La suite !

Un chapitre plus court que les précédents, je ne pouvais pas allonger jusqu'à ce que je considère comme le début du prochain, car on sort de la thématique. Je vous promets un chapitre suivant beaucoup plus long =)

Une petite précision toutefois, à propos des caractères de Cesare et de Lucrezia Borgia. Surtout en ce qui concerne Lucrezia xD Bref, je m'en tiens à ce que rapporte l'histoire : c'est-à-dire à son apparence pure, sage, naïve, etc derrière laquelle se cache un paquet de choses pas jolies jolies. La version du jeu la rend trop vulgaire à mon goût. Et puis, appuyer sur son physique d'« ange » fait ressortir le côté pervers de Cesare, que j'essaye de pervertir encore plus qu'il n'est…

Raconté comme ça, ce n'est pas très clair. Je vous laisse lire, et j'attends vos avis ! Sondage à main levée : Lucrezia la niaise ou la Lucrezia la p* xD ?

Autre précision : ma fic va jongler entre vérité historique et ce que nous dit le jeu (ce qui n'est franchement pas évident, mais je relève le défi). On se retrouve donc à l'époque de la Troisième guerre d'Italie. Je vais essayer d'être le plus fidèle possible autant à l'histoire qu'au jeu, et je vous demande pardon d'avance pour les anachronismes, les imprécisions, ou le foirage complet.

Bref ! Au programme : un déjeuner en tête à tête (loool), des révélations, et pas vraiment d'action. Mais il faut bien ça, l'intrigue se place maintenant.

Bonne lecture !


Cesare Borgia avait voué sa vie à la luxure et au pouvoir. Rien n'était meilleur, pour lui, que de commander aux autres, d'avoir le droit de vie ou de mort sur ceux-ci, et de coucher avec les femmes. Il nourrissait d'ailleurs un désir ardent (et soupçonné de tous) pour sa jolie sœur, Lucrezia. A cet instant, installé dans un fauteuil en attente d'un visiteur important, il l'observait arranger un bouquet de fleurs sur la table de ce petit salon du Château Saint-Ange ; ce qu'elle avait tenu à faire elle-même, avouant avec une moue charmante qu'elle s'ennuyait à mourir.

Cesare Borgia adorait Lucrezia. Ses longs cheveux blonds qui cascadaient dans son dos en une aura provocatrice, entourant un visage angélique, ses yeux clairs et limpides, ses mains blanches, sa voix cristalline ; sauf qu'il la détestait aussi pour ça. Il la voulait autant qu'elle le dégoûtait dans sa perfection. Lucrezia, la jeune et belle Lucrezia, était trop pure ; Cesare avait envie d'elle dans l'unique but de la souiller encore et encore, de tâcher cette entité immaculée, de détruire quelque chose de beau. Elle se serait laissée faire par amour, convaincue d'une réciprocité certaine ; il n'aurait hélas s'agit que de combler Cesare, autant dans son besoin animal que dans son amour-propre.

« Tu seras ma reine » aimait-il lui répéter.

Et elle, de rougir et de glousser sous cette belle perspective d'avenir.

N'y tenant plus, Cesare se leva, hypnotisé par la nuque d'albâtre de sa sœur. Il s'approcha d'elle, posa une main sur sa hanche, et lui mordilla doucement le cou, à la naissance des cheveux. Lucrezia ferma les yeux et lâcha un soupir, partagée entre le plaisir et la culpabilité. Malheureusement, ce fut à cet instant qu'un domestique entra pour annoncer un visiteur :

« Le Baron de Valois est arrivé ».

Cesare serra les dents. Saleté de Français ! Il songea que la ponctualité était, en fin de compte, un vilain défaut.

« Bien. Faîtes-le entrer ».

Lucrezia jugea préférable de quitter la pièce ; les conversations politiques des hommes ne siéent guère aux femmes.

Le baron Octavien de Valois fit une entrée tonitruante, ne se doutant pas le moins du monde avoir glacé la fièvre qui régnait dans la pièce quelques secondes auparavant.

« Buongiorno, Cesare Borgia ! » s'exclama-t-il, les bras ouverts.

Cesare frissonna, ce qui fit taire ses ardeurs ; il avait oublié à quel point l'accent du baron était atroce. Cette façon qu'il avait de rouler les « r » ! Un proverbe idiot raconte que l'on ne parle pas l'italien, mais qu'on le chante ; le problème, c'est que le baron chantait faux.

