Je sais, vous n'y croyiez plus, et moi non plus.
Pourtant je pense que cette fanfiction mérite une suite et une fin, alors j'ai décidé de m'y remettre, lentement peut-être, mais sûrement. Et surtout s'il me reste des lecteurs, que j'ai peut-être fait fuir avec cette absence prolongée !
Merci d'avance à ceux qui sont restés et qui liront ce chapitre sorti de nulle part...
La Confrérie n'avait donc plus une minute à perdre. Le retard rattrapé, le indices rassemblés, il lui fallait décider d'un plan au plus vite pour, sinon devancer les traîtres mercenaires, au moins de ne pas reprendre le retard qu'elle avait tant bien que mal rattrapé.
Ainsi Ezio, Claudia, Machiavelli, Fabio, et Leonardo qui avait bravé tous les dangers et rejoint les conspirateurs, s'étaient enfermés dans le bureau du Mentor pour définir la marche à suivre, dussent-ils y passer la nuit.
— Impossible de les filer, déclara Niccolo après un moment de silence. Ils s'attendent à être suivis, surtout après la mort de Scalabrino.
— C'est fâcheux... marmonna Ezio.
Leonardo approuva :
— J'ai entendu dire, et encore une fois ce ne sont que des rumeurs de domestiques, que plusieurs groupes seront envoyés l'un après l'autre vers la France, et en particulier vers les territoires avec lequel les Borgia sont alliés. Un seul se rendra à Paris. Cesare est paranoïaque, il veut brouiller les pistes.
— Et il a raison, poursuivit Claudia. Si trois Italiens passent seuls la frontière française vers Paris dans le contexte actuel, ça éveillera les soupçons et on surveillera leurs passages au relais. C'est mobiliser beaucoup, reconnut-elle, mais ça vaut certainement le coup.
— Êtes-vous en train d'insinuer que nous devrions faire la même chose ? demanda Fabio.
Ezio tapotait nerveusement la carte de France déroulée sur son bureau. Il était fatigué d'entendre parler de ce Fragment caché à Paris, ce Fragment qui semblait toujours leur échapper. Tous les progrès qui avaient été faits durant ces derniers mois s'étaient retrouvés anéantis le soir du trente-et-un décembre. L'Ordre était alors repartit de zéro, avec si peu d'indices que c'en était ridicule, avant de percer le dernier secret des tableaux grâce au condottiero. A présent, puisque l'Ennemi avançait, il fallait établir un plan à la va-vite : c'était une course contre les Borgia, qui avaient franchi la ligne de départ avec deux secondes d'avance.
Ezio avait l'intime conviction de foncer droit dans le mur.
— Non, répondit-il enfin. Nous ne sommes pas assez pour que je me sépare de nombreuses recrues, qui elles-mêmes sont en mission de filature auprès desdits mercenaires. Tant pis, nous devrons faire preuve d'un peu d'imagination.
Tard dans la nuit, il fut conclu que les Assassins envoyés à Paris serait trois (Ezio avait déjà son idée sur les noms) et qu'ils prendraient la route peu de temps après les seconds espions de Cesare. Ensuite, Ezio suivrait quelques jours plus tard, en secret.
— Attendez, interrompit Fabio. Je ne comprends plus rien. Qui part quand ?
Ils répétèrent.
— Elle me semble bien compliquée, votre affaire, renchérit Orsini.
Elle l'était, parce que Cesare était fou.
Les choses se passeraient donc ainsi : les trois Assassins désignés partiraient devant et serviraient de couverture à Ezio. Celui-ci, resté à Rome, finirait par éteindre tout soupçon c'est lorsque les espions de Cesare seraient pleinement concentrés sur les confrères déjà en route que le Mentor entamerait son voyage.
— Cela ne m'enchante guère, mais je n'ai pas le choix, conclut-il. Il n'y a que moi qui puisse récupérer la Pomme.
— En es-tu certain ? l'interrogea Machiavelli. Avez-vous tous, chez les Auditore, essayé de la toucher ?
— Oui, répondit Ezio tandis que Claudia hochait la tête.
— J'ai dit « tous ».
Un silence suivit. Les autres voyaient bien où le philosophe voulait en venir, mais Ezio s'obstinait à ne pas répondre.
