Si on allie nos forces, on peut y arriver !

OST SNK qui se prêtent bien à l'ambiance =

- Ymniam – Mkorch -

- Aots2m #2 -

- Symphonicsuite Shingekinokyojin -

- The Reluctant Heroes (Modv) -

- Aots2m #4 -

- The Fall of Marley -

Aots3-Pf2 -

Happy Jeanmarco week tout le monde ! On se retrouve comme d'hab dans un mois pour la suite des opérations

… ( ) …

Les cahots de son cœur, en discordance avec ceux de son corps, lui donnaient la nausée. Chaque coup de talon de Sasha sur la terre secouait son plexus, et bousculait son cœur dans sa gorge, mais cela faisait quelques minutes que Jean ne s'en préoccupait plus. De même, une masse floue de contours et de couleurs défilaient sous ses yeux, trop fatigués pour s'amarrer à autre chose que le bois de l'arc en travers du dos de la jeune femme. Le seul écart avait eu lieu il y a déjà plusieurs minutes, quand ils avaient dépassé un ravin d'un flottement de tridimensionnalité.

Ils n'allaient pas tarder à faire une pause, si Jean se fiait au souffle de plus en plus rauque de Sasha et sa prise faiblissante. Pourquoi ne la faisait-elle pas dès maintenant ? Était-ce parce qu'elle avait peur de se faire attaquer par les Titans ? Ou autre chose ? Il n'avait plus l'énergie de lever la tête pour vérifier les craintes de la chasseresse.

Si c'était le cas, ça voudrait dire que Marco et Conny n'avaient pas réussi à les neutraliser. Ça voudrait dire qu'il leur était arrivé quelque chose. Et Sasha courait toujours !

La dernière image de Marco, fugace et lointaine, se dispersait déjà sur le chemin, alors que Sasha continuait de les éloigner. Il n'avait pas vu son visage, il n'avait pas entendu sa voix, il ne saurait peut-être jamais ce que Marco avait voulu lui dire avant leur sauvetage. Et c'était ça, le dénouement de ce qui les avait liés ? Une pelote d'angoisse emmêlait son souffle décousu dans sa cage thoracique, mais il se refusait à couper le fil.

Il serra les poings sur la cape de Sasha, et s'y appuya pour balayer du regard la forêt qui les encerclait. Ce n'était que taillis et futaies à l'horizon, pas de Titan, et il n'aurait pas pu les voir, seulement les entendre. Il n'y avait rien, excepté les froissements et cliquètements de l'équipement. Et la distance, qui grossissait et grossissait, les séparait de son appétit infâme... Il cingla la tête vers Sasha, ravalant la nausée causée par le mouvement soudain. D'une voix enrouée, cicatrice de tous les cris qui l'avaient déchiré, il l'interpella :

-On va fuir encore longtemps ? C'est quoi le plan ?! »

Il lui sembla qu'à ses paroles, elle raffermit sa prise sur lui, avant de répondre :

-On y est presque !... Tiens-toi tranquille encore quelques min-...

-Tu nous emmènes où au juste ?! vociféra-t-il, à épuiser sa voix jusqu'aux dernières réserves. Loin des Titans, hein ? Tout ça parce que t'as la frousse. Et s'ils ont besoin de nous, là-bas ?!

-Justement ! Ils vont s'en sortir, on s'est mis d'accord pour-...

-Comment on sait s'ils s'en sor-... ?!

-JEAN ! Tais-toi et fais-leur confiance ! »

L'exclamation de Sasha agit telle une bourrasque qui déblaya l'esprit de Jean. Il avait échappé de peu à la panique, et il savait ce qui lui avait fait perdre pied aussi vite : il se sentait impuissant, trimballé d'un point à un autre. Que Sasha appelât ça leur faire confiance, si ça lui chantait.

Non, ils étaient venus leur sauver la vie. Il leur devait de suivre leur plan. Aveuglément, s'il le fallait.

Avec un lourd soupir, il s'affaissa sur l'épaule de Sasha, qu'il sentit se détendre légèrement, et retourna à sa contemplation du sol, beaucoup plus plat que d'habitude. Ils se rapprochaient du centre.

L'inquiétude accaparait son esprit. Marco gesticulait alors qu'un Titan le portait à sa bouche, et ses supplications déchirantes labouraient ses tripes, à moins que ce ne fut Sasha qui le trimballait toujours. Les ectoplasmes prenaient formes dans chaque motif d'écorce, chaque racine jaillissant de terre. Il devait lutter pour voir les choses pour ce qu'elles étaient, et se concentrer pour ne pas entendre le broiement de la chair entre les molaires. Bien sûr que Marco s'était fait choper, il n'était pas encore assez à l'aise en tridimensionnalité pour échapper à toute une horde... !

Il savait pourtant qu'il ne devait pas le quitter d'une semelle... Son corps avait encore pris la décision à sa place... Il était un boulet que Sasha devait traîner loin du danger. Ce n'était pas lui qu'il fallait sauver ! Il aurait fait une proie facile, un appât pour leur laisser le temps de s'enfuir ! C'était Marco qui avait besoin d'aide !

Non, c'est pas l'moment de s'apitoyer ! Il n'avait pas entendu de coup de canon, donc ils étaient encore en vie. Aucun Titan dans les environs, donc ils arrivaient à les retenir. Sasha avait des instincts dix fois plus aiguisés que les siens, donc elle les aurait sentis venir de loin. Elle n'hésitait pas dans son parcours, donc tout se déroulait comme prévu.

Sasha taillait à travers une forêt espacée, une suite ininterrompue d'arbres fins et de sentiers délimités par des tripotées de buissons. Les buttes de terriers formaient le plus gros du relief, et il crut voir plusieurs fois des touffes de poils ou des crottes sur le chemin : la portion la plus giboyeuse de l'arène. Le terrain idéal pour la tribut châtain, mais beaucoup moins propice à la tridimensionnalité. Il fallait compter sur la connaissance du terrain pour échapper aux Titans. Il ferait bien de s'y atteler dès maintenant.

Le pas de sa chaperonne s'allongea et s'alourdit, enfonçant l'épaule encore davantage dans le ventre de Jean. Il inspira sèchement et retint sa respiration alors que la jeune femme trottait sur un ou deux mètres avant de s'arrêter enfin. Il sentit aussitôt son poids se déporter et s'agrippa à l'épaule de la jeune femme pour ne pas tomber, avant de comprendre qu'elle le déposait sur un tronc renversé qui le maintenait à hauteur de regard même une fois assis.

-Oh, merci. » toussa-t-il en relâchant sa poigne.

Ses doigts se desserrèrent avec peine, crispés sur son trouble, et il ramena ses mains à lui pour les examiner. Il avait réussi à se planter les ongles dans les paumes à travers le tissu. Une bande rouge striait un de ses poignets, là où le bois de l'arc avait mordu la peau.

-De rien... » grimaça Sasha de son sourire grinçant.

Elle s'écarta de trois pas – pour le laisser respirer ou pour éviter que le stress de Jean ne lui retombe dessus ? – et dégaina son arc. Jean la regarda sortir une flèche du carquois à sa ceinture et l'encocher, puis observer les alentours, à l'affût, en prenant soin de lui tourner le dos.

