Enfin, après un long voyage, la haute tour d'un château apparut à l'horizon. Il était perché au milieu d'une île entourée par de la lave en fusion et un pont de bois pas très solide permettait de rejoindre l'autre côté. Piccolo leva les yeux et tendit l'oreille. Apparemment, pas de dragon aux alentours. Toujours aussi déterminé, il entreprit de traverser le pont qui tanguait dangereusement.

« Euh… Pars devant, je te rejoins ! » lança l'âne resté derrière, mort de peur.

Piccolo souffla de soulagement. Il ne voulait pas de cette horripilante bestiole avec lui. Trop dangereux. Arrivé à l'autre bout, il souffla, puis reprit sa marche. L'épée en main et le bouclier en place, il entra dans le château abandonné, ouvrant grand ses yeux et ses oreilles. Son heaume ne lui permettait pas une très large vision et ses oreilles étaient quelque peu à l'étroit, mais il ne pouvait pas prendre de risques. Lentement, il avança, repérant ici et là des restes humains ou animaux. Plus loin, un cadavre relativement récent jonchait le sol, répandant une odeur nauséabonde aux alentours. Piccolo ne s'en occupa pas et continua sa route. Puis, enfin, il trouva une porte enfoncée donnant sur une petite cour. La tour se dressait là et la porte était solidement verrouillée. De toute évidence, personne n'était arrivé vivant jusqu'ici. De son épée, il brisa le lourd verrou et poussa la porte qui grinça sur ses gonds. Aussitôt, Piccolo regarda partout et tendit l'oreille. Pas de dragon en vue. Il entra et commença à gravir les marches une à une. Après une centaine de marches raides, il arriva, enfin, à une lourde porte de bois. Il baissa le loquet, puis poussa la porte…

Piccolo arriva dans une chambre spacieuse et richement décorée. Une table sur laquelle trônait un panier de victuailles se dressait contre un mur avec sa chaise de bois. De toute évidence, quelqu'un s'assurait de ne pas laisser mourir de faim la captive. Et en parlant d'elle, Piccolo la vit. Au fond de la pièce, devant une large fenêtre aux vitres poussiéreuses, il y avait un lit. Et sur ce lit, une tout jeune femme dormait à poings fermés. Elle n'avait pas entendu l'intrus entrer. Piccolo s'avança et observa la princesse prisonnière. Elle avait de longs cheveux noirs tressés dans le dos et retenus par un gros ruban de cuir et la peau assez pâle. Son corps était vêtu d'une longue robe vert mousse et d'une ceinture faite de fil d'or. De petites bottines brunes chaussaient ses pieds. Elle était allongée sur le dos, le visage tourné vers la fenêtre, une main délicatement posée sur son ventre qui se soulevait au rythme de ses inspirations, l'autre juste à côté de sa tête, son bras replié. Elle semblait être en bonne santé. Juste un peu pâle. Piccolo s'approcha, puis…

« Hey ! On s'réveille la Belle au bois dormant, dit-il en la prenant par l'épaule et en la secouant. »

Aussitôt, la jeune femme s'éveilla, puis cria de surprise. Piccolo recula légèrement, ses oreilles sensibles agressées.

« Oh ! Vous êtes… ?! » fit soudain la jeune femme rassurée. « Oh preux chevalier ! Si vous saviez comme je désespérais de vous voir enfin ! »

Piccolo recula carrément lorsque la princesse se leva et se précipita à sa rencontre les deux mains jointes et le sourire larmoyant.

« Hé ho on s'calme ! On reste où on est, la miss ! »

Le guerrier tendit désespérément ses deux bras pour tenter de tenir à distance la damoiselle en détresse tout en évitant de poser ses mains sur sa poitrine par inadvertance tant elle gesticulait toute excitée par sa venue. Il finit par réussir à saisir les deux bras fins et maintint fermement la jouvencelle qui souriait toujours.

« Hum ! Allez, on s'calme j'ai dit. Ouais je suis venu te sauver les miches mais s'te plaît, garde ton calme et arrête d'essayer de me sauter dessus. »

La princesse cessa de sourire et se calma enfin, puis ouvrit de gros yeux, légèrement énervée.

