Merci à Luman et Chris122, les irréductibles ! (la suite, déjà !)
Quand Selene arriva devant la muraille du Château Saint-Ange, et après qu'elle l'eut examinée un instant, elle se demanda comment elle allait remplir sa mission.
Elle n'avait absolument aucune idée d'où se trouvait la chambre qui renfermait les secrets de Cesare Borgia. Ce qu'elle voyait, d'où elle était, alors que le soleil faisait étinceler les armures des soldats et les carreaux des minuscules fenêtres percées dans les murs rouges, c'était une forteresse à l'apparence imprenable dans laquelle il lui faudrait pourtant s'infiltrer. De grands murs solides et épais s'élevaient entre elle et son but.
Elle réalisa que cette mission serait certainement la plus difficile qu'elle ait réalisée jusqu'alors. Et cette perspective lui donna un peu de courage : si elle réussissait, elle grimperait un échelon dans la Confrérie, ainsi que, sans aucun doute, dans l'estime de la famille.
« Et dans celle de... »
C'était aujourd'hui qu'elle allait mériter son nom. Elle eut une pensée fugace pour le portrait de son père, enfermé pour toujours dans la petite maison de San Gimignano, ou peut-être jeté aux ordures...
Elle commença à marcher autour du Château pour faire fuir cette pensée triste. Se reconcentrer, vite, pour ne pas penser...
Après quelques minutes d'observation et de flânerie factice auprès des statues angéliques qui bordaient le Pont Saint-Ange, Selene comprit qu'elle devrait attendre la nuit pour agir. Une fois encore, les ténèbres seraient ses alliés. Enfin, il lui faudrait examiner la situation sous plusieurs angles : connaître le chemin des patrouilles à l'intérieur et à l'extérieur, l'heure précise des relèves, et, enfin, trouver ce « quelque chose d'intéressant » que le Mentor lui avait demandé.
Elle se rendit compte qu'elle ignorait complètement ce qu'Ezio voulait. Certainement l'ignorait-il lui-même. C'était donc à elle de considérer si un document allait être utile à la Confrérie ou non. Le Maître Assassin lui avait donné cette responsabilité sans qu'elle ne s'en rende vraiment compte : il lui faisait confiance.
Son cœur se gonfla de fierté. D'ailleurs, elle n'avait pas prié Thomas ni Helena de l'accompagner. Après le meurtre de Scalabrino, elle avait réalisé qu'elle préférait travailler seule. Elle appréciait toujours autant la compagnie de ses amis en dehors du travail, mais l'esprit d'équipe n'était pas son fort, et elle trouvait plus confortable de pouvoir faire les choses à sa manière.
« C'est le caractère buté des Auditore » pensa-t-elle avec un brin d'ironie.
Quand le soleil se coucha sur Rome, Selene passa à l'action. Elle avait eut le loisir de suivre une journée de surveillance sur les remparts, et elle était sûre que le manège des soldats se répéterait pendant la nuit. Elle savait où elle allait passer, quel pan de mur précisément elle grimperait. Et à partir de là, le reste se déciderait selon ce qu'elle découvrirait.
Elle releva sa capuche sur sa tête et se lança précisément sept minutes avant la relève de neuf heures.
La jeune femme s'était entraînée à grimper, elle savait se hisser sur les toits de la ville, mais gravir une muraille était une autre paire de manches. Plusieurs fois ses pieds glissèrent, ayant du mal à trouver un appui ses mains peinaient à garder leur prise, et la sueur lui tombait dans les yeux.
Elle parvint enfin à se hisser au sommet des remparts et en fut la première surprise. Elle n'eut pas le temps de s'étonner beaucoup de sa performance elle avait pris du retard, la relève avait déjà eut lieu et elle ne tarderait pas à tomber nez à nez avec un garde. Elle se trouvait entre deux bastions c'était une question de secondes avant qu'elle ne soit repérée.
La jeune femme glissa comme un chat sur le chemin de ronde, cherchant en contrebas un endroit où se cacher et attendre. Elle vit une pile de bottes de paille disposée près des stalles mobiles sur laquelle elle pourrait se laisser tomber souplement. Les jambes des chevaux couplée à l'obscurité serait une cachette parfaite. Avant de sauter, elle remarqua qu'une petite lucarne demeurait allumée, au dernier étage. La statue de l'archange Saint-Michel la surplombait, menaçante dans la nuit. En atterrissant dans le foin, Selene en déduisit qu'il s'agissait certainement des appartements de Cesare. C'état logique : le duc travaillait là où il pouvait voir Rome, là où il pouvait prendre de la hauteur sur le petit monde qu'il gouvernait d'une main de fer.
