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Inferi
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Coucou !
Je reviens avec un nouveau texte sur ce recueil, dans le cadre du Seven Deadly Sins Fest sur le discord Festumsempra (que je vous invite à joindre, si vous voulez discuter HP ou participer à des défis d'écriture). Les liens ne marchent pas sur ffnet mais vous pouvez les trouver sur la version AO3 ou me demander en review/MP. J'ai mis pour info les contraintes à la fin de l'OS.
Ce n'est pas le plus joyeux mais il s'inscrit dans la lignée du Serpent et de l'Oiseau et d'autres textes déjà écrits ou en cours sur le premier Ordre du Phénix.
Bonne lecture !
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[Septembre 1981]
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le voile de l'obscurité t'étouffe chaque fois que s'éteint la lumière et la lumière s'éteint toujours le voile pèse sur tes yeux sur ta bouche si lourd que tu en oublies comment respirer ils respirent les autres tu les imites quand tes poumons se vident quand ta tête embrouille tes idées et que t'assaille la peur paralysante de mourir
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Quand je ferme les yeux, ce sont elles que je vois : leurs mains dans toutes leurs nuances de couleur, de rugosité ou de douceur. J'ai oublié leurs visages, car leurs visages importent peu.
Tous les mêmes.
Les mains n'ont pas disparu. J'ai appris à aimer la confusion et les cris, les doigts qui se referment sur mon bras, agrippent un pan de ma robe ou coulent le long de ma nuque. J'ai compris depuis qu'elles n'étaient que cela : des mains, non plus vivantes mais mortes. Je ne ressens pas l'horreur de mes camarades devant les moldus assassinés qui surgissent du sous-sol, gueule ouverte et dégoulinante de bave, car je sais que c'est autre chose qui me poursuit.
Les soldats de l'Ordre se débattent avec les cadavres, déchirant leur peau blanchâtre avec les ongles. La chair à vif dévoilent les os mais rien ne saigne, nulle douleur n'anime leurs petits yeux déterminés.
Le poing de Sirius s'enfonce dans le nez d'une créature. Projetée en arrière, la face écrasée, celle-ci se relève aussitôt, mue par un instinct plus puissant que la peur. Il hurle et dans sa voix s'est logée la colère, le désespoir. Il se jette sur elle. Pour quoi, en finir ?
Vivants et morts habitent le même tombeau.
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avec le temps tu n'as plus peur du noir car le noir recouvre tout même le pire le noir c'est le vide c'est l'attente comme un gouffre dans lequel tu tombes à l'infini la lumière c'est le sol qui percute ton corps soudain et brutal quand le noir est là tu veux la lumière mais la lumière te fait mal partout à la tête aux yeux devant leurs visages trop laids pour être éclairés
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L'armoire fracassée contre le mur emporte deux Inferi sur son passage. L'un d'eux se relève d'un mouvement malhabile, qui fait craquer sa jambe tordue. Il traîne ses membres boiteux comme une mécanique grippée sans se préoccuper des morceaux de bois fichés dans sa chair.
« Dorcas ! Attention ! »
A peine ai-je baissé la tête qu'Edgar tranche celle de la créature d'un coup de baguette. La tête roule sur le parquet ; la créature se tient debout, reprend sa course comme un poulet décapité qui aurait oublié de mourir. Edgar pivote, taillade une jambe, puis l'autre. Des morceaux de chair putréfiée percutent le sol à leur tour. Il m'adresse un sourire complice avant de repartir à la chasse d'un nouveau cadavre.
Main.
Je sursaute. Absorbée par le spectacle, je n'ai pas vu la créature se faufiler juste derrière moi. Ses ongles ont pénétré ma chair, mais ce n'est pas son contact qui me glace. J'ai l'habitude de côtoyer les morts. Celle-ci est jeune, trop jeune, sa peau n'a pas eu le temps de flétrir. Si j'en oublie son regard vide, peut-être pourrais-je même me persuader qu'elle est encore en vie.
La créature est si proche.
Ses doigts contaminent ma peau, referment des mains puissantes sur mon cou.
L'inferi est doté d'une volonté de fer.
L'inferi grimpe, court, poursuit, mord, déchire de ses mains comme si la vie qu'il a perdue en dépendait.
L'inferi comble le vide par un objectif précis.
L'inferi défie la mort.
Et il est mort.