Toutefois, malgré ses défauts de prononciation, le baron était un allié de taille pour les Borgia. Cousin éloigné du roi de France Louis XII, Octavien menait la campagne française en Italie à ses côtés. Quant à Cesare, celui-ci s'était vu octroyé la Romagne pontificale au début de la guerre, puis le duché d'Urbino quelques mois auparavant. Il possédait aussi des terres en France ; Rodrigo Borgia avait accepté d'annuler le premier mariage de Louis XII et de Jeanne de France, au profit d'une seconde union, plus prolifique sans doute, avec Anne de Bretagne. Le roi n'avait pas trouvé mieux que de manifester son contentement en offrant le duché français du Valentinois à Cesare. La famille Borgia s'en réjouissait. Rodrigo cumulait sa fonction de Pape et gouvernait Lyon ; le fils étendait à son tour la main par-dessus la frontière.

Alors, dans l'optique égoïste d'être encore plus amplement récompensé, le « neveu du Pape » trahissait sa patrie au profit de l'occupant. Il comptait bien aider la France à garder sous contrôle la région de Naples nouvellement soumise et pourtant sans cesse en conflit, sans chercher à savoir si ses revendications sur le royaume étaient fondées.

Cesare adressa donc au baron un sourire forcé, grommela une salutation et déplia la carte de l'Italie sur la table. Octavien s'approcha :

« Comment allez-vous, mon vieil ami ? »

Encore un frisson. Mon vieil ami résonnait désagréablement à ses oreilles. Le baron s'accordait des familiarités que Cesare n'avait aucune envie de partager, mais qu'il fallait encaisser avec une bonhomie feinte et exagérée, aussi offusqué soit-on. Si le Français se permettait un tel comportement, c'était à cause de sa généalogie qu'il se plaisait à rappeler sans cesse :

« Vous savez, je n'ai qu'un lointain lien de parenté avec le roi actuel. Je descends de la branche aînée des Valois, vous savez, les Capétiens, Charles VIII. Louis est du côté des cadets, pourri dans le sang par son rang même dans la hiérarchie fraternelle. Mais évidemment, vous ne devez rien comprendre à tout cela ».

Vous savez. Cesare l'interrompit dans son monologue en déclarant tout simplement :

« L'arrestation des Orsini est prévue le 31 ».

Octavien, qui triturait un relief de la cheminée, se retourna dans un sursaut :

« Dans si peu de temps ? s'étrangla-t-il.

-Oui, siffla Cesare. Il ne faut plus que ça traîne. Il ne faut plus qu'elle nous file encore entre les doigts. Les Orsini connaissent son emplacement, et je ne peux pas éveiller les soupçons en demandant à ton roi où il la cache, tu sais. »

Octavien hocha la tête et lissa sa moustache :

« Notre bon vieux Louis se douterait forcément de quelque chose, en effet. Cependant, c'est mon pays que tu voles, et j'espère recevoir quelque chose en compensation.

-Bien sûr, bien sûr… »

oOo

« J'étais venu te rendre visite, autant pour prendre de tes nouvelles que pour rencontrer ton intrigante nièce, expliqua Leonardo alors qu'il traversait le hall, Ezio habillé et en armes appuyé sur son bras. Mais en y repensant, j'aurais mieux fait de retourner dans mon atelier ; tu sais que les Borgia n'ont bientôt plus besoin de moi ? »

L'artiste parlait sur le ton de la conversation. Il savait qu'Ezio, épuisé, l'écoutait à peine.

« Sortons d'ici. Amène-moi sur l'île Tibérine, s'il te plaît, demanda l'assassin.

-Hors de question, sale éclopé, s'exclama Leonardo. Tu es à peine reposé et je te sers d'appui. Tu ne seras jamais capable de marcher jusque là-bas. Je t'emmène d'abord manger un morceau. Et puis, j'ai des tas de chose à te raconter.

-Si jamais on t'aperçoit en ma compagnie…

-Tu mangeras vite. »

Ils sortirent. Leonardo baissa les yeux :

« La tache n'a pas été nettoyée » remarqua-t-il en grattant le sol du talon.

Ils n'allèrent pas bien loin ; une taverne était ouverte et peu encombrée à cette heure de l'après-midi. Ils s'installèrent à la table la plus éloignée du comptoir afin de ne pas être entendus.

« Apportez-nous une assiette de grillades, une ribollita et une bouteille de votre meilleur vin ! » quémanda l'artiste en s'asseyant.

Ezio se laissa tomber sur son siège, en face de son ami.

« Bien, commença Leonardo à voix basse. Nous avons peu de temps. Je vais juste te dire ce que l'on m'a répété. Sache tout de même que je n'ai aucune preuve de ce que j'avance.