La poignée de l'arc en main, elle avait l'air moins nerveuse. Sa tension semblait trouver un but, elle savait ce qu'elle pouvait faire. Elle avait l'air de guetter une quelconque perdrix, ce qui lui rappela le deuxième jour et sa mésaventure avec elle, où il l'avait vu chasser une biche. Et où elle avait manqué de le tuer. Il ne s'en était sorti que de peu, au prix de son souffle.

Sinon quoi, c'était lui qui se serait pris une de ses flèches entre les deux yeux. Les mêmes flèches que celles qui... ?

Elle avait été la coéquipière de Thomas.

Il y avait donc de fortes chances qu'elle ait trouvé son matériel au même endroit que lui.

Dans ce cas...

-Toi aussi t'en as ? l'invectiva-t-il en serrant les poings.

-De quoi ? »

Elle vira brièvement la tête vers lui, juste avant de se reconcentrer sur l'horizon, esquivant sans le savoir les éclairs de colère dans le regard de Jean.

-Des flèches empoisonnées. »

Elle se tourna à nouveau vers lui, cette fois avec lenteur et en lui faisant pleinement face, les yeux écarquillés. La corde de l'arc se desserra.

-Non, j'en ai pas. De toute façon, la viande est pas bonne avec. Et même si j'en avais, je m'en servirais pas pour tuer. »

Elle posait chaque phrase comme les branches d'une palissade de fortune, qu'elle dressait entre eux pour se défendre contre ses représailles. Jean arqua un sourcil sceptique, sans se départir de son irascibilité.

-Et Thomas non plus, ajouta Sasha en redressant les épaules.

-Pourtant il l'a fait, asséna Jean derechef.

-Mais il n'avait pas envie. »

Il claqua la langue, arrêté dans son élan vindicatif par la simplicité des propos de Sasha. Pourquoi était-ce si simple, si direct, si franc, alors que lui s'enfonçait dans un bourbier de doute et d'incertitudes ? Comment parvenait-elle à le regarder droit dans les yeux avec un argument aussi faillible ? Si c'était aussi simple, pourquoi est-ce que Minha en était morte ?

Le visage tordu par le regret de Thomas lui revint en mémoire, accompagné par son ultime murmure désolé. Il broya l'image entre ses poings serrés.

-Elle mérite pas un truc aussi simple que ''Il en a pas fait exprès'', gronda-t-il.

-Mais personne mérite ça ! se récria Sasha. Sauf que c'est déjà arrivé plein de fois et ça va arriver encore ! On a tous eu ce moment de flottement où on savait pas trop quoi faire, où on a fait des choses qu'on aurait pas faites normalement, sans réfléchir, juste parce qu'on avait peur. Mais on voulait se battre ! Toi aussi, non ?! »

Et elle le défendait, son argument ! Avec des idées tout aussi simplistes et naïves ! Et lâches... comme s'ils n'étaient que de vulgaires marionnettes dénuées de volonté propre, comme si rien n'était de leur faute et qu'ils ne pouvaient rien y faire !

« T'as perdu Minha, moi j'ai perdu Thomas ! Tu devrais me comprendre, non ?

-Y a rien à comprendre ! hurla-t-il en frappant le tronc du poing. Qu'on fasse exprès ou non, on est tous coupables !

-Mais on peut aussi faire exprès de ne pas tuer ! se récrimina Sasha. Je t'ai sauvé la vie ! Deux fois ! Une pour moi et une pour Thomas ! »

Deux fois ? Comment ça, deux fois ? Là, à l'instant, et... ?

Elle l'avait bel et bien repéré derrière l'arbre, cinq jours auparavant. Cinq jours ? Une semaine qu'ils étaient coincés ici, sans en voir le bout. Une semaine, c'était si court. En une semaine, il avait le temps d'apercevoir une fois le chat de gouttière qui traînait derrière leur jardin et pillait leurs réserves. En une semaine, il avait l'occasion de manger l'omelette hebdomadaire que sa mère préparait de coutume.

Et là, en une semaine, onze personnes étaient mortes. Certaines qu'il avait laissées mourir, certaines qu'il avait pu sauver. Ce qui l'avait fait bouillir de rage lui rongeait désormais la poitrine, plus discret, plus vicieux. Un maelström d'injustice et d'incompétence, devant lequel Sasha brandissait sa bannière de candeur et de bêtise.

Elle était campée sur ses positions et il ne pouvait plus soutenir son regard : il baissa les yeux vers le bas de son corps, toujours immobile, toujours inutile.

Tout le corps verrouillé, il s'acharna sur ses propres nerfs, avec l'idée bien arrêtée de ne pas relever le menton tant qu'il n'avait pas réussi à bouger les jambes. Mais il ne sentait même pas le bout de ses orteils. Il avait beau planter ses ongles dans ses cuisses, il n'en décelait pas le pincement aigu.

-Ka-kaw ! » brailla Sasha vers le vide.

Hein ?

Il se redressa dans un sursaut de surprise, et il aurait bien aimé que Sasha soit tournée vers lui pour répondre à la confusion qui zébrait son expression. Or, elle se tenait de dos. Il la vit scanner l'horizon quelques instants, puis porter les mains à sa bouche, prendre une large inspiration...

Il s'apprêtait à se couvrir les oreilles quand Conny débarqua dans leur champ de vision, jaillissant des broussailles. Il rengaina ses câbles, les bras grands ouverts et prépara son atterrissage d'un coup de gaz. Son talon arriva le premier au sol et dérapa jusqu'à ce que le genou de l'autre jambe se plante en terre pour le stabiliser.

Il ne fallut qu'une seconde de flottement pour que Sasha et Conny se tombent dans les bras.

-Ouaaaah, on a trop géré ! beugla Conny, le souffle court.

-Ouaaaah, on l'a fait ! répondit Sasha en entrechoquant leurs avant-bras avec beaucoup plus d'énergie que nécessaire.

-Au début, j'y ai pas cru ! Y en avait tellement plus que prévu ! Heureusement que t'as pas embarqué Jean tout d'suite, parce que sinon on s'en serait pas sorti ! »

Sasha abattit ses mains sur les épaules de Conny avec une large inspiration théâtrale.

« Mais t'inquiète ! enchaîna Conny en recouvrant ses mains des siennes. On a réussi à en tuer le plus gros et on a bien distancé le reste ! »

Le garçon continua sur sa lancée face aux hochements de tête énergiques de Sasha, mais Jean n'écoutait plus. Il était soulagé que Conny soit de retour, mais où était Marco ? Il tournait la tête et le torse en tout sens et faillit chuter au sol. Il se raccrocha au son d'un sifflement de gaz, et braqua son regard vers la provenance du son.

À son tour, Marco apparut, et Jean se crut presque capable de courir vers lui, mais ne put que se pencher en avant.

-Marco... ! »

Le jeune homme croisa son regard et accéléra de plus belle, achevant de ruiner son atterrissage déjà mal engagé. Il planta un pied au sol et trébucha jusqu'à devoir poser une main à terre pour se redresser, mais pas une seule seconde il ne s'arrêta de courir vers Jean. Ce dernier avait décollé les mains du tronc, et il put détailler l'expression de Marco alors qu'il se rapprochait : les yeux écarquillés, les sourcils froncés, et l'ombre d'un sourire qui commençait à peindre son visage...

