Calme-toi. Ce n'est pas le moment de faire dans les sentiments
!TRIGGER WARNING! Pensées suicidaires et dépression
OST SNK qui se prêtent bien à l'ambiance = - T-kt -
- Liberio at Night -
- Shingeki Pf – Medley 20130629 Kyojin -
- Friendships -
- So Ist Es Immer -
- Attack on D -
- Call of Silence -
- The Reason -
… () …
-Je crois que tu peux me poser, Marco.
-T'as retrouvé tes forces ? Ça va le faire ?
-Y a qu'une seule façon de le savoir. »
À ces mots, Marco tourna la tête vers Jean afin de sonder l'état de son coéquipier. De nouveau juché sur son dos, agrippé sur ses épaules comme à une bouée, le regard vissé au sol et le front baigné de sueur, Jean semblait en proie à une poussée de fièvre. Dans cet état, il aurait aimé pouvoir l'en dissuader, l'encourager à garder ses forces. Encore un peu. Ils arrivaient bientôt, s'il pouvait juste attendre encore un peu…
-Bon, d'accord… » soupira-t-il.
Avec une lenteur précautionneuse, il s'appliqua à se pencher légèrement sur le côté, afin que Jean puisse glisser en douceur, gardant toujours une prise ferme sur son bras brûlant tandis qu'il ceinturait sa taille. De son côté, Jean ne l'avait pas encore relâché : la force de sa poigne trahissait sa crainte de voir son corps lui désobéir à nouveau.
« Ça va aller, tu tiens ?
-Ouais, je-… »
Sa phrase s'étrangla dans un hoquet de surprise alors qu'il tentait de faire un pas en avant, mais ne parvint qu'à racler son pied sur la terre, incapable de dérouler le talon proprement. Sa maladresse inattendue l'emmena piquer droit vers le sol, emporté par l'élan saccadé de ses muscles qui se désengourdissaient à peine. Sans le réflexe alerte de Marco, il aurait sans doute aggravé ses blessures. Le bras du jeune homme cingla en travers de son torse pour le maintenir par les épaules.
Il avait toujours la désagréable sensation de pouvoir le soulever comme une plume à bout de bras. Le lourd soupir poussé par Jean confirma qu'il n'était pas le seul à se désoler de sa fragilité. Les ondes nerveuses, qui parcouraient le tissu à l'endroit où Jean ratatinait son poing sur l'uniforme de Marco, ses dents si serrées que le jeune homme croyait en entendre le crissement, et ses yeux embués étaient autant de signes de son calvaire.
Marco avait beau vouloir le porter derechef, lui et sa mortification, sur son dos, il savait que Jean avait besoin d'un tout autre soutien.
-C'est pas grave, continue à t'appuyer sur moi, l'encouragea-t-il. Même si ce sont des petits pas, on n'est plus très loin. On va avancer à ton rythme. Il faut juste que tu t'échauffes les muscles. »
Jean glissa son regard démuni vers le sien, et le cœur de Marco se serra quand il décela une note amère nichée dans les noisettes de ses yeux. Puis, son partenaire laissa sa tête retomber, ses poumons relâcher un énième soupir peiné, le temps de se résoudre en silence. Après quoi, il lui adressa un rictus contrit.
-Merci. »
Marco ressentit toute l'ampleur de sa gratitude dans le souffle qu'il avait à peine libéré. Au fond de lui, il se félicita d'avoir su s'accommoder à ses besoins autant qu'à ses désirs, acquérant de fait la confiance de Jean, qu'il briguait bien plus qu'il ne l'avait anticipé depuis qu'il lui avait sauvé la vie. Ou, peut-être, plus longtemps encore.
Le pas suivant n'était pas plus aisé. Jean trébucha à nouveau et Marco le retint. Mais le suivant encore, il se tint debout. Et le suivant encore. Au bout d'un moment, ils avaient ajusté leurs gaines, de peur qu'elles ne les déséquilibrent en s'entrechoquant. Ainsi, Marco soutenait son partenaire sans faillir, et Jean avançait, un exosquelette de détermination poussant son corps en avant.
ooo
Le temps qu'ils parviennent à la caverne, le soleil avait commencé à s'assoupir, et les ombres des arbres s'étiraient, paresseuses, sur le sol. Autour de lui, Marco n'entendait plus que les froissements des feuilles, quelques grincements d'arbres, et la respiration haletante de Jean. Conny et Sasha avaient eu raison, aucun Titan ne les avait suivis, malgré la lenteur de leur progression.
Désormais, Jean pendait à son côté. Marco le soulevait plus qu'il ne le soutenait. Le rideau de la forêt se leva alors qu'ils pénétraient dans la clairière, et l'afflux de lumière semblait requinquer Jean, car il s'essaya à une accélération, envers et contre le relief. Mais ce fut Marco, son principal obstacle : il planta ses pieds dans le sol et les freina tous les deux. Jean l'apostropha d'un regard acide qui se voulait protestataire, mais qui était surtout un peu honteux.
-N'y pense même pas, asséna Marco sans se démonter.
-On est presque arrivés, ça va.
-Tu veux t'écraser à la ligne d'arrivée ? Pas très glorieux. »
Sa boutade arracha un ricanement nasal à Jean, à la fois amusé et fatigué. L'entendre rire rinça le dépôt d'angoisse qui s'était aggloméré dans les bronches de Marco et avait filtré sa respiration. Il n'eut pas le temps de savourer son inspiration toute fraîche, plus large et plus riche, qu'il se vit flanqué d'une pichenette à la pommette, l'impact si inattendu qu'il s'arrêta à nouveau.
-C'est ça, fous-toi de ma gueule pendant que tu l'peux encore. » marmonna Jean avec un sourire.
Marco le lui rendit, puis redressa Jean sur son épaule, et ils attaquèrent les derniers mètres qui les séparaient de leur refuge rocailleux. Celui-là même qu'ils avaient cru quitter pour de bon dans la matinée.
Il n'y avait personne pour les accueillir, et de l'extérieur, on ne pouvait pas deviner qu'elle abritait un campement, si ce n'était pour le parterre piétiné à son entrée. Pas de Buchwald qui broutait au gré de ses envies et accourait pour lui réclamer des caresses. Pas non plus de Ruth qui aiguisait ses haches sur son rocher. En si peu de temps, il ne restait aucune trace de leur alliance.
Pour la première fois, il songea à ceux qui étaient passés avant lui. Ceux qui avaient établi leur propre campement ici même, l'année dernière. Qui étaient partis ou qui étaient morts. Il n'avait jamais vraiment fait attention à la retransmission, puisqu'ils devaient faire tout le chemin jusqu'à la maison de monsieur Weberhart pour entendre les échos du déroulement, apercevoir les silhouettes granulées sur l'écran. D'eux non plus, il n'y avait aucune trace.
Le champ de bataille, où ils se vidaient de leurs tripes, de leurs sang et de leur larmes, où ils sacrifiaient leur humanité et leur existence pour l'équilibre de leur société, l'autel était nettoyé, purgé, vidé de toute trace. On les effaçait.
Il avait rarement eu aussi peu envie de mettre un pied devant l'autre. À quoi bon, si chaque trace de pas était dépoussiérée ? En ce jour, il avançait pour mettre Jean en sécurité. Le lendemain, il avancerait pour rejoindre Conny et Sasha. Mais le surlendemain… Il n'était même pas sûr d'être en vie.
