au démon qui leur ravageait les entrailles et accélérait leur souffle.

— Ne l'oubliez pas…

Leurs regards se croisèrent et chacun put y comprendre une multitude de choses sans dire un mot. Il leur aurait suffi de tourner à peine la tête pour que leurs lèvres s'effleurent. Mais l'instant s'en fut avec un souffle de vent glacé bien traitre. Kagami lâcha la bouteille et Aomine monta dans sa voiture. Cette fois encore, il vit le véhicule disparaitre au premier virage, espérant une fois de plus, le voir réapparaitre…

La neige avait presque entièrement fondu…

À suivre…


(1) Kasuga Ryuhei joueur de Seiho

(2) Système Solaire et Galaxie prennent une majuscule, car il s'agit de celui auquel appartient notre planète, la Terre et de la Voie Lactée, auquel appartient notre Système Solaire. C'est pour les différencier de tous les autres soleils et galaxies dans l'univers. Avec une majuscule, on sait que l'on parle de "chez nous". Notre Soleil prend aussi une majuscule pour les mêmes raisons.

(3) John Wick film avec Keanu Reeves. Google, Allociné et Wikipédia sont vos amis. ^^

(4) Fauteuil boule qu'Aomine utilise sans le support. Il l'a équipé de sangle pour maintenir correctement et sans danger la personne assise. Sur les bords, il y a deux orifices recouverts de mousse sur le haut qui font office de poignées et qui lui permettent de balloter Kagami dans tous les sens.

12