Yop ! Voilà la suite =D
Je tiens à préciser une petite chose (qui est corrigée maintenant) : des « blancs » peuvent surgir à l'endroit où il y aurait du avoir un signe de ponctuation. Je sais écrire et ponctuer, c'est juste que le site efface les points virgules de mes documents !
Donc, si jamais vous voyez un blanc, c'est que j'en ai oublié un sur mon document uploadé.
Merci à ceux qui me laissent des reviews, ça fait toujours plaisir =)
Enjoy !
Selene narra à Ezio ce que sa mère, Concetta Massari, lui avait elle-même raconté à propos de son géniteur et de sa naissance.
Concetta Massari habitait San Gimignano, avec son grand-père Marcello Massari. C'était une petite famille de roturiers qui vivaient de la vente de tissus importés directement d'Orient. La boutique, qu'elle gérait seule à dix-huit ans, son dernier parent étant trop vieux pour le faire à sa place, donnait une touche d'exotisme et de couleurs à cette petite ville de Toscane entourés d'épais remparts et de fermes. Leur affaire, assez réputée, attirait énormément de clients de toute l'Italie, et beaucoup de marchands venaient s'approvisionner chez eux, sûrs de la qualité des produits. Malgré les bénéfices, ils n'étaient pas bien riches : beaucoup de dettes avaient été accumulées par la famille, autant par les jeux que par la mise en place du magasin, et, évidemment, il fallait rembourser.
« Elle était belle, Maman. Grande et svelte, avec des cheveux noirs et bouclés. »
Elle plaisait beaucoup à la gente masculine, et Federico Auditore, venu à San Gimignano pour d'obscures raisons, ne fut pas insensible à son charme. Il vint plusieurs fois à la boutique, prétextant des défauts dans les tissus acquis la veille ; ou il rachetait plusieurs fois les mêmes mouchoirs en soie, prétendant vouloir les offrir à sa mère et à sa sœur qui les perdaient tout le temps. Concetta n'était pas dupe, mais réparait les tissus troués et lui cherchait toujours les plus beaux mouchoirs. Marcello se réjouissait et plaisantait souvent à ce sujet : les ventes croissaient grâce à l'imbécile qui égarait constamment ses mouchoirs. Si seulement tous les clients pouvaient être tête en l'air comme lui ! Néanmoins, il ignorait que le client en question faisait des avances à sa petite-fille, cachant des mots doux dans les replis des tissus rapportés.
Ce petit manège dura plusieurs semaines avant que Concetta, à son tour, ne soit séduite, ou plutôt ne trouve le courage de lui répondre. En effet, la prestance de Federico et son allure noble, malgré ses vingt ans fraîchement fêtés, ne la laissait pas indifférente non plus. A vrai dire, elle eut un élan de fierté féminine lorsqu'elle se rendit compte de l'intérêt que ce bellâtre richement habillé lui portait, à elle, la petite vendeuse pauvre.
Aux multiples rendez-vous sollicités par les petits billets, Concetta répondit enfin.
« Je vous laisse imaginer la joie de mon père ! »
Ezio imaginait très bien.
La première fois, ils se rencontrèrent au pied des remparts de San Gimignano. La deuxième fois, ils allèrent se promener plus loin, entre les coquelicots étincelant sous la lumière de la lune. Ensuite, Selene ne savait plus, ou sa mère ne lui avait pas dit.
Une nuit, ils se perdirent dans les bois autour de la ville. Federico jura fidélité à Concetta, comme le font tous les jeunes hommes amoureux au sang fougueux, et lui promit de la conduire à Florence, de la présenter à sa famille, et de l'épouser, tout ceci avant la fin de l'été. La jeune fille y crut, et cela la rendit heureuse, bercée d'illusions et la raison toute engourdie par les embruns des baisers tendres. Concetta était follement éprise du jeune homme, et aurait été prête à tout, pour lui. Ils firent l'amour passionnément, dissimulés sous les feuilles des arbres, avec seules quelques étoiles pour témoins.
« Elle lui laissa sa virginité contre des belles paroles et un espoir fou de quitter sa condition ».
Un jour, Federico fut obligé de rentrer à Florence un peu plus longtemps que lors de ses précédents voyages. Selene répéta les mots de son père, que Concetta garda en mémoire toute sa vie : « Je ne peux pas t'emmener avec moi cette fois-ci, mais je serai de retour bientôt ». Federico ne devait jamais revenir.