Sa seule certitude était la présence de son partenaire, qui gardait les yeux rivés sur son objectif et progressait avec acharnement. Même s'il y avait des moments où il n'osait plus avancer, il s'assurerait que Jean se tienne toujours à côté de lui, prêt à le tirer en avant. Il s'était greffé à lui, son allié, son ami, sa personne à protéger.
Il en était certain, à présent : il avait fait de Jean sa personne à protéger. Il avait presque envie de courir l'annoncer à Marlow, de le remercier pour ses conseils, alors même qu'il ne lui avait jamais parlé de son projet, et qu'il était déjà mort. Il gardait ses précieux principes en tête, et il faisait de la protection de Jean le catalyseur de la pugnacité et du dévouement attendus d'un tribut.
Et quelques heures auparavant, il avait cru voir toutes ses résolutions partir en fumée. Tout ça parce qu'il s'était laissé aveuglé par ce fameux instinct combatif qu'on attendait de lui. Il s'était reposé sur des réflexes primaires qu'on avait essayé de lui inculquer et qu'il avait pourtant désespérément refusé. Il voyait où Marlow avait voulu en venir : il devait donner du sens à leur lutte.
Et le sens derrière sa lutte, il avait failli le perdre.
Avant de le retrouver, il s'était maudit pour sa lenteur, et il aurait souhaité dépasser Conny, plutôt que de le voir partir devant et le distancer : lui aussi brûlait de retrouver son partenaire au plus vite. Tant et si bien qu'à la première bribe de silhouette qu'il avait aperçue, il avait cru à une illusion. La nécessité d'en avoir le cœur net avait bouilli, débordé par tous les pores de sa peau, à tel point qu'il en avait trébuché.
Il avait accueilli leur collision à bras ouverts, surpris par la vigueur qu'il avait employée à le serrer contre lui, soulagé de se heurter à quelque chose de tangible. À la fièvre dont il dépendait désormais. Il avait saisi et scruté son visage, célébrant chaque tumulte dans son expression, chaque frisson de vie. Et, en dépit de tout, sa terreur ne s'était enfin tue que lorsqu'il avait senti sa cage thoracique gonfler au rythme stable de sa respiration, lorsqu'il l'avait senti fondre dans ses bras avec le souffle qu'il avait délivré. Il n'avait réussi à relâcher son emprise qu'en s'ancrant à son épaule.
Tout ce temps, il avait jeté des coups d'œil anxieux derrière, la nuque froide de sueurs sous la menace du manque. Et malgré tout, il n'avait pas accordé l'ombre d'une pensée aux conséquences.
Ses sinistres considérations prirent fin une fois qu'ils glissèrent leurs têtes sous la grotte.
-Allez, dans deux jours je suis prêt pour un marathon. » railla Jean d'une seule traite.
Ce genre de plaisanterie auto-dérisoire, en pareilles circonstances, ce n'était pas son genre. Il ne fallut pas plus à Marco pour comprendre qu'il se rabattait sur d'autres moyens plus désespérés pour tenir son stress en laisse, quitte à imiter Conny. Après l'avoir aidé à retirer son équipement, alors qu'il se penchait pour l'adosser au mur, Marco intercéda :
-Ce dont tu as besoin, c'est d'une bonne nuit de sommeil. »
Jean branla négligemment du chef, alors qu'il pendait au cou de Marco comme un fier koala, paupières verrouillées. Méticuleusement, il le déposa au sol, une main sur la paroi pour conserver son équilibre, l'autre enroulée autour de son épaule pour l'empêcher de déraper. Une fois installé, Jean laissa ses bras retomber sur ses cuisses et sa tête reposer contre la roche, exténué. Marco entendait les soupirs qu'il se retenait de pousser. Reprenant sa respiration, Jean ouvrit les yeux. Aussitôt que leurs regards se croisèrent, il tourna la tête à l'opposé. Était-ce trop pour lui ? Marco délogea l'écharde de désappointement avant qu'elle ne se fiche dans sa poitrine. Il avait plus important à faire : estimer les dommages que Jean avait encaissés.
Il se défit à son tour de son équipement, s'accroupit de biais et se racla la gorge, avant que Jean ne réagisse :
-Il faut qu'on s'assure que… Je peux ? »
Pour seule réponse, une main balaya le vide sous des faux airs de nonchalance. Il n'hésita qu'une dernière seconde avant de poser sa main, celle qui n'était pas bandée, sur son genou, pressant légèrement.
« Tu sens ma main ?
-… Oui. »
Il avait mis trop de temps à répondre.
-D'accord. Je vais te faire quelques massages, alors. »
Enfin, Jean brusqua la tête vers lui, les yeux et la bouche aussi ronds que des soucoupes.
-Qu-Que, quoi ?! s'étrangla-t-il.
-C'est bon pour détendre tes muscles, maintenant qu'ils commencent à se réveiller. Et pour la circulation du sang aussi.
-Si tu l'dis... » grommela Jean.
Il passa une de ses mains dans ses cheveux et frotta le cuir chevelu, l'autre serrée sur son pantalon, jusqu'à planter ses ongles dans le tissu.
Marco devinait la mortification de son partenaire, mais il n'en fit pas cas, et s'attela à enserrer son genou de plus belle, tout en soutenant son talon afin de retirer ses bottes. Cette fois, il ne l'avait pas averti de ce qu'il comptait faire et Jean se raidit dans une inspiration sèche, c'était à croire qu'il épinglait ses épaules à la paroi, en quête d'un repère stable. Même ses iris se réfugiaient dans les coins de ses yeux.
Soucieux de le ménager dans son agitation, Marco marqua une brève pause avant de retirer la seconde. Le silence devenait trop pesant : il percevait les déglutitions nerveuses de Jean. Il décida alors de briser la glace qui s'était immiscée entre eux.
-C'est bon pour la régulation du stress… et tu en as clairement besoin, tu sais. »
Un haussement de sourcil.
« Je pense que tu t'es retrouvé dans cet état à cause du choc physique, oui, mais aussi à cause du choc psychologique. T-T'as été confronté à beaucoup de stress ces derniers jours… je… »
Il ne savait plus où il allait avec ses justifications. Du stress ? Son coéquipier avait frôlé la mort à en perdre le compte, essuyé une tentative d'assassinat dont Marco s'était rendu complice, perdu sa mobilité au pire moment… Avant de se noyer dans plus d'euphémismes creux, il se rappela que Jean tenait les faits et les données en haute estime. Il poursuivit alors dans cette voie :
« Et je te rappelle qu'il te faut du sommeil, et relâcher du stress va t'aider à te détendre. »
Il n'attendit pas une nouvelle contestation silencieuse et commença, du bout du pouce, à tracer des cercles sur son mollet. Contrairement à la veille, les sensations étaient atténuées, presque banales : amorties par le bandage sur sa main ? Brûlure, cautère ou barrière ? Il chassa ces pensées pour se focaliser sur le principal.
À l'instant où il crut tâter un nœud dans le muscle, Jean ratatina son poignet sur lui-même et le précipita à sa bouche pour le presser contre son visage, un pli flagrant entre ses sourcils. Non sans camoufler son rictus attendri, Marco prit la parole, bien décidé à tout mettre en œuvre pour l'apaiser un tant soit peu :
-T'en fais pas, je sais ce que je fais, assura-t-il dans un accent qui l'étonna lui-même. Essaie de te détendre, c'est le plus important.
-J'crois que c'est pas la peine en fait, lâcha Jean dans un souffle crispé.
