CHAPITRE 30 : SUCCES ET ATTAQUE
Mardi 1er août 1978
Lily observa le petit appartement miteux dont elle venait d'obtenir les clés, le cœur rempli de joie. Une trentaine de mètres carrés, à peine, dans un quartier du Londres moldu conseillé par Sofia. Son premier chez-elle. Leur chez-eux. Le début d'une longue vie à deux… et peut-être à plus de deux d'ici à quelques années.
La cuisine de l'appartement était ridiculement minuscule. Elle contenait tout juste plus qu'un vieux poêle et un évier qui gouttait toutes les quelques secondes. Le seul plan de travail disponible était recouvert de faïence ébréchée avec des joints grisâtres qui devaient autrefois être blancs. Les étagères étaient branlantes, recouverte d'une peinture jaune criarde passée. Le carrelage au sol avait connu des jours meilleurs. Lorsque James l'avait vue, il avait froncé son nez de fils de riches délicat. Puis, Lily avait souri de toutes ses dents, trouvant un charme certain à cette pièce qui avait une histoire. Alors, James n'avait rien dit et s'était juste promis de lancer autant de récurvite que nécessaire avant d'accepter de manger quoi que ce soit venant de cet endroit.
Le salon, tout aussi minuscule que le reste de l'appartement, faisait également office de salle à manger, d'entrée et de bureau. C'était surtout la seule pièce munie d'une fenêtre. La moquette était d'un gris sale, qui avait dû être beige à une autre époque, et couverte de tâches à l'aspect douteux. Des traces d'humidité couvraient l'un des murs orange, dessinant des motifs abstraits sur le plâtre peint. James, devant la joie évidente de Lily, n'avait encore une fois rien dit de l'urticaire que lui donnait le lieu.
La chambre, quant à elle, contenait à peine le lit double que Sirius et James avaient installé à l'intérieur quelques minutes plus tôt. Une toile d'araignée impressionnante ornée toujours l'un des angles de la pièce. L'odeur de renfermée y était douloureusement incrustée et les deux jeunes garçons avait installé les affaires de James dans le placard la mort dans l'âme. Ses pulls en cachemire ne s'en remettraient jamais.
La salle de bain, enfin, avait plus de taches au mur qu'un dalmatien. L'évier et la baignoire étaient d'une affreuse couleur verte Serpentard. Sofia avait charrié James à ce sujet pendant tout le déménagement sous le regard doux de Lily. Il avait gardé la tête haute. Il pouvait sacrifier son orgueil si cela permettait à Lily de payer la moitié du loyer comme elle y tenait tant. Il pouvait sacrifier son cachemire si cela voulait dire que les robes de Lily étaient pendues à côté de ses vestes. Il pouvait sacrifier son bon goût pour les tapisseries riches et élégantes si cela voulait dire vivre chaque matin avec elle.
Chez eux.
Il n'aurait pu rêver mieux.
Sofia passa la porte d'entrée, les bras encombrés d'une énorme plante que Lily avait refusé de miniaturiser, de peur de l'abîmer. L'accent russe de la jeune femme résonna dans la pièce alors qu'elle lui demandait :
— Où comptes-tu mettre cette énormité ? Je ne suis même pas sûre qu'elle tienne dans ton salon…
Lily rit doucement – parce que c'était en fait vrai – et se mit au travail pour trouver le nouveau lieu de vie de sa plante. Dix minutes plus tard, elle concéda le fait de la miniaturiser, à la grande indignation de Sofia qui avait dû monter cinq étages avec la plante énorme dans les bras. Lily la place sur l'un des bords de fenêtres à la propreté douteuse. Caressant doucement les feuilles de la plante, elle lui murmura :
— Ne t'en fais pas, ma beauté, je te rendrai bientôt ta vraie taille.
Quelques heures plus tard, les affaires de James et Lily avaient finalement trouvé leur place. Sofia était en train de laver les assiettes que les parents de Lily lui avaient offertes, tandis que Lily lançait des sortilèges de nettoyage sur chaque centimètre carré de la cuisine. Sirius tentait d'accrocher quelques cadres sous les indications données par la rousse, les regardant d'un air agacé alors qu'ils penchaient tous vers la droite. James, quant à lui, tentait sans succès de changer la couleur de la baignoire. Sofia lui sourit narquoisement quand il renonça finalement.