Concetta tomba enceinte. Elle l'attendit longtemps, ne pouvant se résoudre à un abandon. Son grand-père, compréhensif, lui évita cependant la honte qui poursuit une fille-mère en la remplaçant à la boutique, lui permettant de rester à l'intérieur de la maison et de ne pas en sortir. On la dit fort malade, et Marcello la racontait clouée au lit. Personne n'avait le droit de l'approcher, sa maladie était très contagieuse, et lui-même risquait la contamination chaque jour. Les médecins, qui venaient fréquemment visiter les Massari pour contrôler la grossesse de la jeune fille, achevaient de colporter la rumeur.
Concetta mit donc une fille au monde dans la plus grande discrétion. Marcello mourut de vieillesse quelques mois après l'accouchement ; les affaires revinrent toutes à Concetta, qui trouva là un bon moyen de pouvoir travailler et de faire vivre son enfant malgré l'absence du père. Tous les jours, elle s'accoudait à son comptoir et rêvait de Federico, priant le bon Dieu de le faire apparaître là, au milieu de la place. Mais il était mort depuis longtemps, Federico, et elle ne le sut jamais. Alors Concetta se convainquit d'une infâme tromperie, ne voulut plus jamais entendre parler de lui, et tourna le dos à tous les autres hommes qui daignaient lui faire la cour. Elle déclarait à qui voulait l'entendre qu'elle n'avait pas besoin d'un mari ; et pourtant, elle se surprenait parfois à pleurer dans la réserve en sanglotant le nom de son amour perdu.
Concetta avait dissimulé sa grossesse, mais ne put dissimuler sa fille. Elle la baptisa Selene, et décida de lui remettre le nom des Auditore, condamnant les Massari à l'oubli. Ainsi, elle rendait hommage à Federico en dépit de sa haine puissante et vive, et cela lui permit de faire passer l'enfant pour une filleule éloignée qu'on lui avait confié à la mort de ses parents. L'empathie prodiguée par cette triste histoire d'orpheline lui assura la tranquillité. Elles évitèrent ainsi l'opprobre publique et purent vivre sans crainte ; le secret était bien gardé.
Selene Auditore grandit, et apprit au fil des années à jouer le jeu de l'adoptée. Ce qu'elle faisait à merveille, appelant sa mère « Marraine » en public, et « Maman » en privé.
« Ca ne me dérangeait pas. J'étais consciente qu'il fallait mentir pour nous protéger ».
Les années passèrent, les prêts furent remboursés. Concetta et Selene étaient maintenant propriétaires de leur boutique et faisaient partie des marchandes les plus influentes sur le marché du tissu. Les commandes avaient doublé, on distribuait leurs tissus importés partout en Italie, et cela commençait à s'étendre hors du pays, allant jusqu'en France et en Espagne. Concetta avait l'intention d'ouvrir deux boutiques supplémentaires au nom de Massari et d'engager des gens dans les principales villes d'Italie, comme Florence, Venise, et pourquoi pas Rome après tout ? Concetta avait de l'ambition, mais elle n'agissait que dans un seul but : faire un signe à Federico, l'atteindre dans ses souvenirs à travers ses commerces disséminés un peu partout, et le faire revenir à elle. Selene l'avait compris, car malgré l'argent gagné, Concetta refusait avec virulence de quitter le petit village de San Gimignano. Parce que c'était l'endroit où elle avait toujours vécu. Sous-entendu, le seul où on n'aurait eu aucune difficulté à la visiter.
« L'espoir de revoir Federico un jour ne s'est jamais éteint ».
De leur heureuse fortune, Concetta n'amassait rien. Ayant été très pauvre elle-même, elle distribuait aux miséreux et donnait à l'Eglise, mais gardait quelques économies pour vivre décemment et assurer l'avenir de sa fille. Elle qui n'avait jamais fait d'études ni été formée aux arts et aux langues, en donna l'opportunité à Selene. La fillette, à l'époque, eut donc un précepteur auprès duquel elle fit son apprentissage avec le plus grand sérieux. Concetta était fière de son enfant, et elle se disait souvent que Federico en aurait été fier aussi. C'était un cadeau que de l'instruire, et de l'élever au rang de son père. Selene lui en avait toujours été reconnaissante.
Néanmoins, l'instruction inspire de grands voyages. Selene ne tarda pas à sentir le besoin de quitter San Gimignano et ses immenses remparts qui l'empêchaient de contempler la campagne toscane. La jeune fille, à maintenant presque vingt-cinq ans, se sentait comme en prison, ce qui ne l'enchantait guère. Mais plus que ça, elle avait envie de courir le pays, à la recherche de son père, disparu pour des raisons qu'elle ignorait encore.
