Voilà la suite ! Désolée de vous avoir fait attendre si longtemps... Il faut vraiment que je me remette à cette fic, j'avoue manquer de motivation.
Bon, c'est un chapitre un peu spécial, mais nous retournerons à l'intrigue principale dès le prochain. Sur ce, bonne lecture :)
Ezio se réveilla avec la gueule de bois. Il ouvrit un œil et grommela un juron lorsque la lumière éblouissante du soleil qui s'infiltrait par les rideaux mal fermés lui transperça le crâne. Il cacha ses yeux dans le creux de son coude, espérant calmer son mal de tête ; en vain.
A l'aveuglette, il tendit une main et tâta tout autour de lui, afin de comprendre où il avait atterri. Il était couché sur le ventre, en travers d'un grand lit. Il tordit les draps entre ses doigts et entreprit de redresser son corps douloureux et engourdi. Enfin assis en tailleur au milieu du lit, il frotta ses paupières, passa une main sur son visage et jeta un coup d'œil à la pièce. Une botte gisait au bord du lit ; l'autre avait sans doute glissé en dessous. C'est en voyant sa chemise fripée et le reste de ses habits de fête sur le sol qu'il prit conscience d'être à moitié nu, ne portant plus que ses culottes noires. Il eut soudain la chair de poule en réalisant cela ; il faisait froid dans cette chambre, on n'avait pas allumé de feu avant leur arrivée.
L'homme étouffa un bâillement et entendit de l'agitation dans le couloir. Il conclut qu'il devait être tard, certainement midi passé ; le bordel ne s'éveillait jamais tôt. Malgré la douleur qui lui martelait la tête, il essaya de se concentrer et de se remémorer la nuit. Pour le moment, il se rappelait vaguement d'une fête chez les Orsini, d'un pichet de vin interminable et de quelques bribes d'une conversation polie entre le Baron de Valois et lui. Fatigué, l'assassin décida de réfléchir à tout cela plus tard, une fois reposé.
Au milieu de ses affaires éparpillées, Ezio remarqua une robe jetée négligemment dans un coin. Il tourna la tête et discerna une forme enroulée sous les couvertures à côté de lui, une cascade de cheveux noirs recouvrant les oreillers. Il ne se souvenait pas avoir ramené une femme avec lui après le bal, mais puisqu'elle n'était pas encore partie, il pouvait peut-être en profiter un peu. Il rampa alors sur les draps, se rapprochant de cette silhouette féminine qui dégageait une sensualité à laquelle il n'était pas insensible. Il passa un bras autour de la taille de l'inconnue, effleura son épaule nue, dégagea sa nuque et déposa un baiser sur cette peau nacrée et chaude de sommeil ; elle soupira et s'étira tel un chat. Ezio sourit, oublia sa migraine, et ferma les yeux.
La douce torpeur dans laquelle ils étaient tous les deux plongés rendit le moment délicieux. Lentement, la jeune femme à demi éveillée bascula sur le dos et ses bras s'enroulèrent instinctivement autour du cou de l'assassin, l'invitant à l'embrasser. Ezio captura sa bouche, et le désir lui tortilla le bas-ventre tandis qu'il découvrait et caressait ses courbes dissimulées dans la chaleur du lit. Il la sentit frémir sous ses doigts, réceptive à son toucher, et il se glissa doucement entre ses cuisses brûlantes et moites. Elle se cambra légèrement sous son corps, enroula ses jambes autour de ses hanches lorsqu'il se coucha sur elle, et il ne put retenir un petit grognement d'excitation à la simple idée de faire l'amour à cette voluptueuse créature qui semblait le vouloir autant qu'il la voulait elle. Il ouvrit les yeux afin d'admirer ce visage qu'il couvrait de baisers, mais il ne le reconnut pas. Des cheveux sombres avaient glissé sur le front et les joues, masquant à demi ses traits. Ezio caressa du pouce les lèvres roses et gonflées de la jeune femme, avant d'écarter les longues mèches noires avec une douceur infinie. Et son cœur manqua un battement.
Selene. La femme qu'il tenait sous lui, dont il avait terriblement envie et qu'il s'était apprêté à posséder pleinement.
Ezio eut un brusque mouvement de recul et bondit hors du lit en voyant sa nièce le dévisager avec horreur à son tour, incrédule et ébouriffée. Elle ramena les draps sur elle, se couvrant la poitrine d'une main tremblante.
« Mon oncle, qu'est-ce que … ? »
Sans un mot et à peine conscient de ses gestes, Ezio enfila sa chemise à la hâte et se précipita dans le couloir.
L'homme claqua la porte de la chambre et s'adossa au mur quelques secondes, étourdi. Il tenta de faire fonctionner son cerveau rendu débile par l'alcool ingurgité quelques heures auparavant, et de se souvenir. Mais la migraine et l'affolement qui commençait à l'envahir l'empêchaient de penser correctement. Il ne se rappelait plus. Il ne se rappelait de rien.
