Petit mot de l'auteure : ce texte a été écrit pour la 169e nuit du FoF sur le thème "badiner"


Osman se considérait comme quelqu'un de plutôt pacifique. Il faisait de son mieux pour éviter les conflits, allant jusqu'à pardonner l'inexcusable. Quand une dispute éclatait devant lui, il jouait le rôle du médiateur, du modérateur, voir du pigeon voyageur chargé de faire la liaison entre les différents partis si jamais la crise perdurait. Sa mère était fière de cette qualité, soulignant qu'elle reconnaissait là l'âme d'un grand sultan en devenir. Osman souriait tranquillement, se gardant bien de faire remarquer que s'il agissait ainsi, ce n'était pas par instinct diplomatique ; il ne supportait tout simplement pas les débordements d'émotions négatives qu'impliquaient les disputes.

Là, toutefois, Osman sentait qu'une bonne prise de bec en règle était inévitable : Mehmed faisait des siennes. Certes, son comportement désagréable n'était absolument pas inhabituel. Dans d'autres circonstances, il aurait – encore une fois – fait le dos rond pour éviter de mettre de l'huile sur le feu. Sauf que cette fois, le sujet est trop important pour qu'Osman reste de marbre : il s'agissait de Meleksima.

Tout le palais savait le béguin qu'il avait développé pour celle qu'il avait sauvé des griffes des esclavagistes. Cet élan avait été accueilli par tous avec tendresse : jamais de sa vie Osman n'avait aimé quelqu'un. Mehmed, comme tous les autres, le savait pertinemment.

Et voilà que son frère ne trouvait rien de mieux à faire que d'offrir des fleurs à Meleksima en la complimentant pour sa beauté.

- Tu me détestes donc à ce point ? fulmina-t-il, la rancœur accumulée de ces dernières années sortant enfin. Essayer de séduire la seule femme que j'aime ? Tu te rends compte de ce que tu fais ? Si ce n'est pas par respect pour mes sentiments, respecte au moins Meleksima ! Se servir d'elle pour me blesser c'est... c'est tellement petit. On ne badine pas avec l'amour !

- Parce que tu crois que c'est une sorte de plaisanterie pour moi ?

Osman s'était attendu à ce que Mehmed lui mette son point dans la figure.

Pas à ce qu'il éclate cruellement de rire.

- Tu n'es pas assez important pour que je pense à toi lorsque je parle avec elle.

Cela faisait mal.

Terriblement mal, même.

Mais pas autant que de réaliser ceci : si Mehmed ne se rapprochait pas de Meleksima pour le blesser, c'était parce qu'il était vraiment intéressé par elle.

Et cet amour sincère, c'était presque pire que toutes les crasses qu'il lui avait sciemment fait.