La journée avait été longue et épuisante, malgré la magie. Remus et Peter les avaient rejoints en début d'après-midi et ils avaient, tous ensemble, nettoyé l'appartement de fond en comble. Le lieu était maintenant chaleureux, bien que composé de couleurs criardes et toujours exiguë, surtout avec eux six à l'intérieur.
En remerciement pour leur aide, Lily leur proposa de se diriger vers une pizzeria moldue pour y manger un dîner tous ensemble. La soirée fut joyeuse, bruyante et emplie de souvenirs heureux pour tous.
N'habitant plus qu'à une vingtaine de minutes de marche de chez James et Lily, Sirius et Sofia prirent la décision de rentrer à pied plutôt qu'en transplannant. Comme toujours, lorsqu'elle se trouvait en public, Sofia avait bu du Polynectar. Cependant, elle profitait de ce moment rien qu'à eux avec délice.
Ils marchaient main dans la main, flânant dans les rues sur lesquelles la lumière du soleil déclinait. L'air était chaud malgré l'heure tardive, et l'alcool qu'ils avaient bu au cours de la soirée les étourdissaient quelque peu. Ils marchaient d'un pas lent, admirant les vitrines des disquaires et, à l'occasion, les réalisations des tatoueurs du quartier.
Tout en marchant, Sirius caressait de légers motifs sur le dos de la main de Sofia. Il était également en train de lui raconter avec applications les dernières modifications qu'il avait effectuées sur sa moto.
— Je compte aussi modifier l'alternateur, je pense qu'elle en aura besoin pour voler. Mais il faut que je fasse ça en douce, car le service de détournement magique des objets moldus risque de me tomber dessus sinon.
— Es-tu en train de m'avouer enfreindre la loi, Black ?
Sirius lui jeta un regard amusé :
— Bien sûr. Cela va-t-il me conduire en prison ?
— Bien sûr que non. Par contre, cela risque fort de précipiter notre retour au sein de notre lit.
— Parfait, c'était ce que j'espérais.
Sofia éclata de rire et ajouta d'un air pensif :
— Quand je pense que Lily et James doivent avoir le même programme que nous ce soir.
— Beuuurk Sof' ! Je ne veux pas imaginer James dans cette position, quelle horreur !
Elle roula des yeux et déclara :
— Ils viennent d'emménager ensemble et je ne serai pas étonnée qu'ils se marient dans l'année à venir, tu penses vraiment qu'il va dormir sur le canapé ?
— Non, bien sûr que non. Mais c'est différent d'en avoir vaguement conscience et d'en avoir réellement conscience.
— Imbécile. Allez, dépêche-toi. T'entendre parler d'enfreindre la loi m'a donnée envie de dîner.
— On vient à peine de dî-... Oh ! s'exclama-t-il une fois que la révélation le frappa.
Un léger rougissement se rependît sur ses joues et il se sentit durcir. Après un coup d'œil alentours, il attrapa le bras de Sofia et la tira dans une ruelle sombre, à l'abri d'une benne à ordure. Il l'embrassa à pleine bouche et les fit transplanner directement sur leur lit. Tant pis pour la marche digestive, une autre sorte de sport les attendait. Et puis, qui était-il pour refuser à Sofia son dessert ?
Vendredi 4 août 1978
Sofia, comme depuis plus d'un an déjà, s'entraînait à se transformer sur demande. Minerva, qui l'aidait toujours dans cette tâche, n'arrêtait pas de lui dire qu'elle approchait de la réussite un peu plus à chaque séance. La jeune femme le sentait en effet dans ses os : cette sensation qu'elle ressentait à chaque pleine lune, cet appel, ce tiraillement. Elle était sur le point de parvenir à le reproduire par une banale après-midi d'été.
En sueur, au centre de la salle de classe désaffectée qui lui servait de salle d'entraînement, elle s'appliquait à concentrer toute sa volonté et sa magie vers son objectif : faire sortir le loup à la surface.
Elle y était presque. Elle le sentait. Il lui manquait juste quelque chose pour réussir. Seulement un petit quelque chose…
Agacée, Sofia se mordit l'intérieur de la joue de colère. Et tout bascula.
Le loup fut précipité à la surface par la douleur causée par la morsure. Tous ses os craquèrent et s'allongèrent. Les poils brûlèrent sa peau lorsqu'ils apparurent sur son corps. Sa mâchoire se brisa pour prendre la forme de celle d'un loup. Ses dents déchirèrent ses gencives pour atteindre leur taille lupines. Tout n'était que douleur, brûlure et souffrance. Tout le contraire de ses pleines lunes qui n'étaient qu'un sentiment de libération.