Ainsi elle avait un premier but, et elle comptait bien vérifier cette hypothèse au plus vite.
Selene atteignit les stalles. La paille qui recouvrait le sol étouffa le bruit de ses pas, et elle s'accroupit entre deux chevaux en soupirant d'aise : la fine couche de sueur qui recouvrait sa peau l'avait refroidie, la chaleur animale était donc bienvenue.
Les chevaux la regardèrent avec curiosité, les oreilles pointés vers le haut. Leurs grands yeux noirs brillaient. Ils remuèrent à peine, l'un deux laissa échapper un petit hennissement, puis ils replongèrent dans leur torpeur, dormant à moitié au bout de leur longe.
Selene gratifia ses complices d'une caresse à l'encolure et reprit sa routine d'observation.
La cour était peu peuplée à cette heure du soir. La lumière chaude des torches envoyait des ombres flageolantes sur les murs et le sol de terre battue. Les canons rangés en rang à côté des écuries levaient leur gueule ronde et noire vers le ciel, immobiles auprès de trois pyramides de boulets. Selene déglutit contre une artillerie pareille, le repaire sur l'Île Tibérine ne tiendrait pas longtemps.
Elle se demanda s'il s'agissait des mêmes canons qui avaient détruit Monterriggioni, et un sentiment de colère lui serra la poitrine.
« Calme-toi, se dit-elle, ou ta vigilance en pâtira ».
A l'intérieur de la cour, il n'y avait pas de ronde bien définie, les soldats allaient et venaient, buvaient ou mangeaient un morceau avec leurs camarades l'atmosphère était détendue. Selene attendait le bon moment pour bondir hors de sa cachette et se faufiler dans les coins d'ombre, avant de gravir le côté de l'immense château. L'attaquer de face était une erreur : ainsi, elle serait à la vue de tous, de ceux qui entrent comme de ceux qui sortent. Il lui faudrait faire le tour de la cour, et trouver l'endroit parfait.
Elle quitta les stalles et leur chaleur à regret, puis fonça en rasant les murs. Elle atteignit le côté est de la forteresse, peu éclairé, silencieux, et à l'abri du vent. Elle le jugea adéquat. Profitant d'un moment d'inattention de la part des gardes, elle s'élança sur la pointe des pieds et ne laissa qu'un courant d'air derrière elle.
La deuxième ascension se révéla plus difficile que la précédente. Fatigués par la montée de la muraille, les muscles de ses jambes tiraient douloureusement. Le mur arrondi offrait peu de prises, et ses bras ne tardèrent pas à trembler sous l'effort.
N'ayant plus la force de continuer, elle dut bientôt s'arrêter pour reprendre son souffle et reposer ses membres endoloris. Un rapide coup d'oeil au-dessus d'elle lui apprit qu'elle avait encore un long chemin à parcourir avant d'arriver en haut de cette satanée forteresse.
Selene demeurait dans une position aussi inconfortable que dangereuse. Il suffisait simplement que le regard d'un militaire, attiré par du mouvement inhabituel, se fixe sur elle pour que l'alarme soit déclenchée et qu'une flèche lui traverse le dos.
« Si on me voit, je suis fichue. »
Mais ce n'était pas tout : il y avait aussi ce vide, ce vide que chaque poussée vers l'avant élargissait un peu plus. Une seconde de négligence et elle finissait écrasée en bas. Un infime morceau de brique se déchaussait, elle perdait l'équilibre et elle tombait au pied du château, les os brisés, morte.
A cette idée, un tremblement lui secoua l'échine, et pour la première fois depuis le début de la mission, elle prit peur.
« Maudit Ezio » grommela-t-elle pour elle-même. Il n'y avait que lui pour la mettre dans des situations pareilles.
Appuyée contre le mur, elle l'imaginait avachi dans son fauteuil, penché sur l'accoudoir et les jambes allongées devant lui, l'air supérieur, un sourire moqueur sur les lèvres. Elle l'entendait lui dire de cet insupportable ton sarcastique :
« Alors, Auditore, on a le vertige? »
Lui donner une opportunité de se moquer d'elle était hors de question, qu'il le fît par pur plaisir ou pour la pousser à accomplir des exploits. Alors, pour ne pas perdre la face, elle reprit son ascension, lentement, après avoir essuyé ses paumes l'une après l'autre sur son habit blanc.