« Réfléchis, crétin ! Réfléchis… »
L'angoisse couvrit sa peau d'une fine couche de sueur.
Et enfin, tandis qu'il traversait les interminables corridors de la Rose Fleurie en se heurtant contre les murs, quelques bribes lui revinrent progressivement. D'abord la foule colorée et scintillante en cercle vicieux autour de lui et de sa nièce apeurée qui le suppliait de trouver une solution. Puis les harangues, les cris, les rires et les moqueries. Le vin qui coulait trop. Et un baiser, doux et chaud. Plusieurs, peut-être. Ezio ne savait plus, et l'incertitude lui noua douloureusement la gorge ; il eut un haut-le-cœur.
Alors qu'il descendait les escaliers menant au hall d'entrée, il croisa Claudia qui gravissait doucement les marches. Arrivée à sa hauteur, elle dévisagea son frère à l'air ahuri comme s'il sortait d'un mauvais rêve. Le teint pâle, des cernes bleues creusant ses yeux noirs, il avait l'air d'un fantôme.
« Ezio ? Tout va bien ? »
L'homme déglutit et sentit de nouveau la nausée lui tordre l'estomac.
« Je t'en supplie, haleta-t-il. Dis-moi qu'il ne s'est jamais rien passé.
- De quoi parles-tu ? »
Ezio comprit que personne n'était en mesure de lui apporter des réponses claires à propos de ce qui avait pu se passer après la fête. Il secoua la tête, sauta les dernières marches et se rua dehors, sous le regard déconcerté de sa sœur.
« Ezio, tu n'es même pas chaussé » lui cria-t-elle, mais il était déjà sorti.
Le comportement absurde de son frère l'inquiéta, et elle eut un mauvais pressentiment. Quelque chose n'allait manifestement pas, et elle craignait que cela ait un rapport avec la mission de la nuit. Elle monta rapidement jusqu'à l'étage et se dirigea vers la chambre de Selene.
oOo
Laissée à elle-même et encore sous le choc, Selene sentait peu à peu la panique la gagner. Elle avait failli se donner à son oncle. Sans pourtant le reconnaître, elle l'avait désiré ardemment, l'avait serré entre ses cuisses. Il avait déposé des baisers sur sa peau, il l'avait touchée, et ses caresses lui avaient plu. Elle poussa un gémissement et hoqueta ; la honte fit monter les larmes. Et elle se mit à éprouver un farouche dégoût d'elle-même.
La tête lourde, elle tenta à son tour de rassembler ses souvenirs, mais l'abus d'alcool avait cette faculté, bénie ou maudite, de brouiller les mémoires. Après un rapide examen de la pièce, elle comprit qu'elle était dans sa chambre. Alors comment, et pourquoi, Ezio s'était retrouvé dans cette même pièce pour partager sa couche ? Son imagination dessina les pires scenarii dans son esprit confus et terrifié.
Quelqu'un toqua. La jeune femme sursauta, et la voix de Claudia s'éleva derrière la porte.
« Selene ? Tu es là ? »
Celle-ci s'éclaircit la gorge et fit de son mieux pour se maîtriser.
« Je descends bientôt !
-Très bien ».
Elle entendit les pas de sa tante s'éloigner petit à petit, hésitants d'abord, et plus affirmés ensuite. Selene se rendit brutalement compte que ce qu'il restait des vêtements d'Ezio se trouvait dans sa chambre. Elle se précipita hors du lit et les dissimula dessous, en priant pour qu'ils disparaissent à jamais dans la poussière. Quant à affronter les mines inquisitrices de Claudia, de Maria et des autres filles du bordel, il n'en était pas question. Dans son malheur, Selene vit le fait d'avoir pu arriver jusqu'à sa propre chambre comme une bénédiction : une tenue simple, sa cape de fourrure et une paire de bottes se trouvaient dans son armoire. Elle s'habilla prestement, ne prit ni le temps d'arranger sa tignasse emmêlée ni d'essuyer le fard que le sommeil avait étalé sous ses yeux et, les mains tremblantes, elle ouvrit la fenêtre. Respirer l'air froid lui fit du bien ; le vent la sommait de quitter cette atmosphère oppressante et de laisser les récents évènements derrière elle. Un sourire amer fendit son visage quand elle songea que l'enseignement des assassins, qu'elle avait d'abord rejeté en bloc, se révélait enfin utile à présent qu'elle choisissait de fuir une réalité trop gênante. Elle ne voulait surtout croiser personne. Passer par les toits était la seule solution.