Elle quitta sa mère de bonne heure un matin d'octobre en jurant de lui écrire dès que possible. Concetta ne put retenir son chagrin : les routes sont périlleuses pour une femme seule, et on l'abandonnait encore une fois. Elle était terrorisée à l'idée de perdre son enfant et d'être de nouveau oubliée. Ce sont les yeux brouillés de larmes qu'elle regarda sa fille, son sang, sa chair, s'évaporer sur son cheval noir, loin à l'horizon.
« Je suis d'abord partie vers Florence ; c'était mon seul indice. Lorsque je suis arrivée là-bas, je me suis renseignée, demandant çà et là si l'on connaissait ce nom. Le plus souvent, on me répondait qu'on n'avait pas vu un Auditore dans les parages depuis plus de vingt ans, qu'ils avaient tous fui vers Monteriggioni après le drame dont personne ne souhaitait d'ailleurs me parler, puis que le village avait été attaqué et presque entièrement rasé.
« Malgré tout, je décidai de poursuivre ma route vers cet endroit où il restait des marques de votre passage. En face de moi, il n'y eut que des ruines, de la suie, et un silence à faire trembler les plus braves. J'étais découragée, et je réalisai soudain l'ampleur de ma quête, de ce que j'avais entrepris toute seule, de ce qui aurait pu m'amener dans les pays voisins ou même à traverser les océans. Etrangement, je me sentais terriblement proche de vous, alors que vous demeuriez inaccessibles. Etiez-vous seulement encore en Italie ? Ou étiez-vous sous ce tas de pierres et de charpente brûlée ? Je m'enfonçais en province, hésitant toujours entre avancer et faire demi-tour.
« Je m'égarai. Par hasard, le sentier finit devant les portes de Sienne, où j'eus plus de chance. Penaude, j'avais choisi de visiter le marché ; après tout, c'est là que l'on entend le plus de rumeurs et d'autres racontars en tout genre. Ce sont deux gardes qui m'ont conduite jusqu'à vous. Ils parlaient du pape, et j'entendis prononcer distinctement « Auditore » et « Rome » au beau milieu de leurs messes basses. Mon sang ne fit qu'un tour : je courus aux écuries, montai sur mon cheval et le lançai au triple galop sur vos traces. Au bout de deux mois de voyage, j'atteignais bientôt mon but.
« Une fois dans la capitale, il fut facile de vous trouver. La Rose Fleurie est un lieu apprécié… Mon bonheur fut tel, mon oncle ! »
Après cette longue histoire, Selene se tut. Pour discuter sans crainte d'être dérangés ou écoutés, ils s'étaient installés sur les canapés rouges d'une petite chambre et avaient allumé un feu dans l'âtre. Les pétales de fleurs disposés sur le lit, destiné aux ébats les plus insensés, dégageaient un doux parfum. La chaleur qui enveloppait à présent la pièce emmitouflait les corps dans un confort exquis, favorisant la somnolence.
Il était minuit passé, les flammes avaient mangé le bois ; il ne restait plus que quelques braises qui rougeoyaient dans la cendre. Ezio les fixa un moment, plongé dans ses propres souvenirs. Apprendre que son défunt frère avait eu une liaison (certes, parmi tant d'autres), qu'il n'en avait jamais dit un mot, même à lui à qui il confiait tout, et que de cet union était née Selene, l'avait profondément bouleversé. C'était un détail qu'Ezio n'aurait jamais pu imaginer sans la preuve vivante qui se tenait sous ses yeux. Il détailla Selene tandis qu'elle triturait un morceau de sa robe bleue entre ses doigts, n'ayant pas encore pris le temps de l'observer. Il la trouva étonnamment belle et courageuse, impressionné par son périple dangereux.
« Tu as fait un si long chemin simplement pour retrouver ton père ?
-Oui.
-Tu es forte. A n'en pas douter, tu es une Auditore. Tu me rappelles… quelqu'un ».
Il sourit et se leva en rajustant le col de sa chemise. Selene sauta sur ses pieds :
« Je vous en prie, ne partez pas, l'implora-t-elle. J'ai tant de questions. S'il vous plaît, dîtes-moi au moins où est mon père ! »
Ezio tiqua.
« Pas maintenant, Selene. Ca fera trop de révélations pour ce soir, non ? Gardons-en un peu pour demain ».
Il avait essayé d'employer un ton amusé, mais il n'était pas du tout d'humeur taquine. Il s'approcha de Selene. Déçue, elle avait baissé la tête. Ezio passa un bras amical autour de ses épaules.
« Viens, allons voir Mère et Claudia. Profitons d'être un peu en famille, ce n'est plus arrivé depuis tellement longtemps ».
