Et non, vous ne rêvez pas ! Eolane est de retour avec un nouveau chapitre !

Je vais m'excuser une millième fois pour mon retard et pour les promesses en l'air (« je publie bientôt », « le chapitre arrive ») surtout auprès de EADF et Chris122 xD

J'avoue avoir (un peu) négligé ma fanfic, l'avoir complètement oubliée le temps des examens mais aussi ne pas avoir été convenablement inspirée pour son écriture. Je considère ce chapitre comme l'un des plus importants puisqu'il introduit un arc de narration très particulier. Et au final, je suis assez déçue, comme d'hab'.

Je m'attends à perdre des lecteurs ou au moins à en décevoir quelques-uns (si jamais j'en ai encore. MDR). Car cette fanfic est une véritable prise de risque, mais j'aime ça, les défis ! Enfin, vous verrez par vous-mêmes, vous n'avez qu'à lire et me tenir au courant par une petite review pleine de haine ou d'admiration, au choix ! (héhéhé)

Sur ce, je vous souhaite une bonne lecture, et je vous préviens d'ores et déjà que je pars en stage pour trois mois dès mardi prochain jusqu'au 31 mai, et que de nouveau, le temps que je pourrai consacrer à cette fic va considérablement se réduire… Donc ne vous attendez pas à avoir une suite dans les prochaines semaines…

Sur ce, je vous souhaite une bonne lecture, et je vous dis à bientôt :p


La fête battait son plein lorsque Ezio et Selene furent déposés par la voiture devant le Palais des Orsini. De là leur parvenait un brouhaha incessant, mélange indistinct de chants, de rire et de musique joyeuse. En quelques coups d'œil, l'assassin avait analysé la situation : quatre gardes à l'entrée, une patrouille qui ratissait le périmètre et quelques archers postés en haut des tours. L'intérieur devait être doublement, voire triplement surveillé. Un tel aménagement militaire confirmait les rumeurs : cette réception fastueuse n'était qu'une stupide mascarade politique.

Jouant à merveille son rôle de mari galant, Ezio offrit sa main à Selene afin de l'aider à descendre de la voiture. Celle-ci l'empoigna avec force, maladroite, les jambes emmêlées dans ses multiples jupons. Ezio roula des yeux ; Selene se révélait soudain être un fardeau bien qu'elle participât à l'illusion.

Dans la façon dont elle s'accrochait à son bras, Ezio décela un profond malaise.

« Détends-toi, lui intima-t-il. Ou l'on se méfiera de toi ».

Un faux pas n'était pas permis. En cas de problème, il aurait aisément pu s'échapper, se faufiler dans l'ombre, silencieusement secouru par ses complices et confrères Orsini. Simplement, ce soir, il n'était pas seul.

« Vous êtes drôle, rétorqua la jeune femme d'un ton sec. Je n'étais pas censée participer à une mission. Vous aviez promis, et vous avez menti ».

Ezio ne s'en offensa pas. Elle était en colère et elle avait ses raisons : sa promesse non tenue et son trouble grandissant provoqué par son entrée, même temporaire, dans un monde qui n'était pas le sien. En tant que noble déchu, Ezio connaissait le protocole, ce qui demeurait un avantage non négligeable.

On les laissa entrer en les saluant bien bas. Les jardins s'ouvrirent devant eux et, Selene ne put retenir un petit cri, trahissant son émerveillement, bientôt étouffé par l'explosion de petits feux d'artifice roses et bleus. Tout avait été soigneusement décoré. Des rubans étaient enroulés autour des colonnes, des guirlandes de fleurs pendaient aux balcons, prouvant la fortune des Orsini financièrement capables de se fournir en fleurs magnifiques à la serre en plein hiver. Des feux avaient été allumés et projetaient des cercles de lumière orange sur la terrasse. Quelques musiciens pinçaient les cordes de leur luth ou soufflaient dans leur fifre.