Le cœur battant, Selene se percha sur le rebord de la fenêtre et se laissa souplement tomber sur le toit de la maison voisine ; les tuiles cliquetèrent sous la semelle de cuir. Elle lança un dernier regard à la Rose Fleurie, s'assura que personne ne l'avait vue, et, après avoir resserré son col et rabattu son capuchon, elle prit ses jambes à son cou et s'évapora entre les cheminées.
oOo
Ezio s'était assis sur un banc de pierre, adossé à un petit muret. Derrière lui, en contrebas, le Tibre s'écoulait tranquillement, calme et chuintant. L'homme regardait droit devant lui, à peine conscient des graffitis sur le vieux mur sale qu'il fixait sans même s'en rendre compte. Il ne sentait ni les rafales glacées sur son visage ni les pavés froids sous ses pieds nus, ne portait aucune attention ni aux piaillements des badauds ni aux chuchotements des curieux intrigués par son allure misérable. Toute sensation était morte à l'intérieur de lui ; ne subsistaient plus que cette culpabilité dévorante et ces remords lancinants. La mémoire lui était partiellement revenue lors de sa longue méditation devant ce pan de mur crasseux, et bien que Selene et lui avaient réussi à soutirer une légende au Baron de Valois, une vieille histoire qui semblait être une réponse à une partie de l'énigme, la mission n'en demeurait pas moins un échec cuisant. Car il avait humilié sa nièce à deux reprises et peut-être commis l'irréparable.
Claudia s'installa à côté de lui. Il l'avait entendue s'approcher, et avait reconnu le bruissement particulier du tissu de sa robe. Tous ces minuscules détails chez sa petite sœur, il les avait appris par cœur au fil des années. Cela suffit à redonner un peu de vie son corps meurtri ; il remua. Et Claudia posa quelque chose près de lui. Du coin de l'œil, il devina ses bottes.
« Elles étaient dans la chambre de Selene » articula sa sœur d'une voix blanche.
Ezio déglutit, incapable de répondre. Elle n'osa pas tourner la tête vers lui et baissa les yeux, les mains posées sur ses genoux, paumes vers le ciel.
« Ton lit n'est même pas défait, reprit-elle.
-Claudia…
-Je ne dirai rien à personne, si c'est ce qui te fait peur ».
Ezio s'apprêtait à se rétorquer mais sa voix se perdit au fond de sa gorge. Comment pouvait-on se justifier après de tels actes ? Sans un mot, Claudia se leva et abandonna son frère. Ezio l'observa tandis qu'elle s'éloignait, les épaules courbées, les poings serrés, et il sut. Il avait définitivement perdu la confiance de sa nièce, et à moitié perdu celle sa sœur.
Il glissa dans ses bottes et fila.
oOo
Selene avait marché longtemps, et s'était aperçue avec étonnement qu'elle était arrivée au sommet du Palatin. Assise sous un pin parasol au bord du chemin, la jeune femme contemplait le Colisée, splendide et coloré par les derniers rayons du soleil couchant, sa gigantesque carcasse se dressant fièrement dans le feu.
Elle ramena ses jambes ankylosées contre sa poitrine et posa son menton sur ses genoux, tout en s'interrogeant sur les décisions qu'elle devait prendre alors que la tentative de réconciliation avec son oncle était réduite à néant et que la suite de son initiation était menacée. Elle se retrouvait de nouveau dans une impasse, dans laquelle, malheureusement, aucun choix ne semblait être le bon.
« Selene ? »
La jeune femme se retourna vivement, son flot de pensées brusquement interrompu. Thomas se tenait derrière et la considérait, surpris de la retrouver ici, vêtue autrement que de sa tenue d'apprentie.
« Nous nous demandions où tu étais passée, lui dit-il gentiment en s'accroupissant près d'elle. Tu as manqué l'appel, aujourd'hui ».
Selene hocha doucement la tête, redoutant déjà les représailles de Machiavelli qui s'avéreraient certainement sévères. Thomas remarqua que quelque chose n'allait pas, mais préféra ne pas poser de questions. Elle apprécia sa bienveillance ils n'avaient pas passé beaucoup de temps ensemble, mais il n'en était pas moins aimable et d'une extrême gentillesse. Il lui tendit la main :
« Viens, murmura-t-il. Il faut rentrer, maintenant ».
Selene leva vers lui ses yeux rougis et elle frémit à la simple idée de se retrouver nez à nez avec Ezio Auditore.
« Thomas, c'est impossible. Je ne peux pas revenir ».
L'Anglais fronça les sourcils. Selene réalisa alors l'absurdité de sa réponse : excepté au repaire, elle n'avait plus aucun endroit où aller. A cette soudaine prise de conscience, elle craqua et éclata en sanglots, délivrant des émotions trop longtemps contenues.
Silencieux, Thomas la prit délicatement dans ses bras, la serra contre lui, et elle pleura amèrement sur son épaule.