« Quel étrange langage que le vôtre Messire, de quelle contrée venez-vous donc pour vous exprimer de la sorte ?! Et puis je vous trouve bien grossier d'oser me tutoyer comme vous le faîtes ! Et puis lâchez-moi je vous prie ! »

Piccolo fit ce qu'elle lui demanda et il la lâcha, avant de reculer.

« Bon, t'es prête ? Euh veuillez me pardonnez…» , fit Piccolo en exagérant soudainement ses gestes dans une courbette. « Votre altesse gracieuse est-elle apte à me suivre, afin que je puisse lui sauver son joli petit cul et la ramener en un lieu moins inhospitalier ? »

La jeune femme ouvrit grand la bouche devant le mot grossier utilisé par Piccolo et comprenant qu'il se moquait parfaitement d'elle.

« Je ne vous permets pas de parler… ! de mon fessier ! Cela ne se fait pas ! Vous n'êtes qu'un grossier personnage ! »
« Ouais bah le grossier personnage il a à faire alors maintenant soit tu me suis, soit tu te pacses officiellement avec ton dragon, mais moi, j'me tire ! »

La princesse le regarda avec de gros yeux, n'ayant pas compris parfaitement tout ce qu'il avait dit. Piccolo savait qu'il ne risquait rien à jouer de la sorte, la femme n'était pas assez stupide pour rester ici toute seule. Et effectivement, elle sembla tenter de garder son calme et répondit.

« J'ignore en quoi signifie que je me "pacse" mais pour le reste, soit. Je suis prête à vous suivre. Mais par tous les saints, je vous en conjure, ne pouvez-vous pas vous exprimez mieux que cela ? »
« Je veux bien faire un effort… Si "vous" êtes gentille… »

La jeune femme ne releva pas le sarcasme du vousoiement et hocha la tête.

« Puis-je au moins connaître votre nom ? »
« … Piccolo. »
« Messire Piccolo, je me nomme Eléonore. »
« Euh, ouais, c'est bien. Maintenant, suivez-moi. Sans un bruit. Je sais pas où se trouve l'autre grosse bestiole. »
« Vous n'avez pas occis le dragon ?! »

Piccolo posa un doigt ganté sur les lèvres de la jeune femme qui se figea devant tant d'audace.

« J'ai. Dit. Sans. Un. Bruit. Et non, je n'ai pas "occis" le dragon. »

Puis il se retourna et entreprit de descendre les marches en silence malgré son armure. La princesse le suivit. Arrivé au bas de la tour, Piccolo tendit l'oreille. Ce heaume était décidément bien pénible et entachait une bonne partie de son audition, mais il n'avait pas besoin que l'autre se mette à hurler en voyant sa tronche. Un doigt au niveau de sa propre bouche, il fit un geste à la princesse, lui intimant d'avancer en silence. Cette fois, elle fit exactement comme il le lui demandait. Elle se retint de crier en voyant les cadavres et les ossements tout autour d'eux et continua leur route. Tout se passait bien, quand soudain...

Et merde…

« Courez ! » hurla soudainement Piccolo en prenant par la main la jeune femme et l'entraînant avec lui.

Elle cria de surprise, puis de peur en sentant le souffle chaud passer juste derrière elle, là où elle se tenait une seconde plus tôt.

« Mais… ! Où est-il ?! » cria-t-elle.
« Trop près ! Ne vous arrêtez pas de courir ! »

Hélas, la jeune femme se prit les pieds dans les restes d'une armure rouilée et s'étala de tout son long, la main toujours dans celle de Piccolo qui revint sur ses pas et sans ménagement, la prit sur son épaule comme un vulgaire sac de patates avant de se remettre à courir.

« Votre main ! »
« Ce n'est pas le moment, princesse ! »

En effet, afin de maintenir la femme, il avait dû positionner sa main… sur ses fesses. Tant pis pour elle. Le sac de patates à cheveux leva le visage, puis hurla, faisant grimacer Piccolo tant le cri fit saigner ses oreilles.

