Piccolo lâcha l'âne qui tomba comme une pierre.
Oh par le dragon sacré… !
« Et ho ! Attendez une minute ! » lança-t-il en se mettant à courir derrière Eleonore. « Mais comment connaissez-vous des trucs pareils ?! »
« Quoi ? » demanda-t-elle innocemment.
« Mais… Tout ça ! C'était… ! »
Il hésita un instant, n'ayant clairement pas l'habitude de faire des éloges à quelqu'un.
« … très impressionnant… Où est-ce que vous avez appris à vous battre comme ça ? »
« Que dire… Lorsque seul vous vivez, seul vous devez vous défendre… »
« C'est dingue… Vous êtes en réalité très différente de ce que j'imaginais au final… »
La princesse sourit, le dos tourné, puis répondit.
« Peut-être… ne devriez-vous pas juger les gens sans les connaître… »
Il haussa ses arcades sourcilières, surpris par les mots employés. Eleonore se retourna vers Piccolo qui s'était arrêté et, horrifiée, pointa son bras du doigt.
« Piccolo ! Votre bras ! »
Le guerrier baissa son regard sur son avant bras. Il saignait. La flèche avait ricoché et l'avait touché. Ce n'était rien de grave, mais pour Eleonore, cela sembla affreux.
« Oh mon dieu oh, tout est de ma faute, je suis confuse… »
« Mais non ce n'est rien… »
« Quoi qu'est-ce qu'il y a ?! » demanda l'âne soudain paniqué.
« Piccolo est blessé… »
L'animal commença à courir dans tous les sens, affolé.
« Piccolo blessé ! Piccolo blessé ! Oh mon dieu Piccolo va mourir ! »
« T'inquiètes pas, j'vais pas mourir… »
« Ah non tu peux pas me faire ça, hein ?! J'suis trop jeune pour qu'tu meures ! Que quelqu'un appelle une ambulance ! »
Eleonore s'agenouilla et força l'animal à la regarder.
« L'âne, calme-toi. Si tu tiens à sauver Piccolo, cours vite dans la forêt et trouve-moi une petite fleur bleue avec des épines rouges. »
« Fleur bleue, épines rouges, je suis sur le coup ! Fleur bleue, épines rouges, fleur bleue, épines rouges ! Ne meurs pas Piccolo ! Si tu vois un long tunnel, surtout t'approche pas d'la lumière ! »
« Vas-y ! » crièrent en chœur la princesse et Piccolo.
Puis le guerrier demanda à Eleonore sans se tourner vers elle, le regard toujours vers la forêt où l'âne avait disparu.
« C'est pourquoi faire ces fleurs ? »
« Pour éloigner l'âne… »
Il ne répondit rien, le temps d'analyser la réponse. Quand une hypothèse se présenta à lui, il se mit à transpirer. Au même moment, Eleonore s'était approchée de lui. Beaucoup trop près, et essayait de regarder son bras. Pris de panique par cette soudaine proximité malaisante, Piccolo fit un bond en arrière, les mains tendues vers l'avant pour empêcher la jeune femme d'approcher.
« Qu'est-ce que vous faites ?! Restez loin ! »
« Mais je dois regarder cette blessure, voyons ! »
« Ce n'est pas nécessaire, je vous assure ! »
« Mais cela pourrait s'infecter ! »
Eleonore insista mais Piccolo tint bon. Il ne voulait pas qu'elle s'approche et encore moins qu'elle le touche.
« Vous voulez m'aider ?! D'accord, alors ne m'aidez pas ! »
« Arrêtez de faire l'enfant, Piccolo ! »
Quand elle s'approcha à nouveau, Piccolo tendit son bras et sa main vint saisir le visage de Eleonore, qui baissa les bras, à bout de nerfs.
« On se fixe ! Pas bouger ! » lui lança-t-il.
Exaspérée, Eleonore saisit sa main et la retira de son visage. Puis elle mit ses mains sur ses hanches et le regarda sans un mot. Piccolo comprit qu'il ne gagnerait pas cette bataille. Il finit par souffler.