Alors que Sofia sombrait dans l'inconscience, elle comprit qu'elle s'y était mal prise depuis un an : changer à volonté n'était pas comme changé à la pleine lune, c'était tout l'inverse. C'était contre-nature. C'était mal. Et c'était foutrement douloureux.
Lorsqu'elle ouvrit finalement les yeux, elle se trouvait dans son lit. Dans son appartement. Et tout son corps n'était qu'une immense masse de douleur. Elle grogna face à ce constat et entendit des pas précipités venir dans sa direction. Sirius. Sa voix moqueuse cachait très mal son inquiétude :
— De retour parmi nous, Petrov ?
— Je crois, croassa-t-elle d'une voix enrouée.
Sirius apparut finalement au-dessus d'elle et repoussa d'une main les cheveux trempés de sueur qui couvraient son front.
— Comment tu te sens ?
— Comme si un troupeau d'Hippogriffe m'avait utilisé comme balle de jeu. Durant une semaine entière.
— Tu m'en diras tant, souris son compagnon. Je vais appeler Mme Pomfresh, reste tranquille.
— Comme si je pouvais bouger le moindre muscle.
Sirius rit, même si les cernes sur son visage montraient clairement qu'il avait, lui aussi, passé un mauvais moment à se rouler dans l'inquiétude. Sofia dormait avant même qu'il n'ait descendu les escaliers pour se diriger vers la Cheminée.
— Mademoiselle Petrov, vous m'entendez ?
Sofia ouvrit un œil vitreux pour trouver l'infirmière scolaire au-dessus d'elle.
— Comment vous sentez-vous ?
— Pas super, marmonna-t-elle pour la deuxième fois.
— Quelle partie du corps vous fait-elle le plus souffrir ?
— Toutes ? tenta Sofia, ce qui dit sourire l'infirmière.
— Je m'en doutais. Alors, je vais vous prescrire une potion anti-douleur à prendre matin et soir pendant dix jours. Vous devrez également prendre trois potions de régénération sanguine : une tout de suite, une demain soir et une le sur-lendemain. Enfin, je vais vous laisser un baume cicatrisant qui devrait effacer le plus gros des cicatrices sur vos mains.
Devant le regard vitreux de Sofia, Pomfresh se tourna vers Sirius qui hocha la tête d'un air sérieux.
— J'ai tout enregistré Madame, pas d'inquiétude. Je vais prendre soin d'elle.
— Je n'en doute pas, dit l'infirmière d'une voix douce.
Sofia se rendormit dès sa potion anti-douleur et celle de régénération sanguine avalée.
Lorsqu'elle ouvrit les yeux pour la troisième fois, le jour se levait seulement. Sirius dormait à côté d'elle, le nez niché dans sa nuque. Son corps était engourdi, et il lui semblait impossible d'envisager de sortir du matelas. Pourtant, elle ressentait une très violente envie de pipi.
D'une voix rauque, puisqu'elle se sentait incapable de remuer un membre, elle grogna :
— Sirius ?
Ce dernier ouvrit instantanément les yeux. Tout en l'inspectant d'un regard inquiet, il leva un sourcil interrogateur quant à sa demande.
— Rien de grave, j'ai juste envie de pipi et je me sens incapable de lever ne serait-ce que le petit doigt.
Sirius laissa échapper un rire endormi chargé de soulagement et se leva pour l'emmener aux toilettes. Depuis le début de leur cohabitation, ils avaient laissé tomber les barrières de la pudeur encore attachées aux besoins naturels.
Une fois ce besoin assouvi, Sirius porta Sofia jusqu'au canapé pour lui permettre de manger un petit peu. Il lui servit une tasse de café, un bol de porridge aux pépites de chocolat et à la noix-de-coco, ainsi que ses potions anti-douleurs.
Une fois le petit-déjeuner avalé, et malgré l'heure très matinale, Sirius demanda à Sofia de lui raconter sa version des événements :
— Le Professeur McGonagall m'a dit que tu avais réussi à changer complètement… Mais qu'en quelques secondes, tu gisais dans ta forme humaine au milieu d'une mare de sang. Je crois que tu lui as donné la peur de sa vie. Que s'est-il passé ?
