Salutations !
J'ai honteusement oublié de poster cet OS quand la série est sortie, elle est sur AO3 sous le même titre et en anglais.
La série était sympathique, un peu trop prévisible à mon goût, et sous-exploitant criminellement ses personnages, mais avec un bon potentiel, un superbe visuel et de belles dames glaciales et sournoises, qui pourrait résister ? J'espère que le fandom sera fertile et que ma modeste participation plaira.
Bonne lecture !
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"Other friends have flown before—
On the morrow he will leave me, as my hopes have flown before."
Then the bird said, "Nevermore."
« D'autres amis se sont déjà envolés loin de moi ;
Vers le matin, lui aussi, il me quittera comme mes anciennes espérances déjà envolées ».
L'oiseau dit alors : « Jamais plus ! »
Le Corbeau, Edgar Allan Poe, traduction de Charles Baudelaire.
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Alors qu'à quelques lieues les cendres de l'académie Nevermore étaient encore chaudes, on pourrait croire que le calme viendrait enfin. Mais ce serait mal connaître les forces qui sommeillent en chacun de ses étudiants, passés et futurs.
Des forces sombres qui s'agitent et hurlent dans les ténèbres, sous la peau de chaque personne ayant franchi le seuil de l'école et dans le sang de ceux qu'elle accepte comme siens.
L'air nocturne durcissait les cendres de l'hexagone de la cour. Figeant à jamais l'arbre et sa fontaine comme une statue de bronze, un mémorial de bataille. Mais dessous, les cendres rougeoyaient, cœur de magma incandescent.
Le vent les emportait, dansant et virevoltant dans la forêt, autour du lac, portant le message de la victoire, laissant les traces d'un ennemi obscur nourrir la terre.
Passant un portail de fer forgé, le vent déposa ses offrandes, saupoudrant une tête de cheveux noir d'une auréole d'argent qui y disparut en un instant.
Ce lieu de repos était éveillé.
Sous le couvert de la nuit, une silhouette sombre creusait la terre tout juste retournée du cimetière de Jéricho. Les corbeaux avaient depuis longtemps cessé de croasser et les colombes ne s'étaient pas encore levées. Son œuvre accomplie, le vent lui-même était tombé, ne voulant pas être témoin d'un autre pillage de tombe.
Le bruit du métal heurtant du chêne résonna parmi les pierres tombales.
C'était fait.
Lasse, la silhouette s'allongea au bord du trou, sa robe coulant autour d'elle comme une flaque de ténèbres. La lumière bleutée de la lune éclairait seulement son visage, le faisant paraître d'un blanc d'os parmi les pierres. Sa main, les ongles tels des griffes d'obscurité, pendait contre la paroi de terre meuble. Si un être sortait de Terre pour l'agripper, il suffirait d'un instant pour qu'elle disparaisse dans les profondeurs à jamais.
Elle guettait. Au fond du trou fraîchement creusé, un cercueil reposait. Couvert de terre et de fleurs flétries. En l'espace d'une nuit leur parfum s'en était allé, se muant en une odeur douceâtre qu'elles étaient censés cacher. L'odeur de la décomposition.
Inspirant avec délice cette senteur de mort et de terre mêlée, la dame en noir se détourna un instant de la tombe pour poser la tête dans l'herbe et admirer le ciel. Des nuages d'orage s'amoncelaient, et l'air avait l'immobilisme qui précède le tonnerre. Seule la lune, dans sa splendeur gibbeuse, semblait paisible dans un cercle noir de nuit.
Éclair et clair de lune, la nuit parfaite, comme Morticia l'avait vu dans le reflet sanglant de son verre de vin.
Elle le sentit avant d'entendre le moindre bruit. Ce frisson parcourant la terre depuis le fond de la fosse. Il dansait le long de ses doigts, vibrait dans sa poitrine et fit rebiquer ses cheveux avant de disparaître dans l'air.
Juste un éclair de plus dans l'orage à venir.
Morticia se redressa et se tourna vers la tombe. Le cercueil tremblait, le bois craquant alors que quelque chose remuait à l'intérieur.