-Mais si, on doit pas négliger ton état. On s'en sortira pas sinon… Si tu peux pas soigner ça toi-même, il faut que je m'en charge-…
-Mais je t'ai rien demandé ! rétorqua Jean d'une voix trop brisée, mal affûtée pour être en colère.
-Si tu n'avais pas couru autant de risques, on en serait pas là ! se défendit Marco, à la fois affligé et contrarié.
-Et j'aurais pas risqué ma peau si t'avais pas fait t-ton, ton Marcouillon là… ! »
Marco ne put retenir sa stupéfaction.
-Mar… Marcouillon ? »
Jean releva le menton et renifla prétentieusement, l'illusion malmenée par l'érubescence de ses traits.
-Laisse tomber. » éluda-t-il.
Marco ne laissa pas tomber. Il essaya à peine de retenir son pouffement déconcerté, qui germa bientôt en léger ricanement nerveux.
« Si tu te mets à te marrer quand je t'insulte, c'est plus drôle. » maugréa Jean.
La malice qui pétilla dans sa voix n'échappa pas à Marco. Ils avaient frôlé la dispute, mais Jean s'était rétracté tout de go. C'était comme sur le retour quand il l'avait porté dans ses bras : il était tellement plus facile à vivre ! Marco n'avait plus besoin de faire attention à ses mots, de craindre qu'il ne retombe dans ses travers. Il pouvait être honnête, Jean faisait en sorte que ce qu'ils avaient ne se désagrège pas. Il se sentait à l'aise et en sécurité en sa présence. Rasséréné par cette sécurité, cette complicité, il se permit de rétorquer :
-Bien, maintenant que tu as fini de faire ton Jeanmerdeur, je vais pouvoir me reconcentrer ! »
Sa boutade se vit accueillie par un reniflement craquant.
Rassuré, Marco s'attela à malaxer son mollet proprement, attentif au moindre nœud sous ses doigts, à l'affût du moindre signe d'inconfort. Cette fois, ce fut Jean qui entama la conversation alors que Marco pressait les rotules :
-Tu m'as dit que tu savais ce que tu faisais. Qu'est-ce que tu voulais dire par là ?
-Oh ! Eh bien, ça arrive souvent à mon père de se faire mal au dos, à force de travailler dans les champs, expliqua Marco, ravi de constater encore une fois la perceptivité de Jean. Quand j'étais petit, j'essayais de lui masser le dos pour le soulager, parce que ma mère disait toujours que j'avais les mains chaudes, et j'ai fini par prendre un bon coup de main.
-Mhm, je vois d'où ça vient. » commenta Jean.
Tout en douceur, Marco remonta le long du genou et passa aux cuisses.
« J-J'commençais à penser que ton instructeur t'avait dispensé une formation aux massages, ajouta Jean dans une veine tentative de déguiser son frisson.
-Ness ? Non, ç'aurait pas été son genre ! Quoiqu'il prônait beaucoup le bien-être : il m'a souvent conseillé de prendre des bains chauds pour mieux dormir. Mais c'est quelqu'un de tellement zen et équilibré, je suis certain qu'il n'a jamais eu besoin de ça. »
L'image de son professeur au bandana revint à l'esprit de Marco avec une difficulté déconcertante, plus vague que prévue, comme une photo au papier gondolé par l'humidité et la trace du temps. Contre toute attente, c'était du grain encourageant et débonnaire de sa voix dont il se souvenait le mieux, la façon dont il articulait tous les p'tit gars qu'il employait pour l'apostropher. Ça, et ses grands gestes d'adieu aux douanes.
Marco se doutait qu'il le regardait. Il avait sûrement été bouleversé par la perte de Buchwald, mais qu'avait-il pensé du meurtre de Ruth ? Est-ce qu'il encourageait toujours Marco ? Ou bien l'avait-il trahi, lui aussi ? L'avait-il déçu ?
-T'avais du mal à dormir ? »
Il crut un instant que Jean s'adressait à quelqu'un d'autre, mais les prunelles perçantes ne le quittaient pas. Encore une fois, grâce à Jean, il n'avait d'autre choix que de s'extraire de ses pensées pour se concentrer sur ses actions.
-Moi ? Oui, enfin, comme tout le monde… Les dix premiers jours étaient vraiment difficiles, mais après, on s'y est fait. Et toi ?
-S'endormir, ça allait. C'était rester endormi qui posait problème.
-Donc tu te réveillais au milieu de la nuit ? Comment est-ce que tu t'y prenais pour te rendormir ?
-Je gribouillais. Ça m'apaise pas mal, et le fait de me concentrer m'aidait à épuiser le carburant en trop là-dedans. (Il tapota sa tempe).
-Les journées avec Hansi étaient pas assez éprouvantes comme ça ? s'étonna Marco avec un sourire espiègle.
-T'as pas idée… »
Marco se contenta de glousser, et relâcha Jean. Sous ses doigts, les muscles étaient assez détendus, et il voulait vérifier qu'il avait mené à bien son entreprise.
-Je vais essayer de plier ta jambe, dis-moi s'il y a quoi que ce soit. »
Jean acquiesça, les yeux résolument fixés sur sa propre main. Marco soutint son genou et souleva sa jambe, qui se plia naturellement au point d'articulation. Aussi sec, Jean se pétrifia dans un éclair d'inconfort. Était-il gêné ou avait-il mal ? Marco constata qu'il serrait les dents et rentrait les épaules, raidi.
-Désolé, ça t'a fait mal ? s'enquit-il en reposant la jambe immédiatement, avant de porter sa main à l'épaule de Jean.
-Nan, ça va, plus de peur que de mal.
-T'es sûr ? » insista Marco, dubitatif.
Jean ploya sous son regard.
-Bon, ça pique, quoi.
-Ça pique où ?
-Pff… Dans le, le bas du dos… soupira Jean d'une voix decrescendo.
-Okay, tourne-toi de biais alors. »
Sans prévenir, le rouge des joues de Jean explosa sur tout son visage, et il se hérissa, foudroyant Marco du regard alors qu'il tendait le bras vers lui.
-Tu-Tu comptes faire quoi, là ? »
Son invective suscita un temps d'arrêt, et Marco retomba à genoux, hébété.
-Euh… dénouer les muscles froissés ? C'est là que tu as pris ton choc, si je ne me trompe pas. Donc ça doit venir de là. »
Jean sembla passer sa langue sur l'intérieur de sa joue, sans se départir de ses couleurs, puis s'exécuta enfin. La timide résistance de son coéquipier intimait la prudence à Marco, et il s'adossa à la paroi à côté de Jean, qui demeurait tourné de l'autre côté, refusant fièrement de croiser son regard. Marco s'appliqua d'abord à poser la pulpe de trois doigts sur la zone en question. En remarquant que les crispations de Jean se renouvelaient, il marqua une halte, puis reprit une fois que ses épaules retombèrent.
Il fronça les sourcils : retrouver la piste du nœud s'avérait une tâche plus ardue qu'anticipé, tant l'ensemble du dos de Jean était tendu, un solide bloc de tracas et de confusion, uniforme et granitique.
À l'instant où il appuya davantage, il perçut Jean virer la tête vers lui, geste que le mouvement de son dos trahissait. Il reçut de plein fouet ses traits figés dans une grimace cramoisie d'inconfort permanent, à la fois contrite et indisposée.
-Arrête. » réclama-t-il dans un souffle rauque.
Marco retira sa main sur-le-champ. Il s'apprêtait à s'excuser platement, quand il croisa le regard de Jean, toujours braqué sur lui avec ce même reflet désolé, où jaillissait néanmoins un reconnaissant éclat de soulagement. Son partenaire baissa enfin le menton, une ombre de sourire sur les lèvres.