Tous les invités étaient masqués : simple bandeau de soie sur leurs yeux ou masques dorés, robes et costumes chatoyants, la richesse orgueilleuse de Rome était entassée entre ces buissons bien taillés et dans la salle de bal d'où provenaient des chansons et des rires. Ezio et Selene se dissimulaient sans peine dans cette foule : vêtu d'un costume d'apparat vert foncé brodé d'arabesques de fils d'or, son demi-masque d'argent sur le visage et son port princier mis de côté quoique jamais oublié, l'homme menait la supercherie à la perfection. A ses côtés, Selene était loin de faire pâle figure. Même si elle ne se tenait pas parfaitement droite et ne possédait pas cette façon aussi délicatement exagérée de se mouvoir et de s'incliner devant ceux qui la saluaient poliment, sa beauté les distrayait et ces détails devenaient soudain insignifiants. Elle portait une robe de bal en velours bleu nuit, aux jupes et à collerette blanches. Le tissu était cousu d'argent, presque invisible, mais lorsque la jeune femme bougeait, son vêtement semblait pétiller un instant. Ses longs cheveux noirs, nattés, avaient été ramenés sur le haut de sa tête, maintenus par un petit diadème discret. Pour finir, un bandeau de soie assorti à son habit accentuait son regard vert.

« Tu te débrouilles à merveille, la gratifia Ezio tandis qu'ils traversaient une allée en distribuant salutations et paroles aimables. Ne parle pas trop, c'est tout ».

Selene enfonça ses ongles dans le dos de sa main, insensible à la plaisanterie.

« Vous m'énervez ! » grinça-t-elle.

Un sourire taquin étira les lèvres de l'assassin.

« Qui cherchons-nous ? » reprit-elle, irritée.

Dans l'urgence, la Confrérie ne l'avait pas informée de la nature exacte de la mission Ezio la lui résuma rapidement.

« Un de ces idiots de francesi, répondit-il. Je ne le vois pas pour l'instant. Mais viens, mia cara, allons-nous servir un verre.

-Je n'ai pas soif, répliqua Selene, et je n'aime pas le vin ».

L'homme lui plaça une coupe entre les mains malgré ses protestations, et soupira en lui lançant un regard où l'on percevait une pointe d'agacement.

« Tu as le foutu caractère de ton père ».

oOo

Selene s'était assise sur un banc à l'intérieur, son verre toujours plein entre les doigts. Pensive, elle observait cette cohue couverte d'or et s'interrogeait : à quoi aurait ressemblé sa vie si Federico avait épousé Concetta, si elle était née dans un berceau cerné de pierres précieuses, et si toute cette histoire d'assassinats, de complots et d'affaires d'Etat ne les avait pas concernés ? Elle n'était pas pauvre mais méprisait tout de même ce monde hypocrite et manipulateur autant qu'elle enviait son apparence merveilleuse et étincelante. De toute façon, cela ne serait jamais arrivé, pensa-t-elle. Les Auditore n'auraient certainement pas laissé leur cher fils aîné se marier avec une simple roturière, même propriétaire d'une grande boutique de tissus.

Elle reporta son attention sur les danseurs qui virevoltaient au milieu de l'immense pièce dans un tourbillon de couleurs, de rubans et de plumes. Si seulement elle avait su danser de cette façon ! Elle souhaita secrètement que son oncle n'ait pas la mauvaise idée de l'inviter à faire quelques ronds de jambes, car sa totale incompétence en la matière aurait paru louche pour sa condition feinte. Elle allait d'ailleurs faire la remarque à Ezio lorsqu'elle s'aperçut qu'il était en grande conversation avec un autre homme qu'elle ne connaissait pas. Elle s'appliquait à les écouter lorsque quelqu'un s'assit à côté d'elle et se mit à lui parler avec un abominable accent français :

« A quoi pensez-vous, jolie demoiselle, pour paraître aussi triste un soir de fête ? »

oOo

« Il signor Licata ! s'exclama Francesco Orsini. Qu'il est bon de vous revoir après tout ce temps ! »

Ezio noya son sourire dans son verre de vin.

« Vous n'avez pas pris une ride, cher ami, répondit-il. Et votre femme non plus !

-Cesse tes viles flatteries pour ma dame, rit Francesco en dialecte florentin, et parlons plutôt de ce qui t'amène ».

Ils conservèrent le dialecte afin d'éviter d'être compris par les Français alentour.

« Discutons art tout d'abord, commença Ezio en faisant tourner son reste de vin dans le fond de sa coupe. J'aime la peinture ; que penses-tu de l'œuvre de Benozzo Gozzoli ? Il est mon peintre favori ».

Francesco fronça les sourcils, pas sûr de bien comprendre. Ezio sourit et entra dans le vif du sujet :

« Deux de mes assassins se sont rendus à San Gimignano dernièrement, et par un habile concours de circonstances, se sont retrouvés dans votre… atelier ».

Un petit « Oh » d'apparente contrariété franchit les lèvres de Francesco.