Je ne ressens rien.
Juste un pincement au cœur devant mon reflet, étonnée qu'il batte encore.
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la faim la soif la douleur combien de temps les pensées se bousculent si fort que tu doutes que ce soit des pensées plutôt des sensations qui n'ont pas l'énergie de prendre corps le temps coule comme une respiration le bruit de la solitude la tienne et la leur et c'est le seul bruit qui retentit dans la cave et il y a longtemps que tu as abandonné l'espoir de parler et les regards ne s'échangent pas dans le noir
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Un torrent de flammes dévore les murs du refuge désert et tourbillonne aux fenêtres, charriant jusqu'à nous une pluie de cendres. Il n'y a rien d'autre à faire avec les Inferi que de les laisser brûler.
J'aperçois un peu plus loin Sirius, agrippé aux branches d'un buisson pour y déverser violemment le contenu de son estomac. A quelques mètres du feu, Emmeline jette sortilège sur sortilège pour purifier sa robe de la souillure. Même Maugrey, une fois les survivants mis à l'abri, ferme son œil bleu et lourd – le vivant, le vrai – devant les cadavres des gamins qui n'ont pas survécu à l'attaque et les marionnettes jetables de Lord Voldemort, désormais brisées.
La bataille a été gagnée. Mais que gagne-t-on contre les morts ? Y a-t-il une odeur de défaite plus évocatrice que celle de la chair humaine en train de brûler ?
« Regarde ce que j'ai ramassé. »
Edgar me tend la petite libellule de bois aux ailes bariolées qu'il m'a offerte il y a quelques années. Il passe un bras autour de mes épaules, puis m'ébouriffe les cheveux comme il aime le faire parfois.
« Tu n'as rien ? »
Mon corps me paraît raide entre ses bras. Une part de moi désire s'abandonner à son étreinte parce que c'est ce qu'il attend : que je devienne la gamine fragile qu'il a sauvée. Mais il a beau être grand, puissant, homme de loi et de certitudes, je connais ses failles. Ils sont tous si inquiets pour moi, ces héros intrépides, statues de pierre que les tempêtes ont rendues si friables. Il a suffi d'un accroc pour déchirer leurs certitudes et que s'étende la plaie, moisissure qui se repait du moindre repli d'ombre, déchirant et morcelant la chair.
Ce n'est pas moi qui leur faut sauver.
Après un rapide examen, Edgar passe un coup de baguette sur la brûlure rougie sur mon bras. Ses mains à lui sont immenses et douces, et malgré un frisson, je ne les repousse pas.
« Tu ne trompes personne, tu sais ? »
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tu as cru au début que les mains étaient tes ennemies et que croire d'autre car il n'y a que des mains parfois tu imagines que tu les mords comme un loup avec des dents aussi puissantes que ta haine et d'autres fois tu vois un seul et même visage pour toutes les mains et c'est ce visage-là que tu veux déchirer et que tu déchireras un jour tu en fais la promesse
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« D'une manière ou d'une autre, déclare Edgar, ils devaient savoir pour Lakenham.
— Par quel biais, les convois ? On a utilisé les portoloins fournis par Mordred. Et tu disais toi-même que la diversion du côté de chez Selwyn avait fonctionné !
— Je n'en sais rien, mais parmi tous les orphelinats, Voldemort choisit précisément celui dans lequel on avait placé le plus de Né-moldus. Je ne peux pas croire que ce soit une coïncidence.
— Alors quoi, un traître ? »
La force du mot jette un froid. Traître. Il est de plus en plus difficile de trouver des lieux sûrs où parler, préparer les actions. Les ennemis sont de plus en plus nombreux ; pour beaucoup, la perspective qu'ils soient aussi dans notre propre camp est terrifiante.
« Pas nécessairement, tempère Fol Œil. Dumbledore a reçu des rapports : on les a vus rôder. Ils surveillent tous les orphelinats. L'un des réfugiés a pu utiliser la magie par inadvertance, ou ils ont envoyé un des leurs pour vérifier.
— Qu'est-ce qu'il fout d'ailleurs, Dumbledore ? marmonne Sirius.
— Il ne viendra pas.
— Après une attaque comme celle-là ?
— Il a des affaires à régler au Ministère. »
Sirius se tait, lèvres pincées.