Comprenant par là que Jean ne souhaitait pas épiloguer sur le sujet, Marco ravala ses excuses. En quelques secondes, son coéquipier avait repris sa place initiale, adossé à la paroi, alors qu'il se massait distraitement la nuque en comprimant ses soupirs par paquets. Cette fois, Marco se tenait à côté de lui.
Désireux de le mettre à l'aise, il s'éloigna pour lui faire face, et se para de son meilleur sourire avenant pour relancer la discussion conviviale qui avait allégé l'atmosphère plus tôt.
Il recueillit sa main bandée dans le creux de l'autre. Même s'il avait disposé de la source de contact dont il rêvait, sa paume le piquait. Et rien de plus. En un sens, cela indiquait qu'il avait mené à bien son objectif, sans distraction en un autre, il était déçu. Comparé à la morsure du feu, c'était un petit inconfort, terriblement quotidien. Une source qu'il avait cru inépuisable s'était tarie en lui.
-Alors comme ça, Hansi vous menait la vie dure ? »
Jean accueillit ses paroles avec un sourire complice.
-C'est pas peu dire. Dès qu'on a eu ne serait-ce que des notions de tridimensionnalité, iel nous a jeté sous les rails. »
Iel ?
« J'ai cru que j'allais finir estropié plus d'une fois à cause de ses exercices de cinglé. Une fois, iel nous a entraîné à ''bien tomber en tridimensionnalité''. On a passé la journée à se gaufrer par terre. Mes genoux s'en souviennent encore.
-T'as été formé à la dure, sourit Marco.
-Mais je le referais sans hésiter. »
Il regardait droit devant lui, se ressassant des souvenirs dont Marco n'avait pas les clés, vers la nuit qui était tombée et au-delà. Il avait l'air fier. Marco voulait entretenir cette flamme.
-Minha avait l'air de se dire la même chose quand elle me parlait de vous-… »
Il freina net son débit de paroles, et se retint de plaquer une main sur sa bouche, de peur d'accentuer sa maladresse. En face de lui, les yeux de Jean se voilèrent une poignée de secondes, pendant lesquelles Marco se maudit de tous les noms. Toute la journée durant, Jean avait pris garde à le ménager vis-à-vis de Ruth et de Buchwald, et lui venait de le poignarder en plein cœur sans crier gare !
Il réfléchissait encore à ce qu'il allait bafouiller pour se sortir de ce pétrin quand Jean reprit la parole :
-Ça m'étonne pas d'elle honnêtement, elle adorait bavarder. C'était comme ça qu'elle se faisait des potes : elle venait vers les autres sans s'annoncer, et commençait à raconter sa journée ou ses impressions, jusqu'à ce qu'elle réussisse à t'extorquer une confidence. Et comme ça, elle t'avait apprivoisé.
-Ç'a été ton cas ? s'essaya Marco, désireux d'entretenir la conversation salutaire, pour eux deux.
-Plus ou moins, admit Jean, un soupçon narquois dans la voix. C'est pour ça qu'on se connaissait avant le début des Jeux. Elle prenait un malin plaisir à me tenir la jambe, et j'ai mis un certain temps avant de piger que c'était pour d'autres raisons… »
La voix de Jean s'écroula sur elle-même, tandis qu'il relevait le menton, le front strié de plis perplexes. Marco s'affligea tout de suite de cette vision. Une seconde auparavant, il l'avait vu plus rayonnant que jamais au sujet de son ancienne partenaire. Comme si Jean avait enfin retrouvé un vieux grigri qu'il affectionnait plus que tout, ou qu'il ré-exécutait les mouvements d'une technique dont il avait perdu le sens.
Marco ne savait pas comment lui rendre son aisance, et il n'eut d'autre idée que de dire ce à quoi il avait pensé avant que Jean ne s'interrompe :
-Parce qu'elle… avait des sentiments pour toi ?
-Oui, voilà, marmonna Jean en se grattant les cheveux. Mais comment tu sais ça, toi ?
-Oh, on se croisait souvent à la bibliothèque, et de fil en aiguille, on a parlé de beaucoup de choses. Il y avait des signes qui trompaient pas. »
Jean haussa un sourcil interrogateur, mais n'osa lui en demander plus.
-Tu traînais souvent là-bas, non ? enchaîna Jean.
-Il y avait beaucoup de monde, donc pour sympathiser, c'était l'idéal.
-J'ai constaté, oui, commenta Jean alors qu'ils échangeaient un pouffement nerveux. Tu croisais qui, exactement ? Qui soit encore en lice.
-Reiner, Bertholt, Annie… Conny et Sasha… Franz et Hannah… En fait, on était plus nombreux à s'y rendre que tu ne dois penser. À part toi, il y avait Ymir, Eren et Mikasa qu'on ne croisait jamais. C'est tout.
-Je ne sais pas quoi penser du fait que je me retrouve encore dans le même panier que Jäger.
-Que vous vous ressemblez et que vous pourriez très bien vous entendre, tu veux dire ? » taquina Marco.
Il reçut une tape à la jambe en représailles.
-Attends une seconde… ça veut dire que Sasha et Conny allaient à la bibliothèque ? Je croyais que c'était une exception, la fois où j'étais là.
-Oh non, c'était monnaie courante avec eux. Même si je dois t'avouer que je ne me souviens pas les avoir vu ouvrir un seul livre.
-Et c'est avec des branquignoles pareils qu'on s'allie demain ? » fit Jean en levant un sourcil sceptique.
Marco haussa les épaules, mais les crispa la seconde suivante : Jean avait fait de son mieux pour le dissimuler, mais ça ne lui avait pas échappé. Un froncement dans ses sourcils, avant qu'il ne les lève pour faire sa grimace, à quoi il ajoutait la tension palpable qu'il avait ressenti entre son partenaire et Sasha, leur future alliée… il y avait un passif entre eux, quelque chose dont il n'avait pas eu vent mais qu'il devait tout de même percer à jour, ne serait-ce que pour éviter les discordes.
De ce qu'il avait compris, c'était en lien direct avec les morts de Minha et de Thomas, ainsi qu'une histoire de flèches. Il n'avait pas envie de se perdre en conjectures, de peur de se tromper, il lui fallait en avoir le cœur net, auprès de Jean. Il hésitait seulement à mentionner la mort de Minha. Après tout, Jean s'appliquait à ne pas mentionner celle de Ruth.
-Y a un problème ? demanda Jean à sa moue pensive.
-Je me pose des questions… Qu'est-ce qui s'est passé avec Sasha ? »
Les yeux écarquillés, Jean regarda ailleurs, l'air de chercher ses mots. Marco fit marche arrière.
« Si t'as pas envie d'en parler, tu peux laisser tomber.
-Non… Pour résumer, c'est Thomas qui a tué Minha. »
Du mieux qu'il put, Marco maquilla le soubresaut qui lui échappa à la révélation. Il le réduisit à un pli affligé sur son front, à une ligne, naturellement gravée par la peau, qui s'ajouta aux cicatrices qu'il collectionnait désormais.
« Il venait de récupérer un arc et des flèches, et j'étais le plus proche de lui. Il m'a tiré dessus, mais Minha s'est interposée et a pris la flèche à ma place. J'étais pas dans mon état normal, j'ai rien vu venir. Aux dires de Sasha, il était pas au courant que les flèches étaient empoisonnées. Si Annie l'avait pas tué avant, je pense que je m'en serais chargé. Et ça, Sasha en a conscience.