« Ceux qui connaissent l'histoire des Fragments d'Eden sont forcément capables de déchiffrer les tableaux. Votre ami défunt, ce Gozzoli, a œuvré pour cela, n'est-ce pas ?

-Les as-tu vus ? demanda l'hôte.

-Non. Mais on me les a décrits ; cela a suffit pour que je devine. On va dire que j'attendais ton autorisation pour pouvoir en accrocher quelques-uns aux murs de la maison ».

Francesco ne paraissait pas franchement d'accord avec cette perspective.

« Pourquoi tiens-tu absolument à les étudier ?

-D'après Leonardo, Cesare Borgia est sur la piste d'un Fragment d'Eden quelque part en France. Je sais que vous êtes impliqués.

-Comment ? bafouilla le noble, de plus en plus soucieux.

-Mon ami écoute aisément aux portes du Château Saint-Ange. Je voudrais donc savoir si cela à un rapport avec ce qu'ont découvert mes élèves, et si toi-même tu en sais plus.

-Ezio, dit Francesco après avoir pris une grande inspiration. Je sais où sont cachées ces peintures, mais je dois t'avouer que je ne les ai jamais eues entre les mains. Peut-être que si tu me les amenais, je saurais t'en dire quelque chose. Ou t'expliquer certains codes que tu ne pourrais pas comprendre. Mais là, maintenant, alors que le vin commence à m'enivrer, il m'est impossible de te répondre. Pardonne-moi.

-Ce n'est rien.

-Le temps presse, apparemment. Je suis très occupé en ce moment, avec toutes ces réceptions. Mais pourquoi ne m'en apporterais-tu pas une ou deux que nous pourrions regarder ensemble, un prochain soir ? »

Ezio eut un sourire plein de gratitude et hocha la tête :

« D'accord. Merci pour ton aide, Francesco. La Confrérie est extrêmement reconnaissante de tout ce que vous faîtes pour elle ».

Francesco posa une main amicale sur l'épaule de l'assassin, puis entreprit de lui servir un peu de vin.

« Amuse-toi ce soir, lui suggéra-t-il. J'ai su que tu n'étais pas venu seul ? ajouta-t-il d'un air espiègle.

-Ne t'emballe pas, il ne s'agit que d'une apprentie. Elle participe à la couverture.

-Oh, pardon.

-Je ne pourrai pas non plus profiter de la qualité de ton accueil, j'ai hélas encore à faire.

-Après qui cours-tu, cette fois ? l'interrogea son hôte.

-Le Baron de Valois est ici, n'est-ce pas ?

-Très juste, j'ai été obligé d'inviter ce vieux porc. Tu le trouveras sans doute auprès des femmes. Bien qu'ils nous considèrent comme membres d'une société inférieure à la sienne, il apprécie particulièrement la compagnie des méditerranéennes… Bonne soirée, mon ami, et bonne chance ».

Il trinqua une dernière fois et s'éloigna, laissant Ezio s'occuper de ses affaires.

Et ce dernier n'eut pas à chercher bien loin : il aperçut le Français aux côtés de sa nièce, tentant d'entamer la conversation. Elle lui répondait de manière évasive et se donnait une contenance en buvant son vin malgré son dégoût. Il s'approcha.

« Mia cara, où étais-tu passée ? » les interrompit-il d'un ton amoureux.

Il salua le Baron d'un signe de tête, feignant l'ignorance. Celui-ci sembla peiné d'apprendre que la jeune femme qu'il s'était mis en tête de convoiter avait déjà un époux.

« Me présentes-tu à ton nouvel ami ?

-Voici Octavien de Valois. Mon mari, il signor Licata ».

Le Baron ravala sa déception et tendit une main étrangement amicale à l'assassin.

« Ravi. Puis-je me permettre de vous resservir en vin ? »

Le faux couple accepta avec plaisir et la discussion s'engagea naturellement.

Ezio inventa toute une histoire sur le passé et le présent de sa famille, racontant une vie qui n'était pas la sienne afin de satisfaire la curiosité maladive de l'envahisseur qui cherchait à comprendre les usages des envahis. Alors que la boisson coulait dans les coupes n'ayant pas le temps d'être vides, Octavien fut forcé de s'admettre que la noblesse fonctionnait de la même façon par-delà les frontières. Selene s'attela à la tâche elle aussi, mais resta plus mystérieuse, certainement par manque d'inspiration et par peur de dire des sottises. Peu douée pour le mensonge, et ne sachant surtout rien des manières aristocratiques, elle joua la tendre épouse réservée et soucieuse de laisser la parole aux hommes.