-Jean ! » cria Marco comme s'il retrouvait tout juste son souffle.

Son corps percuta brutalement celui de Marco et Jean se sentit partir en arrière sous l'impact, juste avant que Marco ne l'entraîne en avant, l'étreignant de toutes ses forces. Il se sentit presque soulevé de son perchoir par l'élan d'affection du jeune homme.

À l'inverse de Marco, dont la poitrine se soulevait avec effort contre la sienne, le choc avait dérobé le souffle de Jean. Il était là. Marco était rentré. Jean sentait ses phalanges qui enserraient le tissu de son uniforme, marquant leur présence d'ondes de chaleur. Il sentait son menton qui s'enfonçait dans son épaule. Il se retrouvait soudainement englobé dans la présence de Marco, et l'aisance avec laquelle ce dernier s'y était pris le déroutait.

Il n'eut même pas le temps de s'habituer à l'assaut de sensations que Marco commençait à retirer ses bras et s'écarter, et il ne put empêcher une pointe de découragement de se nicher dans son ventre. Il rouvrit les yeux en sentant les paumes de Marco glisser le long de sa mâchoire, jusqu'à envelopper ses joues, et il n'eut d'autre choix que de se focaliser sur les éclats de marrons tout près des siennes. Il pouvait compter ses taches de rousseur.

« J'ai eu si peur, Jean ! T-Tu vas bien ! »

Jean put à peine cligner des yeux et amorcer un hochement de tête que Marco enchaîna, alors que ç'aurait dû être à lui de poser cette question ! Une de ses joues frottait contre le bandage rugueux, l'autre se lovait au creux de la main chaude de Marco.

« J'ai cru que j'allais te... ! »

Il s'interrompit pour l'enlacer une nouvelle fois, et Jean frissonna au moment où les doigts de Marco glissèrent le long de sa nuque pour serrer son épaule. L'autre main tomba à son flanc avant de s'enrouler autour de sa taille. Marco ne serrait plus les poings mais gardait les paumes à plat, et le berçait ainsi de courants de chaleur. Il se trouvait les bras pleins d'un Marco débordant d'affection dont il ne savait que faire.

Pourquoi réagissait-il avec tant d'engouement, alors que c'était lui qui avait frôlé la mort ? C'était Jean qui l'avait vu se jeter au-devant du danger ! C'était Jean qu'on avait mis en sécurité, et Marco qu'on avait laissé combattre ! Il s'était préparé à mourir pour sauver Jean, et pourtant il était toujours là. Il avait survécu. Ils avaient survécu tous les deux.

Le soulagement se rua dans les veines de Jean : ses muscles s'éveillèrent, s'assouplirent, son corps se détendit pour la première fois depuis des lustres, au chaud et en sécurité. Il n'avait pas ressenti une énergie pareille depuis leur baignade, et il refusait de la laisser filer entre ses doigts. Il les referma donc, sur l'uniforme de Marco.

Le dos de Marco se relâcha sous son étreinte, victime du même soulagement. Une large inspiration souleva sa cage thoracique, trahissant les nœuds qui s'étaient logés dans ses omoplates, mais aussi le flot tranquille de sa présence. Engourdi par le confort, le front de Jean vint se déposer sur l'épaule de son partenaire, solide et rassurante. Ses vêtements portaient le parfum des pins.

-Hahem, les gars ? »

Il avait oublié qu'ils n'étaient pas seuls ! Il se crispa à nouveau. Il détestait cette satanée couche de cramoisie à la surface de ses joues ! La même que quand il avait vu Mikasa pour la première fois et qu'il s'était tourné en ridicule.

Quant à Marco, il s'écarta fluidement de Jean et se tourna vers Conny et Sasha, pas gêné le moins du monde par leur ostensible proximité, le teint inaltéré. C'était pas juste. En revanche, une de ses mains reposait toujours sur son épaule, les doigts pressant les muscles.

-Merci de votre aide, déclara Marco avec ferveur.

-Oh, pas d'quoi ! rétorqua Conny en se grattant le crâne. On allait pas vous laisser là quand même ! »

Le regard appuyé de Sasha n'échappa pas à Jean, et il grimaça :

-T'as dit que vous aviez distancé le reste, adressa-t-il à Conny. À quelle distance ?

-Euuh... une bonne heure de route, pour leur grandes gambettes ? Sans compter qu'ils ont un ravin à enjamber.

-Très bien. Et maintenant quoi ? On fait comme si de rien n'était et on rentre chez nous avec des Titans à nos trousses ? »

Son ton était acide, et il se maudit de voir leur moues contrariées. Voilà qu'il recommençait. Il était de nouveau à la bibliothèque, à les apostropher de commentaires acerbes parce qu'il n'arrivait pas à contenir son angoisse ! La main de Marco serra plus fort, et la culpabilité, l'angoisse refluèrent. Marco savait. Il savait que ce n'était pas le vrai Jean qui s'emportait ainsi, et cette certitude le rassurait.

« Laissez tomber, c'est le stress, dit-il en balayant l'air de sa main. Ce que je voulais savoir, c'est si vous avez un plan, parce que... »

Il acheva sa phrase d'un large geste du bras pour se désigner tout entier, et particulièrement ses jambes.

« On va avoir un souci de déplacement. »

Conny et Sasha échangèrent un regard, qui posait une question dont seuls eux avaient la connaissance. Marco et Jean attendirent leur verdict en retenant leur souffle. Puis ils acquiescèrent d'un même large mouvement de tête.

-Bon... concéda Conny. On va tout vous expliquer : le truc, c'est qu'on est alliés avec Franz et Hannah. On a pris la tour Ouest pour nous, c'est notre base. Donc le plan, si vous voulez, c'est que nous on rentre au bercail, comme ça, vous pouvez faire pareil. On est quatre, donc on va attirer les Titans. Et vous inquiétez pas, on craint rien dans notre forteresse. »

C'était donc là qu'ils s'étaient réfugiés ! La tour Ouest ! Pas étonnant qu'ils ne les aient jamais croisés avant, ils avaient dû se barricader soigneusement et ne sortir que pour collecter des ressources. Il se doutait qu'au moins un groupe adopterait cette stratégie, mais il ne s'était pas attendu à ces deux-là. En même temps, vu ses compétences, Sasha n'avait pas besoin de sortir très longtemps pour collecter assez de nourriture. Ils étaient les plus aptes.

Il s'était douté de cette alliance. Franz et Hannah étaient sympathiques, mais pas les plus débrouillards. En revanche, leur personnalité s'imbriquait parfaitement avec celles de Sasha et Conny : une belle brochette d'optimistes invétérés.

-Ils sont donc bien avec vous ? s'enquit Marco. Ils se portent bien ? »

Sasha hocha vigoureusement la tête, l'air plutôt satisfaite d'elle-même.

-Il y a de la place ! affirma-t-elle. On avait peur de se retrouver un peu enfermés, mais c'est vraiment fait pour tenir les Titans... enfin, tant qu'on a un équipement. Les réserves commençaient à se faire rare.

