Il n'y avait aucun moyen de faire machine arrière. Geralt le savait. Il savait que Mandos avait été plus rapide. Plus futé. Pour le coup, il était certain que ce qu'il se passerait dans quelques instants reviendrait le hanter. Pourtant, il avait fait ce qu'il fallait pour rester discret et ne pas se faire surprendre par les autres. Il ne voulait certainement pas que cela remonte aux oreilles d'Eskel et Lambert. Ou pire. Vesemir.

Mais là, assis dans les coulisses, son texte entre les mains, il maudissait Mandos. Il l'avait vu cette place de théâtre, dans les mains d'Anaïs. Si Anaïs l'avait, tout le monde l'avait. Et son Haki le lui confirmait.

Il releva brutalement la tête. C'était Triss qui venait de rentrer dans le public ?

Il soupira et se prit le visage dans une main.

Là, il était certain que ça ferait le tour du Nord. Les magiciennes étaient connues pour être friandes de ragots.

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Kali revint s'asseoir entre Mandos et Ace, satisfaite.

- Merci pour la précaution, remercia Triss en bout de file à côté de Zoltan.

- J'ai pas plus envie que toi de les voir débarquer, surtout avec les fillettes dans les environs.

Gretka était littéralement assise sur un coin de la scène, à moitié cachée par les rideaux, attendant le début de la représentation avec une impatience grandissante. Anaïs se tenait entre Marco et Ace, toujours vigilants avec la petite demoiselle, pendant que le sorceleur avait dans ses bras la petite Déa, bien enroulés dans des couvertures pour qu'elle n'ait pas froid, mais aussi, pour qu'aucune plume ne ressorte. Le Chat Noir avait un large sourire en voyant les regards presque effrayé qu'on lui adressait désormais. Oui, la crainte et la haine, il gérait mieux. Sans compter que si ses oreilles ne le trompaient pas, on parlait de la mort sanglante de Willy-chan à Oxenfurt.

Enfin, la pièce commença. Il était temps d'admirer le spectacle. Thatch, de l'autre côté de Marco, se laissa aller dans sa chaise et commença à grignoter des olives.

La première scène montrait une femme, jouant une reine apparemment, recevant un messager lui annonçant qu'un sorceleur, qu'elle avait fait mander, était à ses portes. Alors que le messager allait chercher le sorceleur, la reine se tourna vers le public et réclama du vin pour affermir son bras.

Humour nordien ? Moyen-âgeux ? Ou sous-entendu sexuel qui passait à mille lieu du Chat Noir ?

Cependant, le D. reconnaissait la familiarité de la scène. Jaskier l'avait fait entrer dans la légende. Cela ressemblait pas mal à comment Geralt avait fini avec Ciri en Enfant Surprise.

Geralt entra finalement en scène.

Le groupe garda le silence pendant que la "reine" disait au mutant quel serait son travail.

- Qui ne l'a pas vu venir ? demanda Ace.

Et il leva la main. Suivi de Thatch, Triss et Zoltan.

- Fais remonter ça à Kaer Morhen, demanda la magicienne en faisant redescendre son bras.

L'oreille du Loup Blanc tiqua, mais il resta concentrer sur le reste du public, veillant à regarder au-delà du premier rang.

- … sur un moelleux duvet, je te ferais ta fête, annonça la reine à Geralt après lui avoir demandé de tuer une bête qui devait se montrer le soir-même.

Anaïs pinça les lèvres, alors que Thatch avait un hoquet d'hilarité. Même si Ace était d'accord avec le manque de bienséance sexuel de bon nombre de souverains, il n'allait pas réagir. Il ne voulait pas qu'Anaïs se sente blessée par inadvertance. Elle devait déjà vivre avec les actes de son père, le pirate ne voulait pas remuer le couteau dans la plaie.

- Occire les bêtes immondes, telle est ma volonté. Je tue par vocation, pas pour l'or à la clef, dit d'une voix forte et avec de grands gestes d'emphase le sorceleur en armure.

Mais il y avait tellement peu d'émotion dans sa voix, cela faisait un tel contraste… que ça en était hilarant.

Ainsi, Geralt quitta la scène, laissant le serviteur et la reine se féliciter de leur plan qui avait trompé un sorceleur. Apparemment, la bête avait commis le crime de tomber amoureuses de l'enfant de la reine. Aaah, les amours impossibles.

Ace tourna juste un peu la tête pour déposer un furtif baiser sur les doigts de Marco qui avait passé un bras sur ses épaules sans pour autant se rapprocher pour ne pas écraser la petite princesse entre eux.

Au fur et à mesure des scènes et des actes, ils virent le complot se dérouler avec l'humour parfois très caustique de la pièce. On apprit notamment que le serviteur était un amant de la reine. Amusant.

Geralt ne revint pas sur les planches avant l'acte deux, où il se retrouva seul au bord de la scène avec le serviteur.

Il était l'heure de célébrer les fiançailles de la fille de la reine et de son galant.

- Mais je ne vois nul monstre dans les parages, dit Geralt en balayant la foule des yeux. Parmi les convives, apeuré, et peu fier…

Kali se retourna brutalement.

- /Je le sens./

- /Ne le rend pas plus nerveux qu'il ne l'est déjà/ rappela à l'ordre Ace.

- /Navré commandant./

Et elle se remit correctement sur son siège.

L'acte trois et surtout, le dernier morceau de la pièce. Le banquet final. Priscilla avait le rôle de la princesse et un sympathique gaillard jouait le prince amoureux. Et un petit peu dans l'urgence niveau abstinence. Ça restait dans la même ligne humoristique que le reste de la pièce.

Geralt se tenait près du trône où était assise la reine. Bras croisé, égale à lui-même. Presque à croire qu'il avait oublié qu'il était là aussi pour jouer. Le serviteur s'avança et invita à porter un toast. Et là, après le toast de célébration et la première gorgée, le prince s'exclama qu'il agissait d'une trahison parce qu'à la place du vin, il était question d'une décoction d'argent.

Alors, primo, Ace doutait qu'on puisse survivre en buvant un truc à base d'argent qui soit assez concentré pour affecter un doppler. Sauf si on s'appelait Luffy, parce que son frère ne marchait pas comme les autres.

Deuzio, avec de l'argent dans l'estomac, le doppler n'avait aucune possibilité de ne pas se transformer en flaque sur le sol.

Mais soit, c'était une œuvre de fiction, il n'allait pas juger.

Le prince se mit un masque argenté pour représenter la vraie forme du doppler.

D'accord, un tercio et il arrêtait. Un doppler au naturel, c'est moche. Aussi moche que la sale gueule de Big Mum. Ce masque n'était franchement pas ce qu'il fallait.

- Peste, ce n'est pas un prince, mais un vil doppler, intervint Geralt en s'avançant, toujours aussi froid.

Il y avait des murmures dans l'assistance suite à la révélation. Vint alors les répliques du Loup Blanc :

- C'est que le cœur humain peut aimer un doppler.

- Vois, sorceleur, la bête trépasse. Lève ton glaive et porte-lui le coup de grâce !

- BOUUUUUUUH ! DE L'AMOUR POUR LES DOPPLERS ! hua Thatch.