Les vapeurs de l'alcool commençaient à embrumer sérieusement le cerveau d'Octavien. Il radotait, penchait un peu sur la gauche, et leur faisait part de son désespoir : la femme à laquelle il était marié semblait ne pas l'aimer et il n'avait toujours pas d'héritier. A un moment, son menton retomba lourdement sur sa poitrine, et il marmonna quelques mots en français que personne ne comprit. Lorsqu'il releva la tête, ses yeux brillaient :

« Et qu'en est-il de vous ? Un petit est-il en route ? »

La question déconcerta Ezio et Selene qui gardaient encore l'esprit à peu près clair. La jeune fille rougit, extrêmement gênée. Ezio éclata de rire, franchement amusé : le Baron pouvait se vanter d'un grand sens de l'humour, malheureusement ignoré de lui-même.

« Voyons, cher Baron, c'est une question indiscrète !

-Pardon, mais vous avez l'air tellement amoureux ! Je trouve cela bien beau ».

Il les considéra un instant avec tristesse et envie.

« On dit que Venise est la ville de l'amour, confia Ezio sur le ton de la confidence. Peut-être devriez-vous y emmener votre femme ?

-Ce n'est qu'une légende, signor Licata, soupira Octavien avec un haussement d'épaule. Une sacrée légende italienne.

-Y a-t-il beaucoup de légendes et de mythes en France ? risqua Ezio, d'un ton innocent.

-Oh, quelques-unes, oui !

-Y en a-t-il à propos d'objets magiques ? »

Le Baron ne répondit pas et leva un sourcil. Selene comprit où Ezio voulait en venir et, bien que la boisson l'étourdissait véritablement, elle sautilla sur place en tapant dans ses mains :

« Oh oui, des histoires d'objets magiques !

-Ma femme raffole de ce genre de contes ».

Ils espéraient tous deux que la naïveté et l'enthousiasme apparents de la jeune femme tromperait la vigilance du Baron. Celui-ci éclata de rire :

« Bien, bien ! Je vais vous en raconter une, alors ».

Il tendit le bras pour attraper la cruche de vin et les resservir. Ezio couvrit sa coupe du plat de la main ; il avait du mal à clarifier ses pensées et ses membres s'engourdissaient. A ce rythme, il allait finir complètement saoul et serait incapable de se rappeler la conversation.

« Ce n'est pas raisonnable, se justifia-t-il avec un sourire alors que le Français lui jetait un coup d'œil inquisiteur.

-Allons ! Je n'ai pas envie de boire seul cette nuit, grogna Octavien.

-J'insiste.

-Alors je ne raconte rien du tout, et votre chère et tendre femme sera terriblement déçue ! »

Il s'agissait évidemment d'une menace en l'air mais Ezio se laissa tout de même convaincre. Avec un soupir, il regarda le liquide pourpre tournoyer dans sa coupe dorée avant de se figer, ne demandant qu'à être bu. Reposant la cruche sur une table, le Baron s'humecta les lèvres avant de s'adresser à Selene ; celle-ci s'était assise à côté de lui.

« Les tragédies amoureuses vous plaisent-elles aussi ? »

Prise au dépourvu et la pensée ralentie, Selene eut à peine le temps de saisir les mots d'Octavien que celui-ci reprenait déjà en marmonnant :

« Cette histoire parle des ancêtres de nos hôtes il y a de cela presque trois cents ans. On dit que la fille illégitime de… de… Comment s'appelait-il déjà, celui-là ? »

L'homme leva la tête, détaillant le plafond peint comme s'il allait y lire la réponse. Il papillonna des yeux, l'air bête.

« Bref ! J'ai oublié, s'exclama-t-il soudain en agitant une grosse main poilue devant sa figure rouge et bouffie. C'était un Orsini, l'un des premiers de la lignée, et on se fiche bien duquel. Donc, cet Orsini eut une fille avec l'un de ses maîtresses. Il l'appela Teresa et fut obligé de la cacher. Pour cela, il l'envoya dans un couvent à Paris. Car personne n'irait la chercher chez nous, n'est-ce pas ? »

