3 août 2029

Pour son excursion en Californie, Daisy avait décidé de s'habiller simplement mais assez léger pour ne pas suer à grosses gouttes et se transformer en pitoyable flaque humaine sur le trottoir, cette région d'Amérique du Nord était connue pour des étés brûlants et le réchauffement climatique n'aidait vraiment pas – longue jupe de lin et blouse à longues manches de la même matière, ça laisserait passer le vent, accompagnées d'un chapeau et de lunettes de soleil.

Alors que le Portoloin la rematérialisait dans la pièce prévue à cet effet, la détective privée se félicita de son choix, la chaleur lui sautant à la gorge telle un boa constrictor particulièrement énervé. Peut-être qu'elle profiterait de la plage pour se tremper les pieds, en fin de compte, rien de tel pour se rafraîchir et éviter les coups de chaud. D'accord, elle était une sorcière, mais quand vous approchiez les cinquante ans, il fallait commencer à faire attention parce que vos choix de vie se mettaient à vous rattraper et personne ne voulait se retrouver trop décrépit pour sortir du lit à soixante ans. Surtout quand vous étiez un sorcier doté d'une espérance de vie d'un siècle et demi, ça faisait long pour rester grabataire.

Le réceptionniste se montra la politesse même, l'invitant dans une petite salle d'attente où une demi-douzaine d'autres voyageurs s'attroupait autour de boissons fraîches pour qu'elle se requinque un petit peu. Les voyages sur longue distance n'étaient jamais très agréables, tout le monde se plaignait des changements de température ou d'humidité, d'oreilles sifflantes ou de nausées violentes, jusqu'à la lumière qui déroutait parce qu'elle était trop forte ou trop pâlichonne, si bien que permettre aux touristes de décompresser avant de leur lâcher les douaniers dessus n'était que du bon sens.

Évidemment, l'expérience de Daisy Potter – illustre rejeton d'une famille anglaise presque assez riche et célèbre pour mériter un titre aristocratique aux yeux du reste du monde qui ne connaissait rien au pedigree – avec la douane ne pouvait pas être celle réservée par le MACUSA aux marées de visiteurs inondant régulièrement le côté magique des États-Unis. Elle avait beau sourire avec sa mine la plus rassurante, ouvrir sa valise pour prouver que non, elle n'avait rien à déclarer que des livres et des tenues de rechange pour trois jours, elle voulait simplement visiter une charmante ville à l'étranger pour se changer de ne pas aller plus loin que l'Allemagne, Daisy n'en voyait pas moins le douanier frémir nerveusement et lui jeter des regards en coin.

Et puis le douanier en question l'avait remise à un garçon – un garçon même pas en âge d'être diplômé de Poudlard – et lui avait déclaré sans même demander son avis qu'il s'agirait de son guide, passez un excellent week-end à San Fransokyo miss Potter, et s'était sauvé sous prétexte que d'autres voyageurs attendaient de se faire questionner !

Restée seule avec le soi-disant guide, Daisy le détailla attentivement. Des touffes de cheveux blonds émergeant de sous un bonnet sombre – par cette chaleur, vraiment, ce n'était pas raisonnable du tout – des chaussures de sport avachies dont les lacets menaçaient de se défaire – bon moyen de trébucher et de se casser la figure – des yeux écarquillés par l'enthousiasme et un sourire presque trop large pour le visage sur lequel il s'étalait.

Le garçon ressemblait beaucoup à Rolf Scamander, petit-fils de Newt Scamander qui avait gagné la notoriété des milieux naturalistes et littéraires en écrivant plusieurs livres sur les créatures magiques, employant pour ce faire le pseudonyme de Norbert Dragonneau. Daisy avait croisé Rolf à de très brèves reprises, principalement lorsqu'elle acceptait les invitations de sa famille à un match de Quidditch – sa belle-sœur Ginny avait toujours adoré le sport, et était amie avec la femme de Rolf, Luna Lovegood, qui était absolument charmante quand vous refusiez de vous laisser choquer par les radis servant de boucles d'oreilles et les écharpes tricotées à l'aide de cinq pelotes de couleurs variées qui juraient toutes ensembles.