La discussion fut close.
Leonardo devrait donc revenir (ou faire passer l'information de quelque manière que ce soit) dès qu'il aurait du nouveau à propos du départ des expéditions.
— A partir de maintenant, conclut Ezio, le moindre mot que vous entendez et que vous pensez lié à cette affaire, vous me le rapportez immédiatement.
Tous acquiescèrent avant de se retirer Claudia resta auprès de son frère. Celui-ci, épuisé, se laissa tomber dans son fauteuil en soupirant.
— C'est étrange, je n'ai pas l'impression d'avoir avancé d'un iota, avoua-t-il. Ce que nous faisons est absurde, désespéré, fondé sur des on-dit et des propos lâchés par un mercenaire menacé de mort.
— C'est compliqué, répondit simplement Claudia.
— Qu'adviendra-t-il lorsque nous irons à Paris ? Si nous ne reconnaissons rien ? Le Louvre ou Notre-Dame, c'est bien joli, mais sur le tableau le bâtiment n'est même pas fini. Ce doit être tellement différent de l'image, aujourd'hui.
Ezio se frotta les yeux, saisit une plume et un parchemin et commença à noter rapidement ce qui s'était dit pendant cette séance tardive qu'il considérait après-coup comme inutile. Ils avaient décidé d'attendre, et il leur avait fallu toute la nuit pour prendre cette décision-là.
Claudia demeura quelques instants immobile au milieu de la pièce avant de l'interroger :
— As-tu revu Selene ?
Ezio se crispa pendant une demie seconde.
— Oui.
— Elle a changé.
— Je trouve aussi.
Il y eut un silence. Le souvenir des bottes de cuir qu'elle avait retrouvées dans la chambre de sa nièce ne quittait pas Claudia elle ne passait pas un jour sans y penser.
— Vos rapports se sont-ils améliorés ?
— Plutôt, oui, et c'est une bonne surprise, répondit le Mentor sans lever les yeux. Pourquoi me demandes-tu cela ?
— Par curiosité. Bonne nuit.
Elle sortit, laissant son grand frère seul avec ses pensées.
— Oui, Selene a changé, songea Ezio tout haut. A présent elle est aussi brisée que nous.
Le souvenir du baiser reparut derrière ses paupières fermées. C'avait été doux, chaud et froid à la fois, et se rappeler cette fraîcheur était bienvenu à ce moment précis la réunion lui avait donné la migraine.
Selene. Il était deux heures du matin, elle n'était peut-être pas encore couchée.
Ezio termina d'écrire le compte-rendu et sortit. Après une telle réunion, l'atmosphère du repaire était lourde, chaude, et intenable pour sa mélancolie. Il soupira d'aise une fois dehors : il aimait la nuit, son obscurité, son calme. C'était le moment du sommeil dont il ne profitait que trop peu, et il y a quelque chose de puissant à rester éveillé lorsque les autres dorment, et sont vulnérables.
Ses tempes semblèrent se desserrer avec la première bouffée d'air froid. Une balade nocturne jusque la Rose Fleurie achèverait de le délasser, et peut-être seulement il parviendrait à dormir.
En s'approchant de la maison close, les rires et la musique le firent reculer. Non, vraiment, ce soir il n'était pas d'humeur à entrer dans un lieu si plein de vie.
Ezio contourna le bâtiment et, souplement, sauta sur le rebord de la fenêtre et s'agrippa au lierre. Il prit soin de passer devant les fenêtres aux rideaux clos ou aux lumières éteintes glissant tel un chat il arriva sur le toit.
La clameur du bordel n'était plus qu'un bruit lointain. Haut dans le ciel, un mince quartier de lune brillait par intermittence, cachée par les nuages. Sa faible lumière pâlissait à peine les tuiles. Ainsi les lumières en contrebas n'en demeuraient que plus vives, et ce spectacle de feux follets était apaisant à regarder.
Puis l'homme distingua une ombre adossée à la cheminée. Il n'eut aucun mal à la reconnaître, il avait d'ailleurs senti sa présence à la seconde où il avait bondi sur ce toit. C'était ici qu'elle l'attendait, les nuits sans lune, quand elle avait envie de le voir.