- Je ne connais pas cet homme, dit Kali avec exaspération.

Quand Mandos lui siffla dans la langue des serpents de changer le vampire en lapin, elle refusa. Le commandant faisait deux mètres de haut. S'il disparaissait sans raison, ça se verrait. Et ça entraînerait la panique.

Priscilla se leva pour défendre son fiancé et Geralt intervint de nouveau :

- Rangez vos armes. Craindre un doppler ? Belle ânerie.

- PARFAITEMENT ! approuva Thatch.

Ace offrit une fiole de Sang-Noir à son époux qui l'enfonça dans la gorge du vampire. Au moins, il resterait calme un moment. Geralt s'avança vers le prince en continuant sa réplique. Un œil attentif verrait qu'il était soulagé qu'on ait fait taire le cuistot.

- Changer de forme, n'est en rien diablerie.

Il s'arrêta au milieu des planches et regarda le public :

- Souvenez-vous, ce n'est pas la chair qui fait le monstre, mais un cœur aussi vil que celui de cet infâme laquais !

Et immédiatement la reine se rangea derrière le mutant pour se sauver la face. Comment un laquais pouvait-il se défendre, après tout ?

C'est à Geralt que revint la morale de la fin, tout au bord des planches :

- Ainsi s'achève notre histoire, bonne gens, et la morale est… n'est pas monstre quiconque peut changer de forme.

Il adressa un léger hochement de tête pour la reine, l'air de dire qu'il l'avait trouvé. Ace refila Déa à Marco avant de se lever pour se fondre dans la foule et la contourner.

- Garde ! A moi la garde ! Qu'on enferme le traître ! appela Priscilla.

- Hé ! Vous avez entendu la princesse ? Par ici, interpella Geralt à l'adresse du seul garde du temple qui était dans l'enceinte du théâtre de plein air.

Tout le monde se tourna vers le soldat borgne qui avait été explicitement désigné. L'homme regarda autour de lui, incertain.

- Vas-y, le cauchemar est fini. Remonte sur les planches…

L'homme manqua de faire un arrêt cardiaque en entendant une voix du côté de son œil aveugle. Il se retourna, mais ne vit qu'une silhouette de femme et des yeux d'argents amusé disparaître dans la foule. Alors, malgré son hésitation, il s'avança vers l'estrade où Geralt l'attendait avec une main tendue :

- N'ayez nulle crainte. Au bout du compte, tout est bien qui finit bien.

Le garde se saisit de la main et se hissa sur la scène sous les applaudissements de la foule en délire. Il fixa avec une certaine hésitation le public de son œil unique, avant que le mutant ne le pousse vers le laquais. Comprenant ce qu'il avait à faire, le garde alla arrêter le traître.

- Cette même nuit, doppler et princesse étaient mariés. A cette pensée, le laquais vit son cœur déborder.

Note du public : standing ovation.

Le premier rang était de loin le plus bruyant avec les applaudissements et les rires. Sans compter les sifflements. Tout le monde s'inclina. Cependant, Geralt adressa un regard noir à Ace. L'air de lui sommer de garder ça pour lui.

Ace le ferait.

Peut-être.

Ou peut-être pas.

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Thatch s'était excusé sous prétexte qu'il avait rendez-vous avec une belle rouquine alors que le reste du groupe passait dans une salle des coulisses. Kali resta au dehors pour monter la garde, histoire qu'il n'y ait pas trop de monde dans la pièce et ne pas rendre nerveux le doppler.

Celui-ci avait repris son apparence coutumière de halfelin borgne avec ses pieds biens poilus, ses oreilles très légèrement pointue et son crâne aussi rasé que sa barbe. En les voyant arriver, le doppler se leva et marcha vers Geralt, lui demandant comment il avait fait pour le reconnaître. Pour toute réponse, le mutant imagea avec son petit doigt la cicatrice que le doppler avait sur le visage.

- Ah. Et qui sont ces gens ?

- Des camarades. Voici Mandos Cerbin, un guérisseur, chirurgien, intervenant régulier à Oxenfurt pour les étudiants en médecine et puissant sorcier…

Geralt montra le jeune elfe de la main. Doudou s'approcha pour serrer la main à Mandos, se disant enchanté de le rencontrer.

- Le grand roux qui a fait du grabuge pendant la pièce, c'est Thatch. Ici, nous avons Marco…

- Médecin, chirurgien, ancien maître de conférence à Oxenfurt, navigateur et combattant à mes heures. J'ai beaucoup de rôles, yoi.

- Et une sacrée réputation, en effet, confirma Doudou en serrant la main au Phénix.

- Dehors, c'est Kali, une sorcière elfe noire. A ne surtout pas énerver.

Doudou ne fut pas le seul nordien à lever les sourcils à cela. Après tout, il y avait Priscilla dans la pièce. Zoltan (qui avait dû mal à ne pas s'effondrer d'hilarité) eut un reniflement à la mention "ne surtout pas énerver". Oui, on 'énerve pas Kali/Shiva ou tout autre nom qu'elle veuille porter, impunément.

- Et enfin, Portgas D. Anabela, le Chat Noir. Sorceleuse.

- J'ai entendu tout et son contraire au sujet de vous. On raconte beaucoup de choses sur la Vierge Sanglante, commenta Doudou en levant une main vers Ace.

- Sanglante, je veux bien, mais vierge, certainement pas, grommela le D.. Et pour la réputation, ne croyait que les rumeurs les plus noires et néfastes à mon sujet. Les autres, ce sont des conneries. Et j'en trouverais l'origine.

Mais il accepta la poignée de main.

- Et ces demoiselles, ce sont nos protégés. Gretka qui est la petite apprentie de Priscilla, Anaïs qui est l'Enfant Surprise de Portgas et la petite dans les bras du Chat Noir, c'est Déa, conclu Geralt.

Gertka se cacha timidement dans les jupons de Priscilla alors qu'Anaïs tendait en souriant la main au doppler, le regardant comme un égal. C'était ce genre de chose qui faisait qu'Ace était fier de la petite demoiselle.

- Tu as vu Ciri ? demanda Doudou à Geralt. Son ami Luffy, peut-être ?

- On les cherche tous les deux, en espérant les trouver avant Emhyr, informa Marco.

- Explique-moi une chose, Doudou, demanda Geralt. Comment vous y êtes vous pris pour vous mettre à la fois Reuven, le Petit Bâtard et la Garde du temple sur le dos, avec Jaskier ?

- Je dirais bien que c'est le genre de chose courante avec Luffy, mais tu veux pas m'écouter, soupira Ace.

- Si je devais te croire sur parole à chaque fois, je serais mort depuis plus de vingt ans.

Le D. voulu dire quelque chose mais Marco lui mit la main sur la bouche. Ils devaient écouter Doudou pas débattre de la capacité des deux frères à se mettre dans les emmerdes les plus improbables.

- On ne l'a pas fait exprès, se justifia le doppler.

Zoltan eut un rire et se hissa sur un siège.