Au bout de longues minutes de labeur, Selene parvint sur le toit de la galerie, elle s'étala sur les tuiles d'argile, les bras en croix, épuisée. Tout son corps était en feu, comme si ses muscles allaient se déchirer. Elle n'eut pas le temps de se reposer bien longtemps il lui fallait désormais remonter le deuxième chemin de ronde pour atteindre l'arrière du bâtiment.
La statue de l'archange semblait pointer son épée de bronze sur son front. Elle s'éloigna.
Elle ne croisa personne et s'étonna d'avoir été si peu troublée par la présence de l'armée. La château n'était-il pas censé être terriblement bien gardé ? Ou avait-elle eu de la chance ?
Minuit sonna lorsque Selene arriva enfin au sommet du château. Il faisait froid, le vent de mars soufflait fort tout en haut elle frissonna un peu, et se cacha devant le socle de la statue de Saint-Michel, dont les grandes ailes ouvertes protégeaient des bourrasques.
Et le spectacle qui s'offrit devant ses yeux embués de larmes lui coupa le souffle.
La jeune femme avait déjà vu Rome depuis les toits, mais elle n'était jamais montée aussi haut pour la regarder. Des milliers de lumignons brillaient dans la nuit, tels des feux-follets posés sur le drap de l'obscurité. On devinait le renflement des collines, les rares badauds avançaient lentement sous les lumières, tels de petites figurines. Et le Tibre serpentait en contrebas, éclairé par la lune, comme un grand ruban d'argent.
Partout où l'on regardait, la ville s'étendait loin on apercevait même la campagne et ses torches, aussi minuscules que des étoiles, qui laissaient deviner où se trouvaient les ruines antiques.
La vue était si spectaculaire que Selene en oublia sa mission. Elle prit conscience de l'immensité de Rome, de son pouvoir aussi, et de l'étendue de sa corruption. L'envie de protéger cette cité magnifique supplanta le désir de vengeance.
« C'est injuste. Vous ne la méritez pas. »
Et sa rancoeur contre les Borgia grandit un peu plus.
L'air froid et cette vision lui avaient redonné des forces il était plus que temps de passer à l'action.
Elle descendit sur la terrasse, se coucha sur le ventre, se pencha, et se laissa glisser sur quelques centimètres pour mieux voir.
Les lumières des quatre lucarnes étaient éteintes.
« Perfetto. »
Elle utilisa la finesse de la lame secrète pour ouvrir le loquet la petite fenêtre et, féline, s'introduisit à l'intérieur.
Ses yeux s'habituèrent rapidement à la pénombre. Dès lors elle discerna les contours des meubles : un bureau, un fauteuil, une armoire vitrée, des chaises, une petite table basse et, sur la cheminée, un vase garni de grandes fleurs qui dégageaient une odeur sucrée.
Elle s'approcha du bureau, s'empara du sceau et revint devant la fenêtre pour l'examiner. Un sourire de satisfaction creusa ses joues en découvrant la marque de Cesare Borgia. Elle avait vu juste : elle était précisément là où elle devait être.
Il n'y avait pas une minutes à perdre.
Elle alluma une unique chandelle il faisait si sombre dans le cabinet qu'elle redoutait de trébucher dans les fanfreluches du tapis ou de renverser quelque chose.
Avant de fouiller dans les tiroirs, elle examina les objets et les papiers qui s'amoncelaient sur le secrétaire. Elle constata que le sceau avait servi récemment peut-être le duc avait-il envoyé une lettre importante avant de se coucher ? Peut-être même conservait-il une copie de son courrier ?
Des papiers divers étaient empilés dans un coin. Elle effeuilla rapidement la pile sans rien trouver qui pourrait satisfaire le Mentor : il ne s'agissait que de notes, des mots parfumés qui devaient lui venir de Lucrezia ou d'admiratrices quelconques (oui, on en trouvait à Rome), des noms et des adresses. Celle qui se trouvait au-dessus de toutes les autres nommait un certain Georges d'Amboise cela ne lui disait rien, mais cela sonnait français. Peut-être était-ce celle du destinataire à qui Cesare avait écrit en dernier.