« Je me charge de vous transmettre ses instructions. Utiliser nos forces pour mettre sous protection rapprochée Trinity Home et Frozen River. Il faut qu'on sache s'ils n'ont pas été découverts en même temps que Lakenham. Il faudra aussi s'intéresser à la section portoloin, peut-être que quelqu'un a intercepté une information sans qu'on le sache.
— Ou à Mordred, murmure Edgar. A part nous, lui seul connaissait l'adresse. »
Dans l'assemblée, des hochements de tête épuisés. On ne fait rien d'autres ces derniers temps. Réagir. Limiter les dégâts. Déclarer son soutien à Dumbledore est devenu si dangereux qu'à moins d'un fiasco comme celui-ci, nos alliés en sont réduits à se cacher, incapables de faire davantage que d'espionner en vain, puis de rapporter leurs observations lors de réunions dont l'unique objectif est de ne pas perdre la face.
C'est comme si Voldemort avait déréglé le mécanisme du temps : chaque mouvement d'aiguille nous éloigne de l'action pour nous enfermer dans une dimension brumeuse, lointaine, où les anciennes règles n'ont plus court. Derrière ses œillères, Dumbledore ne voit pas que cacher des innocents équivaut à jouer selon les termes de Voldemort, qu'il nous jette des gamins en pâture pour nous distraire le temps de broyer le monde en toute tranquillité.
« Comment on s'organise ?
— Suffit de se les répartir », répond Fol Œil, mais je l'écoute à peine.
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es-tu morte trop de noir de vide de silence la question se pose parfois une respiration de moins et tu es soulagée que ce ne soit pas la tienne ils détachent un corps dans la lumière vive tu te demandes où il va et s'il existe d'autre tombeau que celui-là et si oui mourir est-il une si mauvaise chose
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« Un problème ? »
Ils voudraient que je me poste devant leur orphelinat, qu'en bon soldat je prenne ma part de sauvetage des plus démunis. Dans l'attente de ma réponse, le silence se fait.
« On a besoin de tout le monde sur ce coup-là.
— Ce sera sans moi. »
Ma voix est froide ; l'œil artificiel de Maugrey l'est plus encore.
« Ils attaqueront, c'est une certitude.
— On pourrait tous les regrouper à Poudlard, murmure Emmeline.
— Pour qu'ils attaquent Poudlard ?
— Ils attaqueront où qu'on les mette. »
Je les vois qui tressaillent. Edgar ouvre la bouche mais je l'arrête.
« J'en assez de tuer des cadavres. Vous ne comprenez pas que c'est ça, leur plan ? Nous occuper avec des missions vouées à l'échec pendant qu'ils contaminent les sphères du Ministère, qu'ils prennent le reste du monde en otage ?
— Alors quoi, on laisse les gamins crever ?
— Regarde les choses en face, Fol Œil. Si ce n'est pas ceux-là, ce sera d'autres.
— Comment toi, tu peux dire ça ? »
Une sensation nauséeuse m'envahit la bouche. Toi, la victime. Parce que je suis ça pour lui, et seulement ça.
Redevable de ma vie.
« Tuer Voldemort. »
Ma voix sort des rails, crisse contre leur jugement sans appel.
« Ça devrait être notre priorité.
— Le tuer... Tiens, on n'y avait jamais pensé.
— Je parle juste de prendre les devants. De briser ce putain de cercle vicieux dans lequel on s'est embarqué. »
Maugrey secoue la tête.
« On a une responsabilité, Meadowes, assène-t-il froidement. On a placé ces gens ici, c'est notre devoir de les protéger lorsqu'ils deviennent vulnérables.
— Alors on va perdre.
— J'ai dit non. Ordre de Dumbledore.
— Ah. Dumbledore... »
Le mot magique, qui fait disparaître la contestation sous son voile de mystère. Dumbledore et ses plans brumeux, servis à coups de Faites-moi confiance, où la prudence n'est de mise que quand ça l'arrange. Maugrey distribue les rôles sans égard pour mes réticences. Les autres accueillent la décision avec un soupir soulagé ; c'est plus facile de se laisser porter.
Sécurité et bienséance. Si seulement ça suffisait. Rester bien gentiment dans notre rôle, les bons, les défenseurs du droit. Mais ça ne suffit pas. Je ramasse mon sac, ignore la main tendue d'Edgar et quitte cette pièce qui m'étouffe ; j'ai compris d'où vient l'odeur de la défaite – on ne veut pas gagner.