»Honnêtement, ça me gonfle, débita Jean, les poings serrés sur ses cuisses. Si j'avais eu plus de jugeote à ce moment-là, on serait pas en train de se prendre la tête pour des choses qui n'en valent plus la peine.
-C'est pas de ta faute, interjecta Marco. Tu le sais, ça. On en a déjà parlé…
-Je sais, siffla Jean entre ses dents. Je suis fatigué, c'est tout. »
La tristesse de voir Jean éluder ses émotions et les mettre sur le coup de la fatigue fut contrecarrée par la satisfaction de le voir admettre ladite fatigue.
-T'as raison, il faut vraiment que tu te reposes maintenant. Allons-y. »
Il se mit sur pied et lui tendit la main. Celui-ci l'empoigna avec résolution, et ils retinrent tous les deux leur souffle alors qu'il contractait les muscles de ses jambes. Par bonheur, elles lui obéirent, et il se hissa sur ses pieds avec un soupir de soulagement.
-T'en fais pas, ça ira nettement mieux demain, lui assura Marco avec conviction.
-Heh. »
Il claudiqua jusqu'au fond de la caverne, soutenu seulement par les mains de Marco autour de son coude et de son poignet. Il descendit lentement au sol, et Marco lui apporta tout ce dont il avait besoin, ravi de pouvoir lui rendre les soins qu'il avait reçus le matin même. Jean protesta une maigre seconde en recevant la cape de Marco, mais finit par accepter de se faire enrober dans ce qui leur faisait office de couverture.
En prévision du lendemain, Marco prit le temps de rassembler leurs affaires : il leur vaudrait mieux partir promptement vers le lieu de rendez-vous. Ce faisant, il n'ignora pas l'intensité du regard de Jean, qui l'observait du coin de l'œil. Malgré une nuit blanche et toutes les épreuves qu'il avait endurées en une seule journée, il avait probablement du mal à trouver le sommeil. En guise de piètre apaisement, il lui glissa :
-Ce serait bien qu'on reçoive des recharges de gaz demain. On sera bientôt à sec sinon…
-Mouais... » fit Jean dans un bâillement approbateur.
Une fois qu'il n'eut plus rien à faire de ses mains, il partit s'installer à l'entrée de la caverne, décidé à pouvoir garder un œil sur son allié, surtout pendant sa garde. Au fond, il savait qu'il ne garderait pas aussi bien le campement que le sommeil de Jean.
Toute la journée, il s'était senti perdu et confus, ballotté par les événements, prenant chaque inspiration saccadée comme sa dernière. Mais maintenant, il avait cette certitude, dont il s'imprégnait, qu'il érigeait comme un bouclier entre lui et ses angoisses : Jean était sa personne à protéger. Il y revenait sans pouvoir s'en empêcher, il fallait qu'il la saisisse et la retourne dans tous les sens, la mette à l'épreuve, pour se rassurer. Et elle tenait.
Il n'y avait qu'un seul fil de brume qui y restait accroché : l'origine de ce désir. Mais s'il y réfléchissait quelques instants, il se rendait compte qu'il savait déjà.
Au début des Jeux, c'était du dévouement. Il avait beau avoir fait la paix avec sa mort, la terreur d'y faire face avait subsisté, et la présence de Jean la rendait supportable. Jean avait toujours été celui qui, sans le savoir, avait passé son temps à prouver à Marco qu'il était plus qu'un tribut, un assassin et un condamné qu'il pouvait construire quelque chose, un socle sur lequel il avait pu s'appuyer quand lui-même était sur le point de sombrer. Jean avait essayé de se mettre à la place des autres, admis sa fatigue et ses débordements. Il n'avait pas abandonné Marco, et lui non plus ne l'abandonnerait pas.
Parce qu'il l'aimait. C'était à ça que menait le petit fil de brume.
Sa curiosité intéressée avait mûri en promesse d'entraide, puis en loyauté sincère. Et de tout cela avait éclot une adoration éperdue, et il s'y précipitait corps et âme.
La respiration de Jean se stabilisait. Il s'endormait. Ses oreilles en captaient le souffle mieux encore que le vent dans les arbres, sur lequel il aurait dû se concentrer.
À côté de lui gisait le tas d'équipement et d'armes à sa disposition pour repousser les intrus, qu'ils amèneraient avec eux le lendemain. Non pas parce qu'ils en auraient besoin pour continuer à lutter, mais parce que c'était ce qu'il lui fallait pour protéger son trésor.
…
Comme chaque soir auparavant, Ymir attendait sa compagne de chambrée pour entamer leur petit rituel secret pourtant, elle savait pertinemment que cette soirée-là serait différente. Elle se doutait que plus rien ne serait comme avant, parce qu'il y avait des paroles et des mots assez puissants pour transformer les choses du tout au tout, des incantations capables d'enchanter, ou de maudire.
Et elle lui avait dit je t'aime.
La veille, quand Christa s'était contentée de la remercier pour ses sentiments avant de s'assoupir, Ymir n'avait pas eu à se poser de questions. La nouvelle avait été trop fraîche pour que la blonde ait le temps de la mesurer et de la concevoir – elle qui sacrifiait des tonnes d'endurance à tout contextualiser et scénariser dans sa petite caboche de princesse bercée aux contes de fée… fascinante malgré tout. Mais, désormais, une journée entière s'était écoulée. Et Christa pouvait s'inventer toute une histoire, se donner tout un devoir, se dicter toute une conduite en moins de temps.
En guettant la venue de sa camarade, Ymir se rassurait tant bien que mal : à aucun moment dans la journée, elles n'avaient paru désaccordées, elles avaient parlé du même ton qu'à l'accoutumée, des mêmes sujets qui leur tenaient à cœur, avec les mêmes mots, s'étaient échangées quelques regards et discrètes caresses.
Or, depuis le petit matin, entre leurs occupations respectives et les entraînements communs, elles n'avaient jamais goûté un pur instant d'intimité. Il y avait toujours eu Bertholt, Annie, ou Reiner pour les ceindre d'une compagnie plus ou moins agréable selon la personne, mais néanmoins intempestive. Comment prendre l'attitude de Christa pour argent comptant alors qu'elle avait passé la journée devant des spectateurs ?
Le soir venu, dans la loge, Ymir patientait. Bien qu'il y fasse plus sombre que dans le passé.
Puis elle l'entendit arriver. Des pas légers, gracieux. À croire que ses talons étaient faits de coton… mais Ymir se doutait que c'était surtout sa manie de calculer ses moindres faits et gestes, quitte à les embellir à outrance, qui causait cette illusion.
Certes, Christa se confectionnait une surface ravissante de la sorte, mais justement, elle se la créait de toutes pièces. Il n'y avait rien de naturel. Cela se résumait à un artifice, à une façade. Charmante, mais trop complexe au goût d'Ymir.
Alors quand la gracieuse gagna l'entrebâillement de leur chambre et que le son de ses pas s'alourdit naturellement, Ymir s'en délecta. Elle y perçut les prémices de l'attitude épurée dont elle raffolait.
La seconde suivante, une deuxième consolation, un deuxième excellent signe, survint. Christa plongea dans son champ de vision. Elle déroula délicatement son corps sur la couchette voisine, s'allongea avec un soupir assouvi, la tête, languissante, dans les bras, jusqu'à ce qu'une flamme d'azur fixe Ymir par-dessus l'épaule.