« Pfff… C'est d'accord… »
« Bien… On va enfin arriver à quelque chose… »
Piccolo la regarda, méfiant, approcher. Elle tendit sa main et après quelques secondes d'hésitation, il tendit son bras.
« Vous n'avez pas à faire ça… vous savez… ? Je… »
Il allait lui dire qu'il pouvait très facilement régénérer ses tissus et guérissait bien plus vite qu'un être humain, mais soudainement, il n'en eût plus envie. En réalité, il voulait…
Elle a les mains douces…
Oui. Il voulait en réalité qu'elle pose ses mains sur lui, mais, il en avait terriblement peur aussi. Pourtant, il la connaissait à peine. Alors pourquoi avait-elle cet étrange pouvoir sur lui ? Elle s'était montrée exaspérante en plus… Eleonore sortit du décolleté de sa robe un mouchoir blanc qu'elle utilisa pour essuyer le sang mauve.
« Quelle étrange couleur… », fit-elle. « Tout chez vous est si… »
« Effrayant… je sais… »
« Différent. »
Piccolo planta son regard dans celui de Eleonore.
Différent.
« Mais… c'est déjà refermé… ? » fit la jeune femme en écarquillant les yeux.
Piccolo se mordit la lèvre.
« Oui, c'est… C'est ce que j'ai voulu vous dire… Je guéris extrêmement vite… Ce n'était pas la peine… »
« Et moi qui croyais que c'était parce que je vous mettais mal à l'aise… », répondit-elle en rougissant.
Piccolo écarquilla les yeux et sentit son cœur battre plus fort. Evidemment que c'était la raison. Les yeux dans les yeux, aucun des deux n'ajouta un mot. Quand soudain, un lapin déguerpit d'un fourré et passa entre les jambes de Piccolo, qui, pas du tout à son affaire, fut surpris et perdit l'équilibre, puis tomba en arrière. Eleonore voulut le rattraper mais il était trop grand et trop lourd et elle tomba à la renverse avec lui, finissant couchée sur son torse. Quand elle releva le visage, elle était rouge, et celui de Piccolo était mauve. Il sentait ses deux petites mains posées à plat sur ses pectoraux qui dépassaient de son gi. La sensation de ses doigts fins sur sa peau le fit frissonner et une délicieuse décharge électrique passa dans sa colonne vertébrale jusque dans ses reins. Eleonore, quant à elle, n'en menait pas large non plus. Elle sentit une douce chaleur s'installer dans son bas ventre, et son cœur se mettre à tambouriner dans sa poitrine. Mais elle sentit également celui de Piccolo battre plus vite et plus fort sous sa main. Il avait entrouvert les lèvres et respirait vite.
« Hum hum… », fit soudain une voix derrière eux.
Piccolo redressa la tête et vit, horrifié, l'âne qui les regardait en souriant d'un air moqueur. Aussitôt, et sans ménagement, il repoussa Eleonore qui tomba à côté sur les fesses.
« C'est pas c'que tu crois ! » lança Piccolo plus mauve que la fleur du même nom. « On était… ! »
« Hé si vous vouliez être seuls il fallait me le demander, c'est pas compliqué… »
Piccolo rougit plus violemment encore. Quand soudain, l'âne remarqua le mouchoir tâché.
« C'est quoi ça ? »
« Du sang », fit simplement Piccolo. « Je ne saigne pas comme vous. »
A ces mots, l'animal tomba dans les pommes. Rouge au mauve, du sang, c'est du sang. Eleonore sourit et Piccolo prit sur son épaule l'âne. Puis les deux amis se mirent en route, sans un mot, mais échangeant de temps à autre un petit regard devenu complice. A quelques mètres de là, trois petites créatures se regardèrent, puis sourirent tendrement devant le spectacle. Arydel Astriza et Leonyd décidèrent d'un commun accord de ne plus trop s'immiscer dans le voyage de leur ami démon, et de seulement le suivre discrètement.
…
Les heures, puis les jours s'écoulèrent calmement. Piccolo chassa pour Eleonore, et lui expliqua qu'il ne buvait que de l'eau. Elle lui demanda alors pour les oeufs.