« Dorcas ! »
Une main agrippe ma robe, m'attire dans une cavité du mur. Sirius me fait face. Je cherche à me dégager mais son regard me happe, un regard gris et creux, le fond d'une mine sur le point d'exploser.
« Qu'est-ce que tu veux ?
— T'as raison.
— J'ai... quoi ?
— On est en train de perdre », souffle-t-il.
Bizarre de l'avoir face à moi, lui qui préfère m'éviter la plupart du temps. Lui qui m'appelle la folle dans l'oreille de James, qui regarde avec méfiance les objets trafiqués que je fournis à l'Ordre. Pas que ça ait la moindre importance. La méfiance – même hypocrite – est préférable à la pitié.
« Je vais me répéter : qu'est-ce que tu veux ?
— Prendre les devants. »
Je l'ai connu rieur, insupportable et sûr de lui ; malgré la détermination, je le sens sur un fil, proche de l'effondrement.
« Tu as un plan, pas vrai ? Tu as toujours un plan.
— Tu prendrais le plan d'une folle ? »
Il hausse les épaules.
« Je suis fatigué. Alors peut-être que je suis fou, moi aussi. »
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tu apprends à communiquer avec les mains et les doigts tes ongles cognent l'un contre l'autre tap tap tap et brisent la valse des respirations devenue silence ils répondent tap tap on est là avec toi et tap tap courage et ton imagination prend le pas sur la sensation des aiguilles dans ta peau et la peur que le noir a emportée avec lui tap tap tap on va s'en sortir tap tap tap ils ne nous briseront pas tap tap tap jamais jamais jamais
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Je collectionne les billes et les petits objets inutiles : dés, fèves, porte-clés. Je fais des alliances, j'expérimente. L'électricité se marie-t-elle à la magie ? Que peut-on faire avec un peu d'essence dans un récipient et une baguette entre les mains ?
La petite libellule tourne entre mes doigts. « Ma fille l'a fabriquée. Pour toi. Dans la culture indienne, elle symbolise l'âme d'un mort, tu le savais ? » Edgar raffole des symboles et des mythes obscurs, écume avec plaisir les pavés informatifs et poussiéreux qui composent sa bibliothèque. A l'époque où je vivais chez lui, son plus grand plaisir était d'en ouvrir un au hasard et de m'en réciter des passages jusqu'à ce que je crie mes regrets de la cave sous ses éclats de rire.
Je regarde la libellule et ne peux m'empêcher de me demander si c'est mon âme qu'elle renferme. Ma liberté, peut-être. Animal si frêle, aux ailes si fragiles.
Plus que la cave, il n'y a autour de moi que des portes fermées, que je ne suis pas digne de franchir. Ils me disent sale, au sang teinté de boue, comme si cela me rendait moins humaine. Ou comme si cela les rendait, eux, plus divins.
Les attaques dramatisées, les meurtres spectaculaires, cette peur qui nous étouffe et notre impossibilité à les sauver, rien n'est laissé au hasard. Voldemort ne veut pas seulement gagner, il veut détruire. Il veut marquer en nous, dans les profondeurs de notre psyché, la faiblesse de notre ascendance, inscrire dans nos gènes la supériorité de la sienne.
Mais l'orgueil est une faiblesse. C'est par cette faiblesse que je le tuerai. Je lui ferai miroiter l'accomplissement de ses plus grands désirs, tout ce qu'il pourrait prendre, et qui se refuse à lui.
C'est facile, pensera-t-il. Si facile qu'il viendra lui-même, incapable d'envisager sa chute. Un coup de baguette et la libellule prend son envol. Lui. Et sa chute, il la provoquera lui-même. Ni Inferi, ni sbire de bas-étage. Non, Lui. Car son cœur bat, n'est-ce pas ? Les corps qu'il nous envoie ne sont que des corps mais le sien, si détraqué soit-il, pulse la vie, il éprouve et il souffre. Et cette fois, il n'y aura face à moi nulle autre main que la sienne.
Lorsque j'explique les détails de mon plan à Sirius, je le vois qui pâlit, lui aussi. Il ne me contredit pas, n'objecte pas les conneries habituelles : trop risqué, trop stupide. Il ne dit pas qu'il est impossible à vaincre. Que c'est du suicide. Il me dit simplement :
« Promets-moi que tu n'en parleras pas à James. »
Et ça dit tout.