Une main suturée sortie de ses cheveux et sauta de son épaule, glissant le long de la soie de sa robe. Elle prit appui sur le talon de sa chaussure et atterrit sur le couvercle du cercueil.
Les bruits cessèrent en un silence prédateur alors que la main ouvrait les loquets.
Un souffle.
Le cercueil s'ouvrit brusquement, projetant la main dans la terre.
Un souffle.
Morticia se pencha en avant, un sourire aux lèvres.
Dans la tombe, gisait une silhouette immobile, à peine éclairée par les rayons de lune qui lui privilégiaient la dame veillant sur son repos éternel. Paresseusement l'astre lunaire concéda quelque peu de sa lueur nocturne à la femme dans la tombe.
Figée dans un tailleur couleur perle, pas encore touchée par les vers. La peau bleutée et les cheveux blonds, cette pâle lueur suffirait à détacher sa silhouette de l'obscurité environnante, lui conférant un aspect irréel.
D'autres auraient été choqués en voyant un cadavre gisant devant eux, mais Morticia avait vu et fait bien pire. Ainsi, quand elle vit ses yeux s'ouvrir, elle n'eut aucune réaction, si ce n'est peut-être un léger soupir de soulagement.
L'ancienne morte la fixa un instant, une éternité, alors que le teint bleuté de sa peau refluait pour laisser place à un ivoire à peine plus sain.
Elle cligna des yeux, inspirant l'air douceâtre de sa propre tombe. Doucement, elle se redressa, posant un pied après l'autre dans la terre avant de se lever, droite et fière.
Dans cette position, leurs yeux étaient à la même hauteur, comme il y a si longtemps de cela, le jour de leur rencontre. L'espace d'un instant, plus de trente ans disparurent, avec les premières et les éternelles secondes, les mariages et les décès, les remords et les regrets.
L'espace d'un instant il n'y avait plus que des retrouvailles et un bonheur partagé.
Mais les instants sont voués à disparaître. C'est ce que fit celui-ci alors que Morticia se leva à son tour, aérienne, et lui tendit la main.
La dame en blanc ignora son offre, préférant regarder autour d'elle. La fosse dans laquelle elle se tenait, le tas de terre qui se dressait sur le côté, la plaque en bois temporaire avec son nom, témoin du peu de temps passé depuis son décès. Et dans le ciel, la lune gibbeuse descendante.
Ils avaient été pressés de l'enterrer. Pressés de la mettre de côté pour pouvoir avancer.
Pressés de l'oublier…
Et pourtant quelqu'un était là, dans la nuit, pour elle. Quelqu'un qui avait cru en elle. C'était impensable, impossible. Mais dans toute son impossibilité, malgré le temps et les rancunes, elle n'était pas étonnée que ce soit Morticia.
« J'ai toujours cru que j'aurais un jour à creuser mon chemin vers la surface. Et te voilà, toujours parfaite, quelle surprise.
– La Chose m'a prêté main forte, c'est à ça que sert la famille.
– La famille ? Cela fait bien longtemps que ce concept m'est étranger.
– Oh, Rissa. Nous étions des Belladones, tu es la preuve que les fleurs vénéneuses ne peuvent s'entre-tuer.
Un mince sourire tordit ses lèvres bleues, et elle attrapa le poignet de son ancienne amie.
– Un tel compliment de ta part, Morticia ? Je vais penser ne pas m'être réveillée.
– Alors c'est un rêve mortifère partagé ».
Morticia enroula ses doigts aiguisés autour du poignet encore froid de Larissa, et la tira hors de sa tombe.
Un éclair de lumière bleue illumina le cimetière. Réveillant une nuée de corbeaux qui s'envola, seuls témoins d'une vision éphémère. La vision d'une femme vêtue de noir, Mort au visage d'os, tirer de terre une silhouette vêtue d'un linceul blanc, fantôme arraché à son corps.
L'obscurité se rabattit, cachant sous son voile le départ de deux anciennes amies, de deux rivales, deux amies retrouvées. Laissant derrière elles un cercueil vide, qu'une main recouvrait de terre sans un bruit.
Lorsque le tonnerre résonna, elles étaient déjà parties.
Et le vent se remit à souffler…
Au matin, les colombes chanteraient.
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