« Le dragon ! Il est juste derrière nous ! »

Piccolo jeta un regard en arrière et effectivement, la bête était toute proche. Le monstre ouvrit la gueule et un puissant jet de flammes sortit et traversa la grande salle en ruines, brûlant tout sur son passage. Piccolo eut tout juste le temps de se mettre derrière un pilier de pierre en positionnant la princesse devant lui, serrée dans ses bras. Dès que les flammes eurent fini de lécher la pierre, il se remit à courir en tenant la femme par la main.

« Si vous vous étalez encore une fois, je vous abandonne sur place ! »

Les deux personnes réussirent à sortir du château mais alors qu'ils allaient atteindre le pont, le dragon traversa le mur et une pluie de pierres s'abattit sur Piccolo et la princesse. Il eût juste le temps de sauter sur le côté en la tirant avec lui pour qu'ils ne finissent pas écrasés. Le guerrier se releva, légèrement paniqué. Le dragon bloquait le seul passage.

Merde ! Si seulement je pouvais voler ! Si je m'en sors, je vais étrangler ces sales petites bestioles !

Il se tourna vers la femme et la prit par les bras.

« Je vais l'éloigner ! Vous, vous courez vers le pont et vous le traversez aussi vite que vous pouvez ! Une fois de l'autre côté, courez vous mettre à l'abri vers la forêt ! Mettez-vous hors de sa vue ! Compris ?! »
« Mais… ?! Et vous… ?! »
« Faites c'que j'vous dis bordel de merde ! »

Elle hocha la tête. Piccolo la lâcha et courut à l'opposé de l'île en faisant un maximum de bruit et en lançant violemment des gravats au visage du monstre.

« Hey ! Regarde par là, gros lézard ! Ouais ! C'est ça, viens vers moi ! »

Son astuce fonctionna et le dragon se mit à le suivre en grognant à chaque projectile qui l'atteignait. Dès que la voie fut libre, la princesse courut vers le pont. Mais au dernier moment, le monstre repéra la jeune femme et fit demi-tour. La princesse se mit à hurler, tandis que le dragon fonçait sur elle. Alors Piccolo courut à nouveau et d'un bond, sauta sur le dos du monstre. La créature se mit à grogner et à gesticuler pour le faire tomber.

« Fuyez ! Dépêchez-vous ! » lança Piccolo à la jeune femme qui le regarda avec des larmes plein les yeux.

Elle se remit à courir et traversa le pont comme il le lui avait ordonné, puis se dirigea vers la forêt toute proche, sans pouvoir s'empêcher de jeter un dernier regard en arrière. Elle aperçut son sauveur aux prises avec le monstre qui se débattait, puis, elle le vit tomber sur le sol et la patte du dragon se posa sur lui, l'empêchant de s'échapper. La princesse se mit à pleurer en voyant le triste spectacle et sachant qu'elle ne pourrait pas remercier l'étrange chevalier au langage inapproprié. Il était grossier, certes, mais grâce à lui, elle était sauve. Elle détourna le regard et continua sa course puis se cacha dans les bois. Quant à Piccolo, il parvint à asséner un violent coup d'épée entre deux doigts de la gigantesque patte, là où la peau était plus fragile. Le monstre grogna et souleva sa patte, le libérant. Aussitôt, Piccolo se dirigea vers le château en ruines. Il avait un plan. Il devait mettre la bête hors d'état de nuire. Même s'il lui échappait, le monstre les poursuivrait.

