Jackson était d'une vulnérabilité folle, peut-être plus qu'il ne l'avait jamais été jusqu'alors. Il avait le teint d'une pâleur incroyable et donnerait l'impression à quiconque passant par là et ne connaissant pas sa nature lupine qu'il était malade, victime d'une maladie humaine d'un genre qui ne connaissait pas de remède – ce que pouvait éventuellement confirmer sa finesse à la limite de la maigreur. L'on pouvait même l'imaginer au bord de la mort que ça n'aurait rien de choquant. Le pire, ce serait sans doute son regard absent, sa cornée rougie, ses pupilles dilatées… Il laisserait croire malgré lui que le désespoir l'avait fait céder, tomber dans des bas-fonds sans fin. Cette dernière n'avait rien d'extravagant, dans la mesure où elle ne faisait rien de plus que résumer sa descente aux enfers… Sa dépendance morale à une drogue aussi dure que punitive. Elle le dépossédait peu à peu de son essence, de son caractère… De tout ce qui donnait corps à son identité, à celui qu'il était au fond de lui, avant que son existence ne s'effondre.
Le pire, c'est que Jackson avait conscience de tout ça, tout autant qu'il savait qu'une âme malintentionnée pouvait faire ce qu'elle voulait de lui : cela allait de potentiels abus, en passant par la torture, jusqu'à la simple idée de le regarder dormir.
Et c'est ce qu'un être au teint plus pâle que la lune faisait à l'heure actuelle. Il n'avait rien de méchant, rien de malsain, rien d'inquiétant – mais dangereux, il l'était. De cela, on ne doutait pas.
Il fallait être carré pour entrer dans ses bonnes grâces et pourtant, cela ne faisait que quelques mois qu'il avait grossi leurs rangs… Celui de ces êtres au sang-froid. Mais son intelligence et sa ruse lui avaient très vite permis de s'en sortir et de s'ériger une réputation qui le préservaient pour l'instant de toute tentative d'intimidation. De plus, il avait gagné la protection du roi du nid et ce, en un rien de temps. Il faut dire que sa personnalité avait cela d'original que le jeune vampire avait gardé une grande partie du caractère qu'il avait de son vivant. Bien sûr, les prochaines années risquaient tout de même de le changer – rien ne résistait au temps. Mais certains perdaient toute joie, tout rayonnement dès les premiers jours, embrassant avec langueur les plaisirs tristes de la mort. A contrario, lui, il continuait d'apprécier la vie… D'exister comme s'il était encore vivant.
Alors voilà, il était particulier, un peu étrange pour un vampire… Mais pas moins puissant. C'était comme si la mort lui avait arraché sa peur, s'était attelée à détruire les limites que son opposée lui avait imposée.
Ainsi, on ne l'avait pas contredit lorsqu'il avait exhorté ces infâmes vampires affamés de lâcher ce pauvre loup-garou qui était parti bien trop loin pour garder un semblant de conscience de ce qu'il lui arrivait. De son côté, le jeune homme n'avait rien contre ces échanges de bons procédés : il n'y avait rien de mal à vouloir s'évader un peu et, de l'autre côté, à boire pour étancher sa soif… Tant que cela restait dans les limites du raisonnable. De son côté, il n'appréciait d'ailleurs pas beaucoup que l'on paye pour ce service… Dont les conséquences ainsi que l'addiction potentielle pouvaient être un problème.
De toute façon, il ne laisserait plus aucune de ces sales bêtes laisser ses crocs pénétrer dans la peau du loup-garou, qu'il savait être un kanima… Un jeune homme autrefois insupportable à cause de cette arrogance qui lui avait longtemps collé à la peau.
Il avait pris soin de congédier les malpropres profitant de son état de vulnérabilité extrême en leur faisant bien comprendre son point de vue. Il avait fait luire ses yeux rubis sans jamais user de quelque forme de violence que ce soit : il n'en avait pas besoin, sa réputation toute récente le précédait. On savait qu'il blaguait beaucoup… Mais ne plaisantait jamais.
Et le voilà maintenant qui veillait sur le sommeil de ce loup-garou qu'il n'avait jamais oublié… Comme les autres. Seulement quelques mois s'étaient écoulés depuis sa mort, mais ils lui faisaient l'effet d'une éternité des plus ennuyeuses… Tout comme ce présent qui lui paraissait déjà passé.