- Le fait est que j'ai tenté de les retrouver, tous les trois. Que ce soit Ciri, Jaskier ou Luffy. Un chouette gosse, expliqua-t-il. Mais ils se sont volatilisés. Craignant pour ma vie, je devenais quelqu'un d'autre chaque jour. J'ai songé à prendre leur apparence pour berner leurs poursuivants, mais…

- Ralenti, pâte à modeler ! demanda le nain alors que Marco s'adossait au mur, pas très loin où Mandos s'était réfugié. Geralt, Ann… ça fait combien de temps que vous les avez pas vu ? Un bail, non?

- ...Un bail, oui, confirma le Loup Blanc alors qu'Ace libérait un de ses bras pour enfoncer son chapeau sur son visage.

- Pareil pour moi. Du moins, pour Ciri. Elle doit être une jeune fille, presque une femme, aujourd'hui… et Luffy, on en parle, on en parle, mais qui ici, peut dire l'avoir déjà vu, outre toi, Ann, puisque c'est ton petit-frère. Moi je dis, sans vouloir te commander Doudou, tu devrais nous les montrer. Au moins juste un peu.

Le doppler regarda les deux sorceleurs qui hochèrent la tête chacun leur tour.

Alors, le halfelin recula de deux pas. Il s'allongea, s'affina, grandit, mais pas trop non plus. De cheveux noirs et fous lui poussèrent sur le crâne. Une ceinture de tissu jaune retint à la taille maigrelette un bermuda de jean. Un visage rond, éclairé par un grand œil sombre s'ouvrit sur eux, avec une légère cicatrice en arc de cercle sous lui. La chemise rouge aux manches arrivant au coude s'ouvrait sur ses muscles qu'on n'aurait pas cru présent pour un jeune aussi frêle. Mais surtout une immense cicatrice en croix au beau milieu des pecs. Une cicatrice formée par de la chair grièvement brûlée, mais pas assez pour mettre en danger le jeune homme. Puis, l'œil se ferma et un sourire physiquement impossible se dessina sur ce visage de jeune adulte avec pourtant cet air quelque peu enfantin.

- /Dans la fuite, Jimbei l'avait sur son épaule. Akainu est passé au travers pour frapper ton frère, yoi./ explicita Marco en voyant la façon dont son époux fixait la cicatrice sur la poitrine du doppler.

Doudou rouvrit son œil, l'air incertain, mais Marco eut un geste de la tête pour lui dire de ne pas s'en occuper. Ainsi, il changea de nouveau d'apparence. Il ne bougea pas des masses en taille, mais les cheveux poussèrent et blanchir, se rassemblant en un chignon cendrée fait à la va-vite, tirant presque sur une couleur typiquement neigeuse par endroit. La peau s'éclaircit et la silhouette fine pris des courbes féminine. Un œil émeraude soulignée par du maquillage noir les fixa avec attention, la joue marquée par une cicatrice partant de sous l'œil gauche pour remonter en un long arc de cercle vers l'oreille du même côté. Une légère cicatrice barrait celle que Doudou avait au naturel, une légère coupure comme on pouvait en avoir en apprenant le maniement des armes. Elle avait son épée en travers du dos, sur une lourde veste camo dont les manches n'allaient pas plus bas que les avant-bras. Dessous, un débardeur qui mettait en valeur ses courbes de jeunes femmes, mais ne descendait pas assez bas pour masquer le nombril laisser à l'air. Ensuite, on avait une bonne vieille ceinture de cuir retenant un poignard à lame d'argent bien semblable à l'un de ceux qu'Ace avait à la taille (sauf que celui chez le Chat Noir était en acier) et un pantalon de treillis. Et enfin, le pantalon était coincé dans des lourdes rangers impeccablement cirées.

- J'en connais un qui ferait un arrêt cardiaque s'il savait que Ciri cire ses propres pompes avec autant de soin, commenta Ace histoire de cacher son émoi devant ces visages.

Mandos s'en alla littéralement en claquant la porte.

Geralt inspira profondément et battit des paupières. Pour un individu privé de ses émotions, ce qu'il sentait à cet instant… il avait presque envie de pleurer.

- Ça suffira, je pense, maître doppler, dit doucement Anaïs en tapotant la main de Doudou qui reprit son apparence de halfelin.

- Chat Noir, je veux pas retourner le couteau dans la plaie ou quoique ce soit, mais… en cherchant à attirer l'attention de tous pour laisser de l'avance à Ciri et Luffy, j'ai… j'ai pris plus souvent son apparence à lui que celle de la petite, avoua le doppler. C'est… être lui est une bouffée d'air frais. Les choses sont si simples, si intrigantes et passionnantes pour lui. Tout est une aventure… Il est tellement enthousiaste, bourré d'énergie et si innocent, sans pour autant être sans défense.

- Je sais, souffla Ace de dessous son chapeau.

- Et sinon, vous savez où est passé Jaskier ?

- Les Chasseurs de Sorcières l'ont eu. Mais on a un plan pour le sortir de ce mauvais pas, annonça le Loup Blanc en retrouvant sa contenance.

- Vraiment ?

- Menge a décidé de nous quitter, yoi, informa placidement Marco.

- Ah ! Heureux de savoir que l'ordure n'est plus de ce monde, mais je pense que son successeur ne sera pas mieux.

- Oh, moi je pense que ça pourrait être un type bien, dit Zoltan.

- Qu'est-ce qu'il raconte ? marmonna le change-forme en regardant le nain.

- Personne ne sait que Menge est mort. Et avec votre aide, maître doppler, on pourrait tirer profit de ce point pour faire libérer Jaskier.

- En te faisant passer pour lui, tu pourrais donner l'ordre de faire transférer Jaskier jusqu'à Oxenfurt.

- On sera en embuscade dans la ravine, sur le chemin, informa Zoltan. Comme ça, on pourra attaquer le convoi et se charger de libérer Jaskier.

- Pourquoi me faire passer pour Menge ? Et sans compter que je ne sais pas où il est, moi, Jaskier !

- On l'a dit, personne ne sait que Menge est mort, assura Ace.

- Personne ? Un rapport avec l'incendie de leur QG ?

- Aucun. Kali a juste eu une envie furieuse d'y lâcher un iffrit. Menge, lui, a répondu à quelques questions, avant de passer l'arme à gauche dans les égouts, yoi.

- J'ai rien contre Yn Toredig, mais la magie… ça gâche le fun. J'aurais bien voulu m'amuser, moi aussi, bougonna faussement Zoltan.

- Pour ce qui est de Jaskier, il est sous l'île du temple, derrière les verrous. Le où précis, c'est à toi de le découvrir, pointa Geralt.

- Et s'ils se méfient ? Et s'ils commencent à poser des questions ?

- Vous êtes un comédien de talent, maître doppler ! Dame Priscilla nous l'a dit, intervint Anaïs. Sans compter que personne, sauf peut-être Radovid, n'ira chercher des poux dans la tête de Menge. Sans parler que vous êtes un doppler! Vous en êtes capable et on peut vous aider ! Je suis certaine qu'il doit exister un moyen pour vous rendre immunisé à l'argent !

- /Elle fera une reine très dangereuse, beau travail, chaton./ approuva Marco à voix basse pour son époux.

Doudou regarda Anaïs. Si ça avait été quelqu'un d'autre, il lui aurait sorti une remarque acerbe, mais là, il s'agissait d'une enfant.