Elle venait d'entrer sans demander la permission. Maintenant elle regardait Ymir avec une telle ardeur dans les prunelles, que les commissures de la jeune femme chauffaient de plus en plus sous l'étirement irrésistible. Elle serra les poings pour se contenir du mieux qu'elle pouvait, même si une de ses mains soutenait sa tête, tant pis : elle se presserait aussi le crâne ! Bien qu'elle n'eût rien à cacher, elle refusait de présenter un bête sourire niais à Christa, elle méritait mieux que ça. Surtout après une telle entrée en scène !
Ymir maintint son regard avec la même intensité, perdit le compte de ses cillements, les admira tous comme s'il s'agissait du premier qu'elle contemplait. À la sortie du théâtre, la nuit brillait de plus en plus.
Sans se faire prier, Christa roula sur le côté et logea sa tête sur son coude, adoptant une position quasi-symétrique à celle d'Ymir. Sur ses lèvres, un fin sourire rose.
-Qu'est-ce que tu as envie d'entendre ce soir ? » lui murmura-t-elle.
Pas d'excuses, pas d'entourloupes, pas de faux démarrages, Christa prenait les choses en main comme si elles lui étaient dues. Troisième réjouissant signe que tout irait pour le mieux, et que Christa avait parfaitement cerné pourquoi Ymir l'aimait. Cette dernière inspira et, malgré tout l'air qu'elle s'accapara – l'oxygène appartenait à tous et était gratuit alors, voleuse ou pas, elle pouvait bien s'octroyer une gourmande dose – les trépignements de son cœur s'apaisèrent à peine.
-Quelque chose de triste. » répondit-elle.
Le bleu s'écarquilla un peu plus.
« De difficile, qui te pèse et que t'as du mal à assumer. Ou qui te fasse peur, s'expliqua-t-elle. Quelque chose qui te rend triste. »
La bouche de Christa s'ouvrit, mais elle ne souffla mot. Confusion et curiosité se mélangeaient sur son visage. Après quelques secondes de flottement, elle réussit à articuler :
-Pourquoi ? »
Elle ne niait pas sa demande, au contraire, elle s'y intéressait. Alors Ymir débrida le sourire ravi qui tordait ses muscles depuis l'irruption de sa bien-aimée.
-Parce que tu me racontes des secrets tous les soirs pour ça finalement, murmura-t-elle à son tour. J'te l'ai déjà dit, je veux tout savoir de toi. Tous tes secrets, et particulièrement les plus sombres. Je veux savoir qui t'es au fond. »
Ymir n'avait que faire de la somptuosité de la composition, ni de la délicatesse du raccommodage, elle n'aspirait qu'à trouver les failles, se recueillir sur les morceaux, sans les recoller. Eux aussi racontaient une histoire, un secret plus dangereux, et plus fort, que tous les autres : de précieuses parcelles propres à Christa, fragiles mais non pas anéanties, braves malgré elles.
Sa voisine s'allongea sur le dos, réfugiant son regard au plafond, loin de celui d'Ymir qui ne se plaignait pas d'avoir à admirer son profil à présent.
-J'ai vécu les préparatifs comme de la torture, commença-t-elle dans un son qui ne ressemblait pas à sa voix. D'abord, j'ai essayé d'y mener une vie normale, ou la moitié d'une vie normale, mais au fond, chaque seconde, je ne pensais qu'à comment j'allais mourir. Il fallait que ce soit d'une façon qui rendrait service à Reiner, alors je passais mon temps à imaginer les circonstances qui lui seraient les plus favorables.
» Je me tuais quand je sortais prendre l'air, quand je m'entraînais seule ou avec Reiner, sous la douche, à table… pendant les cours d'Erwin… »
Les notes sonnaient de plus en plus faux. Christa dut s'arrêter le temps de reprendre son souffle. Son mentor lui manquait autant que Nanaba à Ymir ? Maintenant qu'elle y songeait, Christa et Reiner ne parlaient pas beaucoup de leur professeur : n'y avait-il rien à dire, ou préféraient-ils garder au chaud ce qu'ils avaient ?
Pauvre Christa, elle n'avait pas commencé par les plus petits bouts… Mais Ymir ne s'excuserait pas d'avoir exigé un tel sujet. D'autant plus que la demoiselle avait choisi ces souvenirs précis pour enfin s'en débarrasser et alléger sa poitrine. C'était bon pour elle et Ymir devait l'encourager. Alors elle lui tendit la main, en déposa le dos sur la couchette de sa partenaire, lui présentant une paume libre et dénudée qu'elle pourrait cueillir sans se piquer.
Les yeux de sa compagne scrutaient le plafond. Avec toute l'intensité dont ses paroles lugubres l'avait desséchée, ils luttaient contre un flot de larmes. Ymir comprenait pourquoi elle refusait de la regarder : la vision de la jeune femme agirait comme la dynamite qui ferait sauter le barrage dans les prunelles de Christa.
Sans lui accorder un seul coup d'œil, elle approcha une menotte tremblante, puis abandonna deux doigts dans la main d'Ymir. Cette dernière les abrita entre le pouce et l'index, sans serrer.
« Je me suis vue mourir tellement de fois dans ma tête, que j'avais vraiment la sensation de ne plus être tout à fait vivante. Pourtant je devais l'être, puisqu'on continuait à me parler autour de moi, à noter ma présence, mais tout semblait faux. Comme si j'étais la seule à savoir que j'étais un fantôme. Ça me faisait de la peine de voir les autres rester près de moi, alors qu'il ne savait rien de qui ils avaient véritablement en face…
» Finalement, il n'y avait que toi et Erwin pour se comporter en toute connaissance de cause face à moi. Et là encore c'était inexplicable, mais me parler de but en blanc de la mort et de mes tendances suicidaires, ça me redonnait l'impression de vivre. Un effet du contraste, je présume ?
» Mais je n'en pouvais plus d'être aussi indécise, hésitante, contradictoire avec moi-même. Je me sentais inutile, même mes pensées n'avaient pas de sens. Je voulais… tant avoir une cohérence mais, mais j'étais incapable de la suivre jusqu'au bout… !
» Ça me mettait hors de moi. Je pensais ''vivement la mort'' alors que j'en avais une peur bleue !
» J'aurais pu trouver un moyen de mourir dès les Entraînements, mais je n'ai pas réussi parce que j'avais trop peur. J'avais même peur de me mutiler, et ça me dégoûtait parce que cela voulait dire que je n'étais pas prête et j'avais si peur… ! »
Un hoquet de désespoir coupa le débit de ses paroles. Elle porta une main à sa bouche et détourna le regard, de sorte à ce qu'Ymir ne la voit pas pleurer. Les doigts tremblants restaient entre ceux d'Ymir, jusqu'à ce que ceux-ci n'éclosent pour recouvrir toute la main de Christa, qui n'attendit pas une seconde de plus pour la leur confier. Elles serrèrent.
L'autre main derrière la bouche, Christa poursuivit. Ymir était assez près pour entendre, en dépit de tous les mots qu'elle étouffait :
« Un jour… Erwin m'a dit que j'avais le droit d'avoir peur… Dès lors, j'ai réussi à mieux contrôler la terreur que j'avais acceptée… Je me sentais toujours coupable, mais je pensais moins à mourir… enfin je, je voulais d'abord faire de mon mieux… pour Reiner. Je m'étais dit que j'accepterais la mort quand elle se présenterait, et que je veillerais à, à partir avant lui… m-mais…
-C'est plus trop à propos de Reiner maintenant ? »
Ymir appréciait bien le bougre. Il faisait de son mieux et elle avait compris qu'elle pouvait compter sur lui pour prendre soin de Christa, tout en respectant l'intimité qu'elles avaient nouée. Un chic type en somme. Mais elle commençait à en avoir par-dessus la tête que Christa passe ses secrets du soir à parler de lui. N'avaient-ils pas mis les choses au clair entre eux ? Il restait encore combien de choses à dire sur le sujet !?