L'Assassin s'approcha lentement. L'argile cliqueta sous ses semelles. Il s'assit près d'elle, tout près d'elle, de façon à sentir son corps contre le sien, à recevoir un peu de sa chaleur. Il eut un frisson, enfouit son visage dans ses cheveux, baisa sa peau à la recherche de sa bouche. Elle se tourna légèrement vers lui...
Selene et Ezio avaient lâché prise pour de bon. Il fallait faire taire ce feu nouveau, et puisque essayer de l'étouffer ne n'en l'attisait que plus, peut-être qu'en soufflant sur les braises on parviendrait à l'éteindre.
Pourtant aucun des deux n'y croyait vraiment. Chacun se voilait la face. Leur secret durait depuis quelques temps et ils constataient avec horreur et plaisir qu'ils y prenaient goût. Il y avait quelque chose d'excitant à jouer à cache-cache, et quelque chose de si bon dans ces doux baisers échangés dans l'obscurité.
Pour profiter de ces instants de solitude, ils se rencontraient dans le noir, pour se dissimuler du regard des autres aussi bien que du leur. La pénombre supprime les visages, l'évidence.
« Ce ne sont que des baisers, pensaient-ils. Ce n'est pas bien grave. »
Mais ils se mentaient, parce qu'au fond d'eux-mêmes ils savaient très bien qu'ils auraient tôt ou tard envie d'aller plus loin. Et une telle certitude les terrifiait.
Le jour, leurs habitudes n'avaient pas changé. Ils s'arrangeaient pour se croiser le moins possible. Maintenant que l'abcès était crevé, leur relation d'oncle et de nièce, simulacre inutile de vie de famille, était morte et enterrée. Il n'y avait plus qu'à jouer au Mentor et à la recrue aux heures du jour. Et quitter ces rôles au crépuscule.
Ils ne pouvaient pas lutter, alors en acceptant l'inacceptable ils avaient envoyé valser leur honte. Désormais ils attendaient ces moments de liberté avec impatience, ces instants volés où la nuit viendrait les cacher dans ses grands plis noirs et les soustrairait aux regards du monde.
Selene ne regrettait rien. Elle s'était interrogée d'abord, sur ce qui l'avait poussée à se pencher sur Ezio aux baraquements d'Alviano. Avait-ce été un sursaut d'érotisme, de folie, ou un besoin impérieux de se débarrasser d'une émotion encombrante ? Elle avait eu le courage, ou l'inconscience, de faire ce dont, tous les deux, ils crevaient d'envie.
Comment avait-elle osé ? Si un jour on apprenait ce qui se tramait entre eux, ils seraient reniés, moqués, hués. Ce serait le scandale. On emprisonnait pour ça. C'était un crime impardonnable, le plus terrible d'entre tous, aux yeux du peuple comme de l'Eglise.
Mais c'était arrivé, un point c'est tout, le jeu avait dérapé les avait libérés.
Les toits de Rome était un autre monde. Ezio n'était plus un chef, ni un 'oncle taciturne de vingt ans son aîné qui lui faisait si peur il y a encore quelques mois.
— Le monstre que tu dois craindre, pensait-elle parfois, il est en toi.
Et surtout, lors de ces secondes pendant lesquelles elle s'abandonnait, la vie semblait recommencer à courir dans ses veines. Les lèvres d'Ezio réveillaient son âme meurtrie, son corps entier se mettait à vibrer. Elle n'était plus malade du désir qu'elle éprouvait. Et elle s'était surprise, allongée dans la neige sur son oncle, à ressentir autre chose qu'une poussée d'adrénaline ou la satisfaction du travail bien fait. C'avait été bien plus agréable.
Mais quand cette ombre douce et tendre s'évaporait, Selene retrouvait cet état semi-léthargique dans lequel elle était plongée malgré elle depuis la mort de sa mère. Elle était partie si loin dans son désespoir qu'il lui fallait du temps pour revenir complètement. En réalité, elle ne le souhaitait pas : cette carapace d'acier invisible la protégeait de la douleur. Et il y a quelque chose de profondément libérateur à oublier ce que c'est que souffrir, même s'il faut, pour cela, sacrifier jusqu'aux élans de joie.
Son cœur s'emballa lorsque Ezio se détacha d'elle, et redescendit dans la rue aussi silencieusement qu'il était venu.