- Quelques médecins sont encore autorisés en ville et je les connais quasi tous, annonça Marco. Pour justifier que Menge soit porté disparu, on peut passer par une blessure qui expliquerait le fait que l'homme ait brusquement un œil manquant, yoi. Je demande un coup de main à un de mes confrères et il dira devant Radovid et Emhyr en personne qu'il a Menge en soin depuis sa mystérieuse disparition.

- Et je suis censé vous contacter comment en tant que Menge pour vous avertir du départ du convoi ?

- Iro.

On regarda Ace qui venait de faire la proposition.

- C'est mon familier, une panthère. Elle maîtrise l'art du camouflage. Il faudra y regarder à deux fois pour la trouver. Si tu lui donnes un message pour nous, alors, elle me l'apportera, où qu'on soit.

- Et après ? Vous n'espérez pas que je reste dans la peau de Menge, comme Chapelle ! Pas question de continuer les bûchers pour donner le change !

- Une fois fini, tu nous retrouves au Thym et Romarin, lui dit Zoltan comme si c'était une évidence. En attendant, je vais avertir quelques potes que j'ai dans la bande à Surin.

- On est d'accord ? demanda Geralt.

- Ouais, ok.

- Je vais rester avec lui pour boucler des détails avec notre futur Menge et je rentre, informa Marco.

Ils échangèrent quelques mots avec Priscilla qui était restée silencieuse avec Gretka durant l'échange. Puis, le groupe, minus Marco et la petite Gretka s'en allèrent. Dehors, ils virent Kali à proximité de Mandos qu'elle regardait avec peine et inquiétude, et l'elfe qui se cachait sous sa capuche.

Délicatement, Ace confia la petite Déa à Kali avant de s'approcher du guérisseur. Il posa une main sur l'épaule de celui-ci.

- Tu rentreras chez toi. Même si ça doit être la dernière chose que je dois faire dans ma vie, Mandos.

Mandos leva lentement les yeux et dit avec une voix basse :

- J'espère que oui. Que je rentre mais pas au prix d'une vie. Et tu te rappelles ce que tu me dis assez souvent ? Ne gâche pas la chance que tu sois en vie et vis. Sinon, je te traiterais d'idiot jusqu'à la fin de l'éternité.

- C'est pas toi qui disais que tu ne voyais pas de soucis à mourir pour un ami ? Pourquoi je ne pourrais pas faire de même pour les miens ?

Il lui adressa un clin d'œil, avant de le pousser légèrement dans le dos pour faire signe au jeune d'avancer, avant d'aller récupérer la petite.

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Au petit matin, Thatch et Triss avaient fini par rencontrer le serviteur personnel de la dame Vegelbud. Et ce qu'il leur apprit était intéressant et expliquait bien des choses sur pourquoi la noble était prête à payer gros pour aider les mages à fuir Novigrad. Son fils risquait de finir sur le bûcher pour ses études flageolantes en alchimies, et ce, en dépit du fait que la mère ait soudoyé la garde du temple. Parce que d'accord, le garde avait accepté le pot de vin de dame Vegelbud, mais à côté, les chasseurs de sorcières offraient une prime pour chaque mage dénoncer… ou comment s'en mettre plein les poches en jouant sur les deux tableaux à la fois.

La situation était la suivante. Le jeune Albert Vegelbud, apprenti alchimiste se cachait au domaine rural de sa famille pour échapper aux chasseurs de sorcières. Mais cela n'était que repousser l'inévitable.

Pour lui permettre de fuir, la mère avait décidé d'organiser un grand bal masqué lui permettant de fuir discrètement. Et c'était à Triss de jouer parce que la noble avait le sentiment d'être sous surveillance, elle, sa famille, et ses serviteurs.

Sur le papier, c'était un bon plan, surtout en sachant que les rumeurs sur les fêtes et bals de la famille Vegelbud étaient connues pour leurs divertissements ; exubérance et richesse à outrance (l'an passé, en plus d'un feu d'artifice dans les jardins, on avait eu droit à une centaine de desserts différents dont des pétales de roses bleus caramélisés de Nazeir), mais il y avait tellement de choses qui pouvaient mal se passer… On avait notamment un souci avec la grand-mère qui était une fervente adoratrice du Feu Éternel qui ignorait tout des passions et loisirs "hérétique" de son petit-fils, mais là encore, ils avaient de la chance parce que la vieille dame ne venait que rarement au domaine rural de la famille.

- J'espère vraiment que la nourriture sera à la hauteur de la réputation, sinon, je vais faire un scandale, annonça Thatch.

- Tu viens avec moi ? s'étonna Triss.

- Ben oui ? Pourquoi pas ? Plus vite tu as l'argent, plus vite tu pourras prendre la fuite avec tes potes de Ban Ard et Aretuza, et donc, plus vite Marco pourra faire son boulot. Et puis, comment veux-tu que je rentre auprès des autres et leur dire en face, surtout à Geralt qui te considère comme une très proche amie, que je t'ai laissé seule dans un truc qui peut se retourner contre toi ? Et puis, quatre-vingt-cinq desserts… c'est un peu trop à mon goût. Que ce soit pour ta taille de guêpe que pour la qualité en elle-même.

- Thatch ! protesta la magicienne alors que le vampire avait un rire.

- Voici votre invitation, les gardes de l'entrée auront des instructions précises. Vous devrez cependant porter un masque de renard, madame, annonça le serviteur.

- Merci, accepta la femme en récupérant le carton d'invitation.

Elle l'ouvrit et le lut alors que le serviteur s'en allait.

- Le bal est ce soir. Il nous faudra des masques et une tenue pour toi.

- Je peux toujours emprunter le kimono de Marco, par contre, pour les masques, je connaissais que Elihal et l'elfe a été évacué.

- Très bien alors je prends les masques en charge.

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Ace terminait de donner le biberon à Déa, profitant qu'il n'y ait personne dans les environs pour le faire dans la salle principale de la taverne. Surtout quand Kali l'avait abandonné pour il ne savait trop quoi. Assis sur le sol, avec King et Uma, il humait doucement pour sa petite-sœur adoptive sous le sourire d'Anaïs. Priscilla avait définitivement adopté la petite Gretka et la gardait avec elle. Ce qui était une bonne chose vu ce qu'avait vécu la petite.

Le D. tourna la tête vers Mandos en l'entendant approcher.

- Ace ? J'ai un vieux chat qui essaye de voir s'il peut chasser. Un truc à proposer ?

- Il veut chasser quoi ?

Mandos se tourna vers le côté et le vide, sous l'œil intrigué d'Anaïs. Il fallut un temps avant que l'elfe ne donne la réponse :

- Il semble vouloir retrouver la sensation de traque. Suivre une piste. Je pense qu'il veut revenir à son état de chasseur et non de proie.

- Ah, commenta le D.

Il regarda le bébé dans ses bras. Il hésitait à la confier à Mandos. Pas parce qu'il n'avait pas confiance en lui (bien au contraire) mais plus parce que sans lui, cela reviendrait plus à une chasse avec un observateur dont il ne verrait pas la présence.