Sofia pinça ses lèvres et prit une nouvelle gorgée de café.
— J'ai trouvé le facteur que me permet de déclencher le changement hors pleine lune. Comme ma forme lycanthrope n'est pas une forme classique, ma forme animagi ne l'est pas non plus. Je ne sais pas vraiment comment t'expliquer ce que j'ai ressenti…
Elle reprit une gorgée de café le temps de mettre de l'ordre dans ses pensées et Sirius attendit patiemment de son côté. Finalement, elle tenta d'exprimer ses ressentis :
— Habituellement… À la pleine lune, je veux dire, lorsque je change, c'est naturel d'une manière qu'il est difficile d'expliquer. En une seule seconde, je prends ma forme lupine et c'est naturel, normal. C'est ainsi que les choses doivent être, et cette certitude est profondément ancrée en moi.
Elle plongea ses yeux dans ceux de Sirius pour voir s'il prenait la mesure de ce qu'elle expliquait.
— Je sais que, contrairement à Remus, la transformation ne te fait pas mal.
Sofia hocha la tête et lui dit :
— C'est plus que ça, Sirius. La transformation est naturelle. Je suis toujours autant le loup que Sofia, tous les jours de ma vie. Mais quand je change, c'est libérateur. J'ai l'impression de pouvoir laisser une partie de moi s'exprimer pleinement, une partie qui est bridée le reste du temps.
Sirius avait l'air pensif. Sofia soupçonnait qu'il était seulement en train de prendre la mesure de ce que les changements à la pleine lune représentaient pour elle. Elle continua :
— Hier, c'était différent. C'était mal Sirius, tellement mal.
Elle frissonna légèrement au souvenir de douleurs et à ce sentiment de malaise. Cette sensation qu'elle avait profondément ressenti de faire quelque chose d'interdit, de contre-nature.
— Je me suis mordue la joue, et la douleur a déclenché le changement. Il n'y avait rien de libérateur, rien de beau ni de naturel. C'est juste de la douleur et un profond sentiment de faire quelque de mal.
Sirius lui prit doucement la main lorsqu'il constata qu'elle avait les larmes aux yeux. Il n'avait vraiment pas l'habitude la voir pleurer qu'il s'en trouvait démuni. Il pensait innocemment qu'elle pleurait sa douleur et son souvenir, mais elle plongea finalement ses yeux dans les siens et lui dit d'une voix blanche :
— Si ce que j'ai ressenti hier ressemble à ce que Remus ressent chaque mois… Oh par Merlin, Sirius, tu n'imagines même pas...
Sirius sentit sa gorge se serrer. Il n'avait pas une seconde pensé à son ami dans cette situation, mais bien sûr que Sofia l'avait fait. Elle le regarda et lui dit :
— Je pense que ma lycanthropie est inversée. Le changement est sans douleur à la pleine lune, mais je ressens pleinement les effets en dehors. Surement une mutation du gène au sein de ma famille ou quelque chose comme ça. Dans tous les cas, je ne veux plus jamais avoir à vivre ça.
Elle se mit à trembler et Sirius la serra contre lui. Puis, alors qu'ils dérivaient vers un sujet de conversation plus léger, il se mit à appliquer doucement sur chacune de ses plaies le baume cicatrisant donné par Madame Pomfresh. Il était temps d'effacer toutes les traces de cette mauvaise expérience.
Vendredi 14 août 1978
La pleine lune l'avait inquiétée depuis sa récente expérience de transformation. Sofia était inquiète d'avoir perdu le lien avec sa partie lupine en la forçant à sortir. Elle avait donc peur de revivre l'horrible transformation qui datait déjà d'il y a une dizaine de jours.
Son corps avait retrouvé son tonus. Les cicatrices avaient disparu, effacées par le baume de l'infirmière scolaire. Ses muscles n'étaient plus endoloris et elle avait repris des forces. Du côté de son esprit, c'était une autre affaire. Elle avait une blessure à l'âme qui mettrait du temps à cicatriser.
Elle avait voulu en parler avec son ancien directeur pour avoir son avis sur le sujet, mais il n'avait pas pu se rendre disponible. Le climat devenait de plus en plus tendu et les missions de l'Ordre et la préparation de la rentrée en toute sécurité accaparaient le directeur.
