Merci à mes lecteurs encore présents, vous êtes géniaux 3


Leonardo donna rendez-vous à Ezio le surlendemain de la réunion, l'air content. Il détenait une information qu'il était le seul à connaître, et il aimait être en avance sur les guildes de la ville, en particulier sur celle des Assassins. Cela lui permettait de taquiner Ezio et, en tant que vieil ami, il n'y manquait jamais. Histoire de Mentor ou non.

Ils se rencontrèrent donc au bord du Tibre, au crépuscule ; le Château des Borgia rougissait dans la lumière déclinante et Leonardo semblait ravi de le regarder de ce point de vue-là.

— Je vais plus vite que tes recrues superbement entraînées, et j'en tire un fort sentiment de satisfaction personnelle, commença-t-il en s'asseyant à côté d'Ezio. Tu as un mois. Cesare se prépare, il prend son temps mais il sera terriblement bien organisé.

Molto bene, nous serons prêts.

— Tu devras cependant chercher toi-même la date exacte, car je ne serai certainement plus en mesure de vous aider autant.

— Pourquoi ? s'enquit Ezio. Cesare a-t-il des soupçons vis-à-vis de toi ?

— Pas du tout ! s'exclama Leonardo en tapant dans ses mains. Je suis libre, je retrouve mon atelier ce soir.

Ezio éclata de rire.

— C'est une bonne nouvelle !

— La meilleure de l'année, n'est-ce pas ?

L'ingénieur se gratta la joue.

— Cette vermine continue de demander mes services, et gratuitement, j'entends. Je dois me rendre au Château toutes les semaines pour lui montrer des plans, ou bien pour l'écouter parler. Peu importe, du moment que je suis chez moi.

— Sais-tu pourquoi il te libère ?

— Mon amabilité exemplaire lui a fait croire que je suis son ami. On ne garde pas un ami en cellule.

Ezio riait de bon cœur. La bonne humeur de Leonardo était contagieuse, et il aimait l'artiste pour ça.

— Tu as bonne mine, dit Leonardo en gratifiant l'Assassin d'une tape dans le dos.

— Cette histoire de Pomme s'éclaircit, répondit Ezio. Et la Confrérie a traversé quelques drames.

— Il faut du temps.

— Oui.

— Et de la compagnie, peut-être ?

Ezio releva lentement la tête.

— Comment ça ?

Signor Auditore, je vous connais depuis assez longtemps pour savoir que vous recherchez généralement la compagnie des femmes pour vous remonter le moral.

— Cela m'arrive, en effet.

— Alors dites-moi, de quoi a l'air cette gente dame ?

Ezio resta silencieux un instant. La capacité de Leonardo à le deviner l'effrayait.

— Il n'y a pas de dame.

L'artiste joua l'indigné.

— Quoi ? Tu ne veux rien me dire ? Je m'offusque. D'habitude, tu me dis tout.

L'Assassin se résigna à en révéler un peu ; après tout, Selene était insoupçonnable, et son ami trouverait étrange qu'il reste muet.

— Bon, d'accord, il y a bien une femme.

— J'en étais sûr ! s'exclama l'artiste, un air triomphal illuminant sa figure. Comment est-elle ?

— Belle, brune, jeune... Bien plus jeune que moi d'ailleurs.

— Vilain coquin. La vois-tu souvent ?

— La nuit, parfois.

— Oh, ce n'est pas très sérieux, alors.

« Si tu savais... »

— Avec un peu d'imagination, je pourrais peut-être la peindre, reprit Leonardo en tapotant son menton.

— Ne délaisse pas les commandes de ton nouvel ami pour ça, cher Leonardo, lança Ezio avec malice.

Ils rirent. L'artiste se leva et remit son bonnet rouge en place.

— Bien, je me retire. Tu sais où me trouver désormais, n'hésite pas à venir me rendre visite. Passe une belle nuit avec ta demoiselle ! Moi, mes pinceaux m'attendent.

