XXI L'harmonie

1999 (Rafael)

Dire qu'on est impressionnés et émus n'est même pas esquisser ce qu'on ressent — ce que je ressens — en rang d'oignons devant le Commandant Shacklebolt qui nous rappelle avec solennité ce que veut dire servir la Lumière. Alors que je m'attendais à un crescendo sur le sujet, il termine plutôt par une intimidante liste de qualités que nous aurions, selon lui, acquises.

"Si vous êtes là aujourd'hui, reconnus par vos pairs comme aptes à mener cette noble mission, c'est que vous avez fait la preuve que vous en étiez dignes", affirme-t-il de son inimitable voix de basse. "Vous avez fait la preuve que vous étiez de bons combattants et de bons tacticiens, même sous la pression et en manque de sommeil."

Je suis conscient de mon envie de tâter ma baguette dans ma poche, pour me convaincre qu'effectivement, je suis devenu le combattant et le tacticien que Shacklebolt évoque, que j'ai finalement dompté cette baguette maudite tellement de générations avant ma naissance. Un vrai gage d'avenir.

"Vous avez montré que vous saviez rédiger des rapports, interroger des suspects et préparer des litres de café", il continue. Il y a les sourires attendus.

"Vous avez démontré qu'on pouvait vous confier la protection d'hôtes de marque comme la surveillance de foires de printemps ; que vous pouviez mettre le même zèle non seulement à démonter des trafics ou trouver des assassins, mais aussi à documenter ces accusations et à les rendre défendables devant nos tribunaux."

On a en effet tous maintenant passé le rite initiatique consistant à aller présenter un morceau du dossier de l'équipe dans laquelle on était devant le Magenmagot. Certains comme moi ont même pu interroger un témoin ou un suspect. Heure de gloire minuscule, mais qu'il ne l'oublie pas me touche.

"Vous avez appris à vous taire et à respecter vos aînés, mais aussi à être force de proposition. Tous savent qu'ils pourront aller avec vous dans les pires situations sans se demander s'il faut vous tenir la main. Bref, vous étiez des jeunes gens prometteurs, vous êtes aujourd'hui des collègues", il conclut avec cette intimidante bonhomie qui est la sienne.

"Et c'est bien pour cela qu'après votre serment, c'est à chacun de vos mentors, devenus vos collègues, que je demanderai de vous tendre l'athamé, symbole de notre grande famille, bien plus que l'uniforme que nous portons pourtant tous fièrement."

Après cette tirade, il commence à nous appeler par ordre alphabétique pour prêter serment. Est-ce qu'on peut mettre davantage de gravité dans l'énoncé d'un nom que lui ? Quand le serment est récité, le mentor s'avance et tend l'athamé avec un commentaire qui va du petit discours au simple bienvenu. Il y a des sourires, il y a des larmes, il y a des rires et des accolades sincères. Et puis, c'est mon tour.

La question de mon athamé a provoqué de longs échanges entre Madrid et Londres. Finalement, je vais recevoir un athamé qui vient des réserves espagnoles, mais sera consacré par ma mentore britannique au nom de la coopération magique européenne. Un truc qui te ressemble, a jugé Dikkie.

J'ai l'impression que mon anglais n'a jamais été aussi peu britannique que lorsque je récite la gorge serrée le serment. Je sais que je devrais le refaire dans quelques semaines en espagnol. Je ne sais pas si la deuxième fois sera plus facile. Shacklebolt m'écoute avec le plus grand sérieux ânonner de grandes phrases sur l'obscurité qu'il faut toujours combattre, la Lumière qui doit nous guider, l'équilibre qu'il faut préserver, le dévouement et le sacrifice qui sont notre fierté. Il m'écoute avec attention, sans grimacer à mon accent. Comme il a écouté les autres. Il fait ça bien. À la fois bienveillant et impressionnant. On ne peut que vouloir lui ressembler, je me dis.

Puis, comme pour tous mes collègues avant moi, le Commandant appelle ma mentore — l'Auror Tonks-Lupin. Il lui remet un athamé et elle s'avance vers moi. Plus détendue que moi, mais moins qu'au Magenmagot, estime cette partie de mon cerveau qui semble passer son temps à évaluer son humeur et son approbation.