Ouais… Viens là mon beau… C'est ça…

Piccolo courut en tous sens dans la grande salle abandonnée, surveillant bien que le monstre le suive. Puis, lorsqu'il décida que la bête se tenait au bon endroit, Piccolo joignit ses deux mains dans un seul poing fracassant et frappa de toutes ses forces le pilier derrière lui. Le dragon surpris leva la tête lorsque le plafond se mit à trembler. Aussitôt, Piccolo courut jusqu'à un second pilier, puis un troisième, un quatrième, et réitéra son geste. Enfin, n'étant plus suffisamment soutenue, l'immense voûte de pierres se disloqua, puis se mit à tomber. Piccolo, suffisamment petit et agile, parvint à esquiver les blocs de gravats mais le dragon n'eût pas cette chance. Entravé par son corps trop massif, il se retrouva écrasé sous les décombres dans un râle. Le guerrier souffla enfin lorsque la terre cessa de trembler, puis il s'approcha de la tête du monstre qui gisait penchée sur un côté. L'œil à demi fermé, la créature le regarda lever son épée. Piccolo savait que la bête n'était pas gravement blessée, même peut-être pas du tout, juste coincée, et qu'elle finirait par réussir à s'extirper de là. Il devait l'achever pour être sûr qu'elle ne les suive pas. Mais alors qu'il tenait haut son arme, s'apprêtant à la planter dans le crâne du monstre, il arrêta son geste. L'oeil jaune et fendu le regarda une dernière fois, puis se ferma doucement et la bête gémit. Le bras toujours en l'air, Piccolo réfléchit. Puis il baissa son épée. L'œil se rouvrit. La bête semblait perplexe. Piccolo ignorait qu'on pouvait lire tant d'émotions dans l'oeil jaune d'un dragon, d'un animal à sang froid qui quelques minutes auparavant, était prêt à le dévorer. Le guerrier rangea lentement son arme, chacun de ses gestes étant suivi par l'œil ouvert. Puis, il retira son heaume. L'œil s'ouvrit un peu plus.

« Eh ouais mon grand… Moi aussi j'ai une tête à faire peur… Toi et moi, on est deux monstres pour les humains… Bon, moi je bouffe pas les gens… Mais toi après tout, c'est ta nature… Faut bien que tu te nourrisses… »

Piccolo soupira. Il n'avait pas le cœur à supprimer ce qui pour lui était un magnifique animal.

« J'espère juste que je fais pas d'erreur en te laissant vivre… »

Piccolo se baissa et posa sa main dont il avait retiré le gant sur le front de la bête. L'œil se ferma. Quand il se rouvrit, Piccolo crut y lire du soulagement.

« Allez… Je vais te donner un coup de main… Je dois vraiment être complètement fou… »

Piccolo se leva et se mit à retirer les lourds gravats qui recouvraient le corps du dragon. Ce dernier relava lentement sa tête et plia son long cou pour observer le guerrier. Une fois qu'il eût fini de dégager la bête, Piccolo recula, pas parfaitement tranquille.

« Bon. J'y vais. Je dirai à tout le monde que t'es mort. Bah… De toute façon, personne n'a la force de t'affronter chez les humains. Je pense qu'ils te fouteront la paix. Je sais pas pourquoi je te causes, je suis même pas sûr que tu comprennes c'que j'te dis… Bref… Allez, ciao. »

Piccolo se retourna et entreprit de sortir des ruines, non sans vérifier que la bête ne l'attaquait pas. Le dragon s'était remis sur pattes et se secouait pour faire tomber les derniers gravats de son dos et de ses ailes. Il regarda simplement Piccolo partir, avant de tendre le cou et de pousser un cri rauque. Piccolo vit alors le "monstre" pencher sa grosse tête jusqu'à presque toucher le sol, comme s'il s'inclinait, et fermer les yeux. Puis il lui jeta un dernier regard jaune et se détourna, sa longue queue trainant sur le sol. Piccolo souffla, puis se remit en route. Il n'en revenait pas. Il mettrait sa main à couper que la bête venait de le remercier lorsqu'elle s'était inclinée. Il remit son gant puis son heaume et traversa le pont, avant de se diriger vers la forêt. Une fois sur place, il appela.

« Hey ?! Princesse ?! Vous êtes là ?! »

Aussitôt, une silhouette émergea des arbres et se jeta sur lui en pleurant et en le serrant dans ses bras.

« Aaahhh ! Lâchez-moi ! »

Mais la jeune femme n'obtempéra pas, en sanglots contre lui. Alors Piccolo leva une main maladroite et la posa sur l'épaule de la princesse.

« Hé… C'est bon, vous ne craignez plus rien… »
« J'ai cru qu'il vous avait tué… »

Piccolo écarquilla les yeux. Elle s'était fait du souci pour lui. Une drôle de sensation de chaleur se fit sentir au creux de ses entrailles. Doucement, le guerrier se reprit et saisit la femme par les épaules puis la repoussa gentiment. Elle garda le visage baissé et continua de sangloter. Avant de finalement essuyer son visage sur sa manche. Puis elle releva la tête.