Ezio le regarda s'éloigner, un sourire sur les lèvres. Leonardo parlait toujours beaucoup, mais ses bavardages qu'il aimait écouter l'empêchaient de cogiter.

Il faisait presque nuit lorsqu'ils se séparèrent ; une légère lumière bleue persistait sur l'horizon et serait bientôt avalée par l'obscurité.

Ezio soupira. Un mois, alors ? Très bien. Comme il avait dit à Leonardo, la Confrérie serait prête, puisqu'elle disposait d'un peu de temps supplémentaire pour se mettre au point. La perspective de monter à Paris ne l'enchantait pas, mais c'était son devoir, et il était obligé de s'y soumettre.

« Je serai absent longtemps » pensa-t-il.

Combien de temps cela lui prendrait-il, rien que pour accomplir le voyage ? Un mois entier, voire plus si la route était dangereuse. Une fois la capitale française atteinte, il lui faudrait fouiller les environs, trouver Notre-Dame, explorer le Louvre, et enfin trouver l'artefact.

Tout ceci, en course contre Cesare.

« Admettons six mois, huit au maximum. »

Machiavelli et Claudia se débrouilleraient pour diriger la Confrérie pendant ce temps. Son absence ne serait pas un problème.

De l'agitation dans la rue attira soudain son attention. Il se retourna et découvrit une colonne de soldats français qui descendait la rue en désordre, apparemment pressée de rejoindre son campement. Les badauds lançaient un chapelet d'insultes à l'envahisseur, et les plus téméraires lui lançaient des oeufs. Malgré les attaques, les soldats visés ne menaçaient ni ne punissaient personne. Ezio comprit alors qu'il y avait un problème.

Il se leva et suivit la colonne, dissimulé dans l'ombre.

Les Français atteignirent bientôt le Quartier Antico, et l'atmosphère se détendit parmi les rangs. Les pieux qui entouraient le camp et que l'on devinait au loin, dessinant un cercle noir dans la nuit, leur semblaient une douce vision.

Les soldats chuchotaient entre eux mais Ezio était trop loin pour les entendre. Sur le chemin, ils s'étaient remis en ordre et avançaient d'un pas assuré. Ils entrèrent dans le camp en lignes parfaites, telles de petites fourmis dociles, et Ezio s'approcha du mur de bois situé juste derrière la tente du capitaine que l'on reconnaissait au drapeau bleu qui ornait son sommet.

Il pensa une seconde à revêtir une armure française pour pénétrer dans le camp de l'ennemi lorsqu'il sut qu'il n'en aurait pas besoin : la voix tonitruante du baron s'éleva, traversa la toile de la tente, sauta par-dessus les fortifications et parvint à ses oreilles, nette et précise :

— Ah ! Il pense me rouler, ce bâtard d'Italien !

Il y eut des murmures outrés. Ezio réprima un sourire.

— Comment ose-t-il me mettre sur le côté ? vociférait Octavien. Il s'en va piller notre beau pays de France, et il ne me convie plus aux réunions ? Mais que croit-il faire, en m'évinçant de la sorte ? Je suis son allié, nom de Dieu ! Je connais Paris comme ma poche ! A-t-il peur que je le trahisse ? Moi ? Sur mon honneur !

« Un point pour vous, Monsieur le Baron, songea Ezio avec ironie. En terme de traîtrise, il est vrai que vous êtes blanc comme neige. La France vous remercie ! »

— Et en plus de ça, il nous renvoie tous au campement ! Comme s'il soupçonnait une rébellion !

Il y eut un bruit mat suivi d'un bruit de verre brisé. Dans sa fureur, le baron devait avoir renversé son bureau et ce qu'il y avait dessus.

— Le scélérat ! L'infâme ! Le félon ! Qu'il soit maudit ! Que tous les Borgia soient maudits !