"Rafael, je regarde le chemin que tu as parcouru, que nous avons parcouru ensemble, et je mesure le privilège d'avoir été à tes côtés pour le faire. C'est de plein droit que tu entres aujourd'hui officiellement dans notre famille des Aurors. Une grande famille, qui ne s'arrête pas aux frontières. Je sais que, où que la vie te mène, tu vas servir la Lumière avec sincérité et créativité... Tu vas apporter ta pierre à cet édifice toujours recommencé... Que cet athamé t'accompagne et te serve."

Je dois presque me forcer à prendre le manche qu'elle me tend. Quand ma magie entre en contact avec le morceau d'ébène sculpté, les runes de mon nom apparaissent, rougeoyantes d'abord, puis sensibles en creux. J'essaie de ne pas fondre en larmes, mais je suis incapable de répondre. Elle me sert contre elle et me souffle : "Ta mère et ta grand-mère auraient été fières de toi, Sopo. N'en doute jamais."

Le soir, nous allons évidemment au pub offrir des tournées aux jeunes et futurs aspirants, bomber le torse et célébrer la fin de quelque chose qui est le début d'autres. Jamais la succession ne m'a paru aussi claire.

Je suis quasiment certain que nous nous forçons tous à sembler plus joyeux et insouciants que nous ne le sommes effectivement. Je parle pour moi sans aucun doute. Je parle aussi pour Dikkie. Notre séparation est maintenant imminente. Qu'elle mette ou non à exécution son plan de venir servir les Aurors espagnols, notre couple est à partir de ce moment en suspens. La semaine prochaine, je vais partir pour Madrid et nul ne sait quand je reviendrai. Il paraît même assez certain que je n'aurais pas de congés rapidement pour lui rendre visite au-delà de courts week-ends que nous nous sommes déjà promis.

Mais ce soir, personne n'évoque ça. Ni elle, ni moi, ni aucun de nos camarades. Ce soir, on s'enferme dans notre bulle d'harmonie et de camaraderie, dans nos certitudes de jeunes Aurors. On ne veut voir que l'avenir devant nous. Les carrières fructueuses. Les victoires. Les vacances qu'ils viendront prendre en Espagne aussi. Les visites que je ferai pour retrouver le goût de la vraie Bièreaubeurre...

Je repense évidemment à cette simplicité heureuse quand dix jours plus tard, je prête serment en espagnol. Tout est différent. Au-delà de la langue — et de la majorité de gens bruns. L'événement n'est pas réservé comme à Londres aux jeunes Aurors et à leur mentor. Il réunit au contraire tous les membres du Cortés magique — les juges, mais pas seulement — qui souhaitent participer. Un certain Ernesto Zorrillo, qui m'a été présenté par Fervi et qui prête serment en même temps que moi, me souffle que les membres sont particulièrement nombreux aujourd'hui et que c'est sans doute en raison des quatre nouveaux Aurors revenant d'une formation à l'étranger. Bref, en partie par curiosité pour moi, Rafael Soportújar. Qui aurait pu s'appeler Altamira. Oui, à ce moment, sous les ors et les aigles de la salle du Cortés, j'y pense. Sont présents aussi des représentants des différentes divisions régionales. Je ne prends pas la peine de chercher si je reconnais des membres de la Division andalouse.

Les candidats locaux passent heureusement les premiers. Ils prêtent serment — un serment assez proche dans sa formulation de la version anglaise, devant ce mur d'officiels parmi lesquels je ne compte pas beaucoup de femmes. Je n'ai jamais vu le Magenmagot au grand complet, mais je crois quand même que la proportion est meilleure. Il n'y a qu'une fille parmi les cinq impétrants locaux. Je me demande ce qu'en diraient Dikkie ou Jeffita.

Placé au centre de la pièce, dans un espace délimité par un dôme à la décoration paradoxalement moins chargée que le reste de la salle, le Colonel Milagro, commandant suprême de toutes les divisions, les appelle un à un. Ils s'avancent avec leur mentor qui se tient derrière eux, soutien moral et garant, de ce que je comprends, pendant le serment. À la fin, c'est Milagro qui leur tend directement l'athamé. Ensuite, il ne leur propose pas une accolade bienveillante ou un petit discours, mais il saisit son propre athamé posé sur un lutrin devant lui et l'impétrant le frappe avec sa propre lame. L'harmonique qui s'élève en réponse est amplifié par le dôme. Ce n'est que lorsque le son s'est évanoui que Milagro repose son athamé et que le nouvel Auror peut partir.