« Messire… Je vous présente mes excuses… Vous avez pris tant de risques pour moi, et moi, je n'ai fait que critiquer vos manières… »
« Pas grave. J'ai l'habitude… »

Il allait dire que les humains lui faisaient rarement des éloges en réalité mais il se mordit la lèvre. Quel con. Mais après tout, devait-il passer tous les prochains jours caché sous ce heaume étouffant ? Maintenant que la menace était écartée, l'autre pouvait bien gueuler un coup devant sa laideur, ils ne risquaient plus rien. Pourtant, il n'en avait aucune envie malgré l'inconfort de cette chose métallique.

« T'es vivant ! » hurla quelqu'un derrière Piccolo en se jetant sur lui.
« L'âne ! Dégage de là ! »
« J'ai eu tellement peur ! »
« Ouais ouais, c'est bon, j'suis vivant, t'as eu peur, maintenant dégage… »

L'âne finit par obtempérer sous le regard amusé de la princesse.

« Quel drôle d'ami vous avez là, noble chevalier. »
« On n'est pas ami. J'ai eu la merveilleuse idée de sauver cette bestiole et depuis, elle me suit partout… »
« C'est parce que vous êtes un noble héros ! Oh preux chevalier, vous m'avez délivrée, j'ai peine à le croire ! Vous êtes merveilleux ! Vous êtes magnifique ! Vous êtes… ! »
« Vous voulez bien arrêter de déblatérer vos conneries… ? »

La princesse rit un peu.

« En fait, vous êtes il est vrai assez peu orthodoxe, je l'admets. Mais… Votre courage est grand, et votre coeur est pur. Je suis à vous pour l'éternité. A présent, complète est la victoire, vous pouvez ôtez votre heaume, preux chevalier. »

Piccolo sut à cet instant qu'il n'avait en réalité aucune envie de montrer son visage. Soudainement très mal à l'aise, il bafouilla.

« Nan, nan, nan… »
« Mais pourquoi cela… ? Oh s'il vous plaît… J'eusse tant voulu voir le visage de mon sauveur… »
« Oh nan nan, vous… eusses pas. »
« Mais… Comment allez-vous m'embrasser ? »
« QUOI ?! » s'écria Piccolo plus mal à l'aise encore. « Non ! C'était pas dans le contrat ça ! »

L'âne s'avança.

« C'est un cadeau bonus ?! »
« Non, c'est le destin », répondit la princesse. « Oh vous devez sûrement connaître la fin du conte ! Une princesse, recluse dans une tour et gardée par un dragon est secourue par un preux chevalier qui lui donne un tendre et amoureux premier baiser… »

Piccolo recula jusqu'à se cogner contre le tronc d'un arbre, tandis que l'âne écarquilla les yeux.

« Un baiser de Piccolo ? Vous croyez que… ?! Oula la la la la ! Attendez une seconde ! Vous croyez que Piccolo est votre grand amour ? »
« Ma foi… oui… »

A ses mots, l'âne éclata de rire, tandis que Piccolo se renfrogna.

« Elle croit que Piccolo est son grand amour ! » fit l'animal hilare.
« Puis-je connaître la cause de cette hilarité ? » demanda Eleonore.

Piccolo leva la tête.

« Disons que… Soyons honnêtes, je ne suis pas du tout votre genre… »
« Oh… Bien sûr que vous l'êtes ! Vous êtes mon sauveur ! Je vous en prie, ôtez-moi vite ce heaume ! »
« Nan, vraiment je pense pas que ce soit une bonne idée… »
« Je vous conjure de retirer ce heaume. »
« Non je veux pas. »
« Retirez-le. »
« Non ! »
« C'est un ordre ! »

Devant le cri d'Eleonore, Piccolo finit par se résoudre à céder. En soupirant, il lui fit.

« D'accord ! On se calme ! Si tel est votre bon plaisir, votre altesse ! » fit-il en exagérant ses propos et faisant une petite courbette.