« Je… En fait, je peux manger. Mais pour le plaisir. Et là… ça me faisait plaisir… Vous vous étiez donné la peine d'aller les chercher et de les préparer… C'était la moindre des choses… »
Eleonore sourit.
« C'est attentionné de votre part, Piccolo… Aimeriez-vous partager avec moi le repas de ce soir ? »
Un lapin rôtissait sur un feu de bois et Eleonore avait cueilli de belles branches recouvertes de baies juteuses et sucrées. Piccolo lui sourit, et accepta.
« Avec plaisir… »
En silence, ils partagèrent leur repas, tandis que l'âne revenait d'une ballade. Aussitôt, les deux amis, car c'est ce qu'ils étaient devenus, cessèrent de se regarder. L'animal le remarqua et sourit.
« Vous êtes trop mignons tous les deux ! »
Piccolo le fusilla du regard et Eleonore rougit. L'âne n'ajouta rien. Comme à chaque soir, Piccolo veillait à trouver un endroit à l'abri pour que la princesse puisse y dormir tranquillement. Lui, dormait à la belle étoile avec l'âne. Le lendemain, ils repartirent de bonne heure. C'était leur dernier jour de marche. Ils seraient au château en fin d'après-midi. On voyait déjà au loin, la future demeure de Eleonore.
« Et voilà… Princesse… Votre destin est devant vous… », fit Piccolo la vois un peu trop éteinte à son goût.
« Les remparts de Siseria ? »
« Oui… Euh… allons-y… On a encore un sacré bout de route… »
Eleonore n'eut soudainement aucune envie de continuer.
« J'en conviens… mais… Piccolo… ? »
Le guerrier se tourna. Eleonore semblait chercher ses mots. En réalité, elle cherchait surtout, une excuse.
« Je suis… Je suis inquiète pour l'âne ! »
« Quoi ? » demanda Piccolo en approchant.
« Oui… Regardez-le… Je crois qu'il nous couve quelque chose ! »
« Je couve quoi moi ? Mais j'couve rien ! »
Eleonore se baissa et prit sa tête dans ses mains.
« Oui bah ça c'est toujours c'qu'on dit avant, jusqu'au moment où on se retrouve les quatre fers en l'air… »
La bestiole ne sembla pas comprendre.
« Raide… ! »
Piccolo compris et insista à son tour.
« Oh si si bien sûr ! J't'assure, c'est affreux t'es tout gris ! Tu devrais t'asseoir… »
« Et si j'te faisais une tasse de thé ? » ajouta Eleonore.
L'âne, finalement, admit en exagérant un peu, sautant sur l'occasion de se faire dorloter.
« C'est vrai que je voudrais pas jouer les chochottes mais c'est vrai qu'j'ai un truc bizarre dans le cou que quand j'fais ça, ça fait… Ouille ! Très mal ! »
Son cou avait horriblement craqué et présentait un angle étrange. Pourtant, aussitôt l'excuse toute trouvée, Piccolo et Eleonore se levèrent.
« Quelqu'un a faim ?! J'vais chasser le dîner ! » fit le guerrier.
« J'vais cueillir du bois pour le feu ! »
« Hé ! Où est-ce que vous allez ?! Oh misère ! Je sens plus mes orteils ! J'ai pas d'orteils ! Et personne pour me faire un câlin… »
Dépité, l'âne attendit simplement le retour de ses nouveaux amis.
…
Plus tard, alors que Piccolo et Eleonore avaient dressé un campement tout à côté d'un moulin abandonné, les deux amis mangeaient. L'âne était posé un peu plus loin dans l'herbe.
« Merci pour le repas Piccolo… Je vous avoue que si j'avais dû chasser moi-même ces animaux… j'aurai jeûné ou me serai contentée de baies et d'oeufs. »
Piccolo sourit. Il sourit plus encore en se remémorant les paroles du vieillard. Il lui avait dit qu'il sourirait dans le futur. La jeune femme laissa son regard planer au loin, le posant sur le château. Mélancolique, elle dit, la voix basse, presque dans un murmure.