-Mais avec ce qu'on vient de faire, ils vont nous renflouer les caisses ! s'enthousiasma Conny, et Jean ricana discrètement. J'y pense... est-ce que ça vous dirait de nous rejoindre ? »

Les sourcils de Jean filèrent se percher sur son front de surprise, et il était à peu près sûr que c'était également le cas de Marco s'il prenait le temps de vérifier. Une alliance ?! Si facilement ? Il en parlait comme s'il leur proposait d'aller faire une promenade dans les bois. Seule Sasha réagit avec naturel :

-Oh, bonne idée !

-N'est-ce pas ? Jean, dès que tu seras de nouveau sur pied – hehe, tu pourras carrément nous aider à les tenir en respect, t'es super bon en tridimensionnalité, non ? »

C'était bien Conny, ça. Une foi inébranlable en l'avenir.

« Et Marco, c'est l'équitation ta spécialité. T'as dû obtenir un cheval depuis le début des jeux, non ? »

C'était bien Conny, ça. Plonger les deux pieds dans le plat l'air de rien.

Jean sentit la prise de Marco se resserrer sur son épaule et il fit volte-face vers le jeune homme. Comme il le craignait, Marco gardait les dents serrées, le regard baissé, du chagrin plein les yeux. Conny, merde ! C'était bien le moment de lui rappeler ce qu'il s'était passé il y avait à peine une heure !

Est-ce qu'il devait dire quelque chose à Conny ? Expliquer ce qu'il s'était passé et épargner à Marco d'avoir à répandre une nouvelle qui lui fendait le cœur ? Ce n'était pas à lui de le faire, mais il ne voulait pas infliger ça à Marco.

Il se retint définitivement en l'entendant prendre une inspiration.

-Buchwald... mon chev... Buchwald est mort. » lâcha Marco.

Le pouce qui s'enfonçait dans son ligament se relâcha enfin, et Jean laissa partir l'expiration qu'il avait retenue.

-Oh. Merde. Chuis désolé, Marco, souffla Conny, mal à l'aise.

-On ne va pas vous êtes d'une grande utilité dans ces circonstances, intervint Jean en soupirant, déterminé à mettre les choses au clair. Je suis un poids plus qu'autre chose pour le moment, et on a aucun atout que vous n'avez pas.

-C'est pas grave ! » intervint Sasha.

Sa voix porta haut et fort, plus loin que le nid de verdure qu'ils avaient investi, plus loin que l'instant présent, alors qu'elle se tenait droite, une prise ferme sur son arc et le menton relevé. Elle le regardait droit dans les yeux, les siens remplis du même feu que lors de leur précédent tête-à-tête. Jean lui rendit son regard.

-Oh, mince, c'est vrai... »

Dans la périphérie de sa vision, Conny recula, et sa tête fit des va-et-vient nerveux entre les deux. Nul doute qu'il était au courant de la tension qui remplissait l'atmosphère, et de sa cause.

-Sasha, si tu veux, on peut... tenta-t-il.

-C'est pas grave, réitéra Sasha en l'ignorant. Venez dans notre alliance. Plus nombreux on est, mieux c'est. On peut accomplir des tas de choses à six qu'on pourrait pas à quatre. »

Elle le provoquait. Elle le mettait au défi d'accepter, de mettre leur différend de côté. De mettre les morts de Minha et de Thomas de côté. En était-il seulement capable ? Quelque part dans un creux de son ventre, un magma gluant et goudronneux grondait toujours, avide de vengeance. Mais contre qui ? Il ne pouvait pas tuer Thomas, il était déjà mort. Il ne pouvait pas tuer Sasha, elle n'était responsable de rien. Il le savait bien, mais il lui en voulait quand même.

Elle incarnait ce qui se rapprochait le plus d'une conclusion, d'un catalyseur de sa frustration. En l'attaquant, il attaquerait sa douleur, il s'en débarrasserait, et il pourrait avancer. Pourrait-il ? Les choses s'étaient tassées. La douleur était déjà trop bien enracinée pour être arrachée aussi facilement. Assez enracinée et tassée pour qu'il n'y pense plus, tant elle était omniprésente. Une lassitude subite ou constante. Un manque léger ou abyssal. Une marée qui venait mais ne repartait jamais vraiment.

La mort de Minha était aussi présente que sa vie. C'était le revers poussiéreux d'une médaille dont on avait pas pensé à regarder l'autre face. Pouvait-il abandonner cette piqûre au cœur qui le démangeait sans cesse ? Est-ce qu'il pouvait arracher sa douleur autrement ? Il savait que s'il voulait honorer sa mémoire, il devait accepter cette alliance. Elle le lui aurait affirmé en le rouspétant pour ne pas y avoir pensé plus tôt, alors qu'il était censé être le cerveau des opérations pourtant, Jean, nous nous étions mis d'accord là-dessus !

Et Marco ? Qu'en était-il de son allié présent ? Qu'en était-il des choses qu'il pouvait encore changer ? Un seul regard en coin lui suffit pour confirmer ce dont il se doutait déjà : Marco avait accepté. Il le regardait lui, parce que Jean était le seul obstacle à cette alliance.

Sasha et Conny le regardaient, lui. Tous le regardaient. Même les arbres avaient des yeux et le disséquaient.

Il peinait à faire le tri entre ses émotions et sa raison. La logique lui ordonnait d'accepter, parce qu'ils ne rencontreraient jamais une telle opportunité. Mais le magma de vengeance l'interdisait. Comment le faire taire ? Comment l'ignorer sans le faire exploser ? Il n'était pas Sasha.

-Ce n'est pas parce que tu viens avec nous que tu l'oublies. »

À nouveau, il dut regarder Sasha dans les yeux, et faire face à la pureté de sa détermination, qui se dressait comme bouclier devant son visage pour cacher le même chagrin que lui.

« J'ai jeté les flèches. J'ai pas jeté Thomas. »

C'était si simple ! Si simple qu'il enrageait. Si simple parce que c'était vrai.

C'était à lui de prendre la décision en son âme et conscience. Ce n'était pas en acceptant l'alliance qu'il risquait d'oublier Minha, c'était en acceptant que l'alliance lui serve d'alibi pour oublier sa douleur. Et cela voulait dire ignorer sa souffrance. Ignorer le catalyseur que Sasha représentait, aller au-delà. Et ça lui ferait mal. Quelque part dans un coin de son âme, jamais assez pour en montrer de vrais signes. Mais il ne pourrait plus choisir la solution de facilité. Il devrait se débattre avec, comme il le faisait déjà.

Il devait jeter la flèche.

Le soupir rauque qui lui échappa emporta avec lui une très fine portion du magma.

-C'est d'accord. »

Le bruit du sourire de Marco le frôla de près, et Jean se félicita d'avoir pris la décision le plus rationnellement qu'il pouvait, alors que Marco avait déjà appliqué le sceau de son accord sur son épaule.

-Yes ! fanfaronna Conny en imitant la gestuelle triomphante de Sasha.

-Calme tes ardeurs, réprimanda Jean pour les ramener sur terre, faut s'organiser maintenant. »

Le mauvais souvenir de son premier pacte se dissipait. De tous les faux pas qu'il avait esquivés, il n'en voyait pas l'ombre ici. La présence sur son épaule, la fine couche de résolution que la main de Marco y déposait, le prouvait d'autant plus.

Au ton froid et calculateur de Ruth se superposait l'engouement communicatif de Conny. À l'inquiétude, nourrie par ses incertitudes, se supplantait la familiarité sécurisante. À la méfiance envers les ennemis sans visage, s'opposait le relief que des souvenirs confiants avaient gravé.