- Tu viens en chasse aussi ou pas, Mandos ? se renseigna finalement le Chat Noir en se remettant agilement debout.

- Oui. Laisse moi juste récupérer mon arc et mes lames et j'arrive.

Il monta rapidement récupérer ses armes à l'étage et redescendit en remettant sa capuche sur sa tête ainsi qu'un simple bandage sur son œil maudit, puisqu'il avait choisi de tresser ses cheveux et donc, pas besoin d'un bandana. Marco revint à cet instant et les regarda sans comprendre.

- Je vais prendre un contrat avec Mandos, tu gardes Déa, anata ?

- Je peux vous laisser seul cinq minutes sans que tu essayes de le tuer ou de le blesser, yoi ?

- Ce sera plus que cinq minutes, mais je t'assure que je le ramènerais entier.

Le D. embrassa son époux sur la joue avant de lui donner délicatement la petite demoiselle qui agita joyeusement ses petites ailes à l'adresse du Phénix.

- Anaïs, tu es prête à partir ? demanda le D. en se tournant vers la princesse qui observait la préparation pour le départ avec envie.

La demoiselle sauta avec excitation sur ses jambes et était déjà dehors avant que les deux adultes ne puissent cligner des yeux. Au moins, cela faisait rire Mandos qui avait l'air si triste, si sombre et si démoralisé depuis la rencontre avec Doudou (chose compréhensible mais pas pour autant facile à supporter).

La demoiselle grimpa sur Shinigami et Ace se mit devant elle sur la selle. Ils firent le tour de pas mal d'auberges et de panneaux d'annonce avant de trouver enfin un contrat à une heure de Novigrad, devant l'auberge de La Fente de l'oie.

L'annonce ne disait pas grand-chose, comme beaucoup.

Un halfelin du nom de Brean Hotsch l'avait posté au sujet d'un bois dont il avait récemment fait acquisition.

Premier problème dans ce fait, il était impossible de savoir si c'était un souci bien ancré ou si c'était récent. Cela pouvait indiquer si le phénomène/monstre était de passage ou s'il avait une zone bien définie.

Pour revenir au halfelin apparemment, il avait engagé des nains pour faire le boulot, mais un seul avait survécu. Pour revenir livide en délirant au sujet d'une bête.

Ouais. Du classico classique sans beaucoup d'éléments.

- Kiyan sera content de cette chasse, y'a tout à faire, soupira le D. en arrachant le contrat du panneau d'affichage.

Il retira sa capuche pour être d'emblée identifier comme étant un sorceleur (et ainsi se voir épargner les sous-entendus machistes et misogynes) avant d'entrer dans l'auberge où le commanditaire avait dit qu'il attendrait. Et toutes les conversations s'arrêtèrent immédiatement, avant de reprendre en un courant de murmures. Certains sur les rumeurs à son propos, puisque le Chat Noir était inimitable (surtout quand dans le métier, les yeux ambrés sont de coutumes), d'autres, surtout de la part des hommes, c'était sur son physique. Un sourire froid et une main sur la dague faisait réfléchir à deux fois ces gars-là. Quant au halfelin qui avait posé l'annonce, lui, il tremblait littéralement. De peur ou d'excitation, bonne question.

- Maîtresse sorceleuse… salua le petit homme avec une voix chevrotante.

- Bonjour, sieur Hotsch, c'est ça ?

Le halfelin hocha la tête alors, Ace brandit l'annonce.

- Mon camarade et moi sommes ici pour votre souci. Permettez qu'on s'assoit ? Aubergiste, trois schnaps et un jus de framboise pour la petite chasseuse.

Et le D. montra une table de la main.

C'était une habitude qu'il avait avant de prendre des contrats. Cela lui permettait de mettre en confiance son employeur et de jauger les chances de voir l'argent de la prime à la fin. Ce n'était pas parfait, mais ça marchait quand même assez bien.

- Bien, on est tous installé, on vous écoute encouragea le D. en buvant tranquillement son verre.

Alors, le halfelin leur raconta son histoire :

- Eh bien … Suite à une série d'événements regrettables, je me suis retrouvé propriétaire d'une belle petite forêt. Assez éloignée des routes mais, proche du port de Novigrad. Bref, de quoi gagner une somme rondelette à condition d'embaucher une équipe de bûcherons et de tout bien budgéter.

- Tu comptes te lancer dans une exploitation de ce genre, Mandos ? se renseigna avec lassitude le D. à l'adresse de l'elfe.

- Nan. Je suis médecin, j'ai l'air d'avoir besoin de savoir ça ? répondit le guérisseur avec un ton désobligeant.

- Hime-chan ?

Anaïs secoua la tête de derrière son jus de fruit.

- Donc, comme vous pouvez le voir, on en a rien à faire de tout ça, passer à la partie la plus importante de l'histoire, vous savez, le monstre qui vous empêche de faire de l'argent avec ces arbres.

- Un peu de patience, j'y arrive ! S'exclama le bûcheron. Mes bûcherons, des nains, sont venus me trouver avec des histoires de fantômes. J'ai cru qu'ils cherchaient une excuse pour tirer au flanc… jusqu'au soir où un seul d'entre eux est revenu. D'après lui, ils avaient été attaqués par un démon de la forêt.

Donc, ce n'était pas quelque chose de brutal, mais de lent comme phénomène. Nekkers à exclure, avec tout ce qui s'y apparentait. Il avait le sentiment qu'en face, c'était une créature intelligence. Un brumelin, un spectre, une guenaude ou alors un leshen.

- Vous vous doutez que si c'est un gros truc, votre prime ne sera pas suffisante, n'est-ce pas ? Surtout si c'est une grosse bestiole intelligente en face.

Vu les soucis qu'avaient rencontrés Gaëtan, le D. préféra être prudent, mais apparemment, le halfelin était prêt à mettre la main au porte-monnaie.

- C'est un plaisir de faire affaire avec vous. Je reviendrai avec la tête de votre bête, pour ma récompense. Sinon, où puis-je trouver le dernier survivant de vos travailleurs ?

- La dernière fois que je l'ai vu, il se soulait dans une taverne, soi-disant pour honorer la mémoire de ses camarades.

- Comme le nain, là-bas, au fond ? se renseigna le D. en montrant du pouce par-dessus son épaule le nain, rond comme une queue de pelle, qu'ils avaient croisé en entrant.

Le halfelin se décala à la table pour voir le nain en question et acquiesça.

- Eh bien allons lui poser des questions, il aura des indices pour nous, peut-être.

Et ils se levèrent pour aller voir le nain.

- Déjà une petite idée de la chose qui attaque ?

- Oui. Trois idées. Voir quatre, mais la quatrième… moins probable. On a quelque chose de puissant, et de vicieux. Ça ne chasse pas pour se nourrir et les nains ont eu le temps de le voir venir avant l'attaque. Pas assez pour l'identifier, mais suffisamment pour sentir la menace. Je penche soit pour un gros spectre, soit une guenaude, soit un leshen. Après, ça pourrait correspondre à un brumelin, mais en étant très tiré par les cheveux.

- Avec les informations du nain, s'il est sobre, on pourra avoir une meilleure idée.