Elle voul-… elle espérait, non elle priait, pour que Christa lui affirme qu'elle avait fini de le considérer comme sa priorité, qu'elle lui confirme que leur discussion avait servi à ça, qu'elle avait définitivement enterré cette idée morbide de sacrifice qui ne ravirait personne, qu'elle ne songeait plus qu'à elle, ou à elles.
Ymir pouvait-elle prétendre à un tel honneur ? Aucune idée, pour le moment, rien ne lui importait plus que s'assurer de l'amour propre de Christa.
-Non, plus vraiment… »
Elle aurait préféré qu'elle la regarde dans les yeux en le disant, mais sa voix ne s'était pas brisée. Elles serraient toujours Ymir sut l'apprécier.
-Et c'est mille fois mieux comme ça ! se félicita-t-elle à la place de Christa. Mais… »
La tête blonde pivota dans sa direction. Ses iris revêtaient toujours un bleu surpris, mais ses pupilles paraissaient plus sereines. Même dans le noir du soir, elle avait le regard qui brillait avec un tel aplomb qu'Ymir pouvait le voir. Maladroite pour une fois, la jeune femme déglutit avant de reprendre :
« Mais laisse-moi te dire que tu sous-estimes ta force, ma belle. T'as eu du courage de pas abandonner alors que tu nageais en plein enfer ! Que t'en aies fini ou pas avec cette guerre, y a rien qui t'enlèvera le mérite de t'être battue tout ce temps, alors sois-en fière et continue. Compris ?
-… mhm… »
Elle s'apprêta à bougonner, déçue par une réponse aussi médiocre, mais sa camarade annula la moindre de ses initiatives : elle se recroquevilla sur leurs mains jointes, se rapprochant subtilement d'Ymir alors que des mèches blondes caressaient ses phalanges. Depuis qu'elle s'était retournée vers elle, Christa n'avait cessé de la regarder et la jeune femme, qui ne voyait plus qu'en bleu, lui retournait le compliment.
« Est-ce que je peux choisir le deuxième ? »
La demande de Christa abreuva sa poitrine d'un courant chaleureux. Ses muscles se relaxèrent avant qu'elle ne s'assure que ses oreilles ne l'ensorcelaient pas, avec de faux chants qu'elle croyait entendre dans la pénombre saphir. Elle se laissa porter par les flots langoureux de son corps, glissa plus près de sa belle. L'attache que formaient leurs mains, l'alliance qui l'ancrait à elle, la tranquillisait, elle qui détestait pourtant les chaînes et les impasses.
-Avec plaisir… fit-elle à voix basse.
-Dans ce cas, je tenais d'abord à te dire que tu avais été la seule, parmi tous les tributs, à m'avoir percé à jour. Bon, au début, j'avais peur de toi car tu me rappelais constamment ce qui m'insupportait chez moi. Mais, peu à peu, je me suis aperçue que je ne me sentais jamais aussi bien qu'avec toi. Tu me voyais tel que j'étais, et c'était un précieux réconfort.
» Puisque tu avais déjà tout deviné de moi, je n'ai pas dû t'apprendre grand-chose avec le premier secret, non ? »
Plus elle maintenait son regard, plus ses iris devenaient sa couleur préférée.
-Pas vraiment, ouais, répondit-elle franchement. Mais il y avait des détails que j'avais pas soupçonnés, et ça fait pas pareil avec tes mots à toi.
-C'est encore une contradiction, mais tu avais beau être la seule de mon âge à qui je pouvais en parler ouvertement, c'est en passant du temps avec toi que j'ai tout oublié pour la première fois. Le magasin de beauté, tu te rappelles ? J'étais comblée de pouvoir t'aider, j'avais enfin l'impression d'être plus qu'un poids. »
Tu l'es. T'es tellement plus…
« C'est mon meilleur souvenir du mois passé, et c'est grâce à toi, acheva-t-elle d'une voix qui souriait.
-Pour être honnête, moi, c'est le maquillage qui m'était sorti de la tête ce jour-là. D'un coup, je me suis retrouvée à te regarder faire et ça me convenait, j'aurais pu y rester des heures de plus. Juste pour ta compagnie, pas pour ton aide. T'avais l'air confiante, audacieuse, décidée, tu dégageais une ardeur que j'avais jamais vu ailleurs… j'en revenais pas. »
Pouvait-elle… ? Bon sang ! Depuis quand se posait-elle autant de questions !?
« C'est là que j'ai su que je t'aimais. » avoua-t-elle en luttant pour garder son naturel.
Elle ignorait dans quelle folle direction elle se lançait avec toutes ses grandes déclarations d'amour. Enivrée par l'apparente réciprocité de Christa, elle en oubliait une autre figure blonde qui planait dans un coin de sa tête, imprévisible et menaçante. Si elle la chassait, elle se mettrait en danger, avec Christa, mais y songer gâchait ces précieux instants avec elle.
Elle serra les dents. Son amour pour Christa était une force, Christa elle-même était plus hardie qu'à première vue. Annie cherchait à en faire sa faiblesse elle ne s'en tirerait pas comme ça.
Peu importait les menaces, à elles deux, elles triompheraient. Ymir devait faire ressortir toute la puissance endormie de Christa – elles touchaient au but – et elles seraient invincibles. Ainsi, non seulement Annie ne pourrait rien contre elles, mais Ymir admirerait de près la grandeur de sa compagne.
Pas de regrets : la seule philosophie qui permettait de rester sain d'esprit aux Jeux.
La chaude main de Christa souleva le voile de ses pensées et, avant qu'Ymir n'ait le temps de dire quoi que ce soit, l'écarta pour effleurer son menton du bout des doigts, puis emmitoufler sa joue de sa paume, le pouce sur la pommette, le petit doigt sous la mâchoire.
Les joues d'Ymir, même celle qui frottait contre la couchette, se mirent à brûler. Avant de réagir, la jeune femme ferma les yeux pour savourer le bain de chaleur qui recouvrait une chanceuse partie de son visage. Tous ces moments passés à lui envoyer des signaux évidents, à l'encourager… pour aboutir à un geste aussi spontané et exquis… rien que pour aboutir à ce geste, elle referait tout depuis le début, sans hésiter.
-Pour mon troisième secret, je parlerai de nous… » murmura Christa.
Un frisson de délice et l'inspiration, que le souffle court d'Ymir avait réclamé à la hâte, dérailla. Elle se mordit la lèvre pour garder son calme. Est-ce que Christa avait seulement conscience de ce qu'elle faisait, de l'état dans laquelle elle la mettait ?
« Je pense… que j'accepte tes sentiments, même si je ne pourrai pas y répondre. Du moins, sûrement pas comme tu l'aimerais. »
Le courant s'attiédit alors, ternissant son corps de l'intérieur. Peu importait si cela rompait le charme, Ymir rouvrit les yeux, stupéfaite. Confrontée à l'obscurité, il lui fallut quelques secondes pour réajuster sa vue. Qu'est-ce que c'était que cette excuse de réponse ? Christa ne lui accorda pas le temps de protester et renchérit :
« Je sais que tu es bien plus qu'une alliée ou une amie à mes yeux, le problème c'est ce qui nous entoure…
-D'où c'est un problème ? Je croyais qu'on parlerait de nous, pas de ''ce qui nous entoure''. » répliqua Ymir d'un ton trop vif en se redressant.