Il y avait peu encore, il avait sauvé la peau de Marco et de Ruth des grosses paluches de pas moins de sept Titans, et avait durement extorqué le droit de les accompagner. Cette fois, c'était lui qui s'était fait sauvé ses miches pitoyables, et ces joyeux lurons l'accueillaient à bras ouverts !

Une seule constante : Marco, et l'évidence de sa compagnie.

-Oui, okay, alors… enchaîna Conny, l'air déterminé à trouver une solution sous le regard attendri de Sasha. On fait comme on a dit, on se donne rendez-vous ici, et…

-Ça ira pour porter Jean, Marco ? s'enquit Sasha.

-Oui t'inquiète pas, on a connu pire. » la rassura-t-il, tout sourire.

Ah bon ?

-C'est une bonne idée pour qu'on esquive les Titans, confirma Jean. Par contre, ce qui m'inquiète, c'est le fait qu'on soit tassés à six dans votre petite tourelle. Elle est pas inexpugnable, non plus. On doit pouvoir aller et venir en toute sécurité malgré les Titans. Sinon c'est le serpent qui se mord la queue, votre histoire.

-Mais nan, une fois rétabli, Jean et moi on va les défoncer en tridimensionnalité !

-Comment ça-…

-Comment ça, Jean et toi ? » le coupa Marco.

Il s'était exprimé d'un ton enjoué. Jean sentit la main de son partenaire se resserrer, avant que ce dernier n'ajoute :

« Je veux dire, heum… moi aussi je pourrais vous aider.

-D'ailleurs, pour le retour, vous avez qu'à suivre mes pièges ! Vous venez du Nord, non ? J'ai une petite piste qui vous mènera dans la bonne direction. »

Jean et Marco s'échangèrent un regard pour le moins éloquent : quels pièges ? Malgré toutes leurs patrouilles, ils n'en avaient pas repéré un seul… En se tournant à nouveau vers Sasha, Jean perçut un éclat de malice dans ses prunelles caramel. Il devait avouer que ses interventions spontanées, tout aussi inopinées qu'elles pouvaient être, les ramenaient sur le droit chemin. À savoir, la démarche à suivre, dans les moindres détails.

-Rappelle-moi juste à quoi ressemblent tes pièges… » s'enquit Jean.

Elle lui répondit par un rictus enthousiaste, puis s'exclama :

-Venez ! J'vous montre ! »

Et sur ces mots, elle déguerpit fissa vers les broussailles, arrachant un hoquet de surprise à Conny.

-Hé, Sasha ! Attends-moi ! brailla-t-il en chargeant leur matériel sur ses épaules, avant de se lancer à sa poursuite.

-Ils se foutent de nous ou quoi… ? » bougonna Jean, abasourdi, tapotant le bras de son voisin.

Marco lui jeta un regard démuni et haussa les épaules, déjà habitué aux vicissitudes de leurs caractères. Jean dut le saisir par la manche de l'épaule et tirer pour que le jeune homme comprenne, la bouche en rond, ce qu'il exigeait de lui.

« Il faut qu'on les rattrape, grouille. » grommela-t-il.

Marco s'accroupit précipitamment devant lui, présentant son dos, et Jean se laissa tomber en avant. Il eut à peine le temps de sentir son cœur accélérer un coup que Marco l'avait déjà réceptionné et le hissait sur ses reins. Juché sur le ventilateur, qui évitait à Marco d'abîmer son équipement, et à Jean de tomber en arrière, il joignit ses mains autour du cou de Marco.

-Accroche-toi bien. » lui déclara-t-il en s'engageant à la suite du fougueux duo.

ooo

Le départ de Sasha et Conny avait rendu son silence à la forêt. Le vague murmure des bruissements et des froissements peinait à remplir l'atmosphère que les deux autres tributs avaient le talent de faire déborder. Il se raccrochait au métronome du pas de Marco et du cliquetis du métal, et à son souffle tendu.

Le calme de la forêt ne déteignait plus sur lui. Celui qu'il avait accueilli à bras ouvert comme garant de sa sécurité et de sa tranquillité devenait un trou béant où le vide sifflait, et les bruits de Marco ne suffisaient pas à en recouvrir le son. Il eut un frisson en y songeant : la présence le berçait.

Et pourtant il participait à entretenir le silence. Il n'avait jamais eu autant envie de se faire inerte et invisible. Et s'il se persuadait assez, il perdrait de son poids et allégerait l'effort de Marco. Il s'était même empêché de le remercier pour éviter de faire du bruit. Même Conny et Sasha, il ne les avait pas remerciés, c'était Marco qui s'en était chargé, en parfait diplomate, tandis que Jean s'était contenté d'un geste absent de la main.

Le terrain regagnait en relief, signe qu'ils se rapprochaient de leur base comme le soleil, de l'horizon. Les ombres des arbres leur redonnaient ces illusions d'orbites dont il n'arrivait pas à se débarrasser. S'il se fiait à l'allure pressée de son partenaire, Marco s'impatientait tout autant que lui d'atteindre leur refuge avant le crépuscule.

Tant et si bien qu'un des pièges échappa à sa vigilance : il se dirigeait droit sur la flaque de feuilles mortes artificiellement éparpillées.

-Marco, gaffe, l'avertit-il d'une voix asséchée.

-Oh, oui, mer... »

Marco s'interrompit au moment où la gravité s'octroyait le mesquin plaisir de jouer avec ses appuis : Jean se sentit partir sur le côté et réagit au quart de tour, sur le qui-vive. Il se préparait à se réceptionner au sol, mais déjà Marco pivotait et ancrait une main et un talon fermes dans le sol pour leur éviter la chute.

« P-Pardon. »

Jean ne l'écoutait pas. La jambe que Marco ne soutenait plus pendait sur le côté. Son pied touchait terre, une surface plane et concrète.

-Deux secondes. Marco… Je sens le sol.

-Quoi ? Vraiment ?! »

L'enthousiasme dans la voix du jeune homme alimenta le sien. Il n'attendit pas une seconde de plus et commença à se redresser en poussant sur les épaules de Marco, impatient de renouer avec la terre.

-Attends, qu'est-ce que tu fais ? l'arrêta Marco en conservant une prise ferme sur ses cuisses.

-Il faut que j'en ai le cœur net !

-Euh, d'accord, mais, fais attention… »

Marco acheva de se relever et aida Jean à glisser à terre, une main à son coude et l'autre à sa taille. Jean avait beau commander à ses muscles, ils ne daignèrent pas réagir. Les braises d'espoir, aussi vite qu'elles étaient arrivées, s'étaient faites douchées, mais il persistait à triturer la cendre. Il sentait ses bottes qui serraient son pied et redonnaient du volume à ses os.

Ses espoirs partirent en fumée à l'instant où le soutien de Marco devint insuffisant pour le maintenir droit, et il piqua vers le sol avant de faire le moindre pas. Marco n'eut qu'à tirer pour le ramener à lui.

-'Chier !

-C'est déjà ça ! le coupa Marco, toujours aussi optimiste. Si tu sens de nouveau tes jambes, tu pourras bientôt marcher. Sois patient avec toi-même. »

Jean aurait voulu rétorquer quelque chose, exprimer sa frustration, étendre son dégoût. Il se contenta d'un reniflement dédaigneux, inerte et invisible.

