Leonardo avait vu juste.

Il arriva au crépuscule ; l'horizon commençait à avaler le soleil, et la campagne romaine s'était enflammée. La plaine brillait sous les rayons dorés et les ombres des ruines s'allongeaient sur le sol. L'artiste avait marché une bonne heure avant d'atteindre le point précis, sous l'aqueduc, où s'était installé Ezio. L'assassin, assis dans l'herbe et adossé à la pierre, contemplait le spectacle du ciel sous son éternelle capuche et enveloppé dans sa cape, en ce décembre frileux de l'année 1502. Leonardo était réellement content de voir son ami. Ezio s'en voulut de ne pas partager une telle joie, car il aurait préféré rester seul, au calme, devant la toile que peignait le soir. C'était une vision qui apaisait son esprit souvent soucieux et tourmenté par la vie étrange qu'il menait. A ce moment, il en avait particulièrement besoin.

« Eh bien, Leonardo, ils t'ont laissé sortir ?

-J'aurais parié te trouver ici, Ezio ! répondit l'ingénieur en ignorant la question. C'est le meilleur endroit pour admirer le paysage !

-Je suis d'accord avec toi. »

Silence. Leonardo redevint sérieux :

« Je n'ai hélas pas beaucoup de temps à te consacrer, il faut que je reparte aussitôt. J'ai reçu une lettre de ta mère, à ton intention. Ta nièce est arrivée ».

Ezio rabattit sa capuche, écarquilla les yeux, étonné, et saisit la lettre que Leonardo lui tendait.

« Ma nièce ? Quelle nièce ? Je n'ai pas de nièce, Leonardo.

-Apparemment, si ».

L'artiste s'étira.

« Je dois y aller, mon ami. Ou Cesare me fera regretter d'être parti si longtemps. Je suis déjà en retard ».

Il s'éloigna avec un signe de la main.

« Et je passerai voir ta nièce, un de ces jours ! Arrivederci ! »

Ezio relut le message de Maria plusieurs fois en essayant de comprendre. La signature, Rosa, lui rappela des souvenirs lointains de Venise, mais ce n'était pas la voleuse qui lui écrivait, même si, au fond, il se surprenait à le souhaiter quelques fois. Ce mot griffonné au bas de la page signifiait simplement l'endroit où Maria et Claudia se trouvaient actuellement. Quant à « la nièce », l'assassin se posait de réelles questions. Il était d'impossible qu'il ait eu un jour une nièce, car Claudia, la seule qui aurait pu avoir un enfant, n'en avait pas eu. Il sourit en pensant que ce n'était qu'un détail, rajouté d'un geste habile de plume, pour attiser sa curiosité et l'attirer vers sa chère maternelle à laquelle, vraisemblablement, il manquait beaucoup. Cela le remit de bonne humeur, plus efficace qu'un ciel plein de couleurs. Il se releva, dissimula son visage, et il se mit en route vers la Rose Fleurie.

Ezio lâcha un soupir de soulagement lorsqu'il poussa la porte de la maison close. Non pas pour les jolies demoiselles à demi-nues qui lui lançaient des sourires aguicheurs bien qu'elles aient reconnu le frère de la propriétaire, mais parce que la chaleur du lieu soulageait son corps meurtri par le froid de l'hiver. Il jeta un regard autour de lui : rien ne changeait. Toujours autant de couples formés pour un soir avec des murmures, un jeune corps offert aux désirs et aux plaisirs d'un homme, en échange de quelques pièces et de quelques confessions sur l'oreiller. Il fit quelques pas dans le hall, à la recherche de sa mère et de sa sœur. A vrai dire, il avait du mal à se faire à l'idée qu'elles puissent s'occuper toutes les deux d'un bordel.

Il les remarqua enfin assises sur des divans de velours rouge, en compagnie d'une jeune femme aux cheveux noirs tressés et relevés sur la nuque, tout à fait charmante. Avec quelques années de moins, il l'aurait certainement aussi séduite, celle-là ! Cependant, en s'approchant, il lui trouva un air étrangement familier, sans vraiment savoir qui elle lui rappelait.

« Buonasera, mes chères ! » s'annonça-t-il.

Maria se leva la première et le serra dans ses bras :

« Bienvenue à toi, Ezio. Leonardo fait toujours bien les commissions, à ce que je vois

-Ravie de te revoir, grand frère. Tu donnes toujours autant de nouvelles quand tu pars » lança Claudia avec un sourire moqueur.

Ezio roula des yeux, amusé ; il s'était attendu à la pique au moment-même où il était entré.

Il y avait cependant de la gêne dans leurs salutations. L'inconnue n'avait pas bougé ni ouvert la bouche. Angoissée par l'arrivée de cet homme à la stature impressionnante, toute en armure et en armes, la barbe sombre aux joues, au milieu de ces femmes, elle se tordait les mains en détaillant Ezio de ses grands yeux verts, et le malaise s'installa. La présence de la jeune femme semblait intimider tout le monde, Maria et Claudia ne sachant pas comment aborder le sujet, et Ezio se doutait bien que ce qu'il y avait d'écrit dans la lettre n'était peut-être pas si codé que cela. C'est pourtant Maria qui fit s'approcher la nouvelle venue du groupe.

« Ezio, je te présente Selene Auditore.

-Enchantée, mon oncle » salua la demoiselle en inclinant timidement la tête.

Ce n'était donc pas une plaisanterie. Sous le regard inquisiteur d'Ezio, Selene ajouta :

« Je suis la fille de Federico ».

Ezio chancela sous la surprise. La fille de Federico. Voilà donc d'où venaient ces traits si communs. Ezio était déstabilisé et ému en même temps : c'était un peu comme s'il retrouvait son grand frère, après vingt-cinq ans passés à les venger, lui, son père, et Petruccio. Maria et Claudia partageaient le même avis, heureuses de trouver un membre insoupçonné de leur famille disloquée.

« Sois ici chez toi, chère Selene » lui dit-il doucement pour la rassurer.

Il la prit par les épaules.

« Mais explique-moi, Selene. Raconte-moi d'où tu viens, raconte-moi qui tu es. Si tu as du sang de mon frère dans les veines, j'aimerais savoir comment. »