« J'imagine que le festin sera d'une autre sorte demain soir… »
Piccolo remarqua son émoi et à nouveau, la drôle de chaleur lui réchauffa le ventre.
« Vous… Vous pourrez me rendre une petite visite… si le cœur vous en dit… Je m'occuperai du repas… »
Eleonore tourna son regard vers lui, et lui sourit tendrement.
« J'en serai ravie… »
Un silence s'installa entre eux, que Piccolo finit par rompre, timide.
« Euh… Princesse… ? »
« Oui… ? Piccolo… ? »
« Je me demandais… Est-ce que vous… ? »
Mais rien ne vint. Les mots restèrent bloqués dans sa gorge. Il soupira.
« …allez finir votre part… ? » dit-il finalement en pointant du doigt la portion de viande dans les mains d'Eleonore.
Elle sourit, et comprit. Eleonore lui tendit le reste de son repas, mais en même temps se pencha très légèrement en avant tandis qu'il passait ses doigts autour des siens . Piccolo, le cœur battant, n'osa croire à son bonheur. Il se pencha, lui aussi, et lentement, commença à fermer les yeux…
« Mais c'est romantique tout plein ! » s'écria l'âne en surgissant derrière eux et brisant le doux moment. « Y'a même le soleil qui se couche ! »
Eleonore regarda derrière eux et vit effectivement, le soleil se coucher. Elle se leva précipitamment en panique.
« Le soleil qui se couche ?! Oh non ! C'est… ! C'est… ! C'est terrible… ! Enfin je veux dire il est tard ! Il est très très tard… »
« Quoi ? » demanda Piccolo en se levant, terriblement déçu.
L'âne se posta devant la princesse.
« Ouais c'est ça ! On me la fait pas à moi ! »
Eleonore le regarda, paniquée. Avait-il compris ?!
« Vous avez peur du noir, c'est ça ?! »
Soulagée, elle répondit.
« Oh oui ! Oui c'est ça, c'est ça, je suis terrifiée ! »
« Oh vous inquiétez pas Princesse ! Moi aussi j'ai toujours eu la trouille dans le noir ! Jusqu'à ce que… Jusqu'à ce que rien du tout, j'ai toujours la trouille dans le noir… »
Eleonore ne s'occupa pas de ce qui déblatéra l'animal et regarda Piccolo avec un sourire tendre.
« Bonne nuit… »
« Bonne nuit », répondit-il le cœur lourd.
L'âne lui jeta un regard, puis en jeta un à Eleonore. Lorsqu'elle eût refermé la porte du moulin derrière elle, il lança.
« Mmh mmh… C'est ça, je vois clair dans votre petit jeu à tous les deux… »
« Oh quoi… mais qu'est-ce que tu racontes… ? »
« Allez te fatigue pas, écoute ! Je suis un animal et j'ai de l'instinct ! Je vois bien qu'il y a de la fricotte entre vous ! Dis pas le contraire, je l'sens ! »
« Mais t'es malade ! Je fais que ma part du marché, la ramener à Geoffroy… »
« Hey, me prend pas pour une nouille Piccolo, y'a du big bisou dans l'air ! J'suis pas idiot ! allez, un peu de cran ! Va lui dire c'que tu r'ssens ! »
« Non ! »
Piccolo se leva, énervé.
« J'ai rien à lui dire ! Et puis d'ailleurs… ! Et même si j'avais envie de lui avouer… Oh ça non… Je peux rien lui avouer du tout ! »
Piccolo n'en revenait pas qu'il parlait de ça avec cette satanée bestiole et surtout, qu'il ne le démentait pas. Il venait d'avouer à l'âne ce qu'il ressentait, alors que lui-même n'était pas encore parfaitement au clair avec ça. Il reprit.
« Parce que… ! Non !... C'est une princesse et je suis… »
« Un démon ?! »
Piccolo détourna le regard, blessé.
« Ouais… un démon… »
Puis, il s'éloigna.
« Hey ! Où tu vas ?! »
« Je vais… cueillir du bois pour le feu… »
L'âne se tourna vers l'énorme tas de bois déjà présent, mais n'ajouta rien.