Christa retira sa main. Encore allongée, elle semblait fixer le sol. Les muscles raidis par l'effort soudain qu'elle avait sollicité, Ymir devinait la silhouette de sa voisine dans la pénombre, mais impossible de déterminer avec précision l'orientation de son regard.
-C'est juste que je ne me sens pas capable de t'aimer comme tu m'aimes, reprit Christa d'une voix grave.
-Pourquoi ? À cause des Jeux, c'est ça ? En quoi ça t'empêche d'être avec moi ?
-Ne fais pas semblant de ne pas savoir, s'il te plaît, tu sais parfaitement pourquoi. On ne peut pas s'aimer normalement sous ces conditions, pas avec un danger de mort constant au-dessus de nos têtes, ça ne servirait à rien. »
Son ton s'était frigorifié, comme celui d'un robot, comme Annie.
-Donc tu préfères abandonner avant d'avoir essayé quoi que ce soit ?! Y a une différence entre ''danger de mort'' et mort, j'te signale ! Non mais j'y crois pas… Pourquoi tu t'obstines encore à t'enterrer avant l'heure ? J'veux dire, regarde-toi ! Regarde-nous ! On est encore vivantes là, toutes les deux, que je sache !
-Bien sûr que je sais ça ! J'ai remarqué. Ce n'est pas la peine de me prendre pour une idiote ! » rétorqua Christa en lui tournant le dos.
À l'écho brisé de ses paroles, Ymir n'eut aucun mal à se figurer la bouille déçue, meurtrie, dévastée que sa voisine devait afficher. Christa l'aimait aussi, bon sang ! Pourquoi fallait-il qu'elles se querellent ?
La jeune femme porta la main à son front, soupira avant de jeter un coup d'œil vers le dos inerte et verrouillé de Christa : elle se ratatinait sous l'obscurité, craintive et perdue à nouveau, mais cette fois Ymir en était la cause. Désormais, elle la fragilisait. Insouciante et exaltée, elle avait chargé trop de poids dans la balance.
Christa n'avait pas prononcé le moindre mot et elle atténuait jusqu'à sa respiration, un sanglot sec et éthéré qu'on ne pouvait consoler. Ymir s'y risqua malgré tout elle se pencha près d'elle pour caresser son bras, le côté de sa taille, puis son dos, dessinant des excuses du bout du doigt. Puisque ses modestes pardons ne suffiraient pas, elle lui confia :
-Je ne veux pas te donner des ordres et t'expliquer ce que tu dois faire mais… ça m'fout hors de moi que tu te tortures encore pour quelque chose que t'as clairement avoué vouloir il y a une minute. En fait, j'comprends ton truc : tu penses peut-être plus à sauver Reiner, mais t'es toujours butée vers le futur.
» Tu penses qu'au sens des Jeux, à ce que tu vas laisser derrière toi. Mais c'est pas le moment. Tu peux, et t'as le droit, de profiter d'encore plein de choses. T'es encore là, ma belle. Et, t'en sais rien, mais tu seras peut-être toujours là à la fin. »
Aucune réponse, hormis un léger pouffement ironique dont Ymir se désola. Elle sentait les ondes nerveuses et misérables qui tailladaient les muscles de Christa, mutilaient sa peau. Pas du genre à s'avouer vaincue, la tribut poursuivit ses caresses et son discours :
« Y a pas de sens aux Jeux, tu sais. Abandonne pas comme ça, ce serait complètement stupide… sinon, si tu dois vraiment mourir un jour, t'auras peur, parce que tu lui auras donné trop d'importance et elle te terrifiera. Et puis… moi, je te trouve belle quand t'essaies de vivre. »
Rien, pas même un souffle. Elle avait beau la ranimer de toutes ses forces, elle ne se mouvait plus pour elle. Ymir l'avait trop blessée.
« Trésor, regarde-moi s'il te plaît. » l'implora-t-elle en posant son front entre ses omoplates.
En définitive, d'elles deux, Ymir ressemblait le plus à un fantôme, que Christa refusait de voir. La nuque de sa bien-aimée se raidit sous une lourde inspiration. Ymir décolla son front de son appui, dans l'expectative. Le noir, trop sombre à cette heure tardive, avait fini d'engloutir les dernières teintes de bleu. Il faisait froid et elle ne dit rien. Ymir dut se consoler de ce maigre signe de vie.
« Je ne t'en veux pas, reprit-elle à demi-mots, tu as fait ton choix et c'est bien. Promets… promets-moi juste de ne pas te laisser tomber, d'accord ? Je veux que tu vives… »
D'un bras, elle recouvrit ses côtes pour la bercer contre elle avant de s'endormir, signe que leur rituel s'achevait. Sa main rencontra celle de Christa et elle l'abrita dans la sienne. Ses phalanges humides percèrent le cœur d'Ymir. De l'autre bras, elle engloba la petite tête blonde, effleurant ses cheveux du bout des ongles. Christa se laissait faire, mais elle ne dégageait aucune chaleur. Elle ne serrait qu'une poupée de cire.
-Oui… » soupira Christa, dans un son presque aussi inaudible que le bruissement nocturne des feuilles.
Elle venait de proférer le oui le plus forcé qu'il avait jamais été donné d'entendre à Ymir. Son ton avait l'écho des répliques mal jouées : un blocage irritant, une éternelle déception, une promesse déjà brisée.
« Peux-tu me laisser s'il te plaît ? Je suis fatiguée… »
Et désormais, elle barrait la route à toute protestation. La situation ne dépendait plus d'Ymir, elle s'était débattue avec ses mots et ses gestes pour raviver la flamme, mais tout lui avait échappé des mains au moment où Christa avait soufflé sur la bougie. Il ne lui restait plus qu'à s'endormir, laisser la nuit et le temps enterrer leur discussion, les douces paroles et les belles promesses. Peut-être que c'était pour le mieux, après tout elles ne survivraient pas toutes les deux.
Ymir la relâcha et roula sur sa propre couchette, dos à Christa. Si la demoiselle comptait s'abandonner elle-même alors Ymir, elle, ne l'abandonnerait pas. Jusqu'au bout, elle s'évertuerait à lui faire entendre raison – et même lui faire entendre cœur si l'occasion se présentait à nouveau – parce qu'elle détestait rester sur un échec.
Elle n'avait pas fini de se flatter de serments grandiloquents, qu'elle s'endormit, capitulant face à la nuit.
Votes du Public – Résultats du Septième Jour :
1. Mikasa Ackerman – District Douze : 23, 6 %
2. Ymir – District Six : 18, 1 %
3. Sasha Braus – District Dix : 17, 5 %
4. Marco Bodt – District Neuf : 12, 9 %
5. Reiner Braun – District Un : 9, 68 %
6. Conny Springer – District Huit : 6, 54 %
7. Annie Leonhardt – District Deux : 6, 51 %
8. Christa Lenz – District Un : 1, 37 %
9. Jean Kirschtein – District Sept : 1, 26 %
10. Bertholt Hoover – District Deux : 1, 04 %
11. Eren Jäger – District Douze : 0, 92 %
12. Franz Kefka – District Onze : 0, 31 %
13. Hannah Diamant – District Onze : 0, 27 %