Puis, lentement, l'estomac horriblement noué, il mit ses mains sur le heaume de métal, et le retira. Aussitôt, Eleonore perdit son joli sourire, et fit légèrement la grimace. Le cœur de Piccolo se serra douloureusement.

« Vous êtes… un démon… ? »
« Oh… », fit Piccolo railleur. « Vous attendiez peut-être le Prince Charmant ? »
« Eh bien… oui ! Oui j'ai eu l'audace de… Ohhh… nonnn… Il doit y avoir une erreur… Vous ne deviez pas être un démon ! »

Piccolo tenta de se remettre de sa peine et retira le reste de son armure.

« Princesse, j'ai été envoyé pour vous sauver par le Prince Geoffroy. Sachez que c'est lui le Seigneur qui veut demander votre main. »
« Dans ce cas, pourquoi n'est-il pas venu lui-même ? »
« C'est une bonne question ! Il faudra lui poser quand on sera au château ! »

Piccolo, entièrement dévêtu de son armure et ayant transformé ses vêtements en ceux qu'il portait habituellement, sans la cape et le turban, s'éloigna pour rejoindre le chemin du retour. C'est à cet instant que trois petites créatures décidèrent de refaire leur apparition sous le cri surpris d'Eleonore.

« Bah tiens… ça faisait longtemps… » leur fit Piccolo en plaisantant. « Vous ne m'aviez pas manqués… »
« Oh mon beau démon ! » s'écria Astriza. « Tu as été formidable ! Quelle bravoure ! J'ai eu si peur ! »
« Qu'est-ce qu… Ce sont des fées ?! » s'exclama la princesse.

Les trois petites choses lui volèrent autour.

« Exactement ma mignonne », répondit la frangine. « T'as de la chance… T'as été secourue par un démon à tomber… Tu trouves pas ? »

Sous le regard blessé de Piccolo, qui croyait peu aux compliments de la bestiole volante, Eleonore n'osa pas la contredire. En réalité, elle ne le trouvait pas spécialement hideux mais le choc était grand. Ce n'était pas ce à quoi elle s'était attendue durant toutes ces années. Et puis il était quand même très grossier. Son agacement refit surface.

« Mais je dois être délivrée par mon véritable amour ! » leur dit Eleonore. « Non par je ne sais quel démon et sa bourrique ! »

L'âne en question se renfrogna au ton et au terme utilisé pour parler de sa personne.

« Euh écoutez princesse…, commença Piccolo, …essayez de ne pas me compliquer la tâche, parce qu… »
« Oh navrée mais vos complications ne sont pas mon problème. »

Eleonore se tourna en croisant les bras. Elle refit face à son interlocuteur et d'un ton blasé, lui fit.

« Vous pourrez dire à ce Prince… Geoffroy que s'il veut me conquérir comme il convient, je ne bougerai pas et l'attendrai ici. »

Piccolo grogna et s'avança vers elle. Les trois fées se mirent à rire devant la scène.

« Elle a du caractère… », fit Arydel en riant.

Mais Piccolo s'en serait bien passé. Il approcha de la princesse assise sur un rocher, les bras et les jambes croisés et le visage relevé et hautain.

« Hé ! J'suis pas là pour vous servir de pigeon voyageur ! Moi j'vous délivre et j'vous livre… »
« Vous n'oseriez pas… »

Mais le regard noir d'Eleonore ne suffit pas à arrêter Piccolo qui la prit par la taille et la balança sur son épaule comme un sac de patates tandis qu'elle poussait un cri. Cette fois, les fées éclatèrent carrément de rire.

« L'âne… Tu m'suis ? »
« Ouaip ! J'te suis pas à pas ! » répondit l'animal trop heureux.
« Lâchez-moi ! »

La princesse se débattit comme un diable, mais rien n'y faisait. La prise de Piccolo était bien trop forte pour elle.

« Lâchez-moi ou vous devrez répondre de cet affront ! C'est indigne je vous l'ordonne lâchez-moiiiiii….. Aaaaaaahhhhh ! »

Mais elle eût beau le frapper et gesticuler, Piccolo ne réagit pas et continua sa route comme si de rien n'était.