Un chapitre avec un bonus ! La fin du dernier chapitre posté est réécrite (le paragraphe qui concerne Selene), car personnellement je la trouvais un peu ratée... Rendez-vous au chapitre 18 avant de commencer !
Bref, merci à tous qui sont toujours là de me lire, ça me motive et ça fait plaisir de voir que ma lenteur dans l'écriture n'a pas fait fuir tout le monde !
Tôt le lendemain, Selene, Helena et Thomas furent appelés à rejoindre le Mentor dans la salle des armes. Les deux Anglais étaient inquiets, car celui-ci n'était pas du genre à convoquer les nouvelles recrues, sauf quand elles avaient fait une erreur. En chemin, ils se demandaient quand ils avaient pu se tromper, et angoissaient à l'idée de se faire réprimander. Selene ouvrait la marche, sans dire un mot. Leur inquiétude l'amusait.
L'armurerie était peu éclairée ; seules quelques bougies, dont la flamme brillait sur la lame des épées et des hallebardes, étaient allumées. La lumière bleue du matin filtrait à travers les petites fenêtres. La pièce était vide. Les trois apprentis attendirent patiemment ; lorsqu'enfin Ezio entra suivi de Claudia, Thomas et Helena retinrent leur souffle. Une main sur le cœur, ils s'inclinèrent respectueusement devant le Mentor et sa sœur.
Ezio, après les avoir félicités sur leurs capacités précoces, répéta ce qu'il avait annoncé la veille à Selene. Alfonso Scalabrino était un traître et méritait d'être puni : ancien condottiero au service de Bartolomeo d'Alviano, lui et sa troupe s'étaient tournés vers le plus offrant, soit Cesare Borgia. La victoire n'était plus aux Italiens dans ces guerres sans fin ; réaliste, l'homme ne faisait que suivre l'air du temps.
Le mercenaire était donc une menace : au courant du fonctionnement et de la localisation des différentes Confréries dissimulées dans Rome, il ne tarderait pas à les trahir toutes, si ce n'était pas déjà fait. Avant de subir le châtiment réservé aux renégats, Alfonso Scalabrino allait rendre un dernier service à ses vieux amis.
« Cesare l'a chargé de prêcher la bonne parole dans les villages autour de la cité. Il parvient à recruter des mercenaires moyennant une bourse pleine, commença le Mentor. Il est important, pour notre sécurité, que nous sachions qui sont ces hommes enrôlés. Scalabrino peut nous être très utile pour connaître les plans des Borgia et de l'armée française ».
Les trois recrues, intimidées et excitées en même temps, enregistraient consciencieusement tout ce que le Maître leur expliquait.
« Je sais que je peux compter sur vous. Son retour est prévu dans trois semaines » termina Ezio.
Les recrues s'inclinèrent de nouveau, pensant l'entretien terminé. Claudia, restée en retrait jusque là, s'avança alors vers le petit groupe. Elle tenait une caissette entre ses bras.
« Je pense qu'il est temps », dit-elle simplement.
Ezio ouvrit le coffret et le tendit aux trois jeunes gens :
« Vous aurez besoin de ceci ».
C'étaient trois brassards décorés des armoiries des Assassins. Thomas, Helena et Selene écarquillèrent les yeux, incrédules :
« Des lames secrètes ? s'exclama Thomas.
-Machiavelli vous attend cet après-midi pour le début des leçons » dit simplement le Mentor avant de se retirer, les laissant hébétées devant le coffret.
Avant de le suivre, Claudia pressa doucement l'épaule de Selene :
« J'aurais vraiment voulu que tu aies celle de Federico, tu sais ».
Les trois recrues savaient que chaque apprenti, s'il se donnait suffisamment de mal, recevait tôt ou tard une lame secrète, et que celle-ci n'était plus une arme exclusivement réservée aux Maîtres. Thomas et Helena, heureux de voir leurs efforts payer si tôt, eurent le cœur empli de fierté. Quant à Selene, elle ne ressentit ni orgueil ni joie particulière : cette nouvelle arme ne lui servirait qu'à tuer plus discrètement, et sans aucune doute plus facilement, qu'avec une épée. Tandis qu'elle enfilait distraitement le brassard, elle activa le mécanisme et la lame jaillit, entaillant la peau d'un de ses doigts. Une goutte de sang tomba sur le sol et tâcha le tapis lie-de-vin ; songeuse, elle contempla le tissu absorber le liquide et le mêler à sa teinte. Comme la terre avait bu le sang de l'homme qu'elle avait poignardé…
« Il va falloir fêter ça ! » s'exclama Thomas.