Ça me paraît bien intimidant, et c'est pire encore quand vient le moment des Aurors formés à l'étranger. Milagro introduit la séquence par un assez long discours sur les bienfaits cumulés de la coopération internationale, de l'intégration de la communauté magique espagnole en Europe et la création de liens durables et profonds avec les pays voisins. Il rappelle que nous sommes les premiers et que d'autres viendront. Il dit aussi qu'on attend les premiers candidats étrangers - ce qui me fait une nouvelle fois penser à Dikkie.

Milagro appelle en premier Sienna Belmonte, en précisant qu'elle a suivi sa formation à Rome. Il lui demande de présenter son athamé ce qu'elle fait et de jurer en le tenant à la main. Elle s'exécute avec cette indéniable assurance des filles bien nées. L'aimable et attentionné Zorrillo me souffle d'un air entendu que sa mère est italienne. Une sorte de Dikkie, je décide avec une certaine nostalgie. J'ai appris que les Dikkie avaient des failles et pouvaient même s'intéresser aux Moutons noirs qui faisaient leur forte tête. Ne pas juger sur les apparences. Quand Belmonte a terminé son serment, Milagro s'empare de nouveau de son propre athamé et la cérémonie harmonique se répète. J'ai la sensation de mesurer l'augmentation de la magie dans l'air que je respire, comme dans certaines célébrations magiques que ma grand-mère et Don Curro affectionnaient, je me souviens brusquement. Il y était aussi question d'armes blanches frappées et d'harmoniques créées.

Quand Sienna Belmonte a rejoint nos rangs, Milagro appelle Garsea Crespo - un solide gaillard que je vois bien me projeter à terre d'une tape dans le dos. Il a fait son aspiranat auprès du Bureau central français à Paris. Mon rêve initial, je m'en souviens avec une autre sorte de nostalgie distante. Est-ce que sur les rives de la Seine, j'aurais rencontré une Dora Tonks Lupin décidant de prendre sous son aile un petit mouton noir ? Une jolie Dikkie française ? Est-ce que je saurais autant qui je suis ?

Le processus d'assermentation, en tout point identique à celui de Belmonte, me laisse le temps de rêver à ces possibles. Je me dis aussi que ce gars qui a été envoyé en France ne me paraît pas revenir avec ce vernis français qu'on pourrait attendre. Puis je me demande si j'ai maintenant l'air britannique et je sais bien que non. Quand Crespo se recule après avoir produit l'harmonique attendu, Milagro appelle Lucia Merino, une grande fille osseuse et sombre, brusque et presque inquiétante. Elle arrive, elle, de Bruxelles, et il lui a fallu comme moi une année de plus pour être formée. Ça me donne envie d'en savoir davantage sur elle.

Je ne suis pas étonné d'être le dernier, mais je suis relativement soulagé quand Milagro appelle mon nom. Ce nom que chacun ici doit reconnaître. Je n'ai pourtant pas trop de montée de paranoïa en imaginant les pensées de mes camarades. Je reviens de Londres et j'ai surmonté les épreuves qui m'ont été envoyées. Avec une année de plus que prévu, c'est un fait, mais je ne suis pas le seul. J'ai fait le choix de revenir. J'ai une baguette fonctionnelle et libérée de tout maléfice. Je peux me tenir la tête haute en face de Milagro. Je peux réciter le serment sans trembler. Et l'harmonique qui résonne sous la coupole me paraît puissant et plein de promesses.

2021 (Iris)

J'étale au sol, au centre de notre petit groupe, le plan que Sopo a bien voulu dessiner. Je laisse mon index glisser sur les traits : une sorte de coursive circulaire rejoint les deux couloirs d'accès — celui que nous avons emprunté et celui venant d'Écosse ; elle enserre un vide qui s'ouvre sur une salle en contrebas, dans laquelle serait le Vaisseau d'or, prêt à voguer sur les flux telluriques et à accompagner la naissance de la Nouvelle-Atlantide. Un seul accès à cet étage inférieur — une sorte d'escalier de quelques dizaines de marches. Toute mon équipe l'a étudié, Eolynn y a veillé. Mon doigt se fixe à l'entrée du tunnel vers l'Écosse.