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comme des vagues qui portent les choses mortes sur la berge les souvenirs t'assaillent quand le ciel tempête et ils refluent d'un coup pour laisser la place au noir calme des profondeurs l'eau qu'ils te donnent est salée et parfois tu penses que c'est ta propre sueur mais tu bois et lorsque c'est un liquide âcre ou acide avec des grumeaux à l'intérieur tu bois aussi pas le choix tu veux encore mordre mais peut-être qu'ils ne te tueront pas si tu es obéissante
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« Vous comptiez vous amuser sans moi ? »
Il est entré en même temps que Sirius, qu'il tient d'une poigne ferme comme s'il craignait qu'il ne s'envole. Il me contemple de son air sévère sous son chapeau haut-de-forme. Je connais son regard, le regard intimidant du grand avocat, je connais la déception qui entre en moi et déchire d'un trait mes entrailles.
« Edgar...
— Piéger Voldemort, hein ? Sirius m'a expliqué ton... plan.
— Je veux le tuer.
— Tu as toujours été audacieuse. »
Je retiens mon souffle tandis qu'il saisit une bille entre ses doigts, avant de l'examiner à la lumière.
« Sortilège protéiforme ?
— Oui. Sirius sera prévenu à l'instant où j'actionne la mienne qu'il doit immédiatement transplaner. Une fois le minuteur enclenché, il n'aura que quelques secondes.
— Je vois. Ce n'est pas un mauvais plan. Mais à deux, c'est du suicide. »
Son visage m'apparaît fatigué, lui aussi. Je comprends qu'il ne me dénoncera pas. Il n'appellera ni Maugrey ni Dumbledore. Aurais-je préféré ? Edgar repose doucement la bille.
« Il nous en faudra d'autres.
— Tu n'es pas obligé...
— Pas seulement moi. Les Prewett pourront aussi nous aider. Il nous faudra un timing impeccable, Dorcas. Ne rien laisser au hasard. Blinder les défenses. Tellement les blinder que Lui seul pourrait les fissurer. Et nous assurer qu'il pense vraiment que nous lui offrirons ce qu'il désire le plus.
— Je sais. »
Edgar hoche la tête.
« Je suis sûr que vous ferez des Potter formidables, tous les deux. »
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tu n'es pas morte pas encore ou peut-être que tu es morte peut-être que les mains tu les rêves et qu'il n'y a pas de mains peut-être que le visage que tu vois en rêve est réel peut-être que la lueur existe et les hommes en noir qui surgissent de nulle part en disant des mots que tu ne comprends pas et en te prenant dans leurs bras avec leurs mains mains mains encore partout et même dans les draps blancs de l'hôpital il y a des mains mais est-ce un hôpital ou un autre cauchemar il y a encore des aiguilles tu hurles tap tap tap il n'y a aucun bruit tu es morte Dorcas tu es morte
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Une fois les rôles répartis, les costumes enfilés, les acteurs prêts, le rideau s'ouvre sur Sirius qui se faufile, une fiole de polynectar dans la poche, entre les murs sombres de l'Allée des Embrumes. Une fois dans l'échoppe, il suppliera Mordred de lui fournir un portoloin en secret, lui fera promettre de ne rien dire au Ministère de son départ. « Aide-nous. Il nous cherche. » Imprudent, paniqué, il donnera en toute confiance à son ami l'adresse provisoire où il s'est réfugié.
Voldemort tombera-t-il dans un piège aussi grossier ? Résistera-t-il à la tentation ? Celle de vérifier, de voir ? Quel rôle jouera-t-il ? La victime ou le bourreau ? Le trompeur ou le trompé ?
Sirius et moi nous sommes réfugiés dans la planque N°4, un vieux manoir appartenant à un oncle d'Elphias situé dans la campagne autour de Bamburgh. Edgar s'est occupé d'édifier les défenses. Notre territoire. Nos règles. Le visage de Lily Potter me regarde dans le miroir. Ultime précaution, une poupée chauffée à 37°C fait un somme dans le salon.
Les yeux rivés sur le ciel noirci, où nulle étoile n'a germé encore, j'écoute les murs du manoir vibrer sous la pression du vent. Il est minuit passé lorsque s'enclenche la première alarme.