« Alors, vous êtes Miss Daisy Potter ? » lança le garçon, rebondissant pratiquement sur ses semelles en caoutchouc tant il vrombissait d'énergie nerveuse. « Je suis Fred Lee ! Casse-cou professionnel, guide à temps partiel pour cet été, futur auteur de bandes dessinées super-héros mais rassurez-vous, les super-héros magiques ça existe aussi... »

« Je vais devoir vous croire sur parole » annonça Daisy, « la Grande-Bretagne magique n'a pratiquement pas de bandes dessinées, rien que des romans. Oh, elles existent, mais c'est un amusement pour les masses vulgaires ou pire, les Français. »

« Ah, vous ne savez pas ce que vous ratez » se lamenta théâtralement Fred alors qu'ils se dirigeaient vers la sortie du bâtiment. « Enfin, quand on constate la dégringolade actuelle de DC Comics, c'est peut-être pas plus mal… Les gens ne semblent plus capables de se rappeler que l'essence de Superman, c'est d'être un homme assez fort pour ne manifester que de la compassion envers les misérables spécimens d'êtres vivants que nous sommes. Non, tout le monde veut du cynisme, sous-prétexte que c'est plus réaliste, mais pardon, un homme qui peut voler dans le ciel sans aide, sans être un oiseau ou un avion, c'est déjà une belle claque dans la face du réalisme... »

« Le sujet vous passionne, à ce que je vois » commenta poliment la sorcière anglaise qui n'avait pas compris grand-chose à la tirade – même si elle savait qui était Superman, difficile de l'ignorer quand on passait les trois quarts de son temps dans le monde moldu.

« N'importe quoi peut devenir une passion, y compris ce qui ne le devrait pas » philosopha le jeune homme. « Autant se consacrer à un sujet sur lequel on peut dire des choses vraiment intéressantes et profondes, si vous me demandez mon avis. »

Sur ces mots, ils franchirent la porte de sortie et entrèrent dans la ville de San Fransokyo elle-même.

La comparaison avec Londres, Glasgow et les autres villes du Royaume-Uni tenait de l'huile et de l'eau. Même quand les anglais, écossais et gallois faisaient des efforts pour rejoindre la modernité, il n'en pesait pas moins sur les bâtiments le poids des siècles et de l'histoire, la lourde chape des légendes arthuriennes et des conquêtes saxonnes et romaines. Le passé n'était jamais très loin, il suffisait de tourner le coin de la rue pour que le présent s'estompe.

À San Fransokyo, les immeubles de verre étincelant respiraient l'avenir et l'exotisme, un présent qui s'était détaché de ses racines occidentales pour plonger à pieds joints dans le métissage coloré et bruyant, sans une once de remords. Pour un peu, on se croirait presque dans le quartier asiatique – sauf que le quartier asiatique en question englobait la ville entière depuis le tremblement de terre de 1906 ayant permis à la minorité japonaise de gagner en influence grâce à leur rôle dans la reconstruction des lieux, fournissant à d'autres ethnies une porte ouverte par laquelle s'engouffrer.

« Vous vous sentez bien, miss ? » s'inquiéta Fred.

Daisy se tenait immobile sur le trottoir, observant ses alentours d'un œil acéré.

« Pardonnez à une vieille peau née dans le précédent millénaire, jeune homme. C'est tellement… bondé, je ne trouve pas d'autre mot. »

Le garçon haussa nonchalamment les épaules.

« D'un autre côté, c'est les vacances, tout le monde veut passer un week-end à la plage, alors… C'est bien pour ça que vous êtes venue, non ? »

« Oh, si je trouve le temps » rectifia Daisy. « Le but de ma visite est – davantage culturel. Et surtout, j'ai besoin de trouver une surprise pour ma famille. »

Le sourire de Fred refit aussitôt son apparition.

« Ah, d'accord ! Vous avez déjà une idée de ce que vous cherchez, ou vous êtes ouverte à des suggestions ? »

« Ne vous tracassez pas, mon petit. Ça va être très joli. »