"A priori, Darnell et les autres sont déjà là", j'explique, résumant les dernières transmissions. "Ils nous attendent", je rajoute, et Aidan a un éternuement de dérision que je ne relève pas. "Quand on arrive au bout du tunnel et qu'on explose le dernier éboulis, on ne va pas passer inaperçu. L'idée sera d'enchaîner, de se coordonner en visuel et de submerger nos petits créateurs d'île."

Tout le monde opine sobrement.

"Shannen et Bruce, vous restez notre avant-garde. Vous n'ouvrirez le mur qu'à mon signal. Mark et Andrew, protection et soutien. Il va falloir être rapides et efficaces."

Une nouvelle fois, je n'ai que des réponses professionnelles.

"Aidan et Oscar, vous fermez la marche, derrière Eolynn, Sopo et moi", je continue d'exposer mon plan. Disons plutôt mon ordre de bataille.

"Sopo, des conseils ?", je continue.

Je ne lui ai toujours pas montré le message reçu de Zorrillo. C'est mon joker, ai-je discrètement expliqué à Eolynn. Je préfère me déterminer sur son comportement spontané. Et pour l'instant, il a dessiné un plan qui correspond à ce que j'ai cru distinguer pendant ma reconnaissance et il a armé tous les chaudrons anti-rituel avec compétence et minutie. S'il a des objectifs annexes, il les cache bien.

"Nauzet, le Canarien, maîtrise les magies élémentales... plutôt pas mal", il finit par répondre. "En particulier, des magies de terre... bien appropriées à ces lieux... De mes souvenirs... vous n'êtes pas spécialement formés à ça..."

"Ça, c'était avant Iris", commente Mark. Et ça tire des sourires aux Aurors de mon équipe. Sopo, lui, me regarde et je décide d'être professionnelle.

"On n'est pas non plus des spécialistes, mais on s'est entraîné à une manœuvre... quand un sortilège élémental est lancée... on produit une contre-onde en heurtant nos athamés ", je lui explique.

Sopo a l'air totalement sidéré par l'information. "Vraiment ? Une contre-résonance ? Impressionnant" est son commentaire.

"Tu connais", je propose.

"C'est une magie... connue des Maures", il formule. "Elle peut se pratiquer avec des armes blanches consacrées, pas seulement avec des athamés."

"Des Maures, pas du Bureau espagnol", je vérifie sur une intuition.

"Pas de tout le monde au Bureau espagnol" est sa réponse millimétrée.

Je n'ai malheureusement pas le temps de creuser davantage. Je me détourne de Sopo pour soutenir le regard de chacun des membres de mon équipe avant de conclure : "Bien. Ceux qui ont un athamé le gardent à portée de main. Quiconque ressent une magie élémentale prévient les autres... Tout le monde boit et prend un remontant. Parce qu'on est partis."

De fait, quand on arrive au bout du couloir, Eolynn me signale que Darnell est attaqué. À mon signal, le dernier rempart de terre explose, nous sortant brusquement de notre isolement. On tombe directement dans un affrontement entre les hommes de main de la Nouvelle-Atlantide et nos collègues venus d'Écosse. On va dire qu'on crée la surprise. Leurs deux assaillants, s'ils bénéficiaient d'une position de barrage, ne font pas le poids. L'un tombe blessé et l'autre essaie de se suicider, mais Bruce l'assomme avant qu'il ne réussisse.

Nos deux équipes se retrouvent autour des deux hommes. Je ne me fais pas confiance pour regarder Darnell ou Forrest.

"Fioralquila Fervi", dit Sopo en désignant le plus âgé. Celui qui a tenté de se suicider. Je fais signe à Eolynn de transmettre.

Je perçois le mouvement de Forrest vers Sopo. Je lève les yeux, elle s'arrête. Je vais lui dire que ce n'est pas le moment quand je sens la magie de Terre saturée l'air. Je ne suis pas la seule. Tous les Aurors sortent leurs athamés, ceux de mon équipe en premier, imités avec un temps de retard par les autres.

"Couvrez-nous", j'ordonne aux non-Aurors sans chercher à voir si Darnell est d'accord "Laissez-nous tenter de faire barrage. Par paire, rangs réciproques... Je prends la gauche, Eolynn au centre, Mark à droite."

Le plus étonnant peut-être est que tout le monde m'obéit sans un retard ou une remarque. Caradoc me suit vers la gauche de la coursive, Forrest rejoint Eolynn, Winnie se rapproche de Mark. Les policiers et les tireurs se mettent en position sur un arc pour nous couvrir. Sopo est derrière eux.