Ezio surveillait les alentours. A ce rythme, Octavien allait alerter toute la campagne romaine de sa déroute, et il voulait éviter d'attirer les curieux de son côté. Mais le silence retomba, lourdement, sur cet accès de rage. Les armures cliquetèrent un moment derrière les murs, puis tout se tut. Ezio disparut.

Le lendemain, tôt dans la matinée, il convoqua Selene :

— Comment te débrouilles-tu, en mission d'infiltration ?

La jeune femme haussa les épaules :

— Plutôt bien.

Bene. Je veux que tu t'introduises dans les appartements de Cesare Borgia, et que tu me ramènes quelque chose d'intéressant.

— Quand ?

— Le plus vite possible. Vas-y seule, ou avec Thomas ou Helena si tu ne t'en sens pas capable.

Selene s'inclina, le poing sur le cœur. La discussion était terminée, mais elle s'attarda un instant pour dévisager le Maître, volant quelques secondes pour le regarder.

C'était plus fort qu'elle.

Le rencontrer dans l'obscurité commençait à la frustrer : elle voulait le voir dans la lumière, débarrassé de ses atours de Mentor. Ezio Auditore lui manquait, il ne lui apparaissait plus, car même lorsqu'il revêtait le costume de l'oncle en présence de Claudia et de Maria, il gardait cette allure froide et distante. Elle commençait presque à regretter l'époque où elle était arrivée à Rome, où elle avait eu peur de lui, mais où il avait été naturel, extraverti, maladroitement tendre, violent parfois, mais où il lui avait semblé plus vivant que sous cette allure de statue de glace.

Désormais il n'y avait plus de tendresse que dans les nuits sur les toits. Il se protégeait sous l'habit, la protégeait elle aussi, et c'était le prix à payer pour avoir cédé.

Pourtant il y avait une faille dans cette armure, car elle crut apercevoir un éclat de douceur dans les pupilles noires d'Ezio.

Satisfaite, elle se retira.

Plus tard, Ezio retrouva Machiavelli occupé d'écrire dans la bibliothèque. Ce dernier prenait consciencieusement des notes sur un petit calepin. Ezio savait qu'il préparait un ouvrage sur, disait-il, « l'art de devenir Prince et de le rester », et il ne faisait aucun doute que le neveu du Pape était sa principale source d'inspiration.

— Tu veux du contenu pour un prochain chapitre ? lui lança Ezio en s'asseyant en face de lui.

Niccolo releva la tête et fronça les sourcils. Il détestait être dérangé.

— De quoi tu parles ?

— Cesare Borgia a éloigné Octavien de son entourage, ainsi que la petite partie de l'armée française qui renforçait celle du Vatican. Le baron est furieux... La paranoïa de Cesare atteint même ses plus proches alliés.

— Il se fera des ennemis.

— Et pourtant non : je viens d'apprendre qu'il a offert au pauvre baron désoeuvré des terres cultivables dans le sud du Latium.

— Oh ! Il est malin !

— Ça rentre dans le thème de ton livre, non ?

Machiavelli fut secoué d'un petit rire.

— Le baron s'en contente ?

— Il a tout pardonné.

— Alors oui ! Merci de t'intéresser autant à mon nouveau livre, Ezio. Et cela prouve une fois encore qu'Octavien de Valois est un homme d'une stupidité effarante.

Le philosophe s'étira et referma son carnet.

— A ton avis, demanda-t-il, pourquoi chasser le seul Français de la conspiration à un mois du départ ?

— Jusque là, le faut qu'il soit dans la confidence ne gênait personne. Il a certainement aidé Cesare. Maintenant, les plans sont faits, les chemins sont tracés, et prévenant toute trahison, Cesare le remercie avec une dizaine d'hectares.

— En effet, cela se tient. Et que sait-on de ces plans ?

— C'est ce qu'un de mes apprentis est justement parti découvrir.