Ace eu un petit mouvement d'épaule. Il préférait voir trop large et ne pas se faire surprendre, plutôt que rejeter les options.

- Kiyan pense aussi que ce n'est pas un brumelin. Il a même l'air sûr, partagea le Valet de la Mort.

Ils verraient bien.

Le nain était sur son banc, en retrait, une pinte à la main. En voyant le trio (le fantôme étant invisible pour tout le monde sauf Mandos), il les invita à venir boire avec lui.

- Venez trinquer à la foutu mémoire de mes malheureux collègues... invita-t-il avec un ton vaseux d'alcoolique qui a bu la bière de trop. Quelque chose leur est tombé sur la couenne mais quoi ? Mystère… J'sais même pas qui ou quoi maudire…

Et il vacilla légèrement sur son siège.

Ace se mit sur le côté en reculant de quelques pas avant de s'accroupir pour être plus à niveau avec le nain sans qu'un saoulard du coin ne lui fasse une remarque déplacée par rapport à sa position. Il en avait assez entendu depuis qu'il était une femme pour prendre ce genre de précaution. C'était peut-être ces mesures qui faisaient que beaucoup pensaient qu'il était encore vierge.

- Mes regrets pour vos camarades. Brean Hotsch nous a dit, dit d'un ton doux le D.

- Cette tête de nœud ? On a essayé de lui expliquer, de lui dire que la forêt était hantée. Il n'a rien voulu entendre.

- Et à côté, il m'a demandé de retrouver ce qui a coûté la vie à vos amis pour s'assurer qu'il n'y aura pas d'autres victimes.

- Vraiiiment ? s'étonna le nain dans un geste qui faillit le faire tomber de sa place. Alors, je retire ce que j'ai dit. C'est un gars bien, finalement, ce Brean… pour un halfelin.

- Vous voulez bien me raconter ce qu'il s'est passé ?

- Beeen… on était sur le chemin du retour, chargé comme des mules. Tout d'un coup, on a entendu un cri à glacer le sang... Comme un hurlement de loup. On a mis les voies, mais le chariot est resté coincé. Magnus Richter m'a hurlé de courir chercher les arbalètes à la hutte, alors j'ai couru. Et quand j'suis revenu… un putain de massacre. J'étais même pas fichu de dire qui était qui.

- Merci… vous pouvez juste me dire où est cette cabane ?

Ils écoutèrent avec attention avant que le D. ne se redresse.

- J'y vais alors. Une longue chasse m'attend.

Il se détourna mais le nain attrapa un bord de sa cape.

- Écoutez, même si z'êtes une donzelle, y'a beaucoup de bruit qui court sur les sorceleurs, donc, j'vais vous faire confiance pour buter ce truc.

- Je vous montrerais sa tête.

Ace allait partir avec Mandos quand Anaïs s'avança vers le nain et prit la parole alors qu'elle était restée silencieuse.

- Dîtes, maître nain… La majorité des elfes, nains et halfelins ont été évacués vers les territoires nilfgaardien. Pourquoi n'êtes vous pas parti ?

- Et fuir la queue entre les jambes devant ces fanatiques ? Et puis quoi encore ! J'ai encore assez de fierté pour ne pas appeler à l'aide ces collabos de Scoia'tael ! Ils ont aidé l'empereur durant la dernière guerre, qu'est-ce qu'il nous dit qu'ils ne le feront pas de nouveau ! Plutôt arrêter l'alcool que de me cacher dans les jupons de l'Empire !

Et il continua à grommeler de mauvaise humeur, même après qu'Anaïs l'ait remercié de ses réponses. Elle rejoignit le D. qui remit sa capuche sur sa tête et Mandos qui avait les lèvres pincées. Dehors, Ace soupira.

Un leshen. Son argent allait sur un leshen.

Il regarda le kairoseki à son poignet. Avec le logia, ce serait tellement plus simple.

- /Reste près de moi, ces gars cherchent les ennuis et je ne veux pas que tu sois prise dans la bagarre s'ils se décident à passer à l'acte,/ demanda le pirate en posant une main sur le crâne de son Enfant Surprise.

Ils retournèrent vers les chevaux et la petite princesse fut mise en selle avant qu'Ace passe derrière elle.

- Dis-moi, Hime-chan, pourquoi tu n'as pas posé la même question au halfelin ? se renseigna le brun en prenant la bride.

- Parce que cet halfelin a de l'argent. Bien assez pour se permettre d'acheter un bois. Sans compter que c'est un négociant. La guerre fait rage, mais il ne songe qu'à son profit. Donc, il ne prendra pas la fuite avant le dernier moment où il réalisera que tout l'argent du monde ne peut pas le protéger, dit tranquillement la demoiselle.

Bon sang, Oyaji serait tellement fier de voir que l'aide qu'Ace avait donné dans l'éducation de la demoiselle ait mené à former une princesse aussi incroyablement fine et intelligente. Il se sentait rayonner de la même fierté qu'il avait eut tout ce temps durant lequel il lisait les exploits de son frère.

- Kiyan dit que tu as de bonnes griffes, Anais. Je pense que c'est un compliment, sourit Mandos.

- Ce n'est pas parce que je suis une demoiselle que je ne sais pas réfléchir, parler, et me battre. Je suis la future reine de la Temeria, donc, il est de mon devoir d'être assez forte pour ne laisser personne me manipuler.

La jeune fille allait sur ses onze ans, pourtant, elle se tenait avec tant de droiture sur le dos de Shinigami qu'elle paraissait plus vieille.

Ils chevauchèrent à travers champ, puis ils durent ralentir l'allure en passant par le village bondé en bordure du lac qui les séparait des bois où la bête les attendait. Quand les bois montrèrent leur nez, ils accélèrent de nouveau pour ne pas laisser le temps aux créatures des forêts de s'intéresser à eux.

Bientôt, ils virent la hutte des bûcherons à travers le feuillage. Lentement, ils ralentirent pour finir par s'arrêter.

- Examinons les lieux. Et tu me donneras tes conclusions, demoiselle, d'accord ?

Le trio descendit de cheval et regardèrent autour avant de trouver des traces d'ornières profondes. Deux traces parfaitement parallèles. Lentement, tenant la longe des montures alors qu'ils avançaient à pied, ils suivirent la trace de la charrette jusqu'à une clairière un peu plus bas. Ace avait tiré son glaive d'argent et l'avait huilé, par simple précaution. On n'était jamais trop prudent.

Ploc.

Les gouttes de pluie se mirent à frapper les feuilles des arbres au-dessus de leur tête pendant que le vent se levait. Cela ne rendrait pas la tâche aisée. Ace jeta un regard noir dans les fourrés et donna une dague en argent à Anaïs.

- Fais attention, il y a des nekkers dans les environs.

- Ce ne sont pas eux les coupables, dit la demoiselle. Ce n'est pas leur façon de faire.

Ace se contenta de caresser le crâne de son Enfant Surprise avant de continuer la marche, veillant à ce que les chevaux n'empiètent pas sur les marques dans le sol qui devenait très lentement boueux.

Le site de l'attaque était simple en soi.

Une grosse tache de sang au centre, avec une épée de nain encore plantée dans le sol en son milieu. A peine plus loin, il y avait le corps des nains.