« Il arrive. »
Le champ de force se fissure, vole en éclat. Lui. L'espoir me traverse – qui d'autre sinon Lui peut détruire une telle magie ? Des silhouettes noires s'abattent sur le jardin. Une déflagration brise la vitre du salon. Des voix s'entremêlent. L'adrénaline pulse dans mes veines. Ils sont à la porte. Trop tard pour avoir peur, trop tard pour regretter. J'actionne le nouveau champ de force, celui qui les fera prisonniers. Si je ne le lève pas, aucun de nous ne pourra transplaner.
La porte explose et de la nuit jaillit la lumière. J'entends un nom qui n'est pas le mien. Lily. J'attrape la poupée et cours en direction des escaliers. Si Voldemort veut Harry, comme le prétend Sirius, il n'aura pas d'autre choix que de me suivre.
Derrière moi, Fabian hurle un sortilège. Lui et son frère retiennent les ombres qui se pressent aux fenêtres. Je continue de grimper les escaliers, marche par marche ; une fumée noire me frôle, me fait trébucher. La poupée serrée contre moi, j'avance. Tout pour ne pas penser à Edgar en bas, tout pour ne pas m'effondrer. Je me précipite dans la première chambre et claque la porte.
A nouveau, la porte explose.
Lui.
Il me regarde, une curiosité malsaine plaquée sur son visage. Un visage qui n'a d'humain que le nom. Ses yeux reptiliens ont deux fentes pour pupilles. Sa peau a l'apparence d'un marbre vieilli, pâle et lisse, couturé de fines veines dans lesquelles je devine que le sang ne passe plus. Je serre toujours la poupée, chaude comme un petit être humain, contre ma poitrine. Il la regarde avec avidité.
La libellule bat des ailes entre mes doigts.
« Ecarte-toi.
— Non. »
Il sourit, incrédule.
« Donne-moi l'enfant. Tu n'as pas à mourir. »
Moi non. Toi, oui.
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les blouses blanches s'enchaînent comme les perles d'un fil et ce sont toutes les mêmes tu ne peux faire confiance à personne ils te parlent encore et encore mais leurs mots se perdent dans les flashes et les souvenirs et la douleur qui ne part pas et tu n'oses pas demander où est ta famille tu connais déjà la réponse
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« C'est ça que tu veux ? »
La poupée roule sur le sol, débarrassée du drap qui la protège. Voldemort pose sur elle un regard froid. Il faut deux bonnes secondes pour comprendre.
« Je ne suis pas Lily Evans. Juste une autre Née-moldue. Mais c'est du pareil au même pour toi, pas vrai ?
— Qu'est-ce que c'est, une mise en scène ?
— Une manière comme une autre de te rencontrer enfin. »
J'oublie tout quand je regarde ses yeux. J'oublie les mains, j'oublie l'horreur ; les miennes s'animent, j'ai un objectif à atteindre.
« On ne se connaît pas alors ?
— Moi, je te connais. J'ai été enfermée, testée, torturée par tes soins.
— Une vengeance, souffle-t-il.
— Personnelle.
— C'est ça, le condensé de magie que tu tiens entre tes mains ? »
Il n'est pas comme les autres. Je ne suis pas idiote. Il ne mourra pas d'un simple sortilège. Mais il est là, face à moi et il me suffit d'un battement d'ailes pour en finir, pour tout brûler, tout effacer.
« Petite idiote », murmure-t-il en levant sa baguette.
Ça va trop vite. Ma main effleure la libellule, paniquée. J'ai encore besoin de lui cracher ma haine à la figure. Un jet de lumière vive traverse la pièce et Voldemort l'écarte de justesse.
Edgar.
« Le champ de force, Dorcas... Maintenant ! »
Non.
Il le sentira. Il transplanera – eux tous – à la seconde où il aura disparu. Il transplanera et ce sera trop tard.
« Ils sont trop nombreux en bas... Tu dois... »
Il s'arrête. Enfin, il comprend.
« Tu n'as jamais prévu qu'aucun de nous puisse partir. »
Voldemort nous regarde. L'un, puis l'autre. Edgar a toujours sa baguette pointé sur lui, attentif au moindre de ses mouvements, mais je sens que son attention tout entière est tournée vers moi, vers la décision qu'il me reste à prendre. Je me demande si Sirius y a cru ou s'il a accepté son destin pour offrir aux Potter traqués la vie qu'ils méritent. Je me demande depuis quand Edgar sait au fond de lui-même. Les billes étaient supposées nous laisser une chance de transplaner avant que tout n'explose, donnant l'information de l'annulation du champ de force. Mais je ne peux pas risquer qu'il transplane, lui aussi. Je ne peux pas.