-Tu m'inquiètes, souffla Ezio en fronçant les sourcils.

-Je n'ai pas que des ennemis, au Château. Il y a des fuites, de nombreuses fuites, et il existe des alliés même au milieu de tous ces corrompus ».

L'ingénieur balaya la pièce du regard ; personne ne semblait se préoccuper d'eux :

« Je suppose que tu n'as pas oublié que nous sommes en guerre, que beaucoup de villes se tiennent sous domination française, et que tu te tiens au courant de l'avancée des troupes ennemies sur le territoire italien.

-Bien sûr. Nous reculons un peu plus chaque jour, s'indigna Ezio.

-Cesare Borgia s'est attelé à la France. On raconte qu'il a reçu un duché tout entier en cadeau. Louis XII aurait des affinités avec le Pape… Bref, on pourrait croire à une alliance purement idéologique ou stratégique. On est loin du compte.

-Comment tu sais tout ça ? l'interrompit Ezio.

-Je te l'ai dit : j'ai réussi à me faire des amis. Le jeune domestique qui travaille avec moi me fournit les informations, qu'il récolte simplement en tendant l'oreille dans les couloirs.

-En quel honneur ?

-Il est aussi là contre sa volonté. C'est une façon de se venger. »

Le tavernier apporta le plat fumant, la soupe et une bouteille de Chianti. Leonardo se tut et paya l'homme, qui se retira avec un « Grazie » à peine audible. Ezio se servit en viande, et l'artiste se versa un gobelet avant de reprendre :

« Je pense donc que cette soudaine entente entre les puissances de nos deux pays est pure hypocrisie. Cesare Borgia est fourbe, il se retournera contre le roi de France à la première occasion. Et il s'avère qu'il est en train de planifier ça ».

Leonardo se pencha vers son ami :

« Ecoute, Ezio, ne t'emballes pas. Je ne suis sûr de rien. Ce ne sont peut-être que des rumeurs ou des déformations ».

L'assassin le pressa d'un geste de la main. Leonardo prit une grande inspiration et lâcha :

« Il est possible qu'un Fragment d'Eden soit caché en France »

Ezio s'étrangla avec un morceau de légume. Leonardo continua, imperturbable :

« Les Orsini auraient quelque chose à voir avec ça, mais je ne suis pas capable de te dire pourquoi. Notre bien-aimé gouverneur prévoit de s'en emparer, attitude qui lui ressemble, et il serait aidé par le baron de Valois. C'est tout ce que je sais, Ezio, et si tu veux en apprendre plus, il te faudra faire des recherches par toi-même. Je ne peux hélas pas toujours risquer de me faire prendre pour servir la Confrérie. Ce sera bientôt plus simple ; je t'ai dit que les Borgia n'avaient bientôt plus besoin de moi ? ».

Ezio avait repoussé son plat, l'appétit coupé. Les yeux cachés par l'ombre de sa capuche, il se frottait le menton, songeur, sentant sous ses doigts sa barbe râpeuse qui repoussait déjà sur ses joues. Leonardo avait retrouvé sa mine sympathique et innocente, et changea radicalement de sujet :

« Alors, parle-moi un peu de ta nièce. Tu la connais depuis trois jours et tu te querelles déjà. Décidément, tu es impossible » lança-t-il, espiègle, en s'emparant d'un couvert et poussant la ribollita vers Ezio.

L'homme se mit à manger, et la conversation fut close. C'était en effet inconscient de continuer de parler de la Pomme dans un lieu fréquenté. L'artiste savait qu'il était suivi et surveillé ; quand il quittait le Vatican des espions se cachaient peut-être parmi les quelques amateurs de Brunello assis dans les coins de la pièce. Ezio parla donc de Selene, et expliqua en particulier les origines de la dispute, ce qui ranima sa mauvaise humeur. Leonardo le sentit et servit deux verres de Chianti pour détendre l'atmosphère :

« Je comprends. Mais ce serait dommage de te fâcher avec la fille de Federico, si tu veux mon avis. Ne laisse pas s'échapper un Auditore, d'abord parce que c'est un miracle d'en retrouver un vivant, et ensuite parce qu'il sait certaines choses qui vous nuiraient forcément en cas de capture ».

Ezio sourit ; il aimait le côté pragmatique et rationnel de Leonardo, propre à son esprit scientifique. Ce dernier se leva ; les pieds de la chaise raclèrent sur le sol, désagréable bruit.