En début de soirée, elle transplanna néanmoins pour rejoindre le Manoir Potter pour la pleine lune. Son angoisse lui serrait la gorge, mais elle avait promis à Remus d'être présente alors, elle le serait. Elle n'avait pas parlé avec lui de sa transformation et ne savait pas vraiment comment aborder le sujet. Comment lui demander avec tact si c'était ce qu'il ressentait ? Et si ce qu'il ressentait était encore pire ? Comment ferait-elle face à ça ?
Elle arriva directement dans le hall du Manoir Potter pour le trouver étonnement silencieux. C'était étrange que ni Mrs Potter, ni Noisette ne vienne à sa rencontre. Elle s'avança dans la bâtisse sans rien entendre. Un mauvais pressentiment remontait le long de son dos. Méfiante, elle attrapa sa baguette et recula lentement vers la porte d'entrée. Elle l'ouvrit doucement et la passa pour se retrouver dans le jardin, devant la maison.
C'est alors qu'elle la vit. La marque des Ténèbres.
Son cœur tomba au fond de son ventre et elle lança précipitamment un Patronum à destination du bureau de Dumbledore.
« Le Manoir Potter fait l'objet d'une attaque. Renforts immédiats demandés. »
La forme du chien loup disparu dans un nuage de brume. Elle resserra sa prise sur sa baguette et réouvrit la porte du Manoir pour y pénétrer en silence. James était chez lui, avec Lily. Sirius devait passer la soirée avec eux et Peter. Remus devait la rejoindre d'ici à une petite heure, après le dîner qu'elle devait prendre avec Mr et Mrs Potter. Où étaient-ils tous les deux ? Et Noisette ?
Pourquoi l'Elfe n'était-il pas venu la tenir au courant des événements ? Pourquoi n'avait-il pas sonné l'alerte ? Et pourquoi les barrières du Manoir étaient-elles baissées ? Pourquoi ce silence, si inhabituel dans la demeure ?
Un frisson lui parcourut le dos tandis que la peur tordait ses entrailles.
Le cœur battant à toute allure, elle se rendit dans la cuisine en longeant les murs. La pièce n'était pas si éloignée de l'entrée et diffusait habituellement d'agréables effluves. Sofia ne sentait rien dans l'air, malgré son odorat qui devait être amélioré avec la proximité de la pleine lune.
Elle parvint devant la porte de chêne qui marquait l'entrée de la cuisine. Elle avait passé cette porte un nombre incalculable de fois pour y trouver Noisette en train de cuisiner, ou Mr. Potter en train de boire une tasse de thé. Pourtant, ce soir, c'est une main tremblante qu'elle tendit vers la poignée.
Elle poussa la porte de la pièce. Puis, elle sentit son cœur se briser.
Les larmes roulèrent sur ses joues avant de les avoir senties s'accumuler dans ses yeux. Ses genoux étaient prêts à lâcher. Elle avait mal, tellement mal au cœur. Une douleur réellement physique qui lui tordait le ventre et lui brûlait la gorge.
À même le carrelage noir et blanc de la cuisine, une tasse vide et ébréchée à la main, se trouvait Mr Potter. Mort. Il avait les yeux grands ouverts, bien que vides, et le teint cireux. Le contenu de sa tasse formait une tache sombre au sol. Il n'y avait aucune trace de sang, mais la violence de la scène était inouïe.
Détachant son regard brouillé de larmes du corps de Mr Potter, elle se tourna vers la cuisinière à quelques mètres. Au sol également, Noisette portait toujours ses gants de cuisine. Il semblait prêt à sortir un rôti du four, celui-ci étant déjà éteint. C'était le rôti dont elle raffolait, celui avec les pommes de terre en sauce. Ce constat lui arracha un sanglot qu'elle tenta d'étouffer.
Mr Potter. Noisette. Tous les deux fauchés dans leur vie quotidienne. Ce qui se passait avant qu'ils ne meurent était une scène domestique. Habituelle. Mr Potter qui boit son thé en feuilletant la gazette, un roman ou ses dossiers. Noisette qui cuisine en fredonnant.
Sofia sentit ses jambes trembler puis se dérober. La violence de la scène lui coupait le souffle.
Morts.