Les deux avaient affronté quelque chose de très gros.

Ace repéra des marques de pas, comme un nain ayant pris la fuite, mais attendit de voir si la petite princesse avait vu les traces. Et bien vite, malgré la pluie, il s'avéra que oui, elle les avait vues. Elle suivit le chemin et tomba très vite sur le corps. Le nain avait été agressé dans le dos, plaqué la tête la première dans le sol par des racines qui le retenaient encore prisonnier. La petite observa les mains, les yeux et les lèvres du nain avant de se tourner vers le D.

- Il est mort étouffé.

Le pirate croisa les bras sans rien dire, mais la fillette continua en montrant les racines.

- La présence de ces racines me fait dire qu'il s'agit d'un spriggan ou d'un leshen. Ou alors d'un mage qui n'a rien de mieux à faire, mais il n'aurait pas laissé un témoin fuir.

- Tu trouves pas qu'il est un peu tôt pour tirer une conclusion ? demanda le mutant.

- C'est pourquoi je vais chercher des preuves pour étayer mon hypothèse.

Ils se tournèrent vers Mandos qui revenait vers eux après son petit tour dans les buissons.

- Quelque chose d'intéressant ? se renseigna Ace.

- On a trouvé un second nain qui s'est vidé de son sang. Grande marque de griffe dans le dos. Assez forte pour trancher un os et la moelle.

- Est-ce que cela t'apporte des informations nouvelles ? demanda le pirate en se tournant vers la jeune fille.

- Les Leshens ont beaucoup de force et des griffes.

- C'est tout ?

- Euh oui…?

- Les morts, c'est ton domaine, je peux te laisser te charger des cadavres, Mandos ? Le temps que je montre à Anaïs un gros indice qu'elle a manqué ?

- Pas de soucis. Je vais faire en sorte qu'ils aient une sépulture.

Ace tourna alors les talons en faisant signe à la petite chasseuse de le suivre. Il marcha jusqu'à la charrette là où ils avaient laissé les chevaux et le sorceleur regarda la fillette.

- Qu'est-ce que tu as loupé ?

La petite regarda autour d'elle avec un brin de panique avant de se faire rappeler à l'ordre.

- Prends ton temps. Observe attentivement autour de toi. En te dépêchant, tu risques de louper quelque chose.

Anaïs souffla profondément avant de scruter chaque recoin de la clairière avec attention. Elle ne poussa aucune exclamation en réalisant ce qu'elle avait loupé (et donc se voir attirer les foudres de la faune locale), mais sa brusque inspiration voulait tout dire. Elle caressait à présent du bout des doigts des griffures sur un rocher aussi grand que le D. qui hocha la tête.

- Qu'est-ce que l'on a ?

- Quatre traces de griffures. Grandes griffes. Peut-être faites par colère. Rage ?

- Possible, accorda le professeur.

- C'est forcément un leshen. Il n'y a qu'eux avec des griffes de cette taille. Mais il n'a pas marqué son territoire comme les autres que tu m'as montré par le passé.

- Pourquoi d'après toi ?

- Je l'ignore, onii-chan.

- Je te donne toutes les réponses ?

La petite hocha la tête.

- En effet, on est face à un leshen. Et s'il est en colère au point de scarifier un rocher, c'est parce qu'il est jeune. Ce sont des esprits des bois, ils ne sont pas soumis à l'évolution, ils apprennent sur le tas. Celui-ci vient de découvrir ce que ça fait de voir des intrus s'en prendre aux arbres qu'il garde et a laissé une trace disant "ici, c'est chez moi". Au fur et à mesure du temps et des intrusions, il marquera de façon plus notable son habitat. Mais pour l'instant, notre adversaire est encore jeune. Mais ça ne veut pas dire qu'il n'est pas dangereux. Tu as bien vu ce qu'il a fait à ces nains, non ?

- Je serais prudente et je regarderais plus attentivement la prochaine fois.

- Tu as l'excuse de ta taille, Anaïs. Moi, Mandos et Kiyan, nous sommes adultes, donc, on peut voir plus haut sans lever la tête, ce qui n'est pas le cas pour toi. N'oublie pas de regarder en haut, parce que personne n'y songe et beaucoup se font tuer bêtement comme ça ? D'acc ?

- D'acc ! acquiesa la petite.

Elle frissonna étrangement et frotta ses cheveux.

- Tu te sens d'attaque pour un leshen Mandos ou tu te retires d'office de la course avant qu'on ne doive jouer ça au Janken ? Se renseigna Ace au guérisseur qui revenait.

- Si j'avais l'accès aux sorts de feu, j'aurais joué au Janken. Mais, là, je te le laisse. Je viendrais si je dois te sauver, répondit l'elfe.

- Tu restes avec Mandos, Anaïs.

Reconnaissant le ton de son gardien, la petite princesse se mit sans discuter à côté de Mandos. La seule et unique fois où elle avait désobéi à ce ton, elle avait failli finir dans la soupe d'une guenaude sépulcrale. Le D. fit alors un signe à la petite princesse de se taire et ouvrit grand les oreilles. Les corbeaux étaient les yeux et les oreilles des leshens. Et pour le faire sortir de sa tanière, il allait devoir détruire son totem qui était probablement surveillé par les corbeaux justement. Percevant les croassements, le D. se mit en marche.

Lentement.

Chaque pas était travaillé pour causer le moins de bruit et ne pas déranger les bois. Il trouva des corbeaux sur la route qui fuirent en le voyant venir. Les piafs étaient sur un sentier forestier, certainement pas ceux que le D. cherchait, mais ce n'est pas pour autant qu'il désespéra. L'oreille tendue, marchant toujours avec précaution, le glaive d'argent à la main, il continua sa recherche.

Au bout d'un moment, au pied d'un arbre, il vit le totem en bois et ossements d'animaux surmonter par un crâne de cerf. Les oiseaux qu'il cherchait étaient perchés dans les branches au-dessus. Ce n'est pas pour autant que le D. passa à l'attaque. Il retira la chaîne d'argent qu'il cachait sous son armure et la frotta méticuleusement avec de l'huile contre les vestiges, avant de huiler de nouveau sa lame. Il enroula la chaîne autour de son poignet de libre, histoire de l'avoir à disposition. Il vérifia ses bombes avant de se lever.

Il était prêt.

Fini de se cacher.

Il marcha vers le totem et donna un grand coup de pied dedans, le brisant sous l'impact. Il tomba en morceaux dans un bruit d'ossements. Gardant le dos contre l'arbre, il se tourna vers le reste des bois.

Immobile.

Silencieux.

Attentif.

Et sans ses mutations, il l'aurait loupé.

Elle n'avait fait aucun son. La créature était gigantesque (certainement la taille de Shirohige) et lourde, pourtant, elle se fondait parfaitement dans les arbres du soleil couchant. Et le temps de battre les paupières, il n'était plus dans le lointain, mais sortait d'un arbre juste devant le nez du mutant qui resta imperturbable. La créature laissa échapper un hurlement semblable à celui d'un cerf gigantesque et démoniaque. Les leshens étaient de très grandes créatures bipèdes faîtes de bois et d'écorces surmontées par un crâne de cerf géant. Le tissu marron qui formait leur habillement se fondait presque dans la teinte de l'écorce moussu qui leur servait de peau. Pour l'individu devant lui, Ace nota avec amusement que sa tête arrivait à la taille de l'esprit des bois et que les griffes avait dangereusement la longueur de ses avant-bras, faisant que ce géant des forêts avait des bras lui arrivant quasi aux chevilles.