La vie était devenue bien étrange depuis la mort.
xxx
Jackson n'aimait toujours pas cette faiblesse familière qu'il commençait pourtant à bien connaître et qu'il s'autorisait à supporter uniquement parce qu'elle suivait un moment de flottement dont la portée n'avait pas de limite. La drogue qu'était le venin de vampire avait cela de bien qu'elle changeait sa perception du présent, le distordait à un point tel qu'il en venait à le supporter bien plus aisément que lorsqu'il était sobre.
En d'autres termes, c'était sa propre absence qu'il appréciait… Qui lui donnait l'impression de le contrôler justement parce qu'il choisissait de n'en être que le spectateur. L'illusion du choix, l'illusion du pouvoir : voilà ce qu'il aimait réellement. La vie n'avait pour lui plus beaucoup de sens, si ce n'est de supporter le poids de la destruction… Le poids des morts. Leur souvenir, bien trop lourd, tâchait de sang les yeux des vivants dont le seul devoir était de faire perdurer leur mémoire à travers les leurs, bien personnelles. Il s'agissait de l'une des rares raisons pour lesquelles Jackson n'avait pas mis fin à sa vie, alors même qu'il savait qu'elle devait se terminer prématurément. En fait, il ne faisait rien de plus que retarder l'échéance, s'interdisant de demander plus.
Parce qu'il savait bien qu'aucun de ces monstres ne lui accorderait le droit de contester le sort qu'on lui avait réservé.
Alors, Jackson vivait avec ce mal qui le rongeait et qui, bientôt, aurait sa peau en plus de son âme. Y repenser lui procura un sentiment étrange, alors qu'il avait repris connaissance depuis un moment indéfinissable. Qu'il s'agisse de secondes ou de minutes, l'effet était le même : tout en lui était si lent que ses réflexions ne volaient pas très haut, ne se creusaient que peu. Et il avait déjà envie de replonger, de quitter cette réalité qui pour lui n'avait plus vraiment de sens. Était-ce pour cela qu'il gardait les yeux fermés ? Qu'il se persuadait qu'il était trop fatigué pour se lever maintenant ? Il y avait dans son déni tout autant de vrai que de faux. Jackson était véritablement épuisé, mais mentalement trop en forme pour laisser l'inconscience le gagner aussi tôt. A force, il savait que seule sa drogue désormais quotidienne pourrait le faire dormir efficacement. L'habitude s'installait, doucement. Il le voulait bien, de toute façon. Jackson s'était de toute façon laissé couler volontairement, tout comme il s'était accordé à céder du terrain à cette noirceur qui le bouffait et qui ne cessait de consolider ce cercle vicieux duquel il ne connaissait aucune sortie.
Et pourtant, vint un moment où il dut se rendre à l'évidence : impossible pour lui de replonger dans l'inconscience bien heureuse à laquelle il aspirait sans arrêt. Il tarda cependant à ouvrir les yeux et lorsqu'il fit enfin cet effort, la confusion s'installa en lui. Pas celle qu'il connaissait : celle-là était bien plus attrayante parce qu'elle le rendait incapable de réfléchir.
Cette confusion-là n'était rien de plus qu'une réaction instinctive à ce qu'entrevoyaient ses prunelles céruléennes.
Sa chambre n'avait pas de tons aussi clairs. Elle était plus grande, aussi, pour la simple et bonne raison qu'il l'avait payée cher. Jackson se considérant comme un mort en sursis, il ne voulait pas partir sans avoir dilapidé sa fortune personnelle en des petits plaisirs comme celui-ci. Féru de luxe et un poil claustrophobe sur les bords, il ne s'était sans doute pas rendu dans cet endroit de son plein gré. Sentant déjà l'angoisse le gagner, il commença à se redresser, à repousser les draps froids qui le recouvraient l'instant d'avant.
Mais une voix semblant venir de l'ombre le coupa dans son élan.
- Reste tranquille, Jackson.
Elle avait un ton posé, un accent familier. Le frisson qui parcourut le corps du loup-garou fut violent et perturba sa façon de voir son environnement : sa vue lupine, qui ne lui permettait rien de plus à l'heure actuelle que de deviner les dimensions de la chambre, flancha. L'espace d'un instant, il se crut… Humain. Humain, dans le passé. A Beacon Hills, loin de l'agitation de cet enfer dans lequel il s'était rendu pour s'oublier.
- Crois-moi, s'éleva encore la même voix, tu n'as aucun intérêt à te lever maintenant.