« On réessaiera tout à l'heure. » le réconforta-t-il.

Jean râla une espèce d'accord, cramponné à sa bouée de sauvetage. Occupé à ruminer et de trop mauvais poil pour aider son partenaire à le charger, il attendit que Marco bouge… Trop longtemps. Avant qu'il ne tourne la tête, un souffle déterminé tout près annonça la nouvelle résolution de son voisin.

« Bon ! » trancha Marco.

La seconde suivante, il décolla de terre, emporté dans les bras du jeune homme. Une main soutenait ses genoux, tandis qu'une autre enserrait son épaule, le pressant contre le buste de son coéquipier.

-Tu-Tu peux m'expliquer ce que t'es en train de faire ?! tonna-t-il en sentant ses joues s'échauffer.

-Je nous ramène à la base.

-Mais pourquoi tu me portes comme ça ? protesta Jean en s'agrippant assez fort pour planter ses ongles dans le tissu de l'uniforme.

-Quoi, tu préfères que je te juche sur mes épaules comme un sac de farine ? rétorqua Marco en lui jetant un sourire narquois.

-Mais pourquoi tu me portes pas sur ton dos ?! »

La réponse avait jailli d'elle-même, pendant qu'il pensait à tout autre chose. Depuis quand Marco lui adressait ce genre de sourire, qui dénotait avec l'image qu'il avait du jeune homme ? La seule autre occurrence qui lui revenait remontait à leur baignade. La bienveillance naturelle de Marco l'avait leurré et il ne s'était pas méfié. Le jeune homme avait pris ses repères et s'était confortablement installé, jusqu'à ce que Jean se retrouve à la merci d'une audace inopinée, qu'il aurait dû envisager. Parce que Marco était du genre à savoir ce qu'il voulait et à savoir qu'il avait le droit de l'exiger, parce qu'il veillait au bien des autres sans se laisser marcher sur les pieds, parce que s'il avait envie de taquiner Jean et détendre l'atmosphère, il le pouvait. Et dans cet état, ce n'était pas Jean qui pourrait l'en empêcher.

Il ferait bien de se préparer à en encaisser d'autres dans le même genre, et il resserra sa prise.

Pour seule réponse, Marco haussa les épaules, secouant Jean par la même occasion.

-Parce que c'est moi qui me coltine tes soixante kilos, donc c'est moi qui décide.

-Sauvez la vie de vos amis, qu'il disait, marmonna Jean. Ils s'ront reconnaissants, qu'il disait.

-Mais je suis reconnaissant ! » souligna Marco.

À ces mots, il greffa les marrons de ses prunelles pleines de sincérité, à celles abasourdies de Jean. Il relevait une nuance vaste au plus profond de ses iris, si vaste qu'il n'en saisissait qu'une infime partie. Il avait encore beaucoup à déchiffrer de son compagnon d'apocalypse. Ses piètres notions en art se faisaient ressentir…

« Merci, Jean. Vraiment. C'est grâce à toi qu'on est encore en vie, tous les deux. »

Cependant la fausse note, dans sa voix qui se voulait soulagée, ne lui échappa pas.

-Désolé, pour Buchwald. »

Après un frisson décisif, Marco le réajusta dans ses bras comme s'il avait à nouveau besoin de mesurer sa propre force. Puis, le tribut aux cheveux noirs secoua la tête.

-Le plus important, c'est qu'on soit toujours là. » affirma-t-il en le serrant plus fort.

Cinq minutes plus tard, Jean était de retour sur le dos de Marco.

ooo

Une semaine après le début des Jeux et Eren se sentait tout autant assassin raté, qu'humain raté. Peut-être aurait-il été plus approprié de parler de tribut… mais il horripilait trop le vocable exubérant et artificiel du Capitole pour appeler un chat un puma. Aussi assassin qu'il devait être, condamné à se battre, trahir et se débattre, il n'empêchait qu'il faisait piètre figure.

Comme toujours, Mikasa portait à elle seule leurs deux fardeaux : il l'avait suivie comme son ombre, de la tour Sud jusqu'au bunker central, où ils avaient refait leur stock avant de retourner sur leurs pas et d'établir un campement provisoire, quelques kilomètres plus au Sud.

La quantité d'armes qui prenaient la poussière là-bas avait manqué de les méduser. Une sorte d'accord tacite entre les candidats avaient transformé la zone centrale en sanctuaire maudit, où rares étaient ceux qui avaient osé en fouler le sol à nouveau, trop épouvantés de s'enliser dans leurs plus tangibles cauchemars. Malgré tout, les corps qui jonchaient la terre souillée depuis la fin du compte à rebours, avaient tous les yeux clos. Quelqu'un avait, comme eux, bravé ses peurs et rendu hommage aux misérables premiers d'une longue série, qui s'annonçait funeste et inéluctable.

Eren n'avait pas abandonné son plan de blocus, en dépit des récents événements qui cherchaient à le faire renoncer. Ainsi, persuadé que leurs véritables ennemis n'étaient autre que le Capitole et leurs fidèles chiens de garde titanesques, il répétait avec acharnement l'exécution de mouvements de lames striées, qu'il avait appris de Mike.

Son bras répondait aux directives de son esprit sans broncher, avec une adresse et des réflexes vifs qui lui rappelaient les compliments de son mentor et le réconfortaient. Avec les épées dans les mains, il se sentait un peu plus léger, plus maître de son corps et de ce qu'il faisait, de ce qu'il pouvait accomplir. Non plus un raté, mais un jeune homme prometteur.

Quand il perfectionnait ses enchaînements aux lames striées, il s'améliorait dans la lutte contre les Titans, et rien d'autre. Il concentrait toute son énergie dans une tâche qui lui redonnait confiance, après les loups, les Titans et les cadavres, il trouvait encore un appui pour tenir debout.

Cependant, il n'était pas exempt de récurrents chavirements : il se cachait entre deux immenses souches creuses, à jouer à la fine lame pendant que Mikasa patrouillait à l'Ouest.

En entendant les grondements de la terre, le craquement sinistre des arbres et les vibrations des lourdes chutes, ils avaient compris que la zone grouillait de Titans, probablement ceux du Nord qui avaient migré, guidés par leur obnubilation pour la chair fraîche. Mikasa en avait tout de suite conclu qu'une majorité d'humains s'y trouvaient, et que c'était l'occasion de partir en repérage, d'en apprendre plus sur les effectifs.

Il n'avait pas essayé de la retenir, il lui en demandait déjà trop comme ça. Elle ne voyait pas les choses comme lui et il s'en morfondait, mais rien de plus. Que pouvait-il faire de plus, après tous ses faux pas et les dangers dans lesquels il les avait plongés, que pouvait-il faire de plus ? À part l'attendre et prier pour que le silence se maintienne ?

Qu'il n'entende plus aucun coup de canon. Un supplice dont seul son dessein les préserverait.

Or, dépossédé de tous moyens de la sorte, Eren n'avait guère de manœuvre pour que son ''dessein'' outrepasse le vulgaire seuil de la chimère. Comment rallier tous ses anciens camarades quand il restait aux crochets d'une Mikasa dubitative ?