Par la fenêtre ouverte lui parvenaient les voix des soldats toujours occupés de discuter dans la cour.
« Continuons de chercher. »
Il y avait un rouleau de parchemin posé près de l'encrier Selene posa la bougie et le déroula lentement.
Elle eut un sursaut d'excitation. Il s'agissait d'une carte, une carte grossière tracée à l'encre noire malgré le trait tracé à la hâte elle reconnut les contours de l'Italie et de la France. En pointillés, cinq courbes numérotées partaient d'un point nommé « Roma » à quatre croix anonymes disséminées dans le dessin de la France. La dernière ligne allait jusque...
« Paris ! Dio mio ! »
Elle tenait entre ses doigts toute la logistique de Cesare concernant l'affaire du Fragment ! En possession de cela, la Confrérie pouvait connaître l'identité des ennemis à tracer. Toute excitée, elle s'apprêtait à plier le parchemin et à le ranger dans sa petite sacoche, sous sa tunique, mais elle se ravisa.
« Non. Ou ils sauront que nous savons, et ils changeront tout au dernier moment. »
Elle repositionna la carte là où elle l'avait trouvée, puis elle se mit à fouiller dans le tiroir de droite, trouva trois lettres portant le sceau de Louis XII, roi de France, les lut rapidement. C'était écrit en mauvais italien, mais compréhensible : cependant les lettres ne lui apprirent rien de nouveau. La France gagnait la guerre, s'en vantait, et donnait à un traître mielleux des nouvelles de la Reine « qui se portait bien, merci ».
Des banalités, en somme.
La jeune femme souffla la flamme de la bougie. Cela suffisait. Elle avait mémorisé la carte, elle saurait la résumer au Mentor.
Elle était en train d'enjamber le cadre de la fenêtre lorsque la porte du cabinet s'ouvrit à la volée. Cesare Borgia parut, majestueux, ses pupilles vertes lançant des éclairs.
— Assassino ! rugit-il en reconnaissant la tunique. J'étais sûr que c'était toi.
La clarté de la chandelle, aussi faible fût-elle, avait attiré l'attention dans un lieu où le duc n'était plus censé se trouver. Depuis la cour, on l'avait signalée.
Malgré sa colère, le duc resta coi quelques instants. Il s'était attendu à découvrir dans son bureau son ennemi juré, Ezio Auditore. A la place, il y trouvait... une femme ?
Selene se figea elle aussi. Jusqu'ici, tout s'était trop bien passé la difficulté arrivait au moment où elle avait relâché sa garde, pensant avoir terminé sa mission. A présent, elle se retrouvait face à Cesare Borgia lui-même, le responsable de tous ses maux, de son deuil interminable, de la tristesse de sa mère, de cette vie de larcins et de meurtres qui était malgré elle devenue la sienne. Elle le dévisagea, le voyant d'aussi près pour la toute première fois, et elle fut heureuse de pouvoir enfin poser une figure sur la menace.
Elle ne fut pas impressionnée. Quelques mois auparavant, un tel faciès l'aurait effrayé, mais maintenant, même à la lueur du chandelier qui amplifiait une grimace furieuse, qui noircissait une paire d'orbites et faisait étinceler deux rangées de petites dents blanches, elle ne voyait qu'un homme barbu à la chevelure hirsute et à l'air exténué.
Tous les monstres sont humains, en somme.
Soudain un son de cloches perça la nuit : on sonnait l'alarme.
Cesare tira son épée et se jeta sur Selene. Elle retint un sourire et bondit à la seconde où la lame allait l'atteindre le coup se perdit dans le vide, et le prince poussa un cri de frustration.
Selene remontait le chemin par lequel elle était venue. L'alerte n'en finissait plus de sonner et les soldats qui, sous l'ordre des officiers, se regroupaient, indiquaient sa présence sur les toits en hurlant. En passant à toute allure près de la statue de Michel-Ange, elle lui adressa une courte prière.
« Protège-moi ! »
Elle savait d'avance qu'elle serait battue si un combat venait à s'engager entre elle et les gardes. Elle n'était pas encore capable de défier deux, trois, cinq d'entre eux en même temps. Elle n'était même pas certaine de pouvoir en tuer un seul la dernière fois, ç'avait été un coup de chance.
La jeune femme emprunta le chemin de ronde en sens inverse, en se demandant comment elle allait faire pour s'enfuir. Elle ne pouvait pas repasser par les murs, elle était trop lente, et elle deviendrait ainsi une cible parfaite pour un tir d'arbalète.