Il me semble que ce sont les murs creusés qui bougent - la partie terreuse doit s'animer des sortilèges du Canarien, analyse la partie la plus calme de mon cerveau, ignorant les peurs animales - ensevelissement, écrasement, étouffement...- qui traversent mon corps en vagues successives. Une espèce de forme vaguement humanoïde sort du sol pour nous faire barrage.

Je tends mon athamé de la main gauche et, comme à l'exercice, Caradoc vient le frapper avec le sien. L'harmonique me paraît un peu faible comparé à d'autres fois, mais la forme en face de nous perd en précision, la terre retombe. Tout de suite après, elle reprend forme devant Mark et Winnie. Mais ils sont prêts tous les deux, et sans doute en meilleure entente symbolique, parce que l'harmonique me semble pure et puissante en retour. La forme se disperse immédiatement.

Nauzet ne doit pas se laisser décourager facilement. Il choisit de faire apparaître quatre formes, plus petites et compactes, et de les projeter d'un même mouvement vers nous tous. Nos harmoniques en bloquent trois. La quatrième arrive à nous dépasser et les policiers ont un mouvement de recul. Les Tireurs, eux, creusent un fossé qui l'arrête au moment où nous six refaisons, presque en même temps, des harmoniques. La puissance du geste magique fait vibrer les murs autour de nous. L'air que nous respirons prend un goût de poussière.

"On avance", je décide et je perçois le signe de tête de Darnell qui confirme sans doute pour son équipe.

L'escalier est devant nous. À quelques pas. Il a disparu quand nous l'atteignons, remplacé par une chute verticale en bas de laquelle on perçoit ce qui doit être le fameux vaisseau d'or. Un type brun et râblé se tient là et j'imagine que c'est Nauzet. Des vagues de magie de Terre semblent sortir de lui.

"Il fait un plafond", comprend Darnell avant moi.

"Il faut maintenir une ouverture", conseille Sopo.

"Wind, Puddleton", je commence.

"Tu suis ses ordres ?", lâche Darnell de sa pire voix de suspicion.

"Je suis ses conseils d'homme qui connaît les lieux", je contre sans le regarder.

Bruce Wind s'est immédiatement mis en position, Shannen en couverture ; Puddleton et le policier qui travaille avec lui les imitent avec un dernier regard pour Darnell qui ne dit rien.

Je me sens néanmoins obligée de lui demander : "Tu veux la confirmation de Londres que je prends les décisions ?"

"Non, Iris. Je sais."

Il y a tellement de distance dans sa voix que j'ai envie de le secouer, de lui rappeler nos courses folles, enfants, sur les plages de la Manche, nos frasques à Poudlard, nos enquêtes menées en commun, toutes les fois où il m'a engueulée avec raison, toutes les fois où nous avons été complices envers et contre tout.

"Tu as mis des heures à t'en souvenir", je grince plutôt.

"C'est de ma faute, Auror Lupin-McDermott", intervient Forrest avec précipitation.

"Je sais", je la coupe alors même que le trou des Tireurs semble bien se stabiliser dans le plafond de terre créé par Nauzet. Des tirs de barrages se mettent à traverser notre ouverture avec pas mal de constance. Elle non plus, je ne la regarde pas.

"Aller là-dedans, ça va être du suicide", estime Aidan, nerveusement. "Je veux dire, comment maintenir un bouclier horizontal et mouvant ?"

"Ils ne vont pas tenir éternellement là-dessous", juge Eolynn.

"Ils n'ont pas besoin de l'éternité", lui rétorque Winnie Huxley qui n'est pas toujours aussi sûre d'elle-même.

"Faudrait une sorte d'armure", imagine alors un des policiers de l'équipe de Darnell.

"Effectivement", je ponctue.

"Iris, non", souffle Darnell.

"Tu sais très bien que j'ai fait des progrès", je lui rappelle. "Et que le temps ne joue pas en notre faveur. Si on veut complètement arrêter le rituel, il faut descendre. Quelques mètres, quelques minutes. Je peux le faire."

"Je suis volontaire", indique Mark inutilement — je veux dire qu'il est la personne avec qui je me suis le plus entraînée après Sam à faire ça.

Ne pas penser à Sam. Ne pas penser aux filles. Penser à la magie positive qui doit triompher, comme dit le serment des Aurors.

"J'espère bien", je ponctue donc en me redressant. "Darnell... tu suis le plan, d'accord ?"