La jeune femme sursauta et s'arracha à ses pensées morbides. Elle considéra Thomas avec effarement.
« Fêter quoi ? s'enquit-elle.
-Eh bien, notre promotion ! »
Le frère et la sœur éclatèrent de rire. Selene se força à sourire, mais le cœur n'y était pas. Elle s'en voulait de ne pas partager leur bonne humeur, mais elle avait beau faire tous les efforts du monde, elle n'y arrivait toujours pas. Les blessures intérieures n'étaient pas cicatrisées, mais, contrairement à ce qu'elle croyait, ses deux camarades bienveillants étaient loin de la blâmer.
oOo
Utiliser la lame secrète se révéla plus difficile que prévu, au plus grand désarroi de Thomas. Bien que cela leur parut risible au premier abord, Machiavelli leur annonça qu'il leur enseignerait les rudiments de son maniement au premier qui ne se blesserait pas en enclenchant le mécanisme. Après de nombreuses égratignures obligatoires, Niccolo se servit des mannequins pour leur montrer les différents points où la lame secrète serait la plus discrète et fatale. Le tout était d'apprendre à tuer sans se faire remarquer, et, fort heureusement, le trio disposait encore d'un peu de temps pour ça.
Le soleil se couchait lorsque Selene quitta l'île Tibérine pour une promenade en solitaire. Après une longue journée d'entraînement, c'était pour elle le seul moyen de se délasser les membres et l'esprit, loin du tumulte du centre-ville et de l'agitation du Renard Assoupi. Alors que Thomas et Helena buvaient un verre de vin à l'auberge, Selene descendait tranquillement vers le Quartier Antico. S'il fallait fêter la lame secrète, eh bien soit ! Déambuler calmement entre les ruines romaines lui paraissait une manière plus digne que d'aller s'enivrer.
Comme elles lui avaient manquée ! Obnubilée par ses études, la tête constamment ailleurs, il y avait longtemps qu'elle n'avait pas pris le temps de se recueillir au milieu du vieux marbre ; revenir l'apaisait. Elle fit le tour des thermes aux pierres rouges, puis celui du Colisée, contemplant une énième fois les détails de l'antique chef-d'œuvre, et en découvrant de nouveaux à chaque fois. Elle remonta ensuite vers le forum de Trajan ; entre ses vieilles colonnes ancestrales, des gentilshommes faisaient leur cour à de jeunes dames, et des bardes accompagnaient leurs émois. Selene poussa un soupir de dépit, eut un frisson, et fit un effort pour ignorer sa conscience qui lui murmurait que les seuls émois qu'elle avait eus depuis son arrivée à Rome avaient été dans les bras de son oncle.
Les étoiles commençaient à poindre au-dessus du monde, et l'on allumait les feux de la ville. Selene remarqua une silhouette qui tremblotait dans la lumière des flammes, et qui, penché sur un carnet posé sur ses genoux, semblait griffonner quelque chose. Concentré dans sa tâche, l'homme, qui portait un béret rouge, ne l'entendit pas s'approcher. La curiosité l'emportant sur la bienséance, Selene se pencha par-dessus son épaule pour regarder.
Les doigts salis par le fusain, l'homme dessinait la scène à laquelle il était en train d'assister : les jeunes gens, les ruines, et leurs ombres qui s'allongeaient sur les murs et le sentier.
« Oh ! Mais vous êtes la nièce d'Ezio, n'est-ce pas ? » s'écria-t-il soudain.
Selene sursauta et dévisagea celui qui l'avait reconnue, avec méfiance d'abord, avant de réaliser qu'elle l'avait déjà vu quelque part.
« N'ayez crainte, ma Dame, je suis Leonardo da Vinci. Nous nous sommes croisés rapidement, l'an dernier, et ce n'était pas dans de bonnes circonstances » lui dit-il en lui tendant une main amicale.