Il rit bruyamment et s'étouffa à moitié. Ezio et Selene s'étaient raidis, constatant avec un mélange d'effarement et de soulagement qu'ils en arrivaient enfin au sujet voulu. Le Baron s'apprêtait à leur livrer un secret d'Etat le plus naturellement du monde, le bon vin lui déliant la langue. Ils se demandèrent si le Français avait seulement conscience de ce qu'il disait. Si oui, cela signifiait que le plan fonctionnait, et que le faux couple paraissait inoffensif. Ezio se félicita intérieurement puis porta machinalement son verre à ses lèvres. Le Baron de Valois calma sa toux pour continuer son récit :

« Un curé venait régulièrement avec son neveu pour dire la messe, et Teresa tomba éperdument amoureuse du gamin, Guillaume, je crois. Ce fut réciproque quel bonheur ! Dès lors, ils élaborèrent des stratagèmes pour se voir en cachette et éviter le courroux du curé et de la Mère Supérieure. Mais une nuit… »

Il baissa la voix et, se tournant vers Selene, prit un air mystérieux.

-On les a attrapés ? souffla-t-elle, faisant mine d'être fascinée et impressionnée par les talents de conteur du Baron.

-Il aurait peut-être fallu ! soupira Octavien, ému. Une nuit, le neveu parla à la fille d'un objet magique que la famille possédait depuis des générations. Et dès ce moment, un destin funeste plana sur la tête de la pauvre petite Orsini… »

Il marqua une pause, le temps d'apprécier l'effet de ses mots sur son public.

« Elle se mit en tête de trouver ce cet objet. Je ne connais plus les détails, mais elle y parvint. La curiosité et l'avarice sont de vilains défauts, et Guillaume, son grand amour, son aimé, son tendre, l'assassina pour cela, afin que le trésor reste un secret ».

Il termina là, remplit de nouveau les coupes et but la sienne d'un trait. Il eut un hoquet.

« C'est une triste légende, conclut Selene.

-Une légende ? bredouilla le Baron en lissant maladroitement sa moustache ébouriffée. Mais ma chère, ce n'en est pas une. Les Orsini vous le diront eux-mêmes ! »

La jeune femme lança un regard à son oncle, qui hocha discrètement la tête il n'y avait plus aucune raison de s'attarder à présent qu'ils avaient sans doute obtenus ce qu'ils étaient venus chercher. Elle se leva, tituba, et Ezio la rattrapa à temps avant qu'elle ne tombe. Il vida son verre et prit congé :

« Je pense qu'il est temps que je raccompagne ma femme, mon ami !

-Vous partez déjà ? s'attrista Octavien, réellement déçu.

-La qualité du vin semble l'étourdir. Je vous remercie et… »

Il n'eut hélas pas le temps de terminer sa phrase : le Français héla un petit groupe de militaires qui passait près d'eux et insista pour lui présenter le couple. A leur façon de marcher et de glousser, les amis du Baron avaient eux aussi abusé du vin.

« J'ai la tête qui tourne, gémit Selene, appuyée contre son oncle, les mains sur ses tempes.

-Encore un petit effort, l'encouragea Ezio, assez mal en point lui aussi. Une fois que cet imbécile aura eu ce qu'il veut, il nous laissera tranquille.

-Je veux rentrer.

-Patience ».

Le Baron et ses amis, qui n'étaient autres que ses lieutenants favoris, poussaient des exclamations d'ivrognes en français et ressemblaient à des animaux de basse-cour.

« J'ai eu le plaisir de faire la connaissance des Licata ce soir, expliqua le Baron à ses camarades entre deux hoquets. Ils sont charmants, tout à fait charmants ! »

Les lieutenants les saluèrent, mélangeant leur langue d'origine à des mots italiens et ne prononçant au final qu'un charabia indistinct. Les yeux humides et la vision floutée par l'alcool, Octavien dut confondre la posture maladroite d'Ezio et de Selene avec une étreinte amoureuse car il réclama une ovation en l'honneur de leur mariage réussi. La vingtaine de personnes qui les encerclaient maintenant les applaudirent. Dissimulé dans la foule, quelqu'un lança : « Embrassez-vous ! »

Se révéla alors toute la dangerosité du plan d'Ezio, que ce dernier n'avait absolument pas prévu : le mensonge était tellement parfait qu'il les avait menés tout droit dans une impasse dont il était impossible de se sortir sans se plier à la volonté de la foule maîtresse. Les invités inconscients scandaient joyeusement : « Un baiser ! Un baiser ! » sans même se douter du scandale qu'ils demandaient en réalité. Ezio regarda autour de lui avec horreur tandis que sa nièce s'accrochait désespérément à lui. Les oreilles bourdonnantes et la tête lourde, il fouillait cet amas de personnes déguisées et immondes à la recherche d'une aide quelconque. Pourquoi Francesco n'intervenait-il pas par miracle pour calmer cette bande de voyeurs ? L'assassin dut se résoudre. Il n'y avait pas d'autre moyen.