Les cliquetis métalliques et saccadés de l'équipement renversèrent le règne placide du silence. Eren tendit l'oreille, avant de reconnaître aisément la silhouette de sa partenaire qui courait dans sa direction. Il se tendit, sur le qui-vive. Peut-être allait-elle lui souffler de prendre ses jambes à son cou, en le chopant par le coude alors qu'elle le dépassait… Elle n'en fit rien. Elle ralentit, puis stabilisa sa respiration, les mains sur les genoux. De toute évidence, elle s'était pressée de rentrer, il y avait donc un degré d'urgence.

-Hé, qu'est-ce qui s'est passé ?! » la pressa-t-il, nerveux.

Elle releva ses prunelles obsidiennes vers lui, l'air si grave que la vie semblait s'être évanouie, chassée par une sorte d'instinct de survie indicible, et surtout froid. Une faction de seconde s'écoula, pendant laquelle il se demanda s'il avait mépris Mikasa pour quelqu'un d'autre.

-Comme prévu, il y avait Sasha et Conny. Je les ai surpris avec Marco et Jean : ils viennent de s'allier. Mais ce n'est pas tout. Conny a avoué qu'ils étaient aussi avec Hannah et Franz, voilà où ces deux-là se cachaient depuis tout ce temps, déblatéra-t-elle d'une traite mécanique. Ils se sont donnés rendez-vous tous les quatre demain midi, près d'un ravin un peu plus au Nord.

-O-oka-…

-Il faut y arriver avant eux, et profiter de l'occasion pour tendre une embuscade à Marco et Jean. Ils sont affaiblis, Jean est blessé. On aura pas d'autre chance. On peut pas les laisser en vie plus longtemps.

-Attends…

-Il ne faut pas les laisser se rassembler : à six ils seront trop dangereux.

-Stop ! »

Il l'empoigna par les épaules, avec une telle vigueur qu'il la secoua. Elle le dévisagea, hébétée, jusqu'à ce que le papillonnement de ses cils ramène un éclat intelligible, un pâle tressaillement, dans le noir de ses yeux.

-Eren ? » fit-elle, sur le même ton que si elle exigeait des explications.

Sans la lâcher, il baissa la tête, pris sous le poids de toutes ces informations. Sasha et Conny avec Franz et Hannah, ç'avait été à prévoir. Mais Marco avec Jean, il concevait mal comment un gars aussi généreux et attentionné que Marco ait pu se retrouver avec un type pareil ! Avec la mort de Minha dès le premier jour, Eren s'était toujours figuré Jean seul, terré dans un coin, loin du regard des autres, et perché trop haut pour que les Titans ne l'atteignent, à subsister jour après jour en se goinfrant de rations… Qu'est-ce qu'il foutait avec Marco ?

Eren relâcha sa partenaire et serra le poing, considérant à moitié la proposition de Mikasa : quelque chose en lui se doutait que Jean ne pouvait que profiter de Marco, et il se laissait tenter à l'idée de débarrasser le jeune homme d'une telle sangsue…

Or, Mikasa avait inclus Marco dans sa liste de victimes et ça, Eren ne pouvait se résoudre à l'accepter ! D'abord assassiner Marco, et ensuite abattre Conny, Sasha, Franz et Hannah ? Les âmes les plus bienveillantes qui restaient encore dans leur arène de malheur ? Il déglutit avant de se redresser vers son interlocutrice.

-Dis-moi… Conny et Sasha vont se douter de quelque chose en voyant que Jean et Marco ont du retard, on… Qu'est-ce que tu comptes faire d'eux ?

-Ils se cachent à la tour Ouest. Le but est de s'y rendre une fois Marco et Jean éliminés. Soit on les croisera pendant qu'ils se rendent au ravin, soit on les prendra d'assaut là-bas. Dans tous les cas, il faudra profiter de l'effet de surprise pour les tuer, eux aussi. »

Le regard de Mikasa fuit le sien, et il vit sa figure vaciller un instant alors qu'un soubresaut remontait le long de sa colonne vertébrale. Elle tremblait, assaillie par une nouvelle résolution qui ne semblait pas provenir véritablement d'elle, qui s'apparentait plus à une obligation qu'elle s'était construite de toutes pièces. Un processus autodestructeur qu'Eren avait exhorté en elle. Depuis toujours, par des moyens variés, si bien qu'il s'en apercevait maintenant, mais qu'il était déjà trop tard.

-Co-comment… s'essaya-t-il, honteux. J'veux dire, on parle de tuer Conny, Sasha, Franz et Hannah… comment tu… on peut leur faire ça ?

-Ce sont nos ennemis maintenant, Eren.

-Ça, c'est le Capitole qui te l'a dit ! »

Elle écarquilla les yeux, même s'ils se refusaient encore à croiser ceux du jeune homme.

-Et je te signale qu'il a jamais rien fait de bon pour toi et moi ! s'emporta Eren. À commencer par nous balancer à l'abattoir comme ça ! Alors on n'a aucune raison de l'écouter sagement !

-Tu devrais pas dire ça…

-On n'a pas à penser comme lui, on vaut mieux que ça ! Sinon on va tomber dans le piège et… »

Elle ne le regardait pas, elle ne voulait pas l'écouter, ou bien elle ne pouvait plus parce qu'elle s'enfonçait trop.

« … et on doit pas… Il faut plutôt qu'on se regroupe tous les huit. Si on fait ça, il ne restera plus qu'Annie, Reiner, Bertholt… Historia, et Ruth, et Ymir !

-Ruth est morte. »

Il ouvrit la bouche pour rétorquer, mais aucun son ne s'échappa. Hormis une stupeur étouffée chuchotant un « Quoi… ? » incrédule.

« En tant que partenaire initiale de Marco, je m'attendais à ce qu'ils parlent un peu d'elle. Pourtant ils ne se sont même pas interrogés sur où elle pourrait bien être, ils ne l'ont même pas mentionnée, comme si elle était morte. Et puis, malgré son tempérament solitaire, j'imagine mal Ruth s'éloigner de Marco au début des Jeux.

»À mon avis elle est morte quand on regagnait le Sud. Il y avait du tonnerre ce jour-là, et on ne faisait pas trop attention autour de nous. On a dû confondre le coup de canon pour la foudre. »

La nouvelle résonna dans les tympans, puis dans la poitrine d'Eren, avant que son cerveau n'en rationalise toute la portée. Enfin, sur ses épaules, le poids de la mort de Ruth s'ajouta à celui des autres. Maigre consolation : il ne l'avait connue que de très loin, en grande partie à cause de son air mal-aimable, la charge restait donc supportable.

Quand bien même, c'était une mort de trop. Qu'ils auraient évitée s'ils étaient tous venus aux mêmes conclusions que lui. C'était une mort de trop et il espérait que ce fût la dernière.

-Ça veut dire qu'on n'est plus que treize ! Y a plus de temps à perdre si on veut que plus personne ne meurt-…

-Eren, est-ce que tu as conscience de ce que tu es en train de dire ?! »

L'éclat de sa voix claqua, avec l'agressivité que l'effroi soudain suscitait. Les iris de Mikasa s'affolaient entre le sol et le visage d'Eren alors qu'elle poursuivait :

« S'affirmer comme ennemi public du Capitole ici ne nous sauvera pas… au contraire, on va s'attirer leur colère. Eren, pourquoi à ton avis, ont-ils lâché les Titans sur toi il y a deux jours ?! Tu te mets en danger… qui sait ce qu'ils pourraient te faire si tu commençais à rallier les tributs entre eux.