La jeune femme se rappela. Ils s'étaient déjà aperçus, alors qu'elle venait tout juste d'arriver à Rome. Leonardo da Vinci était arrivé en plein milieu d'une dispute, stoppant un Ezio blessé et en colère.
« Ah, oui ! je me souviens de vous ».
Leonardo se poussa de quelques centimètres et l'invita à s'asseoir près de lui.
« Je vous en prie. C'est dans la poussière, mais je n'ai pas de siège ».
Selene rit de bon cœur.
« Comment se passe votre initiation ? Apparemment, vous avez changé d'avis, dit l'artiste en désignant le brassard du bout du fusain.
-C'est surtout que je n'ai pas eu le choix, confia-t-elle d'une voix faible.
-Vous a-t-on forcée ?
-Non, mais ma mère est morte, et la Confrérie est tout ce qu'il me reste désormais ».
Un silence gênant s'installa entre eux, pendant lequel Leonardo se remit à dessiner distraitement.
« Qu'est-ce que vous faîtes ? demanda la jeune femme.
-Eh bien, quand je peux m'échapper de mon immonde prison, je parcours la campagne et je dessine. Ça me détend, et ça me fait un peu oublier ma misère.
-Je vous comprends.
-Vous venez souvent ici ?
-Oui. Pour les mêmes raisons que vous. Sauf que je ne dessine pas.
-Peut-être voudriez-vous essayer ? »
Leonardo termina son croquis, referma son carnet et le tendit à Selene avec un sourire :
« Il reste quelques pages blanches. C'est pour vous. N'ayez pas peur d'esquisser quelque chose, même si c'est n'importe quoi ».
Il s'agissait d'un joli petit carnet à la couverture de cuir pourpre, gravé d'arabesques élégantes, et qui se fermait à l'aide d'un petit ruban.
« Merci beaucoup, le remercia-t-elle, touchée par le cadeau.
-Avez-vous des nouvelles d'Ezio ? l'interrogea alors l'artiste. Ça fait un moment que je ne l'ai pas vu ».
Selene rangea le carnet dans sa sacoche et ramena ses genoux contre elle.
« Il va bien, je crois » répondit-elle seulement.
Leonardo n'insista pas, attristé de voir que les relations entre son ami et sa nièce ne s'étaient pas vraiment améliorées.
On entendit le cliquetis des pas d'une troupe de soldats. Leonardo se redressa :
« Je dois filer, il ne faut pas qu'ils me trouvent ici » chuchota-t-il.
Avant de se relever, il attrapa Selene par les épaules :
« Dans le carnet, il y a une lettre pour Ezio, lui glissa-t-il à l'oreille. Je comptais lui remettre moi-même, mais c'est impossible. Je dois retourner au Château ».
Il se releva et rajusta son béret sur sa tête.
« Je suis désolé de vous quitter si vite. J'espère que nous nous reverrons bientôt. N'oubliez pas de dessiner ! Vous me montrerez la prochaine fois ».
Il disparut dans la nuit avant que Selene puisse le saluer.
De la brève apparition de son ami, il ne lui restait plus que le carnet et un morceau de fusain. La jeune femme regarda passer le groupe de soldats, le cœur plein de mépris. Les Borgia étaient un fléau. Un fléau qui rendait la vie de beaucoup difficile, et elle fut étonnée de voir comme Leonardo gardait sa sympathie et son enthousiasme malgré son triste quotidien.
Elle saisit le petit carnet et regarda les dessins plus attentivement, à la lueur orangée de la torche. La ville et la vie de la cité y étaient soigneusement croquées : scénettes impromptues, détails surpris au coin d'une rue, visages croisés un jour de marché, Leonardo ne s'arrêtait jamais. Et Selene se demanda si elle oserait dessiner à la suite de ces images parfaites.
Le froid de la nuit lui rappela qu'il était temps de rentrer. Les badauds pressaient le pas et les couples, malgré la chaleur de leurs étreintes, se retiraient aussi. Selene reprit à contrecœur le chemin du repaire, l'estomac serré à l'idée de revoir son oncle.