"Quand vous serez en bas, Iris, tu seras vidée", me répond Caradoc sans me regarder lui non plus. "Prends deux personnes. Qui tu veux. Je sais que tu peux en prendre quatre..."

"Non. Un adulte et deux enfants", je corrige machinalement.

"Ok, juste une personne. Une fille peut-être, plus légère — je ne sais pas si le poids change quoi que ce soit pour toi. Mais si tu risques d'être hors combat, il vaut mieux qu'ils soient deux."

On ne s'est toujours pas encore regardé dans les yeux. Je me force à le faire et je retrouve le Caradoc en qui j'ai, à tort ou à raison, confiance. Je lui confirme d'un signe de tête que j'entends son raisonnement. Mon regard court sur mes collègues en me demandant qui je peux inclure dans mon plan. Mes frères — tous mes frères, avec des arguments différents - ont cette théorie que mon Œuf fonctionne mieux quand j'ai un lien affectif avec ceux que je veux protéger.

"Aidan ?", je me risque donc. Dire que ce dernier est sidéré est un euphémisme. Je sais qu'il flippe, mais je sais aussi que c'est l'incertitude plus que le risque qui le rend nerveux. "Ce n'est pas un ordre", je précise. "Mais... on est amis... ça devrait m'aider", je formule pudiquement. "Et tu as l'habitude de bosser avec Mark."

Il se dit déjà dans les couloirs de la Brigade que je passe à Aidan Logan plus de choses qu'à tout autre policer ; que je suis déjà intervenue en sa faveur ; que j'aide sa carrière. Faut-il alimenter cette réputation ? Comme si ce que je m'apprête à faire n'allait pas entrer dans les annales. Ne pas trop y réfléchir.

"Si c'est ce que tu veux" est la réponse fataliste de mon premier petit ami historique. Mais ça lui va mieux que de gamberger. Il se rapproche sans attendre de moi et de Mark, à quelques pas du trou d'où continuent de sortir par salves des sorts offensifs.

"Tu as compris ce que je veux faire ?", je lui souffle alors que je commence à me concentrer.

"Je crois. Je te fais confiance", il répond, pas plus haut.

"Quand l'Œuf sera là, poussez-nous", j'indique plus fort à tout le monde. Je continue plus bas pour mes deux acolytes : "Quand on arrive et quand le... œuf se dissipe, il est possible que je tombe. Vous ne vous occupez pas de moi. Compris ? Vous vous protégez, vous ripostez. Les autres suivent."

Je ne vérifie pas que tout le monde me répond. Ce n'est plus ma responsabilité. Je bloque toutes les pensées parasites qui pourraient me couper de ma magie pour laisser venir la carapace d'or à moi - à nous. C'est comme si elle prenait sa substance de l'air autour de nous. Je perçois des paillettes d'or qui se rejoignent pour former un film, puis une barrière solide. Comme toutes les fois où je ne suis pas seule, elle prend une forme plutôt ovoïde. Je perçois sa place dans l'espace, puis la poussée et la chute.

Étonnamment, nous ne sommes pas ballotés, nous sommes hors gravité. Comme dans un œuf, je pense. Je perçois les agressions extérieures, comme des résonances, là encore. Mais la carapace les absorbe, se nourrissant de ma magie pour le faire. C'est à la fois très long et très rapide. Le sol nous arrête et je lâche immédiatement la pensée volontaire qui maintient l'ensemble. Le vertige est là et je ne le combats pas. Je me laisse tomber et rouler au sol en comptant sur Mark et Aidan.

Aux sons qui m'arrivent, les échanges sont vifs, mais les garçons sont solides et ils occupent assez nos opposants pour que je puisse me relever derrière eux. Tremblante et dégoulinante de sueur, de la terre dans la bouche. Avant que j'aie pu faire mieux, la cavalerie se laisse tomber par paire au travers du trou.

L'air est totalement saturé de magie et j'ai du mal à suivre ou, plutôt, j'ai l'impression de voir la scène de très loin. Les opposants qui reculent. La belle Siofra qui tente de transformer le vaisseau d'or en projectile. Mes collègues qui assomment, arrêtent, entravent. Je n'ai pas tenté de jeter un seul sortilège que c'est fini.

oooo

Une bonne chose de faite. Il reste quatre chapitres. Allez, dites-moi ce que vous pensez de tout ça.