-Donc toi, tu préfères qu'on continue à s'entre-tuer c'est ça ?! Jusqu'à ce qu'on tue Marco, Conny et Sasha, et tous nos amis ? » fulmina-t-il.

Le souvenir de leur règlement de compte sous la pluie la veille ressurgit dans sa mémoire : il lui criait dessus avec le même ton que ce soir-là, et Mikasa fermait déjà les yeux alors qu'elle encaissait. Non ! Il exécrait la meurtrir de la sorte, pas encore !

Il se racla la gorge et reprit, en contrôlant sa voix pour qu'elle ne lui échappe plus :

« Tu m'as dit que tu t'étais perdue, et que t'avais besoin de moi pour rester tel que tu étais avant, mais tu n'as pas vraiment besoin de moi, enfin pas autant que tu le penses. Tout ce qu'il te faut, c'est changer ta façon de voir les Jeux, le rôle du Capitole et notre rôle dans tout ça !… Il faut que tu te sortes de la tête ce qu'on nous a rabâché durant l'Entraînement !

« Je sais qu'au fond, tu voudrais jamais tuer les autres, Mikasa.

-Détrompe-toi, j'ai accepté que je ne serai plus jamais la même. Tout ce que je veux, c'est protéger la seule chose qui me reste, toi. Même si je dois en mourir.

-Dis pas ça s'il te plaît… gémit-il.

-Même si je dois continuer à me tacher les mains de sang.

-Ouais, et t'es tellement décidée que t'en trembles et que tu peux pas me regarder dans les yeux, c'est ça ? » asséna-t-il.

Il para la détresse, dans laquelle les propos de la jeune femme menaçaient de le plonger, d'une provocation dont il goûtait toute l'âpreté sur sa propre langue. Mikasa planta alors ses yeux dans les siens, prête à affronter tout ce qu'il relèverait pour la déstabiliser.

-Je le fais pour toi, c'est tout ce que t'as à savoir, déclara-t-elle, impérieuse. Et que tu soies d'accord ou non, je les tuerai demain. »

C'est bien ça, le problème, se désola-t-il. Non seulement il avait transformé Mikasa mais, quoiqu'il dise, il ne pouvait plus l'altérer, une malédiction dont il ignorait comment rompre le sortilège. Il n'aurait même pas su retracer le moment exact où il avait commencé à jouer les apprentis sorciers avec les sentiments de sa sœur.

Il l'avait dépouillée. De son assurance, son indépendance, sa douceur.

Face au silence appuyé d'Eren, Mikasa décida d'en rester là pour leur conversation, et se dirigea vers leurs couches, pour récupérer une gourde et s'hydrater. Elle en transportait une sur elle, mais tout portait à croire qu'elle s'était trop pressée pour s'autoriser à boire la moindre goutte.

-Il y a un autre moyen… confia Eren à voix basse, tournant enfin les talons. Mike a gagné sans tuer le moindre humain. »

Il ne la voyait que de dos, accroupie, mais il nota toutes les nuances de son langage corporel, du déglutit traître indiquant qu'elle avalait de travers, à la bouteille qu'elle éloignait de sa bouche, en passant par le frisson qui avait agité ses épaules. Après tout, elle n'avait jamais eu vent de cette histoire. Même Eren avait bénéficié de l'aide de Bertholt, qui avait pris grand plaisir à narrer l'anecdote.

-Peut-être. Mais il n'a pas empêché ses alliés de tuer quand il le fallait, si ? »

Elle pivota la tête, un regard en coin aussi vif que lugubre. Celui des vivants qui parlaient de la mort comme d'une vieille connaissance, tant elle les côtoyait à longueur de journée, une présence à la fois sévère et stimulante.

« Il a cautionné leurs meurtres malgré tout. Il a surtout gagné parce qu'il était le dernier en vie. »

Une fois de plus, le silence accueillit les propos de la jeune femme. Eren ne savait plus quoi dire. Au détour de mots bien choisis, elle avait si bien reformulé ce qu'il tenait pour vrai et acquis, qu'il en voyait ses représentations muer. Les couleurs s'estompaient, les traits s'effaçaient, le tableau se délabrait sous son regard, qui n'était effectivement rien de plus qu'un regard : un spectateur impuissant.

Le vertige le saisit et il recula de quelques pas le temps de retrouver son équilibre, tandis que Mikasa rangeait la gourde et s'asseyait. Elle donnait l'impression d'enfin s'accorder un peu de repos.

-Je vais attendre la nuit pour me mettre en route, l'informa-t-elle. Je ne veux pas prendre le risque de croiser trop de Titans. Je commencerai par Marco et Jean, en espérant qu'il soit toujours mal en point, ça facilitera les choses de les éliminer en premier. »

… et voilà qu'elle repartirait bientôt à la charge. Il soupira mais elle ne dut pas l'entendre car elle s'empressa d'ajouter :

« Tu es libre de venir, ou non, avec moi.

-Je t'accompagne. »

Les épaules de la jeune femme se raidirent sensiblement sous la surprise.

-Vraiment ?

-Oui, j'te laisse pas seule. T'es forte, mais Marco et Jean aussi sont des survivants qui ont tenu le coup jusque là. Ils pourraient te donner du fil à retordre, alors je veux t'aider.

-Je vois… merci. » sourit-elle.

Il lui aurait répondu un « pas de quoi » naturel, si le doute n'avait pas accaparé ses pensées : il se rangeait vraiment à Mikasa ? Il acceptait vraiment de tuer Marco le lendemain, puis Sasha, Conny, Franz et Hannah, puis les autres survivants les jours suivants, jusqu'à ce que Mikasa se sacrifie pour le faire gagner ?

Eren s'adossa à un tronc d'arbre, à quelques mètres de sa partenaire. Il ne saurait se résoudre à abandonner le boycott. Il préférait cent fois mourir en essayant de l'instaurer, que de traîner le poids d'une seule mort supplémentaire sur ses épaules.

Certes, il vaincrait aisément Jean puisque la fin des Entraînements avait prouvé lequel d'eux deux était le plus fort, mais désormais l'idée de l'achever le répugnait.

Il se prit la tête dans les mains. Comment pourrait-il tuer Marco, s'il ne s'imaginait même plus tuer Jean ? Marco, qui l'avait stoppé, avant qu'il ne commette l'irréparable et tue quelqu'un à la fin du compte à rebours, avait d'une certaine façon initié son revirement. Alors s'il voulait aller au bout de son ambition, épargner le jeune homme par tous les moyens possibles était l'indéniable première étape.

Dans la périphérie de sa vision, il observait Mikasa qui relâchait des mètres cube et des mètres cube de pression. Son corps célébrait l'instant de pause inespéré après tant de chamboulements : elle piquait du nez.

Au fond de lui, Eren n'avait aucun doute. Il accompagnait Mikasa moins pour lui prêter main forte, que pour la retenir avant qu'elle ne perpétue plus d'horreurs, quitte à se retourner contre elle à la dernière minute pour lui faire entendre raison.