Le leshen disparu dans un nuage noir et se transforma en une nuée de corbeaux qui volèrent vers le D. qui roula agilement sur le sol pour s'en éloigner, brisant au passage une bombe de Rêve du Dragon. Le nuage gazeux s'éleva juste à l'endroit où le leshen se reforma. Parfait pour la nouvelle bombe artisanale que lui lança le D. dessus. La bombe d'Etoile Dansante explosa, brûlant le leshen et mettant le feu au Rêve du Dragon qui traînait encore dans la zone, provoquant une seconde explosion. Avec les signes sous la main ça aurait été plus simple, mais ce n'était pas le moment de tergiverser dessus. Il fonça à l'assaut, frappant la solide peau d'écorce du monstre qui grogna en réponse, avant d'esquiver un coup de griffe. Il sauta sur le côté quand, en se retournant, le leshen posa ses mains sur le sol. Bonne initiative, car des racines meurtrières sortirent du sol. Pas le temps pour le moindre répit parce que les corbeaux se jetaient sur lui à présent. Il les chassa en faisant tournoyer la chaîne au-dessus de sa tête comme un semblant de bouclier contre les oiseaux. Trois ou quatre finirent au sol, morts, avant que les piafs ne comprennent qu'il valait mieux battre en retraite. Mais déjà, le leshen avait disparu. Le D en profita rapidement pour avaler une fiole de tonnerre avant de courir hors de portée de la créature qui était réapparue dans son dos.

- Goûte moi ça.

Il trancha l'air de son glaive, envoyant une lame volante qui déchira profondément l'écorce de la poitrine de la bête, avant de franchir la distance avec un Soru.

La pression de la technique de vitesse lui fit mal aux poumons, mais il resta de marbre. Il pouvait le faire, alors qu'avant il ne le pouvait pas. Au pied du leshen, avant que celui-ci ne réalise sa présence, il enroula la chaîne autour d'un des sabots de bois qui servaient de pieds à l'animal. Il esquiva un coup et noua l'autre bout de la chaîne à l'autre jambe.

Résultat, en voulant avancer, il se cassa royalement la gueule en secouant bien comme il faut la forêt. Ace sauta sur son dos avec un rictus et s'aida du Haki pour détacher la tête du corps du monstre.

Le combat était fini.

Douloureusement, il s'assit sur le cadavre et défit les sangles de son armure pour respirer. Il avala une fiole d'Hirondelle et inspira profondément. Il nota un corbeau dans l'arbre alors que les espions du leshen avaient repris la fuite. Hugin.

- Je vais bien, va dire à Mandos que j'arrive.

L'oiseau décolla, laissant le D. se remettre. Bon, utiliser le soru, ce n'était pas encore pour tout de suite, mais ça viendrait.

- Vatt'ghern ?

Le D. tourna la tête pour voir que son combat avait attiré l'attention de Scoia'taels.

- Vous campez dans les bois avec un leshen ? Vous êtes de grands malades...

- On ne faisait que passer, rétorqua l'elfe alors que d'autres venaient le rejoindre.

Le D. tourna la tête de son siège sur le corps décapité du leshen en voyant Mandos arrivait avec Anaïs. La demoiselle se précipita vers lui alors que Mandos saluait brièvement les elfes avant de se tourner vers le mutant.

- Caedmil. Donc, vatt'ghern ? Ce combat ?

Ace se contenta de tapoter le corps sous lui pour toute réponse.

- On va vous laisser. Bonne chance sur la voie, sorceleuse, salua l'écureuil en jetant un regard curieux à son compatriote qui se cachait sous sa capuche.

Dès qu'ils furent seuls, le pirate bondit sur Mandos et le serra dans ses bras si fort que quelques os de l'elfe se mirent à râler.

-Mercimercimercimercimercimercimerci ! remercia le mutant enjoué.

- Ace … os … respirer … plus…

Le pirate le lâcha immédiatement et inspira profondément avant de relâcher le tout.

Il respirait réellement.

Cela faisait si longtemps qu'il en avait oublié le goût de l'oxygène. Et ça lui monta presque à la tête.

- Je déduis donc que tout est fonctionnel. Mais ne m'écrase plus… d'accord ?

- J'ai trouvé ma limite et je sais comment la travailler pour la repousser. Et ce, en une technique. Mais sans ça, j'aurais pu me battre encore un moment sans manquer de souffle. Allez, rentrons, que l'on fasse mentir Marco. Je sais pas si tu le sais, mais c'est mon jeu favoris !

Et toujours avec son sourire de huit kilomètres, il chargea la tête du leshen sur Shinigami pour aller réclamer sa prime et monta en selle avec Anaïs. Heureusement que la petite était légère parce qu'ils le chargeaient le pauvre étalon noir.

- Ace … Kiyan semble vouloir te dire merci de vive voix, lui dit Mandos qui était toujours par terre.

- Ah ? D'accord... bah je suis à son écoute.

Mandos était monté sur sa monture pour être au niveau du D. et lui posa une main sur l'épaule en faisant signe à Anaïs de ne surtout pas le toucher. Ce fut comme si on retirait un voile des yeux du pirate parce qu'à présent, il voyait le défunt sorceleur. Et c'était pas beau à voir. Ce n'était pas de la torture, c'était de l'expérimentation, de la vivisection. Avec la chair qui commençait à réapparaître par endroit.

- Merci… jeune Chat, pour la chasse. Content. J'étais… content.

- Tu me remercies pour rien, parce que je n'ai rien fait. C'est vrai quoi ? C'est mon boulot de chasser les monstres. C'est moi qui devrais te remercier pour m'avoir donné une excuse pour trouver les limites de mes nouveaux poumons. Alors, te fais pas de bile. Si prendre des contrats par procuration te permet de retrouver ton identité et le repos, vas-y.

- Demanderai…mais… encore… peur d'être dans la cellule à nouveau. Être à nouveau un sorceleur… l'armure… Tu la mérites et aucun autre Chat. Si tu la veux… demande au maître de la mort.

Mandos retira sa main.

- J'ai pas saisi la proposition. Ça fait plus de sens pour toi ? Se renseigna les D.

- Oui. Il parle de l'armure. Ou enfin, des schémas d'armures de maître de l'école du Chat.

Le mutant montra sa propre armure. La seule fois où il était retourné auprès des Chats, après avoir été "adopté" par Vesemir, c'était pour voler des copies des schémas de maître. Et il avait attendu longtemps et économiser énormément avant de le faire. En fait, c'est Foltest qui l'avait payé suite à l'incident de Wyzima.

- Merci pour la proposition, mais c'est déjà dans mes affaires. On va récupérer la prime ?

- Allons-y. Mais je te laisserais quand même regarder les schémas.

Le D. haussa des épaules et talonna sa monture.