« Tu n'étais pas censé venir... »
Edgar tressaille. Retentit la voix aiguë, incrédule, de Lord Voldemort.
« Tu crois vraiment qu'une explosion suffirait à me tuer ?
— Oh, cette explosion ne laissera personne en vie dans le Manoir, vous pouvez me croire. »
La libellule s'anime dans le creux de ma main. Ma création. La mienne. Une magie de force vitale, noire peut-être, qui puisera en moi la force d'ôter la vie de tous les autres dans le territoire que j'ai précédemment délimité.
« Tu les tuerais tous... pour moi ?
— Dorcas... »
La voix d'Edgar est suppliante. Une inflexion que je ne lui connais pas. Voldemort fait un pas vers moi, aussitôt imité par Edgar.
« Ne m'approchez pas ! »
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il s'est proposé pour t'accueillir et tu l'as détesté d'abord avec ses manières ampoulées et son chapeau ridicule tu l'as détesté et tu lui as fait comprendre et quand il a proposé que tu retournes à l'école tu lui as craché toute ta haine et ta peur et ta solitude il t'a regardé simplement regardé il t'a dit ok tu restes il t'a dit avec moi il y a des règles et il y a du respect il t'a dit les règles c'est qu'on ne t'abandonne pas jamais et tu n'abandonnes pas non plus il t'a dit tu es sortie de l'enfer Dorcas tu es en sécurité ici
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Je vois la peur dans leurs yeux, à tous les deux. Edgar songe à Fabian et Gideon, en bas, aux prises avec les Mangemorts, se demandant sans doute pourquoi la bille ne s'active pas, à Emmeline aussi, à tous ceux qui sont venus nous donner un coup de main. Peut-être qu'ils sont tous déjà morts. Peut-être même depuis longtemps. Mais qui ici ne l'est pas ?
« Il faut qu'on en finisse, Edgar. C'est pour ça que tu es venu, non ?
— Je suis venu pour toi.
— Tu préfères que je vive plutôt qu'il ne meure ? »
Ma voix est incrédule. Voldemort se tient devant moi, enfin un visage sur l'horreur, mais je n'ai plus peur. Pas de lui. Il ne peut rien me faire qu'il ne m'ait déjà fait. Mais Edgar est là, lui aussi.
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tu es en sécurité ici
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« Dorcas... »
Mon nom, encore, le nom d'une inconnue. Je caresse la libellule. Le mécanisme s'actionne. Il hurle. Saisit sa bille entre ses doigts. Et sa baguette.
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la voix est suave jeune son visage est flou quand il éclate de rire dans tes cauchemars quand il te murmure que tu as quitté la cave que maintenant la cave c'est toi tap tap tap tu sais tout au fond de toi que les autres lieux sont des mensonges il n'y a de sécurité nulle part si la cave c'est toi le noir le vide l'abîme même quand Edgar décide d'allumer la lumière
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Une lumière vive, verte, surgit devant moi. Ce n'est pas une surprise. Pas vraiment. Dans le temps qui s'arrête je croise son regard triste, déterminé, un regard d'excuse – celui de n'avoir pu me sauver. Tout explosera. Ce n'est qu'une question de secondes. A l'instant où le rayon vert frappera ma poitrine, le champ de force disparaîtra, et Voldemort avec lui.
Je me demande ce que dira Edgar.
Je n'ai pas eu le choix, elle nous aurait tous tués.
Elle est morte courageusement, de la main même de Voldemort.
Je n'ai pas de doute sur le sujet.
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tu es en sécurité ici
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Il n'est plus à un mensonge près.
Mon cœur s'arrête. Le rideau s'écrase sur la scène.
Et enfin, enfin, tout disparaît.
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[Fin]
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Contraintes :
Péché : l'orgueil
Prompt : "Tant qu'à être fier-e de quelque chose, ce serait bien s'il s'agissait d'une chose honorable."
Video : The Greatest Showman – Never Enough.
Limite de mot : 4,5k.
Merci d'avoir lu !
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