« Pardonne-moi, mon ami, mais le travail m'appelle ».

Ils trinquèrent.

« Merci, Leonardo. Tu nous es d'une grande aide ».

Ezio, l'estomac rempli, se sentit revigoré. Il sortit peu après Leonardo, ayant d'abord pris le temps de terminer la viande et le vin payés. La boisson profitait de sa faiblesse et commençait à le trahir. Il laissa la ribollita refroidir, la jugeant peu appétissante, voire même carrément mauvaise.

Une fois dehors, il déambula dans les rues, lentement, encore sensible à ses blessures. Il s'arrêta sur le Ponte Cestio, se pencha au-dessus de l'eau et, le menton dans la paume, contempla l'onde grise, froide et rapide en cette crue de décembre, fendue dans sa course par les piliers de pierre. L'assassin aurait voulu jeter à cette eau sale ses soucis et ses incertitudes. Il ne parvenait pas à réfléchir sereinement soit à cette histoire de Fragment d'Eden, soit à Selene. S'il s'avisait de penser à l'un, l'autre prenait le dessus, et tout se mélangeait, lui embrouillant l'esprit. Avait-il bien fait de renvoyer sa nièce ? Devait-il accorder crédit aux récits de Leonardo et dépêcher des assassins en éclaireurs au Vatican ? Fallait-il qu'il empêche Selene de partir, qu'il la retrouve et lui fasse ses excuses ? Ou bien ses espions, s'ils se faisaient repérer, condamneraient Leonardo, le seul qui aurait pu divulguer les rumeurs en dehors du Château ? Sa sécurité était menacée. Non, leur sécurité, à tous les deux, était menacée.

Il fit demi-tour et prit la direction du repaire.

Le siège de la Confrérie était silencieux. Plusieurs assassins s'occupaient de recueillir des informations en ville en jouant la fine oreille. D'autres étudiaient ou se reposaient après une mission ardue. Un des assassins les plus expérimentés, Ugo Ubaldi, se précipita la mine réjouie vers Ezio quand il entra, suivi de loin par quelques novices intimidés par la présence du Maître.

« Mentore ! Les rumeurs allaient bon train… Nous nous sommes inquiétés.

-J'ai eu un léger contretemps, sourit Ezio en posant une main rassurante sur l'épaule de la recrue.

Ugo Ubaldi avait rejoint la Confrérie avant qu'Ezio ne la rebâtisse, au sein d'un petit groupe clandestin dirigé par Machiavelli. Agé d'une trentaine d'années, il avait progressé et s'était classé très vite parmi les recrues les plus efficaces. Ezio était impressionné ; le jeune homme lui rappelait un peu lui-même par sa volonté, animé par ses idéaux de liberté, ses convictions de vengeance et de justice. Si jamais Ezio venait à disparaître, il voyait bien Ugo lui succéder et prendre la fonction de Mentor à sa place.

« Les garnisons ont doublés dans la ville et aux abords, annonça Ugo, l'air sombre. Il est difficile d'œuvrer à l'extérieur. Plusieurs de nos amis partis en éclaireurs se terrent et attendent que la situation se calme ».

Cela confirma les doutes d'Ezio. Il se rendit compte du trouble qu'avait causé la venue de Selene. Vincenzo était mort, mais, comme il l'avait deviné, des citoyens fidèles aux Borgia avaient rapidement vendu la mèche.

« Ugo, j'ai besoin de toi. J'ai une mission importante à te confier »

Ugo s'approcha de son Mentor, prêt à recevoir les ordres et à les exécuter sur le champ.

« Ma nièce est à Rome, expliqua Ezio en baissant la voix, et elle a malheureusement été entraînée dans l'incident de ce matin. Je crains qu'elle ne soit, elle aussi, recherchée activement. Elle a l'intention de retourner à San Gimignano, demain matin sans doute, car la nuit tombe. Va, avec Vittorio, veiller la Rose Fleurie jusqu'à son départ. Tu la reconnaîtras. Je veux que vous la suiviez tous les deux, que vous vous fondiez dans le décor elle ne doit rien remarquer. Assurez-vous que tout se passe bien, qu'elle ne soit pas poursuivie et, si jamais elle l'est, n'intervenez qu'en dernier recours nous devons autant que possible éviter de laisser des cadavres derrière elle. Tu dirigeras l'opération, Ugo. Je te fais confiance ».

La recrue s'inclina légèrement, une main sur le cœur, en signe d'acceptation et de gratitude.

« Bien, Mentore. Je ferai de mon mieux.

-Merci » murmura Ezio, sincère.