A travers le brouillard qui lui empêchait l'esprit, Selene sentit qu'on la saisissait fermement par les épaules. Ses pupilles fatiguées distinguèrent le visage masqué de son oncle, et elle comprit. Il allait le faire. Elle écarquilla les yeux, paniquée.

« N'osez même pas » le prévint-elle dans un murmure.

Ezio lui lança un regard qui hurlait « Je suis désolé » et posa délicatement ses lèvres sur celles de Selene. Les « Hourra ! » fusèrent autour d'eux.

Tout se passa au ralenti. Depuis combien de temps Ezio n'avait-il pas réellement goûté la bouche d'une femme ? Les souvenirs amers et douloureux de Cristina se confondirent avec ceux, plus chauds, plus agréables, de Caterina Sforza et des autres créatures qu'il avait possédées le temps d'une heure ou deux. Coupé de la réalité par les embruns de l'alcool, il ne savait plus ni où il était ni qui exactement il serrait dans ses bras. Mais elle lui répondait ; il en tira du réconfort et un certain plaisir.

C'était peut-être aussi à cause du vin, ou bien à cause de la douceur que l'homme déversait dans son geste, mais Selene, à son tour, se perdit totalement dans ce baiser. Elle oublia la fête, le luxe, la musique et les rires, son rôle et la mission, ainsi que son lien de parenté avec celui qui l'embrassait. Si bien qu'elle se laissa aller et le lui rendit, timidement. Elle avait connu peu d'hommes, et la tendresse de celui-ci lui plaisait beaucoup. Cette façon qu'il avait de caresser sa joue, de la tenir contre lui… Avec regret, elle le sentit se détacher d'elle. Et lorsqu'elle ouvrit les yeux de nouveau, elle réalisa brusquement ce qu'il venait de se produire.

En face d'elle, son oncle la considérait, abasourdi. Ils remarquèrent que plus personne ne faisait attention à eux et que même le Baron s'était retourné pour causer avec ses lieutenants. Alors combien de temps cela avait-il duré ? Selene déglutit, replaça convenablement son bandeau de soie qui était tombé sur son nez et tenta de rassembler ses idées. Une vague de honte la submergea et lui tordit le ventre. Elle aurait voulu qu'Ezio se moque d'elle comme lors de leur arrivée au Palais, elle aurait voulu qu'il la réprimande, que le Mentor parle à sa recrue, qu'il lui assure que cela faisait partie de la combine, du plan, que c'était « un des risques du métier » et qu'il ne s'agissait en aucun cas d'une méprise. Mais il n'en fit rien. A vrai dire, malgré le masque qui dissimulait ses traits, elle sut qu'il était tout aussi confus et bouleversé. C'était un fait : ils avaient été forcés d'échanger un baiser, et ils avaient aimé cela.

« Allons-nous-en » fit enfin Ezio, la voix rauque.

L'assassin lui attrapa le poignet et s'élança à travers la salle de réception, luttant contre les vertiges et s'appuyant de temps à autre contre un mur ou une colonne afin de retrouver son équilibre. La main pressée contre son front, il se demanda une énième fois comment il avait pu être aussi pitoyable pour se permettre de boire autant alors qu'il était en mission. La culpabilité lui enserra la gorge : il ridiculisait la Confrérie, ne se montrait pas digne d'en être le Maître et Mentor, et avait profité de la confiance si durement gagnée de sa propre nièce.

Derrière lui, la jeune femme trébuchait et bousculait des invités sans que ceux-ci ne s'en offusquent ; tout le monde était à peu près dans le même état à cette heure avancée de la nuit et l'on quémandait une boisson qui ne devait malheureusement plus arriver. Une réception se termine en même temps que les fûts ; il était plus que temps de partir.

Bercés par le balancement de la voiture tirée par les chevaux et le son régulier de leurs sabots sur le sentier, Ezio et Selene arrachèrent leurs masques et s'assoupirent quelques minutes après avoir pris la route. Lorsqu'ils atteignirent la ville, les cahots du carrosse sur les pavés secouèrent les passagers, et le corps de Selene glissa mollement contre celui d'Ezio. Elle soupira d'aise tandis que des doigts brûlants se refermèrent doucement sur sa nuque et l'attirèrent en avant.