Il fallait donc oublier l'escalade...
« … Et passer par l'intérieur. »
En face, un groupe de soldats accouraient vers elle. Elle s'élança d'un bond prodigieux sur le toit de la galerie avant qu'ils puissent l'atteindre, sauta de nouveau en contrebas, et, les chevilles douloureuses, pénétra dans le Château.
Les bougies venaient d'être allumées, dégageant une faible odeur de cire. Selene vit avec effroi ses poursuivants entrer à sa suite. Elle commença à sentir l'abject frémissement de la panique s'emparer de son cerveau, tenta de le repousser avec un peu de bon sens, aussi difficile fût-il à trouver.
Elle se précipita vers l'escalier, dévala les marches à toute vitesse. Mais en bas, on montait aussi, et bientôt elle se retrouva encerclée. Prise au piège, Selene cherchait un échappatoire. Les soldats s'étaient arrêtés, pointaient le fer vers elle, prêts à frapper.
Ils eurent une seconde d'hésitation, peut-être parce que leur ennemi se révélait être une femme et qu'un soupçon de galanterie subsistait dans leur âme de militaire. Selene avait peut-être peu de force brute comparée à celles des guerriers, mais elle avait un avantage : elle était plus agile, plus souple et donc forcément plus rapide que ces hommes engoncés dans leurs kilos d'armure en métal. Et sa faiblesse apparente était un atout, puisqu'on la sous-estimait Ezio se le rappelait encore.
Alors elle profita de cette seconde pour sauter souplement par-dessus la rambarde et atterrir quelques mètres plus bas. Il y eut du remue-ménage au-dessus de sa tête, il y eut le hurlement d'un capitaine qui fustigeait le manque d'audace de ses troupes, et un bruit de tambour sur les marches en bois, qui indiquait que l'on se lançait de nouveau à ses trousses. Selene emprunta un dernier escalier et se retrouva enfin dehors.
Elle accueillit avec délectation l'air frais de la nuit sur sa figure moite. Malgré l'épuisement, elle courait à en perdre haleine l'énergie du désespoir la faisait galoper vers la sortie. Ces escaliers empruntés au hasard l'avaient amenée dans la cour ouest de la forteresse. La majorité des gardes s'attendaient à ce qu'elle surgisse de l'entrée principale et qu'elle s'élance vers le pont Saint-Ange seule une petite garnison s'occupait de surveiller le secteur, et elle les dépassa aisément, rapide comme l'éclair.
Elle se réjouit de rejoindre la rue, mais comprit qu'elle n'en était pas tirée d'affaire pour autant.
Sur le chemin de ronde, les archers la tenaient en joue. Ils avaient ordre de la blesser, car on la voulait vivante pour la passer à la question.
Les cloches qui continuaient de teinter avaient ameuté les gardes alentours. Ceux-ci, en rang, bloquaient les carrefours et la forçaient à bifurquer toujours. La patience des Borgia avait ses limites : Selene refusait de se rendre. Une flèche frôla son pied droit pour la forcer à le faire.
Son corps aussi atteignait ses limites. Sa vue se brouillait, sa respiration sifflait et il lui semblait que ses genoux allaient se rompre d'une minute à l'autre. Acculée à la muraille par cette armée déployée contre elle, elle se crut perdue.
Pourtant, l'instinct de survie prit le dessus : elle vit une faille, une ultime ouverture dans ce piège monstrueux.
Derrière elle, le marbre devant, le Tibre.
Alors, sous le regard médusé des soldats, elle s'élança, gagna la rive, et plongea dans le fleuve.
L'eau glacée lui mordit le cœur. Selene remonta péniblement à la surface, aspirant de grandes goulées d'air. Le Tibre, gonflé par les pluies du printemps, l'emportait en aval dans un tourbillon : le château disparut de son champ de vision, les gardes aussi, semés grâce au puissant courant.
Selene peinait à nager, à maintenir sa tête hors de l'eau pour respirer. L'onde sale cherchait à l'engloutir, les remous verdâtres s'abattaient sans cesse sur son crâne et rugissaient autour d'elle. Sa tunique imbibée, alourdie, l'attirait vers le fond. Elle avait froid, elle sentait ses dernières forces la quitter.
La jeune femme cessa de lutter et perdit connaissance.