La douleur qui s'infiltrait dans sa poitrine était terrible. Pire que celle ressentie lors de sa transformation. Pire que tout ce qu'elle avait connu. Même la mort de son père n'avait pas été si difficile. Elle était attendue, il était tellement malade. Ce qui se déroulait sous ses yeux était différent. C'étaient des vies prises sans avertissement, avec violence et dans l'intimité. L'intimité d'une famille. L'intimité d'un foyer. Un nouveau sanglot passa la barrière de ses lèvres alors qu'elle ne pouvait quitter les deux corps des yeux.
Puis, la réalisation la frappa.
Où était Mrs Potter ?
Il lui fallut presque une minute supplémentaire pour se ressaisir. Finalement, sa volonté reprit peu à peu le dessus. Elle ne pouvait plus rien pour Mr Potter ou Noisette. Mais elle pouvait encore aider Mrs Potter. Peut-être. Elle lui devait bien d'essayer, au minimum. Sofia resserra la prise sur sa baguette et se redressa lentement. Elle essuya ses larmes à l'aide de son bras nu et prit une grande inspiration tremblante. Elle bloqua son souffle en comptant méticuleusement jusqu'à cinq, puis le relâcha doucement. C'était toujours tremblant, mais elle se sentait reprendre pied.
La main qui tenait sa baguette était ferme, et c'est tout ce qui comptait vraiment.
Elle jeta un œil dans le couloir et, satisfaite de le trouver vite, elle prit la direction du hall. Elle se demanda un instant depuis combien de temps, elle avait envoyé son message. Sofia retraça le fil des derniers événements en avançant silencieusement dans le couloir et en vint à la conclusion que cela ne devait pas faire plus de cinq minutes. L'Ordre était certainement en route. Les renforts n'allaient pas tarder.
Elle arriva finalement dans le Hall.
C'est là qu'elle le vit.
La dépassant de deux bonnes têtes, il portait un masque miroitant et une grande cape noire qui glissait jusqu'à ses pieds. Une trace de sang barrait le centre de son masque, glissant sur la surface lisse. Elle n'eut pas le temps de prononcer le nom d'un sortilège qu'il déclenchait l'alerte :
— L'Ordre est là ! hurla-t-il dans la maison silencieuse.
Aussitôt, un raffut se fit entendre à l'étage. Une petite dizaine de personnes semblaient courir dans les couloirs. Sofia resserra sa prise sur sa baguette et dit silencieusement adieu à Sirius.
Elle ne ferait jamais le poids si les renforts n'arrivaient pas dans les cinq secondes.
Acceptant fatalement qu'elle vivait peut-être ses derniers instants, elle lança un sortilège cuisant au Mangemort qui venait de donner l'alerte. Il l'évita, même si sa cape fût légèrement brûlée, puis contre-attaqua immédiatement avec un maléfice de découpe. Le duel était lancé.
Les pas à l'étage se rapprochaient de plus en plus. Mais tout ce qui occupait l'esprit de Sofia était la trace de sang qui barrait le masque de son adversaire. Il n'y avait eu aucune trace de sang dans la cuisine. Cette constatation tournait en boucle dans son esprit, la conduisant à une funeste conclusion.
La porte du salon explosa, la détournant de ses sombres pensées. Les débris fumants de la porte libérèrent le passage à James, Sirius, Peter et Lily, baguette à la main. Ils furent suivis par une dizaine de membres de l'Ordre dont Dumbledore lui-même. La vague de soulagement qui s'empara de Sofia la mit presque à genoux.
Immédiatement après être entré dans la pièce, Sirius connecta son regard à celui de la jeune femme. Ignorant les larmes qui dévalaient toujours ses joues et son teint malade, il parcourut son corps des yeux et fut soulagé de n'y trouver aucune trace de sang ou aucune blessure apparente. Elle allait bien. Physiquement du moins. Il avait eu si peur de la perdre pendant quelques instants.
Sofia, quant à elle, jeta un regard à James. Il avait l'air déterminé et prêt à en découdre. Elle n'osa pas lui dire qu'elle était arrivée trop tard. Ils étaient tous arrivés trop tard. Elle n'osa pas avouer à son ami qu'il avait rejoint les rangs des orphelins de guerre. Elle ne pouvait pas laisser les mots passer sa bouche. Pas quand cela mettrait en cause sa détermination et sa concentration pour la bataille.
Car la dizaine de Mangemorts ameutée par l'adversaire de Sofia (maintenant ligoté au sol), était désormais face aux membres de l'Ordre.
Alors, ce fut le chaos : le combat commença.
